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Le « code de Nuremberg » est une liste de dix critères contenue dans le jugement du « procès des médecins » de Nuremberg (1946-1947). Ces critères indiquent les conditions que doivent satisfaire les expérimentations pratiquées sur l'être humain pour être considérées comme « acceptables ».
La nouvelle traduction présentée ci-dessous, établie par Philippe Amiel et François Vialla, revient au texte originale anglais et lui redonne son sens proprement juridique.
EXPERIENCES MEDICALES ACCEPTABLES.
La grande force des faits présentés est de nous apprendre que certains types d’expériences médicales sur l’être humain, quand elles sont inscrites dans des limites raisonnablement bien définies, sont conformes à l’éthique de la profession médicale en général. Les protagonistes de la pratique de l’expérimentation humaine justifient leurs vues sur le fondement de ce que de telles expériences produisent des résultats pour le bien de la société, qui sont impossibles à obtenir par d’autres méthodes ou moyens d’étude. Tous s’accordent, quoi qu’il en soit, sur ceci que certains principes fondamentaux doivent être observés afin de répondre aux notions morales, éthiques et légales :
1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne concernée doit avoir la capacité légale de consentir ; qu’elle doit être placée en situation d’exercer un libre pouvoir de choix, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes sournoises de contrainte ou de coercition ; et qu’elle doit avoir une connaissance et une compréhension suffisantes de ce que cela implique, de façon à lui permettre de prendre une décision éclairée. Ce dernier point demande que, avant d’accepter une décision positive par le sujet d’expérience, il lui soit fait connaître : la nature, la durée, et le but de l’expérience ; les méthodes et moyens par lesquels elle sera conduite ; tous les désagréments et risques qui peuvent être raisonnablement envisagés ; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui pourraient possiblement advenir du fait de sa participation à l’expérience. L’obligation et la responsabilité d’apprécier la qualité du consentement incombent à chaque personne qui prend l’initiative de, dirige ou travaille à, l’expérience. Il s’agit d’une obligation et d’une responsabilité personnelles qui ne peuvent pas être déléguées impunément.
2. L’expérience doit être telle qu’elle produise des résultats avantageux pour le bien de la société, impossibles à obtenir par d’autres méthodes ou moyens d’étude, et pas aléatoires ou superflus par nature.
3. L’expérience doit être construite et fondée de façon telle sur les résultats de l’expérimentation animale et de la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie ou autre problème à l’étude, que les résultats attendus justifient la réalisation de l’expérience.
4. L’expérience doit être conduite de façon telle que soient évitées toute souffrance et toute atteinte, physiques et mentales, non nécessaires.
5. Aucune expérience ne doit être conduite lorsqu’il y a une raison a priori de croire que la mort ou des blessures invalidantes surviendront ; sauf, peut-être, dans ces expériences où les médecins expérimentateurs servent aussi de sujets.
6. Le niveau des risques devant être pris ne doit jamais excéder celui de l’importance humanitaire du problème que doit résoudre l’expérience.
7. Les dispositions doivent être prises et les moyens fournis pour protéger le sujet d’expérience contre les éventualités, même ténues, de blessure, infirmité ou décès.
8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes scientifiquement qualifiées. Le plus haut degré de compétence professionnelle doit être exigé tout au long de l’expérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent.
9. Dans le déroulement de l’expérience, le sujet humain doit être libre de mettre un terme à l’expérience s’il a atteint l’état physique ou mental où la continuation de l’expérience lui semble impossible.
10. Dans le déroulement de l’expérience, le scientifique qui en a la charge doit être prêt l’interrompre à tout moment, s’il a été conduit à croire — dans l’exercice de la bonne foi, de la compétence du plus haut niveau et du jugement prudent qui sont requis de lui — qu’une continuation de l’expérience pourrait entraîner des blessures, l’invalidité ou la mort pour le sujet d’expérience.
Traduction nouvelle de Philippe Amiel, François Vialla
Source : Revue de droit sanitaire et social, Sirey - Dalloz, 2009
par Assurance Maladie, 25/04/2017
Tout salarié (hors Mayotte) peut bénéficier du congé de solidarité familiale pour assister un proche qui souffre d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ou qui est en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause.
Ce proche peut être :
Pour information, le congé de solidarité familiale remplace, depuis 2003, le congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie.
Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions (article L. 1111-6 du code de la santé publique).
Le congé de solidarité familiale est accordé pour une durée de 3 mois renouvelable une fois, soit une durée maximale de 6 mois.
Il prend fin :
Dans tous les cas, pensez à informer votre employeur de la date prévisible de votre retour au moins trois jours avant.
À noter : Le congé de solidarité familiale ne peut être ni reporté ni refusé par votre employeur. Il peut être transformé en période d'activité à temps partiel avec son accord ; pendant toute la durée de votre congé de solidarité familiale, votre contrat de travail est suspendu et vous n'êtes, en principe, pas rémunéré par votre employeur. Vous pouvez cependant percevoir, sur une période qui ne peut excéder 21 jours, l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie.
Adressez à votre employeur, au moins 15 jours avant le début du congé de solidarité familiale, une lettre recommandée avec avis de réception, ou remise contre récépissé, l'informant de votre volonté de bénéficier de ce congé.
Vous devez également lui adresser un certificat médical, établi par le médecin traitant de la personne que vous souhaitez assister, attestant que cette personne souffre d'une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ou est en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable.
À noter qu'aucune démarche particulière n'est à effectuer auprès de votre caisse d'Assurance Maladie.
Pendant toute la durée de votre congé de solidarité familiale et à l'issue de ce congé*, vous bénéficiez du maintien de vos droits :
* que ce soit lors de la reprise de votre travail, ou en cas de non reprise en raison d'un arrêt de travail pour maladie, d'un congé maternité ou paternité, ou lors de la reprise du travail à l'issue de cet arrêt de travail ou de ce congé.
L'Assurance Maladie peut verser une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie pendant 21 jours au cours de ce congé.
Source : ameli.fr
JORF n°0181 du 5 août 2016
texte n° 41
Décret n° 2016-1067 du 3 août 2016 relatif aux directives anticipées prévues par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
NOR: AFSP1618421D
Publics concernés : personnes majeures.
Objet : rédaction, révision, révocation et conservation des directives anticipées.
Entrée en vigueur : le décret entre en vigueur le lendemain de sa publication .
Notice : le décret a pour objet de préciser les modalités de rédaction, de révision et de révocation des directives anticipées, rédigées dans l'hypothèse où les personnes seraient hors d'état d'exprimer leur volonté.
Il précise également les modalités selon lesquelles ces directives anticipées sont conservées.
Références : le décret est pris pour l'application de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Les dispositions du code de la santé publique modifiées par le présent décret peuvent être consultées, dans leur rédaction résultant de cette modification, sur le site Légifrance (http://www.legifrance.gouv.fr).
Le Premier ministre,
Sur le rapport de la ministre des affaires sociales et de la santé et du garde des sceaux, ministre de la justice,
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de la santé publique, notamment ses articles L. 1111-11 et R. 1111-30 ;
Vu le décret n° 2016-5 du 5 janvier 2016 portant création du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie ;
Vu l'avis de la Haute Autorité de santé en date du 6 juillet 2016 ;
Vu l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en date du 21 juillet 2016 ;
Vu la saisine du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en date du 6 juillet 2016 ;
Vu la saisine du gouvernement de la Polynésie française en date du 6 juillet 2016 ;
Le Conseil d'Etat (section sociale) entendu,
Décrète :
L'article R. 1111-17 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« Les directives anticipées mentionnées à l'article L. 1111-11 s'entendent d'un document écrit, daté et signé par leur auteur, majeur, dûment identifié par l'indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance. La personne majeure sous tutelle peut rédiger des directives anticipées avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué. » ;
2° Le dernier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« Les directives anticipées peuvent être, à tout moment, soit révisées, soit révoquées. Elles sont révisées selon les mêmes modalités que celles prévues au premier alinéa pour leur élaboration. En présence de plusieurs écrits répondant aux conditions de validité, le document le plus récent l'emporte. »
L'article R. 1111-18 du code de la santé publique est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. R. 1111-18.-I.-Le modèle mentionné à l'article L. 1111-11, selon lequel peuvent être rédigées les directives anticipées, comporte :
« 1° Les informations suivantes :
« a) Les éléments d'identification mentionnés à l'article R. 1111-17 relatifs à l'auteur des directives ;
« b) Les éléments d'identification de la personne de confiance mentionnée à l'article L. 1111-6 ;
« c) Le cas échéant, les mentions relatives aux autorisations nécessaires en cas de mesures de tutelle mentionnées au dernier alinéa de l'article L. 1111-6 ;
« d) Lorsque la personne est dans l'impossibilité physique d'écrire ses directives anticipées, les informations relatives aux deux témoins prévus à l'article R. 1111-17 ;
« 2° La volonté de la personne sur les décisions médicales relatives à sa fin de vie concernant les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitements ou d'actes médicaux dans le cas où elle ne serait plus en capacité de s'exprimer. Le modèle permet à la personne d'exprimer sa volonté selon l'un ou l'autre des cas suivants :
« a) Dans le cas où elle est en fin de vie ou se sait atteinte d'une affection grave, la personne exprime sa volonté concernant son éventuelle situation future et sur la poursuite, la limitation, l'arrêt ou le refus de traitements et d'actes médicaux, notamment ceux entrepris dans le cadre de son affection ;
« b) Dans le cas où elle ne pense pas être atteinte d'une affection grave, elle exprime sa volonté concernant son éventuelle situation future et la poursuite, la limitation, l'arrêt ou le refus de traitements et d'actes médicaux dans l'hypothèse où elle serait victime d'un accident grave ou atteinte par une affection grave ;
« 3° Une rubrique permettant à la personne d'exprimer sa volonté sur la possibilité de bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès lorsque, dans les hypothèses prévues par l'article L. 1110-5-2, les traitements la maintenant en vie sont arrêtés ;
« 4° Une rubrique relative à la révision ou la révocation des directives anticipées.
« II.-Le modèle de directives anticipées, dont le contenu est conforme aux dispositions mentionnées au I, est précisé par arrêté du ministre chargé de la santé.
« III.-Des guides élaborés par la Haute Autorité de santé pour aider le public et les professionnels de santé et du secteur médico-social et social à la rédaction des directives anticipées à partir du modèle mentionné au II sont consultables sur le site de la Haute Autorité de santé. »
L'article R. 1111-19 du code de la santé publique est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. R. 1111-19.-I.-Les directives anticipées sont conservées selon des modalités les rendant aisément accessibles pour le médecin appelé à prendre une décision de limitation ou d'arrêt de traitement dans le cadre de la procédure collégiale définie à l'article R. 4127-37.
« II.-A cette fin, les directives anticipées peuvent être déposées et conservées, sur décision de la personne qui les a rédigées, dans l'espace de son dossier médical partagé prévu à cet effet et mentionné au g du 1° de l'article R. 1111-30. Ce dépôt vaut inscription au registre prévu à l'article L. 1111-11. La personne peut également décider de n'y mentionner que l'information de l'existence de telles directives ainsi que le lieu où elles se trouvent conservées et les coordonnées de la personne qui en est dépositaire. Lorsque les directives anticipées sont conservées dans le dossier médical partagé, un rappel de leur existence est régulièrement adressé à leur auteur.
« Les modalités d'authentification, de conservation ainsi que d'accès et de révision et les garanties apportées afin de préserver la confidentialité des directives anticipées sont celles prévues pour le dossier médical partagé à la section 4 du présent chapitre.
« III.-Les directives anticipées peuvent également être conservées :
« 1° Par un médecin de ville, qu'il s'agisse du médecin traitant ou d'un autre médecin choisi par la personne qui les a rédigées ;
« 2° En cas d'hospitalisation, dans le dossier médical mentionné à l'article R. 1112-2 ;
« 3° En cas d'admission dans un établissement médico-social, dans le dossier de soins conforme au dossier type mentionné au 8° de l'article D. 312-158 du code de l'action sociale et des familles.
« Dans ces cas, les directives anticipées relèvent des dispositions des articles L. 1110-4 et L. 1110-4-1 relatives au secret des informations concernant la personne prise en charge par un professionnel de santé ainsi qu'aux conditions d'échange, de partage et de sécurité de ces informations.
« IV.-Lorsque les directives anticipées sont déposées dans l'un des dossiers mentionnés aux II et III du présent article, les personnes identifiées en application du b et d du I de l'article R. 1111-18 sont informées par l'auteur de ces directives de l'inscription des données les concernant.
« V.-Les directives anticipées peuvent également être conservées par leur auteur ou confiées par celui-ci à la personne de confiance mentionnée à l'article L. 1111-6, à un membre de la famille ou à un proche. Dans ce cas, leur existence, leur lieu de conservation et l'identification de la personne qui en est détentrice peuvent être mentionnés, sur indication de leur auteur, dans le dossier médical partagé, dans le dossier constitué par le médecin de ville, dans le dossier médical défini à l'article R. 1112-2 du présent code ou dans le dossier conforme au dossier type mentionné au 8° de l'article D. 312-158 du code de l'action sociale et des familles.
« Les éléments d'identification de la personne qui est détentrice des directives anticipées sont ses noms, prénoms et coordonnées. Cette personne est informée par l'auteur des directives anticipées de l'inscription des données la concernant dans l'un des dossiers mentionnés au précédent alinéa.
« VI.-Tout établissement de santé ou établissement médico-social interroge chaque personne qu'il prend en charge sur l'existence de directives anticipées. Le dossier médical défini à l'article R. 1112-2 du présent code ou le dossier conforme au dossier type mentionné au 8° de l'article D. 312-158 du code de l'action sociale et des familles fait mention, le cas échéant, de cette existence ainsi que des coordonnées de la personne qui en est dépositaire.
« VII.-Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, dans le cadre des missions qui lui ont été confiées par le décret n° 2016-5 du 5 janvier 2016, élabore des documents d'information relatifs à la possibilité de rédiger des directives anticipées et aux modalités concrètes d'accès au modèle mentionné à l'article R. 1111-18. »
L'article R. 1111-20 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. R. 1111-20.-Lorsqu'il envisage de prendre une décision de limitation ou d'arrêt de traitement en application de l'article L. 1111-4, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession, le médecin interroge le dossier médical partagé. A défaut de directives anticipées conservées ou enregistrées dans le dossier médical ou le dossier médical partagé, il recherche l'existence et le lieu de conservation des directives anticipées auprès de la personne de confiance, auprès de la famille ou des proches, ou, le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui lui a adressé cette personne. »
I.-Le titre IV du livre V de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Ce titre est intitulé : « Nouvelle-Calédonie et Polynésie française » ;
2° Il est inséré un chapitre Ier ainsi rédigé :
« Chapitre Ier
« Protection des personnes en matière de santé
« Art. R. 1541-1.-Les articles R. 1111-17 à R. 1111-20 sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, dans leur rédaction résultant du décret n° 2016-1067 du 3 août 2016, à l'exception du III de l'article R. 1111-18, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1° A l'article R. 1111-17, la dernière phrase du premier alinéa n'est pas applicable en Nouvelle-Calédonie ;
« 2° Le c du 1° de l'article R. 1111-18 n'est pas applicable en Nouvelle-Calédonie ;
« 3° L'article R. 1111-19 est remplacé par les dispositions suivantes :
« “ Art. R. 1111-19.-Les directives anticipées sont conservées selon des modalités les rendant aisément accessibles pour le médecin appelé à prendre une décision de limitation ou d'arrêt de traitement dans le cadre de la procédure collégiale définie à l'article R. 4127-37-1.
« “ Les directives anticipées peuvent également être conservées par leur auteur ou confiées par celui-ci à la personne de confiance mentionnée à l'article L. 1111-6 qu'il a désignée ou à un membre de la famille ou à un proche. Dans ce cas, leur existence, leur lieu de conservation ou les coordonnées de la personne qui en est détentrice sont mentionnés, sur indication de leur auteur, dans le dossier médical. ” »
II.-Dans le même livre V de la première partie du même code, la mention : « Titre V : Nouvelle-Calédonie et Polynésie française » est supprimée et le chapitre V de ce titre supprimé est intégré dans le titre IV.
La ministre des affaires sociales et de la santé, le garde des sceaux, ministre de la justice, et la ministre des outre-mer sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait le 3 août 2016.
Manuel Valls
Par le Premier ministre :
La ministre des affaires sociales et de la santé,
Marisol Touraine
Le garde des sceaux, ministre de la justice,
Jean-Jacques Urvoas
La ministre des outre-mer,
George Pau-Langevin
N° 72 SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016 27 janvier 2016 |
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PROPOSITION DE LOI créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie. (Texte définitif) |
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Le Sénat a adopté, dans les conditions prévues à l’article 45 (alinéas 2 et 3) de la Constitution, la proposition de loi dont la teneur suit : | |
Voir les numéros : Assemblée nationale (14ème législ.) : 1ère lecture : 2512, 2585 et T.A. 486. Sénat : 1ère lecture : 348, 467, 506, 468 et T.A. 116 (2014-2015). C. M.P. : 306 et 307 (2015-2016). |
(CMP) Article 1er
I. – L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi modifiée :
– après le mot : « recevoir », sont insérés les mots : « , sur l’ensemble du territoire, les traitements et » ;
– après le mot : « sanitaire », sont insérés les mots : « et le meilleur apaisement possible de la souffrance » ;
b) À la seconde phrase, après les mots : « d’investigation ou », sont insérés les mots : « de traitements et » ;
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé, ni de l’application du titre II du présent livre. » ;
2° Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
II. – La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs.
(CMP) Article 2
Après l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. – Les actes mentionnés à l’article L. 1110‑5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.
« La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article.
« Lorsque les actes mentionnés aux deux premiers alinéas du présent article sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. »
(CMP) Article 3
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-2. – À la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants :
« 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
« 2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.
« Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et au titre du refus de l’obstination déraisonnable mentionnée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie.
« La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en œuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d’application prévues aux alinéas précédents sont remplies.
« À la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement mentionné au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.
« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite au dossier médical du patient. »
(CMP) Article 4
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-3. – Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée.
« Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. Il doit en informer le malade, sans préjudice du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches du malade. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical.
« Toute personne est informée par les professionnels de santé de la possibilité d’être prise en charge à domicile, dès lors que son état le permet. »
(CMP) Article 4 bis
(Suppression maintenue)
(CMP) Article 5
I. – L’article L. 1111-4 du même code est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L’ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l’article L. 1110-10. » ;
3° (Supprimé)
3° 4° Après le mot : « susceptible », la fin du cinquième alinéa est ainsi rédigée : « d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »
II. – À la première phrase du V de l’article L. 2131-1 du même code, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
(AN2) Article 6
L’article L. 1111-10 du même code est abrogé.
(CMP) Article 7
À l’intitulé de la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du même code, après le mot : « volonté », sont insérés les mots : « des malades refusant un traitement et ».
(CMP) Article 8
L’article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11. – Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux.
« À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’État pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu’elle se sait ou non atteinte d’une affection grave au moment où elle les rédige.
« Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.
« La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non-conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les conditions d’information des patients et les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Les directives anticipées sont notamment conservées sur un registre national faisant l’objet d’un traitement automatisé dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Lorsqu’elles sont conservées dans ce registre, un rappel de leur existence est régulièrement adressé à leur auteur.
« Le médecin traitant informe ses patients de la possibilité et des conditions de rédaction de directives anticipées.
« Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil, elle peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Le tuteur ne peut ni l’assister ni la représenter à cette occasion. »
(CMP) Article 9
I. – L’article L. 1111-6 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-6. – Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment.
« Si le patient le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.
« Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au patient de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues au présent article. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le patient n’en dispose autrement.
« Dans le cadre du suivi de son patient, le médecin traitant s’assure que celui-ci est informé de la possibilité de désigner une personne de confiance et, le cas échéant, l’invite à procéder à une telle désignation.
« Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil, elle peut désigner une personne de confiance avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Dans l’hypothèse où la personne de confiance a été désignée antérieurement à la mesure de tutelle, le conseil de famille, le cas échéant, ou le juge peut confirmer la désignation de cette personne ou la révoquer. »
II. – (Supprimé)
(CMP) Article 10
L’article L. 1111-12 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-12. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11, il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches. »
(CMP) Article 11
L’article L. 1111-13 du même code est abrogé.
(AN2) Article 12
L’article L. 1412-1-1 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’avis des commissions compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques inclut une appréciation sur l’opportunité, pour le Gouvernement, de mobiliser, dans les conditions prévues à l’article L. 121-10 du code de l’environnement, le concours de la Commission nationale du débat public. » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par les mots : « , en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée ».
(CMP) Article 13
(Pour coordination)
I. – Les articles 1er à 11 de la présente loi sont applicables à Wallis et Futuna, sous réserve de l’adaptation suivante :
Au II de l’article 1er, les mots : « , des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens » sont supprimés.
II. – Après le 2° de l’article L. 1521-1 du code de la santé publique, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis La dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 1110-5 est ainsi rédigée :
« “Ces dispositions s’appliquent sans préjudice de l’article L. 1521-5.”; ».
III. – Les articles 1er à 11 de la présente loi, à l’exception du II de l’article 1er, sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
IV. – L’article L. 1541-2 du code de la santé publique est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. – Pour leur application dans ces deux collectivités :
« a) La dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 1110-5 est ainsi rédigée :
« “Ces dispositions s’appliquent sans préjudice de l’article L. 1541-4.” ;
« b) L’avant-dernier alinéa de l’article L. 1110-5-2 est ainsi rédigé :
« “À la demande du patient et après consultation du médecin, la sédation profonde et continue associée à une analgésie, prévue au présent article, peut être mise en œuvre à son domicile ou dans un lieu prévu à cet effet par les autorités locales compétentes en matière sanitaire et sociale.” »
V. – L’article L. 1541-3 du même code est ainsi modifié :
1° Au II, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis Le troisième alinéa de l’article L. 1111-6 est supprimé ; »
2° Sont ajoutés des IV et V ainsi rédigés :
« IV. – Le dernier alinéa de l’article L. 1111-6 n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie.
« V. – L’article L. 1111-11 est applicable dans ces deux collectivités, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1° À la fin de la deuxième phrase du deuxième alinéa, les mots : “pris après avis de la Haute Autorité de santé” sont supprimés ;
« 2° Le dernier alinéa n’est pas applicable en Nouvelle‑Calédonie. »
(CMP) Article 14
I. – À l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport évaluant les conditions d’application de la présente loi, ainsi que la politique de développement des soins palliatifs dans les établissements de santé, les établissements mentionnés au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles et à domicile.
II. – L’article 15 de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est abrogé.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 27 janvier 2016.
Le Président,
Signé : Gérard LARCHER
Source : senat.fr
N° 3402
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUATORZIÈME LÉGISLATURE |
N° 307
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016 |
|
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 janvier 2016 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 janvier 2016 |
PROPOSITION DE LOI
créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie,
TEXTE ÉLABORÉ PAR
LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Voir les numéros :
Première lecture : 2512, 2585 et T.A. 486
Deuxième lecture : 2887, 3091 et T.A. 592 |
Première lecture : 348, 467, 506, 468 et T.A. 116 (2014-2015)
Deuxième lecture : 12, 103, 104, 106 et T.A. 30 (2015-2016)
Commission mixte paritaire : 306 (2015-2016) |
TEXTE ÉLABORÉ PAR
LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE
PROPOSITION DE LOI CRÉANT DE NOUVEAUX DROITS EN FAVEUR DES MALADES ET DES PERSONNES EN FIN DE VIE
Article 1er
(Texte de la commission mixte paritaire)
I. - L'article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi modifiée :
- après le mot : « recevoir », les mots : « soins » sont remplacés par les mots : «, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins » ;
- après le mot : « sanitaire », sont insérés les mots : « et le meilleur apaisement possible de la souffrance » ;
b) À la seconde phrase, après les mots : « d'investigation ou », sont insérés les mots : « de traitements et » ;
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions s'appliquent sans préjudice ni de l'obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé, ni de l'application du titre II du présent livre. » ;
2° Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
II. - La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs.
Article 2
(Texte de la commission mixte paritaire)
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. - Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire.
« La nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément à l'alinéa précédent.
« Lorsque les actes mentionnés aux deux alinéas précédents sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10. »
Article 3
(Texte de la commission mixte paritaire)
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-2. - À la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en oeuvre dans les cas suivants :
« 1° Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
« 2° Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable.
« Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie.
« La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en oeuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies.
« À la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en oeuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement visé au 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.
« L'ensemble de la procédure suivie est inscrite au dossier médical du patient. »
Article 4
(Texte de l'Assemblée nationale)
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-3. - Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée.
« Le médecin met en place l'ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie. Il doit en informer le malade, sans préjudice du quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches du malade. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical.
« Toute personne est informée par les professionnels de santé de la possibilité d'être prise en charge à domicile, dès lors que son état le permet. »
Article 4 bis
(Suppression maintenue)
Article 5
(Texte de la commission mixte paritaire)
I. - L'article L. 1111-4 du même code est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si, par sa volonté de refuser ou d'interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. L'ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins palliatifs mentionnés à l'article L. 1110-10. » ;
3° (Supprimé)
4° Après le mot : « susceptible », la fin du cinquième alinéa est ainsi rédigée : « d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale visée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »
II. - À la première phrase du V de l'article L. 2131-1 du même code, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
..............................................................................
Article 7
(Texte de l'Assemblée nationale)
À l'intitulé de la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du même code, après le mot : « volonté », sont insérés les mots : « des malades refusant un traitement et ».
Article 8
(Texte de la commission mixte paritaire)
L'article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11. - Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l'arrêt ou du refus de traitement ou d'acte médicaux.
« À tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables. Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d'État pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu'elle se sait ou non atteinte d'une affection grave au moment où elle les rédige.
« Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.
« La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non-conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.
« Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, définit les conditions d'information des patients et les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Les directives anticipées sont notamment conservées sur un registre national faisant l'objet d'un traitement automatisé dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Lorsqu'elles sont conservées dans ce registre, un rappel de leur existence est régulièrement adressé à leur auteur.
« Le médecin traitant informe ses patients de la possibilité et des conditions de rédaction de directives anticipées.
« Lorsqu'une personne fait l'objet d'une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil, elle peut rédiger des directives anticipées avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué. Le tuteur ne peut ni l'assister ni la représenter à cette occasion. »
Article 9
(Texte de la commission mixte paritaire)
I. - L'article L. 1111-6 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-6. - Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment.
« Si le patient le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions.
« Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au patient de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues au présent article. Cette désignation est valable pour la durée de l'hospitalisation, à moins que le patient n'en dispose autrement.
« Dans le cadre du suivi de son patient, le médecin traitant s'assure que celui-ci est informé de la possibilité de désigner une personne de confiance et, le cas échéant, l'invite à procéder à une telle désignation.
« Lorsqu'une personne fait l'objet d'une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil, elle peut désigner une personne de confiance avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille s'il a été constitué. Dans l'hypothèse où la personne de confiance a été désignée antérieurement à la mesure de tutelle, le conseil de famille, le cas échéant, ou le juge peut confirmer la désignation de cette personne ou la révoquer. »
II. - (Supprimé)
Article 10
(Texte de l'Assemblée nationale)
L'article L. 1111-12 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-12. - Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin a l'obligation de s'enquérir de l'expression de la volonté exprimée par le patient. En l'absence de directives anticipées mentionnées à l'article L. 1111-11, il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches. »
Article 11
(Texte de la commission mixte paritaire)
L'article L. 1111-13 du même code est abrogé.
...............................................................................
Article 13
(Pour coordination)
I. - Les articles 1er à 11 sont applicables à Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations suivantes :
Pour l'application à Wallis et Futuna, au II de l'article 1er, les mots : « des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens » sont supprimés.
II. - Après le 2° de l'article L. 1521-1 du code de la santé publique, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis La dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 1110-5 est ainsi rédigée :
« Ces dispositions s'appliquent sans préjudice de l'article L. 1521-5. »
III. - Les articles 1er à 11, à l'exception du II de l'article 1er, sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
IV. - L'article L. 1541-2 est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. - Pour leur application dans ces deux collectivités :
« a) La dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 1110-5 est ainsi rédigée :
« Ces dispositions s'appliquent sans préjudice de l'article L. 1541-4. ;
« b) L'avant-dernier alinéa de l'article L. 1110-5-2 est ainsi rédigé :
« À la demande du patient et après consultation du médecin, la sédation profonde et continue associée à une analgésie, prévue au présent article, peut être mise en oeuvre à son domicile ou lieu prévu à cet effet par les autorités locales compétentes en matières sanitaires et sociales. »
V. - L'article L. 1541-3 est ainsi modifié :
1° Au II, il est inséré un 3° bis ainsi rédigé :
« 3° bis Le troisième alinéa de l'article L. 1111-6 est supprimé ; »
2° Sont ajoutés un IV et un V ainsi rédigés :
« IV. - Le dernier alinéa de l'article L. 1111-6 n'est pas applicable en Nouvelle-Calédonie.
« V. - L'article L. 1111-11 est applicable dans ces deux collectivités, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1° À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « pris après avis de la Haute Autorité de santé » sont supprimés ;
« 2° Le dernier alinéa n'est pas applicable en Nouvelle-Calédonie. »
Article 14
(Texte de la commission mixte paritaire)
I. - À l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport évaluant les conditions d'application de la présente loi, ainsi que la politique de développement des soins palliatifs dans les établissements de santé, les établissements mentionnés au 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles et à domicile.
II. - L'article 15 de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est abrogé.
Source : senat.fr
Lancée il y a trois mois, une déclaration écrite[1] du Parlement Européen « sur la dignité en fin de vie » n’a pas abouti par manque de soutien de la majorité des députés. Menée par la député espagnole Elena Valenciano, cette déclaration écrite stipulait que « tous les citoyens européens, quelle que soit leur nationalité, qui se trouvent à une phase avancée ou en phase terminale d’une maladie incurable occasionnant des souffrances physiques ou mentales insupportables qui ne peuvent pas être atténuées, devraient pouvoir bénéficier d’une assistance médicale en vue de mettre un terme à leur vie dans la dignité ».
Le président de la FAFCE, Antoine Renard, a déclaré suite à cet échec : « La présence du lobby pro-euthanasie commence à travailler activement au sein du Parlement européen. Cela créé le risque que l’attention des décideurs politiques européens soit détournée de ce que l’UE peut réellement faire pour soutenir et promouvoir de bonnes pratiques dans les Etats membres dans le domaine des soins palliatifs et le soutien aux familles qui soignent des personnes à la fin de leur vie. L’échec de cette déclaration écrite montre que la dignité humaine ne peut pas être un champ de bataille pour des conflits politiques et qu’elle ne peut pas être exploitée comme vecteur de certaines idéologies ».
[1] Une déclaration écrite « ne peut être considérée comme une position officielle du Parlement européen, mais comme une expression des eurodéputés l’ayant signée ».
FAFCE (11/01/2016); Agenda Europe (11/01/2016)
Circulaire relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale.
Au moment où l'activité de l'hôpital est de plus en plus marquée par les développements de ses aspects techniques, un certain nombre de circulaires ont pour objet de rappeler son rôle d'accueil et de soin global à la personne (circulaire sur l'hospitalisation des personnes âgées... ).
La présente circulaire relative à l'organisation des soins et à l'accompagnement des malades en phase terminale s'intègre dans cet ensemble : les progrès de la médecine, le sens de la solidarité nationale doivent se rejoindre pour que l'épreuve inévitable de la mort soit adoucie pour le mourant et supportée par les soignants et les familles sans que cela n'entraîne de conséquences pathologiques.
Ce texte a donc pour objet de préciser ce que sont les soins d'accompagnement parfois appelés soins palliatifs et de présenter les modalités essentielles de leur organisation, compte tenu de la diversité des situations (maladie, vieillesse, accident ; à domicile ou en institution).
I - Les soins et l'accompagnement.
Les soins d'accompagnement visent à répondre aux besoins spécifiques des personnes parvenus au terme de leur existence.
Ils comprennent un ensemble de techniques de prévention et de lutte contre la douleur, de prise en charge psychologique du malade et de sa famille, de prise en considération de leurs problèmes individuels, sociaux et spirituels.
L'accompagnement des mourants suppose donc une attitude d'écoute, de disponibilité, une mission menée en commun par toute l'équipe intervenant auprès du malade.
Il s'agit d'apaiser les douleurs et l'angoisse, d'apporter le plus possible de confort et de réconfort à celui qui va mourir, d'accueil et d'entourer sa famille pendant cette période difficile et même plus tard dans son deuil.
Le problème du soulagement de la douleur est central dans la démarche d'accompagnement.
En effet, toute demande relative à la douleur par un patient ou son entourage dépasse généralement le cadre du désordre physique et appelle une réponse qui prenne en compte la douleur dans son contexte et ses conséquences, c'est-à-dire dans sa dimension de souffrance. Pour cela il est important de comprendre que toute douleur s'inscrit dans une relation, que tout en étant une perception désagréable du corps, elle peut être aussi un message vers les autres.
Les progrès de la médecine en matière de lutte contre la douleur sont porteurs d'espoir car les traitements mis au point non seulement viennent soulager la douleur mais agissent efficacement en empêchant l'apparition de celle-ci.
Des centres spécialisés, par exemple les consultations et les centres de la douleur ou les centres de lutte contre le cancer sont, pour les praticiens hospitaliers et de ville, des moyens privilégiés qui contribuent à la prise en charge des patients présentant des phénomènes douloureux difficiles à résoudre et constituent une aide aux médecins pour mieux s'occuper de leurs malades.
La mission des soignants est de mettre en œuvre tous les moyens existants pour soigner et accompagner leurs malades jusqu'à la fin de leur vie.
Par cette attitude d'écoute et de relation, les soignants, et tout particulièrement les médecins, doivent permettre aux malades d'exprimer leurs sentiments et leurs demandes quelles qu'elles soient, y compris concernant leur propre mort.
D'une manière générale, il est indispensable, autant que faire se peut, de ne pas changer le cadre dans lequel la personne a été soignée ; les soins palliatifs doivent être dispensés aussi bien à domicile que dans les établissements sanitaires et sociaux.
I. 1) Les soins d'accompagnement au domicile du malade.
Au domicile, lieu naturel de la vie, les soins palliatifs doivent être dispensés dans les meilleures conditions, ce qui suppose que soient pris en compte un certain nombre de données qui tiennent à : - l'environnement psychologique et matériel du malade et de la famille ; - la formation des intervenants ;
- l'interaction hôpital-domicile.
1.1) L'environnement psychologique et matériel du malade et de la famille
Le maintien ou le retour à domicile du malade en phase terminale procède quelquefois d'un choix du malade et de sa famille mais découle souvent aussi d'une orientation donnée par l'hôpital. Selon les modalités du choix et les motifs de la décision, les soins palliatifs à domicile seront plus ou moins aisés à mettre en oeuvre, en fonction des modèles culturels de la famille (notamment conception de la maladie et de la mort) et des facteurs relationnels ; d'autre part, cette mise en oeuvre provoque un réaménagement de la vie familiale pour permettre l'intégration des soins au malade.
Aussi peut apparaître la nécessité d'un soutien tant psychologique que matériel, ponctuel ou à long terme, facilitant cette prise en charge du malade pour aboutir à la réalisation d'un nouvel équilibre familial.
1.2) Formation des intervenants
Le médecin traitant va être, le tout premier, confronté aux problèmes posés par la mise en oeuvre des soins palliatifs à domicile. Il devra donc posséder, outre une parfaite connaissance de la clinique et du maniement des antalgiques, une qualité d'écoute du malade et de sa famille pour les aider dans la recherche de ce nouvel équilibre. Pour l'aider dans sa tâche, il fera intervenir des infirmières également formées et motivées, qu'elles appartiennent à des services d'hospitalisation à domicile ou de soins à domicile, ou soient d'exercice libéral.
Tant pour le médecin traitant que pour les infirmières, une formation à double visée technique et psychologique s'impose donc.
1.3) Interaction hôpital-domicile
Une liaison permanente des soignants à domicile avec l'hôpital doit permettre
- la mise au point commune du traitement le plus adapté à la situation personnelle du malade ;
- l'organisation de consultations externes pour faire le point sur ce traitement et mettre en oeuvre, si besoin est, des techniques palliatives lourdes ;
- la réhospitalisation à tout moment pour raisons cliniques ou pour aider la famille à assumer les charges matérielles et affectives occasionnées par la présence du malade au domicile.
I. 2) Les soins palliatifs en institution.
La majorité des malades terminent aujourd'hui leur vie dans un établissement de soins. Certaines unités d'hospitalisation ont un taux de décès particulièrement élevé : unités non spécialisées, cancérologie, gériatrie, urgences, réanimation. C'est là que l'effort pour améliorer l'aide aux mourants doit porter en priorité. Des mesures doivent être prises pour améliorer la formation de tous les membres de l'équipe soignante.
a) Il est souhaitable de prévoir des vacations de psychiatres ou de psychologues dans l'établissement, certaines d'entre elles devraient être consacrées à des réunions régulières avec les soignants, pour les aider à analyser leurs réactions face aux malades arrivés à la fin de leur vie, et ainsi développer un réel accompagnement.
b) L'organisation du travail devra prendre en compte les besoins des malades, en favorisant les relations privilégiées qui s'instaurent entre ceux-ci et certains membres de l'équipe, ce qui peut avoir deux conséquences :
- une certaine souplesse des horaires ;
- un soulagement de certaines tâches pour les soignants qui sont momentanément impliqués dans de telles relations.
Si, à terme, tous les services hospitaliers prenant en charge des malades lourds doivent être en mesure de pratiquer les soins palliatifs, la création d'un nombre limité d'unités spécialisées s'impose dans un premier temps.
Ces créations trouvent leurs justifications essentiellement dans la nécessité d'assurer la formation des soignants, notamment celle des formateurs, et d'approfondir la recherche dans ce domaine.
Il - Les caractéristiques des unités de soins palliatifs.
Les unités de soins palliatifs (USP) peuvent être fractionnées ou regroupées :
- fractionnées : dans les services hospitaliers à taux élevé de mortalité, certains lits seront réservés aux cas difficiles, nécessitant d'autant plus le recours aux techniques palliatives. Cette formule permet la continuité dans l'accompagnement, qui ne concerne pas uniquement les derniers jours ;
L'USP doit constituer un centre de documentation, de recherche et de conseil, accessible aux praticiens locaux: à cet effet, l'organisation d'une permanence téléphonique disponible à des horaires fixes permettraient de les faire bénéficier plus largement de l'expérience acquise et d'instaurer une meilleure collaboration entre les médecins hospitaliers et les médecins traitants.
III - La situation des enfants.
La prise en charge des enfants et de leurs familles a fait l'objet de plusieurs circulaires récentes celle du 111 août 1983 relative à l'hospitalisation des enfants, celle du 9 juillet 1985 sur les enfants en danger ou maltraités, celle du 29 novembre 1985 sur l'accueil en maternité d'un enfant handicapé.
Le décès d'un enfant se présente toujours comme plus insupportable, plus pénible à assumer pour les familles et les soignants, que celui d'un adulte.
On remarque que peu d'enfants sont traités par les services d'hospitalisation à domicile (en général peu préparés à ce type de prise en charge) car en cas de maladie grave d'un enfant, l'hospitalisation en unité de pédiatrie est la solution la plus sécurisante. C'est pourquoi l'unité de soins palliatifs ne se justifie pas dans ce cas, c'est l'équipe soignante du service de pédiatrie qui assume ce type de soins.
Le rôle de la famille (et en premier lieu les parents) est essentiel dans ce cas : la présence jour et nuit éventuellement dans le service, la participation active des parents dans l'exercice des soins font partie du projet thérapeutique.
Pour cela, le temps passé par l'équipe soignante auprès des parents pour les informer, leur expliquer la situation et leur apprendre les gestes à effectuer pour soigner leur enfant doit être pris en compte dans l'évaluation de la charge de travail de chacun.
L'équipe doit veiller particulièrement à l'accueil de l'enfant malade et de ses parents, à atténuer le sentiment de culpabilité éprouvé par les parents et à les aider à préserver autant que possible l'équilibre familial, même après le décès de l'enfant (problèmes de couples, frères et soeurs de l'enfant).
Pour l'équipe soignante, il est absolument indispensable d'organiser régulièrement des réunions de groupe au cours desquelles les uns et les autres peuvent extérioriser leurs réactions et s'aider mutuellement à assumer les deuils.
IV - Relation avec les familles.
Les soins palliatifs comprennent la relation avec les familles des malades, l'assistance morale, éventuellement matérielle ou administrative.
L'équipe soignante doit apporter un soutien à la famille afin de l'aider dans la phase difficile qu'elle traverse et de lui permettre de jouer son rôle auprès du mourant.
Ainsi, sous l'égide des soignants, la famille peut participer à certains actes (repas, toilette... importants pour le réconfort du malade et l'équilibre familial).
Dans ces conditions, les horaires des visites, les possibilités d'hébergement sur place, la restriction des visites faites aux enfants doivent pouvoir être aménagés.
Le rôle de l'équipe se poursuit après le décès du malade dans le but d'assurer le suivi du deuil et de prévenir ainsi, autant que possible, l'apparition de pathologies consécutives à la perte d'un proche (il est statistiquement démontré qu'on rencontre dix fois plus de pathologies graves chez les personnes ayant eu un deuil dans l'année précédente).
V - Le rôle des non-professionnels de santé.
Sur la proposition de l'équipe ou à la demande du malade, en particulier s'il est isolé, la participation des bénévoles et des ministres des cultes vient compléter l'action menée par l'équipe.
Les bénévoles doivent s'engager à assurer leur fonction avec régularité ; une formation adaptée doit être prévue pour les bénévoles et les ministres des cultes afin de leur permettre de mieux comprendre la situation des malades et de répondre à leurs questions.
Leur action constitue un supplément à celle menée par l'équipe : les bénévoles ne sauraient être considérés comme un personnel d'appoint.
VI - Financement.
Les moyens nécessaires à la mise en application pratique des soins d'accompagnement des mourants seront recherchés par le redéploiement des moyens existants.
Les soins palliatifs ne sauraient en aucun cas se concrétiser par une médecine au moindre coût.
Par la généralisation de ces techniques de soins, on peut espérer que l'expérience acquise par chacun du décès de proches intervenant dans la sérénité et la dignité entraînera progressivement une transformation des conditions de la mort dans notre société.
Source : usp-lamirandiere.com
par Gènéthique, 18/06/2015
En deux jours les sénateurs ont examiné la proposition de loi Claeys-Leonetti. Leur première lecture de ce texte les a amené à le changer en profondeur en contournant les dérives euthanasiques.
En bref, voici les modifications des sénateurs sur le texte :
Pour lire la « petite loi »– version provisoire cliquez-ici.
Source : genethique.org
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES HAJIYEV, ŠIKUTA, TSOTSORIA, DE GAETANO ET GRIҬCO
1. Nous regrettons de devoir nous dissocier du point de vue de la majorité exprimé aux points 2, 4 et 5 du dispositif de l’arrêt en l’espèce. Après mûre réflexion, nous pensons que, à présent que tout a été dit et écrit dans cet arrêt, à présent que les distinctions juridiques les plus subtiles ont été établies et que les cheveux les plus fins ont été coupés en quatre, ce qui est proposé revient ni plus ni moins à dire qu’une personne lourdement handicapée, qui est dans l’incapacité de communiquer ses souhaits quant à son état actuel, peut, sur la base de plusieurs affirmations contestables, être privée de deux composants essentiels au maintien de la vie, à savoir la nourriture et l’eau, et que de plus la Convention est inopérante face à cette réalité. Nous estimons non seulement que cette conclusion est effrayante mais de plus – et nous regrettons d’avoir à le dire – qu’elle équivaut à un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offerte aux personnes vulnérables.
2. Pour parvenir à la conclusion au paragraphe 112 de l’arrêt, la majorité commence par passer en revue les affaires dans lesquelles les organes de la Convention ont admis qu’un tiers puisse, dans des circonstances exceptionnelles, agir au nom et pour le compte d’une personne vulnérable, même si celle-ci n’avait pas expressément émis le souhait d’introduire une requête. La majorité déduit de cette jurisprudence qu’il existe deux critères principaux à appliquer à de telles affaires : le risque que les droits de la victime directe soient privés d’une protection effective et l’absence de conflit d’intérêts entre la victime et le requérant (paragraphe 102 de l’arrêt). Tout en souscrivant à ces deux critères en tant que tels, nous sommes en complet désaccord avec la façon dont la majorité les applique dans les circonstances particulières de l’espèce.
En ce qui concerne le premier critère, il est vrai que les requérants peuvent invoquer l’article 2 pour leur propre compte, ce qu’ils ont fait. Toutefois, dès lors que la Cour a reconnu qualité à une organisation non-gouvernementale pour représenter une personne décédée (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, CEDH 2014), nous ne voyons aucune raison valable de ne pas suivre la même approche en ce qui concerne les requérants en l’espèce. En effet, en tant que parents proches de Vincent Lambert, ils ont même a fortiori une justification encore plus forte pour agir au nom de celui-ci devant la Cour.
Quant au second critère, la majorité, considérant que les décisions internes litigieuses se fondaient sur la certitude que Vincent Lambert n’aurait pas souhaité être maintenu en vie dans l’état dans lequel il se trouve à présent, juge qu’il n’est pas « établi qu’il y ait convergence d’intérêts entre ce qu’expriment les requérants et ce qu’aurait souhaité Vincent Lambert » (paragraphe 104 de l’arrêt). Or cette affirmation serait exacte seulement si – et dans la mesure où – les requérants alléguaient une violation du droit de Vincent Lambert à l’autonomie personnelle en vertu de l’article 8 de la Convention, qui, selon la jurisprudence de la Cour, comprend le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin (Haas c. Suisse, no 31322/07, § 51, CEDH 2011). Toutefois, si les requérants invoquent bien l’article 8, ils le font dans un contexte complètement différent : c’est l’intégrité physique de Vincent Lambert, et non son autonomie personnelle, qu’ils cherchent à défendre devant la Cour. Les principaux griefs qu’ils soulèvent pour le compte de Vincent Lambert sont fondés sur les articles 2 et 3 de la Convention. Au contraire de l’article 8, qui protège un éventail extrêmement large d’actions humaines fondées sur des choix personnels et allant dans diverses directions, les articles 2 et 3 de la Convention sont clairement unidirectionnels, en ce qu’ils n’impliquent aucun aspect négatif. L’article 2 protège le droit à la vie mais non le droit de mourir (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, §§ 39-40, CEDH 2002‑III). De même, l’article 3 garantit un droit positif de ne pas être soumis à de mauvais traitements, mais aucun « droit » quelconque à renoncer à ce droit et à être, par exemple, battu, torturé ou affamé jusqu’à la mort. Pour dire les choses simplement, les articles 2 et 3 sont des « voies à sens unique ». Le droit de ne pas être affamé jusqu’à la mort étant le seul droit que Vincent Lambert lui-même aurait pu valablement revendiquer sous l’angle des articles 2 et 3, nous ne voyons pas en quoi il est logiquement possible de conclure à l’absence de « convergence d’intérêts » entre lui et les requérants en l’espèce, ou même d’avoir le moindre doute à cet égard.
Dans ces conditions, nous sommes convaincus que les requérants avaient bien qualité pour agir au nom et pour le compte de Vincent Lambert, et que leurs différents griefs auraient dû être déclarés compatibles ratione personae avec les dispositions de la Convention.
3. Nous voudrions préciser d’emblée que, s’il s’était agi d’une affaire où la personne en question (Vincent Lambert en l’espèce) avait expressément émis le souhait qu’il lui soit permis de ne pas continuer de vivre en raison de son lourd handicap physique et de la souffrance associée, ou qui, au vu de la situation, aurait clairement refusé toute nourriture et boisson, nous n’aurions eu aucune objection à l’arrêt ou la non-mise en place de l’alimentation et de l’hydratation dès lors que la législation interne le prévoyait (et sous réserve, dans tous les cas, du droit des membres du corps médical de refuser de participer à cette procédure pour des motifs d’objection de conscience). On peut ne pas être d’accord avec une telle loi, mais en pareil cas deux droits protégés par la Convention se trouvent pour ainsi dire opposés l’un à l’autre : d’une part le droit à la vie (avec l’obligation correspondante pour l’État de protéger la vie) – article 2 – et, d’autre part, le droit à l’autonomie personnelle, protégé par l’article 8. Face à un tel conflit, on peut être d’accord pour faire prévaloir le respect de « la dignité et de la liberté de l’homme » (souligné dans l’affaire Pretty c. Royaume-Uni, précitée, § 65). Mais telle n’est pas la situation de Vincent Lambert.
4. Selon les éléments disponibles, Vincent Lambert se trouve dans un état végétatif chronique, en état de conscience minimale, voire inexistante. Toutefois, il n’est pas en état de mort cérébrale – il y a un dysfonctionnement à un niveau du cerveau mais pas à tous les niveaux. En fait, il peut respirer seul (sans l’aide d’un respirateur artificiel) et peut digérer la nourriture (la voie gastro-intestinale est intacte et fonctionne), mais il a des difficultés pour déglutir, c’est-à-dire pour faire progresser des aliments solides dans l’œsophage. Plus important, rien ne prouve, de manière concluante ou autre, qu’il ressente de la douleur (à distinguer de l’inconfort évident découlant du fait d’être en permanence alité ou dans un fauteuil roulant). Nous sommes particulièrement frappés par une considération développée par les requérants devant la Cour dans leurs observations du 16 octobre 2014 sur la recevabilité et le fond (paragraphes 51-52). Cette considération, qui n’est pas réellement contestée par le Gouvernement, est la suivante :
« La Cour doit savoir que [Vincent Lambert], comme toutes les personnes en état de conscience gravement altérée, est néanmoins susceptible d’être levé, habillé, placé dans un fauteuil, sorti de sa chambre. De nombreuses personnes dans un état similaire à celui de Monsieur Lambert, sont habituellement résidentes dans un établissement de soins spécialisé, et peuvent passer le week-end ou quelques vacances en famille (…). Et, précisément, leur alimentation entérale permet cette forme d’autonomie.
Le docteur Kariger avait d’ailleurs donné son accord en septembre 2012 pour que ses parents puissent emmener Monsieur Vincent Lambert en vacances dans le sud de la France. C’était six mois avant sa première décision de lui supprimer son alimentation… et alors que son état de santé n’avait pas changé ! »
Il ressort des éléments soumis à la Cour que l’alimentation par voie entérale occasionne une atteinte minimale à l’intégrité physique, ne cause aucune douleur au patient et, avec un peu d’entraînement, pareille alimentation peut être administrée par la famille ou les proches de M. Lambert (et les requérants se sont proposés pour le faire), même si la préparation alimentaire doit être élaborée dans une clinique ou dans un hôpital. En ce sens, l’alimentation et l’hydratation par voie entérale (indépendamment, pour le moment, du fait de savoir s’il convient de les désigner sous le terme « traitement » ou « soins », ou simplement « alimentation ») sont entièrement proportionnées à la situation dans laquelle Vincent Lambert se trouve. Dans ce contexte, nous ne comprenons pas, même après avoir entendu les plaidoiries dans cette affaire, pourquoi le transfert de Vincent Lambert dans une clinique spécialisée (la maison de santé Bethel[1]) où l’on pourrait s’occuper de lui (et donc soulager l’hôpital universitaire de Reims de ce devoir) a été bloqué par les autorités.
En d’autres termes, Vincent Lambert est vivant et l’on s’occupe de lui. Il est également nourri – et l’eau et la nourriture représentent deux éléments basiques essentiels au maintien de la vie et intimement liés à la dignité humaine. Ce lien intime a été affirmé à maintes reprises dans de nombreux documents internationaux[2]. Nous posons donc la question : qu’est-ce qui peut justifier qu’un État autorise un médecin (le docteur Kariger ou, depuis que celui-ci a démissionné et a quitté l’hôpital universitaire de Reims[3], un autre médecin), en l’occurrence non pas à « débrancher » Vincent Lambert (celui-ci n’est pas branché à une machine qui le maintiendrait artificiellement en vie) mais plutôt à cesser ou à s’abstenir de le nourrir et de l’hydrater, de manière à, en fait, l’affamer jusqu’à la mort ? Quelle est la raison impérieuse, dans les circonstances de l’espèce, qui empêche l’État d’intervenir pour protéger la vie ? Des considérations financières ? Aucune n’a été avancée en l’espèce. La douleur ressentie par Vincent Lambert ? Rien ne prouve qu’il souffre. Ou est-ce parce qu’il n’a plus d’utilité ou d’importance pour la société, et qu’en réalité il n’est plus une personne mais seulement une « vie biologique » ?
5. Ainsi que nous l’avons déjà souligné, il n’y a pas d’indications claires ou certaines concernant ce que Vincent Lambert souhaite (ou même souhaitait) réellement quant à la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation dans la situation où il se trouve à présent. Certes, il était infirmier avant l’accident qui l’a réduit à son état actuel, mais il n’a jamais formulé aucune « directive anticipée » ni nommé une « personne de confiance » aux fins des diverses dispositions du code de la santé publique. Le Conseil d’État, dans sa décision du 24 juin 2014, a fait grand cas des conversations évidemment informelles que Vincent Lambert a eues avec son épouse (et, apparemment en une occasion, également avec son frère Joseph Lambert) et est parvenu à la conclusion que le docteur Kariger « ne peut être regardé comme ayant procédé à une interprétation inexacte des souhaits manifestés par le patient avant son accident »[4]. Or, pour des questions d’une telle gravité, il ne faut rien moins qu’une certitude absolue. Une « interprétation » a posteriori de ce que les personnes concernées peuvent avoir dit ou ne pas avoir dit des années auparavant (alors qu’elles étaient en parfaite santé) dans le cadre de conversations informelles expose clairement le système à de graves abus. Même si, aux fins du débat, on part du principe que Vincent Lambert avait bien exprimé son refus d’être maintenu dans un état de grande dépendance, pareille déclaration ne peut, à notre avis, offrir un degré suffisant de certitude concernant son souhait d’être privé de nourriture et d’eau. Comme les requérants le relèvent aux paragraphes 153- 154 de leurs observations – ce qui, encore une fois, n’a pas été nié ou contredit par le Gouvernement :
« Si réellement M. Vincent Lambert avait eu la volonté ferme de ne plus vivre, si réellement il avait « lâché » psychologiquement, si réellement il avait eu le désir profond de mourir, M. Vincent Lambert serait déjà, à l’heure actuelle, mort. Il n’aurait en effet pas tenu 31 jours sans alimentation (entre le premier arrêt de son alimentation, le 10 avril 2013, et la première ordonnance rendue par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le 11 mai 2013 ordonnant la remise en place de son alimentation) s’il n’avait pas trouvé en lui une force intérieure l’appelant à se battre pour rester en vie. Nul ne sait quelle est cette force de vie. Peut-être est-ce, inconsciemment, sa paternité et le désir de connaître sa fille ? Peut-être est-ce autre chose. Mais il est incontestable que, par ses actes, Monsieur Vincent Lambert a manifesté une force de vie qu’il ne serait pas acceptable d’occulter.
À l’inverse, tous les soignants de patients en état de conscience altérée le disent : une personne dans son état qui se laisse aller meurt en dix jours. Ici, sans manger, et avec une hydratation réduite à 500 ml par jour, il a survécu 31 jours. »
Toutefois, l’accent qui est mis sur la volonté ou les intentions présumées de Vincent Lambert détourne le débat d’une autre question importante, à savoir le fait qu’en vertu de la loi française applicable en l’espèce, c’est-à-dire au cas d’un patient inconscient et n’ayant pas rédigé de directives anticipées, la volonté de celui-ci et les points de vue ou souhaits de sa famille ne font que compléter l’analyse de ce que le médecin en charge perçoit comme une réalité médicale. En d’autres termes, les souhaits du patient ne sont en pareil cas absolument pas déterminants pour l’issue finale. Les trois critères prévus à l’article L. 1110-5 du code de la santé publique – c’est-à-dire les cas où les actes médicaux apparaissent inutiles, disproportionnés ou ayant pour seul effet le maintien artificiel de la vie – sont les seuls critères pertinents. Ainsi que l’a souligné le Conseil d’État, il faut prendre en compte les souhaits que le patient a pu exprimer et accorder une importance toute particulière à sa volonté (paragraphes 47 et 48 de l’arrêt) mais cette volonté n’est jamais déterminante. En d’autres termes, une fois que le médecin en charge a, comme en l’espèce, décidé que le troisième critère s’appliquait, les dés sont jetés et la procédure collective se résume pour l’essentiel à une simple formalité.
6. En aucun cas on ne peut dire que Vincent Lambert se trouve dans une situation « de fin de vie ». De manière regrettable, il se retrouvera bientôt dans cette situation lorsqu’on cessera ou qu’on s’abstiendra de le nourrir et de l’hydrater. Des personnes se trouvant dans une situation encore pire que celle de Vincent Lambert ne sont pas en stade terminal (sous réserve qu’ils ne souffrent pas en même temps d’une autre pathologie). Leur alimentation – qu’elle soit considérée comme un traitement ou comme des soins – a pour but de les maintenir en vie et, dès lors, demeure un moyen ordinaire de maintien de la vie qui doit en principe être poursuivi.
7. Les questions relatives à l’alimentation et à l’hydratation sont souvent qualifiées par le terme « artificiel », ce qui entraîne une confusion inutile, comme cela a été le cas en l’espèce. Toute forme d’alimentation – qu’il s’agisse de placer un biberon dans la bouche d’un bébé ou d’utiliser des couverts dans un réfectoire pour amener de la nourriture à sa bouche – est dans une certaine mesure artificielle, puisque l’ingestion de la nourriture passe par un intermédiaire. Mais dans le cas d’un patient se trouvant dans l’état de Vincent Lambert, la véritable question à se poser (dans le contexte des notions de proportionnalité et de caractère raisonnable qui découlent de la notion d’obligation positive de l’État au regard de l’article 2) est celle-ci : l’hydratation et l’alimentation produisent-elles un bénéfice pour le patient sans lui causer une douleur ou une souffrance indue ou une dépense excessive de ressources ? Dans l’affirmative, il y a une obligation positive de préserver la vie. Si la charge excède les bénéfices, alors l’obligation de l’État peut, dans des cas appropriés, cesser. Dans ce contexte, nous ajouterons en outre que la marge d’appréciation d’un État, évoquée au paragraphe 148 de l’arrêt, n’est pas illimitée et que, aussi large qu’elle puisse être, elle doit toujours être considérée à la lumière des valeurs qui sous-tendent la Convention, dont la principale est la valeur de la vie. La Cour a souvent déclaré que la Convention doit être lue comme un tout (un principe rappelé au paragraphe 142 de l’arrêt) et interprétée (et nous ajouterons appliquée) de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions et valeurs (voir, quoique dans des contextes différents, Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005‑X ; et Austin et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 39692/09, 40713/09 et 41008/09, § 54, CEDH 2012). Pour évaluer cette marge d’appréciation dans les circonstances de l’espèce et la méthode choisie par les autorités françaises pour « mettre en balance » les intérêts concurrents en présence, la Cour aurait donc dû donner plus d’importance à la valeur de la vie. Il convient également de rappeler que nous ne sommes pas ici dans une situation où l’on peut légitimement dire qu’il peut y avoir certains doutes quant à l’existence d’une vie ou d’une « vie humaine » (comme dans les affaires traitant des questions de fertilité et impliquant des embryons humains c’est-à-dire touchant à la question de savoir « quand commence la vie humaine »). De même, il n’y a aucun doute en l’espèce que Vincent Lambert est vivant. À notre sens, toute personne se trouvant dans l’état de Vincent Lambert a une dignité humaine fondamentale et doit donc, conformément aux principes découlant de l’article 2, recevoir des soins ou un traitement ordinaires et proportionnés, ce qui inclut l’apport d’eau et de nourriture.
8. À l’instar des requérants, nous estimons que la loi en question manque de clarté[5]: sur ce qui constitue un traitement ordinaire et un traitement extraordinaire, sur ce qui constitue une obstination déraisonnable et, plus important, sur ce qui prolonge (ou maintient) la vie artificiellement. Certes, il appartient au premier chef aux juridictions internes d’interpréter et d’appliquer la loi, mais pour nous, il ressort clairement de la décision rendue le 24 juin 2014 par le Conseil d’État que celui-ci a adopté inconditionnellement l’interprétation donnée par M. Leonetti et en outre a traité de manière superficielle la question de la compatibilité du droit interne avec les articles 2 et 8 de la Convention (paragraphe 47 de l’arrêt), attachant de l’importance seulement au fait que « la procédure avait été respectée ». Certes, la Cour ne doit pas agir en tant que juridiction de quatrième instance et doit respecter le principe de subsidiarité, mais pas jusqu’à s’abstenir d’affirmer la valeur de la vie et la dignité inhérente même aux personnes qui sont dans un état végétatif, lourdement paralysées et dans l’incapacité de communiquer leurs souhaits à autrui.
9.Nous sommes d’accord sur le fait que, conceptuellement, une distinction légitime doit être établie entre l’euthanasie et le suicide assisté d’une part, et l’abstention thérapeutique d’autre part. Toutefois, eu égard à la manière dont le droit interne a été interprété et appliqué aux faits de l’espèce soumis à l’examen de la Cour, nous sommes en complet désaccord avec ce qui est dit au paragraphe 141 de l’arrêt. Cette affaire est une affaire d’euthanasie qui ne veut pas dire son nom. En principe, il n’est pas judicieux d’utiliser des adjectifs ou des adverbes forts dans des documents judiciaires, mais en l’espèce il est certainement extrêmement contradictoire pour le gouvernement défendeur de souligner que le droit français interdit l’euthanasie et que donc l’euthanasie n’entre pas en ligne de compte dans cette affaire. Nous ne pouvons être d’un autre avis dès lors que, manifestement, les critères de la loi Leonetti, tels qu’interprétés par la plus haute juridiction administrative, dans les cas où ils sont appliquées à une personne inconsciente et soumise à un « traitement » qui n’est pas réellement thérapeutique mais simplement une question de soins, ont en réalité pour résultat de précipiter un décès qui ne serait pas survenu autrement dans un avenir prévisible.
10. Le rapporteur public devant le Conseil d’État (paragraphes 31 et 122 de l’arrêt) aurait déclaré (citant les propos tenus par le ministre de la santé aux sénateurs qui examinaient le projet de loi Leonetti) que « [s]i le geste d’arrêter un traitement (…) entraîne la mort, l’intention du geste [n’est pas de tuer : elle est] de restituer à la mort son caractère naturel et de soulager. C’est particulièrement important pour les soignants, dont le rôle n’est pas de donner la mort ». Tant le Conseil d’État que la Cour ont accordé beaucoup d’importance à cette déclaration. Nous ne sommes pas de cet avis. Indépendamment du fait que, ainsi que nous l’avons déjà dit, rien ne prouve en l’espèce que M. Lambert ressent une quelconque souffrance, cette déclaration ne serait exacte que si une distinction était convenablement établie entre des soins (ou un traitement) ordinaires et des soins (ou un traitement) extraordinaires. Le fait d’alimenter une personne, même par voie entérale, est un acte de soins et si l’on cesse ou l’on s’abstient de lui fournir de l’eau et de la nourriture, la mort s’ensuit inévitablement (alors qu’elle ne s’ensuivrait pas autrement dans un futur prévisible). On peut ne pas avoir la volonté de donner la mort à la personne en question mais, en ayant la volonté d’accomplir l’action ou l’omission dont on sait que selon toutes probabilités elle conduira à cette mort, on a bien l’intention de tuer cette personne. Il s’agit bien là, après tout, de la notion d’intention positive indirecte, à savoir l’un des deux aspects de la notion de dol en droit pénal.
11. En 2010, pour célébrer son cinquantième anniversaire, la Cour a accepté le titre de Conscience de l’Europe en publiant un ouvrage ainsi intitulé. À supposer, aux fins du débat, qu’une institution, par opposition aux personnes composant cette institution, puisse avoir une conscience, pareille conscience doit non seulement être bien informée mais doit également se fonder sur de hautes valeurs morales ou éthiques. Ces valeurs devraient toujours être le phare qui nous guide, quelle que soit « l’ivraie juridique » pouvant être produite au cours du processus d’analyse d’une affaire. Il ne suffit pas de reconnaître, comme la Cour le fait au paragraphe 181 de l’arrêt, qu’une affaire « touche à des questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité » ; il est de l’essence même d’une conscience, fondée sur la recta ratio, de permettre que les questions éthiques façonnent et guident le raisonnement juridique jusqu’à sa conclusion finale. C’est précisément cela, avoir une conscience. Nous regrettons que la Cour, avec cet arrêt, ait perdu le droit de porter le titre ci-dessus.
Source : CEDH
du Greffier de la Cour
CEDH 185 (2015)
05.06.2015
Dans son arrêt de Grande Chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Lambert et autres c. France (requête no 46043/14), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à la majorité, qu’il y aurait :
Non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme en
cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014.
L’affaire concerne la décision rendue le 24 juin 2014 par le Conseil d’État autorisant l’arrêt de
l’alimentation et de l’hydratation artificielles de Vincent Lambert.
La Cour constate qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe
pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie. Dans ce domaine qui
touche à la fin de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États. La Cour considère
que les dispositions de la loi du 22 avril 2005, telles qu’interprétées par le Conseil d’État, constituent
un cadre législatif suffisamment clair pour encadrer de façon précise la décision du médecin dans
une situation telle que celle-ci.
Pleinement consciente de l’importance des problèmes soulevés par la présente affaire qui touche à
des questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité, la Cour rappelle que
dans les circonstances de l’espèce, c’est en premier lieu aux autorités internes qu’il appartenait de
vérifier la conformité de la décision d’arrêt des traitements au droit interne et à la Convention, ainsi
que d’établir les souhaits du patient conformément à la loi nationale.
Le rôle de la Cour a consisté à examiner le respect par l’État de ses obligations positives découlant de
l’article 2 de la Convention.
La Cour a considéré conformes aux exigences de l’article 2 le cadre législatif prévu par le droit
interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, ainsi que le processus décisionnel mené d’une façon
méticuleuse.
La Cour est arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi
où tous les points de vue avaient pu s’exprimer et où tous les aspects avaient été mûrement pesés
tant au vu d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances
médicales et éthiques.
Principaux faits
Les requérants, tous ressortissants français, sont M. Pierre Lambert et son épouse Mme Viviane
Lambert, nés respectivement en 1929 et 1945 et résidant à Reims, M. David Philippon, né en 1971 et
résidant à Mourmelon et Mme Anne Tuarze, née en 1978 et résidant à Milizac.
Ils sont respectivement le père, la mère, un demi-frère et une soeur de Vincent Lambert, né le
20 septembre 1976.
Victime d’un accident de la route le 29 septembre 2008, Vincent Lambert subit un grave
traumatisme crânien qui le rendit tétraplégique et entièrement dépendant. De septembre 2008 à
mars 2009, il fut hospitalisé au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne. De mars 2009 à juin
2009, il fut pris en charge au centre héliomarin de Berck-sur-Mer, puis à compter du 23 juin 2009, au
centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, dans l’unité des patients en état pauci-relationnel,
où il se trouve actuellement hospitalisé.
Vincent Lambert bénéficie d’une hydratation et d’une alimentation artificielles par voie entérale au
moyen d’une sonde gastrique. Il est dans un état qui a été qualifié en 2011 d’état de conscience
minimale et en 2014 d’état végétatif.
En 2012, les soignants de Vincent Lambert crurent percevoir chez lui des signes de plus en plus
marqués d’opposition aux soins et à la toilette. Au cours des premiers mois de 2013, l’équipe
médicale engagea la procédure collégiale prévue par la loi du 22 avril 2005 relative au droit des
malades et à la fin de vie (dite « loi Leonetti »), en y associant l’épouse de Vincent Lambert, Rachel
Lambert. Cette procédure aboutit à la décision du Dr Kariger, médecin en charge de Vincent Lambert
et chef du service où il est hospitalisé, d’arrêter sa nutrition et de réduire son hydratation. Cette
décision fut mise en oeuvre le 10 avril 2013.
Le 9 mai 2013, les requérants saisirent le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-
Champagne d’une action visant à enjoindre au centre hospitalier de rétablir l’alimentation et
l’hydratation normales de Vincent Lambert et de lui prodiguer les soins nécessaires à son état.
Par ordonnance du 11 mai 2013, le juge des référés fit droit à leur demande.
À compter de septembre 2013, une nouvelle procédure collégiale fut engagée. Le Dr Kariger
consulta six médecins, dont trois médecins extérieurs à l’établissement. Par ailleurs, il réunit deux
conseils de famille les 27 septembre et 16 novembre 2013, à l’issue desquels Rachel Lambert et six
des huit frères et soeurs de Vincent Lambert se prononcèrent pour l’interruption de son alimentation
et de son hydratation artificielles, tandis que les requérants se prononcèrent pour leur maintien.
Le 9 décembre 2013, le Dr Kariger réunit l’ensemble des médecins et la presque totalité de l’équipe
soignante. Lui-même et cinq des six médecins consultés se déclarèrent favorables à l’arrêt du
traitement. Au terme de cette consultation, le Dr Kariger annonça le 11 janvier 2014, par une
décision motivée dont un résumé fut lu à la famille, son intention d’interrompre la nutrition et
l’hydratation de Vincent Lambert à compter du 13 janvier 2014, sous réserve d’une saisine du
tribunal administratif.
Le 13 janvier 2014, les requérants saisirent le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d’une
nouvelle requête en référé afin que soit interdit au centre hospitalier et au médecin de mettre fin à
l’alimentation et à l’hydratation de Vincent Lambert et afin que soit ordonné son transfert immédiat
dans une unité de vie spécialisée à Oberhausbergen. Par jugement du 16 janvier 2014, le tribunal
suspendit l’exécution de la décision du Dr Kariger. Par trois requêtes du 31 janvier 2014, l’épouse et
l’un des neveux de Vincent Lambert ainsi que le centre hospitalier firent appel de ce jugement
devant le juge des référés du Conseil d’État.
À l’audience de référé du 6 février 2014, le président de la section du contentieux du Conseil d’État
décida de renvoyer l’affaire devant la formation plénière, l’assemblée du contentieux. L’audience
eut lieu le 13 février 2014 et le Conseil d’État rendit sa décision le 14 février 2014. Le Conseil d’État
définit tout d’abord les pouvoirs du juge des référés administratifs saisi d’un tel contentieux, jugea
que les dispositions de la loi Leonetti s’appliquaient à Vincent Lambert et que l’hydratation et la
nutrition artificielles faisaient partie des traitements qui pouvaient être arrêtés en cas d’obstination
déraisonnable. Il précisa ensuite qu’il lui incombait de s’assurer du respect des conditions mises par
la loi pour que puisse être prise une telle décision et qu’il devait disposer à cette fin des informations
les plus complètes, notamment sur l’état de santé de Vincent Lambert. Le Conseil d’État estima donc
nécessaire d’ordonner une expertise médicale confiée à des spécialistes reconnus en neurosciences
et d’inviter l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil
national de l’ordre des médecins ainsi que M. Leonetti, rapporteur de la loi du 22 avril 2005, à lui
présenter des observations écrites de nature à l’éclairer sur l’application des notions d’obstination
déraisonnable et de maintien artificiel de la vie au sens de la loi. Enfin, le Conseil d’État rejeta la
demande visant le transfert de Vincent Lambert dans l’unité de vie spécialisée.
Après réception le 26 mai 2014 du rapport d’expertise, ainsi que des observations générales, le
Conseil d’État rendit sa décision le 24 juin 2014. Il indiqua tout d’abord que, dans le cadre d’un tel
contentieux, il appartenait au juge des référés administratifs d’examiner les moyens fondés sur la
Convention et rejeta ceux soulevés par les requérants. Examinant ensuite les arguments fondés sur
la loi Leonetti, il affirma que la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible
d’inconscience ou de perte d’autonomie la rendant tributaire d’une alimentation et d’une
hydratation artificielles ne caractérisait pas, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite
du traitement apparaîtrait injustifiée au nom du refus de l’obstination déraisonnable. Le Conseil
d’État précisa que, pour apprécier si les conditions d’un arrêt du traitement étaient réunies, le
médecin devait se fonder sur un ensemble d’éléments médicaux et non médicaux dont le poids
respectif dépendait des circonstances particulières à chaque patient ; qu’outre les éléments
médicaux, il devait accorder une importante toute particulière à la volonté antérieurement exprimée
par le patient, quelle qu’en soit la forme et le sens, et prendre également en compte les avis de la
personne de confiance, des membres de la famille du patient ou, à défaut, de l’un de ses proches. Le
Conseil d’État indiqua que, dans l’hypothèse où la volonté du patient demeurerait inconnue, elle ne
pourrait être présumée comme consistant en un refus d’être maintenu en vie.
Examinant la procédure suivie par le Dr Kariger, le Conseil d’État conclut qu’elle n’avait été entachée
d’aucune irrégularité. Sur le fond, il jugea que les conclusions du rapport d’expertise médicale
confirmaient celles du Dr Kariger quant au caractère irréversible des lésions et au pronostic clinique
de Vincent Lambert. Se fondant sur les témoignages de l’épouse et de l’un des frères de Vincent
Lambert, selon lesquels ce dernier avait clairement et à plusieurs reprises exprimé le souhait de ne
pas être maintenu artificiellement en vie s’il se trouvait dans un état de grande dépendance, le
Conseil d’État estima que le Dr Kariger n’avait pas fait une interprétation inexacte des souhaits
antérieurement exprimés par le patient. Il constata enfin que le Dr Kariger avait recueilli l’avis des
membres de la famille. Le Conseil d’État conclut que toutes les conditions posées par la loi étaient
réunies et que la décision du médecin du 11 janvier 2014 de mettre fin à l’alimentation et à
l’hydratation artificielles de Vincent Lambert ne pouvait être tenue pour illégale.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme, les
requérants considèrent que l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation artificielles de Vincent
Lambert serait contraire aux obligations découlant pour l’État de cet article. Invoquant l’article 3
(interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention, ils
estiment que la privation de nourriture et d’hydratation serait pour lui un mauvais traitement
constitutif de torture et font valoir que la privation de kinésithérapie depuis octobre 2012 ainsi que
de rééducation à la déglutition équivalent à un traitement inhumain et dégradant prohibé par cette
disposition. Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), ils estiment que
l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation s’analyserait en une atteinte à l’intégrité physique de
Vincent Lambert. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), ils se plaignent de ce que le
médecin qui a pris la décision du 11 janvier 2014 n’était pas impartial et que l’expertise ordonnée
par le Conseil d’État n’était pas contradictoire.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 23 juin 2014.
Le 23 juin 2014, les requérants ont saisi la Cour d’une demande d’application de l’article 39 (mesures
provisoires) du règlement de la Cour en sollicitant, d’une part, la suspension de l’exécution de la
décision du Conseil d’État prévue pour le 24 juin au cas où celle-ci autoriserait l’arrêt de
l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert et, d’autre part, son transfert dans une unité
de vie à Oberhausbergen ou, à tout le moins, l’interdiction de sa sortie du territoire national.
Le 24 juin 2014, ayant pris connaissance de l’arrêt rendu par le Conseil d’État, la chambre à laquelle
l’affaire a été attribuée a décidé de demander au gouvernement français, en application de l’article
39 du règlement de la Cour, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant
elle, de faire suspendre l’exécution de l’arrêt rendu par le Conseil d’État pour la durée de la
procédure devant la Cour et a communiqué la requête au gouvernement français. Elle a également
décidé de la traiter par priorité.
Le 4 novembre 2014, la chambre s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre. Une audience s’est
déroulée en public au Palais des droits de l’homme à Strasbourg le 7 janvier 2015.
L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de :
Dean Spielmann (Luxembourg), président,
Guido Raimondi (Italie),
Mark Villiger (Liechtenstein),
Isabelle Berro (Monaco),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Ján Šikuta (Slovaquie),
George Nicolaou (Chypre),
Nona Tsotsoria (Géorgie),
Vincent A. de Gaetano (Malte),
Angelika Nußberger (Allemagne),
Linos-Alexandre Sicilianos (Grèce),
Erik Møse (Norvège),
André Potocki (France),
Helena Jäderblom (Suède),
Aleš Pejchal (République Tchèque),
Valeriu Griţco (République de Moldova),
Egidijus Kūris (Lituanie),
ainsi que de Erik Fribergh, greffier.
Décision de la Cour
La qualité pour agir au nom et pour le compte de Vincent Lambert
La Cour relève que, si la victime directe est hors d’état de s’exprimer, plusieurs membres de sa
famille proche souhaitent s’exprimer pour elle, tout en faisant valoir des points de vue
diamétralement opposés. Il lui incombe d’établir si l’on se trouve dans des circonstances où une
requête peut être introduite au nom et pour le compte d’une personne vulnérable. L’examen de sa
jurisprudence en la matière fait ressortir les deux critères principaux suivants : le risque que les
droits de la victime directe soient privés d’une protection effective et l’absence de conflit d’intérêts
entre la victime et le requérant.
En l’espèce, la Cour ne décèle aucun risque que les droits de Vincent Lambert soient privés d’une
protection effective dès lors que, conformément à sa jurisprudence constante, les requérants, en
leur qualité de proches de ce dernier, peuvent invoquer devant elle en leur propre nom le droit à la
vie protégé par l’article 2.
Par ailleurs, dans la mesure où l’un des aspects primordiaux de la procédure interne a consisté à
établir les souhaits de Vincent Lambert et où le Conseil d’État a conclu que le Dr Kariger n’en avait
pas fait une interprétation inexacte, la Cour n’estime pas établi qu’il y ait convergence d’intérêts
entre ce qu’expriment les requérants et ce qu’aurait souhaité Vincent Lambert. Elle conclut que les
requérants n’ont pas qualité pour soulever au nom et pour le compte de Vincent Lambert les griefs
tirés des articles 2, 3 et 8 de la Convention. La Cour rejette également la demande faite par Rachel
Lambert de représenter son mari en qualité de tiers-intervenant.
Toutefois, la Cour examinera l’ensemble des questions de fond soulevées par la présente affaire
sous l’angle de l’article 2, dès lors qu’elles ont été invoquées par les requérants en leur propre nom.
Article 2
À ce jour, Vincent Lambert est en vie, mais il est certain que si l’hydratation et l’alimentation
artificielles devaient être arrêtées, son décès surviendrait dans un délai rapproché. La Cour
considère donc que les requérants, en leur qualité de proches de Vincent Lambert, peuvent invoquer
l’article 2.
L’article 2 impose à l’État l’obligation de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement »
(obligations négatives), mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des
personnes relevant de sa juridiction (obligations positives).
Obligations négatives de l’État
La Cour examine tout d’abord si la présente affaire met en jeu les obligations négatives de l’État.
Les requérants reconnaissent que l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation peut être légitime en
cas d’obstination déraisonnable. Ils disent admettre la distinction entre, d’une part, l’euthanasie et
le suicide assisté et, d’autre part, l’abstention thérapeutique qui consiste à arrêter ou ne pas
entreprendre un traitement devenu déraisonnable. Ils soutiennent que, ces conditions n’étant pas
selon eux réunies, il s’agit de donner volontairement la mort et font référence à la notion
d’euthanasie. Le Gouvernement souligne que la finalité de la décision médicale n’est pas
d’interrompre la vie, mais de mettre un terme à des traitements que le patient refuse, ou, s’il ne
peut exprimer sa volonté, que le médecin estime être constitutifs d’une obstination déraisonnable.
Le Gouvernement cite le rapporteur public devant le Conseil d’État qui, dans ses conclusions du
20 juin 2014, a relevé qu’en interrompant un traitement, un médecin ne tue pas, mais se résout à se
retirer lorsqu’il n’y a plus rien à faire.
La Cour observe que la loi du 22 avril 2005 n’autorise ni l’euthanasie, ni le suicide assisté. Elle permet
seulement au médecin d’interrompre, selon une procédure réglementée, un traitement si sa
poursuite manifeste une obstination déraisonnable. La Cour note que tant les requérants que le
Gouvernement font une distinction entre la mort infligée volontairement et l’abstention
thérapeutique. Dans le contexte de la législation française qui interdit de provoquer volontairement
la mort et ne permet que dans certaines circonstances précises d’arrêter ou de ne pas entreprendre
des traitements qui maintiennent artificiellement la vie, la Cour estime que la présente affaire ne
met pas en jeu les obligations négatives de l’État au titre de l’article 2.
Obligations positives de l’État
La Cour n’examinera les griefs des requérants que sur le terrain des obligations positives de l’État.
La Cour souligne qu’elle n’est pas saisie de la question de l’euthanasie, mais de celle de l’arrêt de
traitements qui maintiennent artificiellement la vie et précise que, dans une telle affaire, l’examen
d’une éventuelle violation de l’article 2 doit se faire en tenant compte de l’article 8 de la Convention.
La Cour rappelle que, lorsqu’elle a été saisie de la question de l’administration ou du retrait de
traitements médicaux, elle a pris en compte les éléments suivants, dont elle tiendra compte pour la
présente affaire : l’existence dans le droit et la pratique internes d’un cadre législatif conforme aux
exigences de l’article 2, la prise en compte des souhaits précédemment exprimés par le requérant et
par ses proches, ainsi que l’avis d’autres membres du personnel médical et la possibilité d’un recours
juridictionnel en cas de doute sur la meilleure décision à prendre dans l’intérêt du patient.
La marge d’appréciation
La Cour constate qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe
pour permettre l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie, même si une majorité
d’États semblent l’autoriser. Il existe toutefois un consensus sur le rôle primordial de la volonté du
patient dans la prise de décision. En conséquence, la Cour considère que, dans ce domaine qui
touche à la fin de la vie, il y a lieu d’accorder une marge d’appréciation aux États, non seulement
quant à la possibilité de permettre ou pas l’arrêt d’un traitement maintenant artificiellement la vie
et à ses modalités de mise en oeuvre, mais aussi quant à la façon de ménager un équilibre entre la
protection du droit à la vie du patient et celle du droit au respect de sa vie privée et de son
autonomie personnelle.
Le cadre législatif
Les requérants soulèvent l’absence de clarté et de précision de la loi du 22 avril 2005 dont ils
estiment qu’elle ne s’applique pas au cas de Vincent Lambert, qui n’est ni malade, ni en fin de vie. Ils
considèrent également que les notions d’obstination déraisonnable et de traitement pouvant être
arrêté ne sont pas définies par la loi avec suffisamment de précision. Ils contestent en outre le
processus qui a abouti à la décision du médecin du 11 janvier 2014.
La Cour relève que, dans sa décision du 14 février 2014, le Conseil d’État s’est prononcé sur le champ
d’application de la loi, dont il a jugé qu’elle était applicable à tous les usagers du système de santé,
que le patient soit ou non en fin de vie.
Dans la même décision, le Conseil d’État a interprété la notion de traitements susceptibles d’être
arrêtés ou limités. Il a considéré que le législateur avait voulu inclure l’ensemble des actes qui
tendent à assurer de façon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient et que
l’alimentation et l’hydratation artificielles faisaient partie de ces actes.
Quant à la notion d’obstination déraisonnable, la Cour relève qu’aux termes de l’article L. 1110-5 du
code de la santé publique, un traitement est constitutif d’une telle obstination lorsqu’il est inutile,
disproportionné ou qu’il n’a « d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». C’est ce dernier
critère qui a été appliqué par le Conseil d’État.
Dans sa décision du 24 juin 2014, le Conseil d’État a détaillé les éléments médicaux et non médicaux
à prendre en compte par le médecin pour apprécier si les conditions de l’obstination déraisonnable
étaient réunies, tout en indiquant que chaque situation devait être interprétée dans sa singularité.
La Cour relève que le Conseil d’État a énoncé deux importantes garanties dans cette décision : il a
tout d’abord affirmé que la seule circonstance qu’une personne soit dans un état irréversible
d’inconscience ou de perte d’autonomie la rendant tributaire d’une alimentation et d’une
hydratation artificielles ne caractérisait pas, par elle-même, une situation dans laquelle la poursuite
du traitement apparaîtrait injustifiée. Par ailleurs, il a souligné qu’au cas où la volonté du patient ne
serait pas connue, elle ne pourrait être présumée consister en un refus d’être maintenu en vie.
La Cour considère que les dispositions de la loi du 22 avril 2005, telles qu’interprétées par le Conseil
d’État, constituent un cadre législatif suffisamment clair, aux fins de l’article 2 de la Convention, pour
encadrer de façon précise la décision du médecin dans une situation telle que celle-ci. Elle conclut
donc que l’État français a mis en place un cadre règlementaire propre à assurer la protection de la
vie des patients.
Le processus décisionnel
La Cour souligne que ni l’article 2, ni sa jurisprudence ne peuvent se lire comme imposant des
obligations quant à la procédure à suivre pour arriver à un éventuel accord. Dans les États qui
permettent l’arrêt des traitements et en l’absence de directives anticipées du patient, il existe une
grande variété de modalités quant à la façon dont est prise la décision finale d’arrêt des traitements.
En l’espèce, la Cour observe que la procédure suivie a duré de septembre 2013 à janvier 2014 et
qu’à tous les stades, sa mise en oeuvre a été au-delà des conditions posées par la loi. Elle considère
que l’organisation du processus décisionnel, y compris la désignation de la personne qui prend la
décision finale de l’arrêt des traitements et les modalités de la prise de décision, s’inscrivent dans la
marge d’appréciation de l’État. La Cour constate que la procédure a été menée de façon longue et
méticuleuse, en allant au-delà des conditions posées par la loi, et estime que même si les requérants
sont en désaccord avec son aboutissement, cette procédure a respecté les exigences découlant de
l’article 2 de la Convention.
Les recours juridictionnels dont ont bénéficié les requérants
La Cour note que le Conseil d’État, saisi pour la première fois d’un recours contre une décision
d’arrêt des traitements en vertu de la loi du 22 avril 2005, a apporté d’importantes précisions sur les
pouvoirs du juge des référés dans un tel cas : il peut non seulement suspendre la décision du
médecin, mais encore procéder à un contrôle de légalité complet de cette décision. Par ailleurs,
outre les moyens tirés de la non-conformité de la décision à la loi, il doit examiner les moyens tirés
de l’incompatibilité des dispositions législatives avec la Convention.
En l’espèce, la Cour relève que le Conseil d’État a examiné l’affaire dans sa formation plénière, ce qui
est très inhabituel pour une procédure de référé. Dans sa décision du 14 février 2014, le Conseil
d’État a estimé nécessaire de disposer des informations les plus complètes sur l’état de santé de
Vincent Lambert. Il a ordonné une expertise médicale confiée à trois spécialistes reconnus en
neurosciences. Vu l’ampleur et la difficulté des questions posées par l’affaire, il a demandé à
l’Académie nationale de médecine, au Comité consultatif national d’éthique, au Conseil national de
l’ordre des médecins et à M. Jean Leonetti de lui fournir des observations générales de nature à
l’éclairer notamment sur les notions d’obstination déraisonnable et de maintien artificiel de la vie.
La Cour constate que l’expertise a été menée de façon très approfondie. Dans sa décision du 24 juin
2014, le Conseil d’État a tout d’abord examiné la compatibilité des dispositions pertinentes du code
de la santé publique avec les articles 2, 8, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de
l’homme, puis la conformité de la décision prise par le Dr Kariger avec les dispositions du code de la
santé publique. Le contrôle du Conseil d’État a porté sur la régularité de la procédure collégiale et
sur le respect des conditions de fond posées par la loi, conditions qu’il a estimé réunies. Il a jugé que
les conclusions des experts confirmaient celles du Dr Kariger.
La Cour relève qu’après avoir souligné l’importance toute particulière que le médecin doit accorder à
la volonté du malade, le Conseil d’État s’est attaché à établir quels étaient les souhaits de Vincent
Lambert. Ce dernier n’ayant ni rédigé de directives anticipées, ni nommé de personne de confiance,
le Conseil d’État a tenu compte du témoignage de son épouse, Rachel Lambert, laquelle rapportait
de façon précise et datée des propos qu’il avait tenus à plusieurs reprises, dont la teneur était
confirmée par l’un de ses frères, et dont plusieurs des autres frères et soeurs avaient indiqué qu’ils
correspondaient à la personnalité, à l’histoire et aux opinions de leur frère. Pour leur part, les
requérants n’alléguaient pas qu’il aurait tenu des propos contraires. Le Conseil d’État a enfin relevé
que la consultation de la famille prévue par la loi avait eu lieu.
La Cour rappelle que le patient, même hors d’état d’exprimer sa volonté, est celui dont le
consentement doit rester au centre du processus décisionnel.
La Cour relève que, dans un certain nombre de pays, en l’absence de directives anticipées, la volonté
présumée du patient doit être recherchée selon des modalités diverses et rappelle avoir affirmé le
droit de toute personne à refuser de consentir à un traitement qui pourrait avoir pour effet de
prolonger sa vie. En l’espèce, la Cour est d’avis que le Conseil d’État a pu estimer que les
témoignages qui lui étaient soumis étaient suffisamment précis pour établir quels étaient les
souhaits de Vincent Lambert.
Pleinement consciente de l’importance des problèmes soulevés par la présente affaire qui touche à
des questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité, la Cour rappelle que,
dans les circonstances de l’espèce, c’est en premier lieu aux autorités internes qu’il appartenait de
vérifier la conformité de la décision d’arrêt des traitements au droit interne et à la Convention, ainsi
que d’établir les souhaits du patient conformément à la loi nationale.
La Cour a considéré conformes aux exigences de l’article 2 le cadre législatif prévu par le droit
interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, ainsi que le processus décisionnel mené d’une façon
méticuleuse.
Quant aux recours juridictionnels dont ont bénéficié les requérants, la Cour est arrivée à la
conclusion que la présente affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi où tous les points de vue
avaient pu s’exprimer et tous les aspects avaient été mûrement pesés tant au vu d’une expertise
médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques. La
Cour conclut que les autorités internes se sont conformées à leurs obligations positives découlant de
l’article 2 de la Convention, compte tenu de la marge d’appréciation dont elles disposaient en
l’espèce et qu’il n’y aurait pas violation de l’article 2 en cas de mise en oeuvre de la décision du
Conseil d’État du 24 juin 2014.
Article 8
Sous l’angle de l’article 8, la Cour considère que le grief soulevé par les requérants est absorbé par
les griefs invoqués au titre de l’article 2. Eu égard à son constat relatif à l’article 2, la Cour estime
qu’il n’y a pas lieu de se prononcer séparément sur ce grief.
Article 6 § 1
À supposer que l’article 6 § 1 soit applicable à la procédure qui a donné lieu à la décision du médecin
du 11 janvier 2014, la Cour estime que les griefs soulevés par les requérants sous l’angle de cet
article, pour autant qu’ils n’ont pas déjà été traités sous l’angle de l’article 2, sont manifestement
mal fondés.
Opinion séparée
Les juges Hajiyev, Šikuta, Tsotsoria, de Gaetano et Griţco ont exprimé une opinion séparée dont le
texte se trouve joint à l’arrêt.
L’arrêt existe en français et en anglais.
1 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention). Tous les arrêts définitifs sont transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Pour plus d’informations sur la procédure d’exécution, consulter le site internet : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi
que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int . Pour
s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous
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Céline Menu-Lange (tel: + 33 3 90 21 58 77)
Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79)
La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de
l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de
l’homme de 1950.
Source : echr.coe.int
International
Le Comité des droits de l'homme de l'ONU - Organisation des Nations Unies (UN)
Le rapport des experts de l'OMS - Organisation Mondiale de la Santé (WHO)
Europe
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la fin de vie
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe contre l'extension de la loi aux mineurs en Belgique
Le Conseil de l'Europe (COE) édite un Guide sur le processus décisionnel relatif aux traitements médicaux dans les situations de fin de vie
France
Le rapport et proposition de loi Claeys-Leonetti
L'avis du Conseil Consultatif National d'Ethique
La loi Leonetti
Suisse
Le président François Hollande a reçu, vendredi 12 décembre, le rapport sur la fin de vie piloté par les députés MM. Alain Claeys et Jean Leonetti. ...
Trois lois traitent aujourd’hui de la fin de vie. La loi du 9 juin 1999 vise à garantir l’accès aux soins palliatifs qui permettent de prévenir et de soulager la douleur.
La loi du 4 mars 2002 établit un droit de refus de l’acharnement thérapeutique et remet le patient au coeur des décisions médicales qui le concernent.
Enfin la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, affirme pour la première fois l’interdiction de l’obstination déraisonnable pour les médecins, complétant ainsi la loi de 2002 et affirmant le respect de l’autonomie des patients.
Pourtant, neuf ans après l’adoption de la loi Leonetti, la situation des personnes en fin de vie reste insatisfaisante. Les différentes lois successives restent méconnues des patients comme des médecins, limitant ainsi leur bonne application. De plus, de fortes inégalités territoriales existent dans l’accès aux soins palliatifs. Ainsi, seules 20% des personnes qui devraient en bénéficier y ont accès. Cela s’explique, entre autres, par la faible proportion de médecins formés à la prise en charge de la douleur : seulement 20%.
La proposition de loi, issue du rapport, prévoit des mesures fortes...
La grande avancée de cette loi en matière de gestion de la fin de vie concerne
1) le droit du patient de limiter ou de refuser les traitements. Plus encore, les patients en phase terminale, dont le pronostic vital est engagé à court terme, auront le droit de demander une sédation profonde et continue jusqu’à leur décès. ...
La loi prévoit en outre que cette sédation s’accompagne obligatoirement de l’arrêt de tous les traitements de maintien en vie....
2)Toute personne a le droit d’indiquer par avance les situations dans lesquelles elle ne veut pas se trouver pour sa fin de vie en rédigeant des directives anticipées. L’une des principales mesures consistera à simplifier et à généraliser leur rédaction. ...
Rapport et proposition de loi Leonetti-Claeys
Source : elysee.fr
mai 2014
(extraits)
Dans une situation de fn de vie, l’évaluation du « bénéfice global » revêt une place particulièrement importante dans l’appréciation du caractère approprié d’un traitement dont la fnalité peut évoluer (passage, par exemple, d’une fnalité curative à une fnalité palliative). En efet, dans ces situations, la prolongation de la vie ne doit pas être en soi le but exclusif de la pratique médicale, qui doit viser tout autant à soulager les soufrances. La difculté de toute décision médicale en fn de vie est de garantir le respect de l’autonomie et de la dignité de la personne, et l’équilibre entre la protection de la vie et le droit de la personne d’être si possible soulagée de sa soufrance. (...)
Il est également important de rappeler que si la question de la limitation ou de l’arrêt de traitements devenus inutiles ou disproportionnés peut se poser dans les situations de fn de vie, elle ne remet certainement pas en cause la poursuite des soins, y compris des traitements, à visée palliative, destinés à préserver la qualité de vie de la personne, qui s’impose toujours comme la matérialisation, dans la pratique médicale, du respect dû à la personne. (...)
Source : coe.int
Un peu plus d’une cinquantaine de membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se sont prononcés contre la l’extension de l’euthanasie aux mineurs en Belgique :
"Déclaration écrite No. 567 | Doc. 13414 | 30 janvier 2014
Considérant le vote de décembre 2013 au Sénat belge, qui approuve par 50 voix contre 17 une proposition visant à légaliser l’euthanasie pour les enfants (sans aucune limite d’âge);
Gardant présent à l’esprit que:
- le Comité des Ministres salue à cet égard le paragraphe 9 (c) de la Recommandation 1418 (1999) de l’Assemblée parlementaire, visant à «encourager les Etats membres du Conseil de l’Europe à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous égards […] en maintenant l’interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants»;
- l’Assemblée, dans sa Résolution 1859 (2012), affirme que «l’euthanasie, au sens de tuer intentionnellement, par action ou par omission, une personne dépendante, dans l’intérêt allégué de celle-ci, doit toujours être interdite»;
les membres soussignés de l’Assemblée parlementaire sont d’avis que ce vote du Sénat belge:
- assume de manière erronée que les enfants sont capables de donner leur consentement éclairé à l’euthanasie et qu’ils peuvent comprendre la signification grave et les conséquences complexes associées à une telle décision;
- trahit certains des enfants les plus vulnérables en Belgique en acceptant que leurs vies puissent ne plus avoir de valeur intrinsèque et qu’ils doivent mourir;
- défend la croyance inacceptable qu’une vie puisse être indigne d’être vécue, ce qui remet en cause la base même d’une société civilisée."
Néanmoins, cette déclaration n’engage que ses signataires et ne devrait avoir aucune incidence sur le vote de la loi. Elle n’est qu’un organe de discussion et non législatif. Rappelons que cette assemblée parlementaire est composée de membres extra-européens comme la Russie ou la Suisse.
Retrouvez la liste des signataires où la France brille par son absence :
"Signataires : M. Valeriu GHILETCHI, République de Moldova, PPE/DC ; Mme Stella AMBLER, Canada, ; M. Werner AMON, Autriche, PPE/DC ; M. Viorel Riceard BADEA, Roumanie, PPE/DC ; M. David BAKRADZE, Géorgie, PPE/DC ; M. José María BENEYTO, Espagne, PPE/DC ; M. Joe BENTON, Royaume-Uni, SOC ; Mme Tinatin BOKUCHAVA, Géorgie, PPE/DC ; Mme Olga BORZOVA, Fédération de Russie, GDE ; M. Márton BRAUN, Hongrie, PPE/DC ; M. Lorenzo CESA, Italie, PPE/DC ; M. Corneliu CHISU, Canada, ; M. James CLAPPISON, Royaume-Uni, GDE ; Mme Deirdre CLUNE, Irlande, PPE/DC ; M. Agustín CONDE, Espagne, PPE/DC ; M. Paolo CORSINI, Italie, SOC ; M. David CRAUSBY, Royaume-Uni, SOC ; M. Jonny CROSIO, Italie, GDE ; M. David DAVIES, Royaume-Uni, GDE ; Mme Ismeta DERVOZ, Bosnie-Herzégovine, PPE/DC ; Mme Aleksandra DJUROVIĆ, Serbie, PPE/DC ; M. Jeffrey DONALDSON, Royaume-Uni, GDE ; M. Bernd FABRITIUS, Allemagne, PPE/DC ; M. Cătălin Daniel FENECHIU, Roumanie, ADLE ; M. Axel E. FISCHER, Allemagne, PPE/DC ; M. Hans FRANKEN, Pays-Bas, PPE/DC ; M. Giuseppe GALATI, Italie, PPE/DC ; Mme Nadezda GERASIMOVA, Fédération de Russie, GDE ; M. Jarosław GÓRCZYŃSKI, Pologne, PPE/DC ; Mme Alina Ştefania GORGHIU, Roumanie, ADLE ; M. Sabir HAJIYEV, Azerbaïdjan, SOC ; M. Alfred HEER, Suisse, ADLE ; M. Andres HERKEL, Estonie, PPE/DC ; Mme Arpine HOVHANNISYAN, Arménie, PPE/DC ; M. Ferenc KALMÁR, Hongrie, PPE/DC ; M. Giorgi KANDELAKI, Géorgie, PPE/DC ; Mme Deniza KARADJOVA, Bulgarie, SOC ; Mme Naira KARAPETYAN, Arménie, PPE/DC ; Mme Stella KYRIAKIDES, Chypre, PPE/DC ; Sir Edward LEIGH, Royaume-Uni, GDE ; Mme Guguli MAGHRADZE, Géorgie, SOC ; Mme Vesna MARJANOVIĆ, Serbie, SOC ; M. Frano MATUŠIĆ, Croatie, PPE/DC ; M. Edgar MAYER, Autriche, PPE/DC ; Sir Alan MEALE, Royaume-Uni, SOC ; M. Rubén MORENO PALANQUES, Espagne, PPE/DC ; M. Aleksandar NIKOLOSKI, ''L'ex-République yougoslave de Macédoine'', PPE/DC ; M. Mikael OSCARSSON, Suède, PPE/DC ; Mme Liliana PALIHOVICI, République de Moldova, PPE/DC ; M. Cezar Florin PREDA, Roumanie, PPE/DC ; Mme Carmen QUINTANILLA, Espagne, PPE/DC ; Mme Kathryn REILLY, Irlande, GUE ; M. Michel RIVARD, Canada, ; M. Armen RUSTAMYAN, Arménie, SOC ; M. Rovshan RZAYEV, Azerbaïdjan, PPE/DC ; M. Robert SHLEGEL, Fédération de Russie, GDE ; M. Alexander SIDYAKIN, Fédération de Russie, GDE ; M. Serhiy SOBOLEV, Ukraine, PPE/DC ; Mme Lorella STEFANELLI, Saint-Marin, PPE/DC ; Mme Karin STRENZ, Allemagne, PPE/DC ; M. Vyacheslav TIMCHENKO, Fédération de Russie, GDE
Cette déclaration écrite n’engage que ses signataires."
Sources : medias-presse.info
Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
14 décembre 2013
Nous sommes un groupe de 18 citoyens venant de différentes régions de France et reflétant la diversité de la population française. Nous avons été amenés pendant quatre week-ends à réfléchir sur les conditions de la fin de vie, en auditionnant une vingtaine de personnalités. En premier lieu, nous souhaitons faire part de réflexions liminaires sur la problématique générale de la fin de vie dans la société française :
- Nous considérons que la mort demeure un tabou dans la société qui a tendance à évacuer ce chapitre. Selon nous, plusieurs éléments contribuent à cette situation. D’une part les progrès considérables de la médecine ont relégué la mort loin de la réalité vécue par les Français. En exemple, une majorité de Français arrivent à l’âge de 50 ans sans avoir côtoyé directement la mort. Les avancées techniques d’une médecine de plus en plus performative reculent la perspective de la mort et celle de penser la mort. On naît, on vit dans cette technique médicale, dont on attend qu’elle prolonge la vie. S’agissant du corps médical, nous avons appris qu’en France, à la différence d’autres pays, médecine curative et médecine palliative sont le plus souvent séparées en termes d’équipes médicales et de structures. D’autre part, se fait jour un refus général de la souffrance et de la douleur, phénomènes auxquels les Français ne sont plus familiers. La douleur comme la souffrance font peur et suscitent une attente vis-à-vis de la médecine : les soulager, voire les faire disparaître.
- Corollaire de ce tabou de la mort, nous avons constaté lors de nos sessions de travail l’existence de tout un univers de lois et de réglementations sur la fin de vie que beaucoup d’entre nous ignoraient : directives anticipées, personne de confiance, sédations… Les Français semblent partiellement informés en la matière même si se pose la question de la motivation de la société à s’intéresser au sujet de la fin de vie tant que chacun n’est pas encore concerné personnellement par cette question. Les Français savent ce qu’il est interdit de faire, mais ignorent les dispositifs encadrant la fin de vie. Paradoxalement, les medias, en focalisant l’information liée à la fin de vie sur des faits divers jouent sur l’émotivité et l’affectif et occultent la réflexion globale sur le sujet.
- Aujourd’hui en France, on meurt le plus souvent à l’hôpital, en maison de retraite, seul, parfois abandonné, en tous cas éloigné de son environnement quotidien et familial. Cette évolution des conditions de la fin de vie génère de l’angoisse pour les personnes concernées d’autant plus forte que les écoles de pensée et les courants religieux qui proposaient précédemment des « recettes » pour s’habituer à la mort ont perdu de l’influence dans la société française, du moins n’ont plus l’exclusivité des réponses.
- La question de la fin de vie renvoie enfin à des questions plus larges : celle du coût de la santé et des contraintes économiques, celle de la solidarité entre les générations, celle du regard social sur le vieillissement que ce soit le jeunisme effréné de la société, la dévalorisation du grand âge ou la perte de la valeur de l’expérience. Nous avons également constaté les inégalités sociales et territoriales liées à la fin de vie ainsi que l’insuffisance du nombre des structures d’accueil destinées aux personnes en fin de vie.
Au-delà de ces constats sur le sujet de la fin de vie, nous considérons les points suivants comme fondamentaux et incontournables :
- La personne en fin de vie quels que soient son âge, sa condition sociale, sa pathologie, son degré de dépendance, son état de conscience est un être humain à part entière avec une histoire c’est-à-dire un passé, un présent et un avenir. Pour nous, la fin de vie est une phase de la vie. Ce n’est pas la pathologie qui fait l’identité. La dégradation du corps n’enlève rien à l’identité humaine ni à la dignité.
- Dans les situations de fin de vie, la volonté de chacun dans la mesure où elle est exprimée doit être écoutée et respectée dans les décisions à prendre.
- Dans la mesure où désormais la médecine a les moyens de soulager la douleur, en bénéficier (du traitement de la douleur) est un droit pour tout patient et un devoir du corps médical.
Ce thème de la fin de vie suscite enfin au sein de notre groupe toute une série de questions sur le sens de celle-ci aujourd’hui en France, à titre individuel et sociétal.
- Les premières questions soulevées ont trait à la liberté qu’a chacun de vivre sa fin de vie selon ses souhaits. Dans quelle mesure peut-on choisir sa fin de vie, et quelle place laisser aux décisions individuelles des personnes en fin de vie ? Comment considérer chacun dans ses petites et grandes décisions et comment s’assurer que les personnes en fin de vie demeurent des acteurs actifs et écoutés de leur fin de vie ?
- Evoquer l’importance de mourir dans la dignité soulève une question de définition : vis-à-vis de la mort, qu’est-ce que la dignité ? Comment s’assurer que chacun puisse connaitre une fin de vie digne ? Sur ce sujet si complexe et intime, quelles perceptions traversent la société française sur les conditions de la fin de vie ?
- La question de l’information nous paraît centrale. Comment éduquer et sensibiliser la population au sujet de la fin de vie, afin que chaque citoyen se saisisse de la question de sa propre mort et la prépare plutôt que d’évacuer cette perspective ? Parallèlement à la sensibilisation de la population, quelle formation aux questions de la fin de vie doit-on dispenser au corps médical ? Et surtout, quelle place cette formation doit-elle occuper dans le cursus universitaire et dans la formation continue ?
- Les contraintes économiques font émerger de nombreuses interrogations. Quelle place peut occuper la solidarité nationale dans la prise en charge de l’accompagnement à la fin de vie, et selon quelles modalités ? Quels sont les coûts de la fin de vie en France pour la société ? Dans quelle mesure la prise en charge de la fin de vie répond-elle au principe républicain d’égalité ? Quel modèle adopter pour le financement de l’accompagnement à la fin de vie ? Et au-delà de la solidarité institutionnelle, comment remettre de la solidarité réelle pour que les gens ne meurent pas seuls ?
- L’aspect « encadrement législatif » est primordial dans la réflexion sur ce sujet. Quelles lois pour la fin de vie ? L’actuel cadre législatif, à savoir la Loi Léonetti, doit-il être remplacé voire supprimé, amendé ou laissé en l’état ? Concrètement, la société doit-elle prendre position sur l’euthanasie et le suicide assisté ? Et peut-elle en anticiper toutes les conséquences ? Quelle différence les Français font-ils entre « laisser mourir » et « faire mourir » ? Quelles appréhensions soulèverait l’autorisation de l’euthanasie au sein de la population ? De quelle manière peut-on recueillir les opinions des Français sur ce sujet en amont ? De quelle manière pourrait être mise en place une autorisation de l’euthanasie et du suicide assisté, et selon quelles modalités d’encadrement ? Et dans cette hypothèse, comment serait-il possible de protéger et prendre en compte tous les cas spécifiques dans un dispositif législatif unique ?
Les soins palliatifs constituent à nos yeux une avancée considérable de la médecine et un moyen de prendre en charge l’attente humaine visant à soulager la douleur liée à la maladie et à la souffrance psychologique. Ces soins palliatifs ont connu au cours des dernières années un développement significatif en France. Or, la situation hexagonale en la matière s’avère problématique quantitativement et qualitativement :
- seules 20% des personnes qui devraient bénéficier des soins palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités territoriales qui existent en ce qui concernent les structures palliatives comme le nombre de lits dédiés en milieu hospitalier.
- du fait du cloisonnement entre médecine curative et médecine palliative et de l’accent mis en France sur la performance technique, les soins palliatifs demeurent « le parent pauvre » du système pour lequel les perspectives de financement ne sont pas assurées à la mesure des enjeux démographiques des 20 prochaines années. Pour ces raisons, les soins palliatifs ne sont pas pleinement intégrés dans le parcours de soins.
- Enfin, ce faible développement des soins palliatifs entretient une méconnaissance du grand public, peu au fait de ce qu’ils recouvrent. Ce déficit d’information est générateur d’angoisse : soins palliatifs équivalent pour beaucoup à une mort imminente.
Sur ces bases, nous recommandons et/ou émettons les propositions suivantes :
- Les soins palliatifs doivent être érigés en cause nationale avec l’objectif affiché d’un accès à tous. Il s’agira d’encourager le développement « économique » de ces soins, de sécuriser l’ensemble des citoyens sur leurs finalités, à savoir le soulagement de la douleur, et par là de les démarquer de l’image de mort annoncée.
- Ces soins doivent être partie prenante dans la formation initiale comme continue de l’ensemble du corps médical : des médecins hospitaliers et généralistes aux étudiants en passant par l’équipe médicale et paramédicale. Ce processus de formation passe à nos yeux obligatoirement par un enseignement pratique, basé sur la transmission concrète par les médecins pratiquant des soins palliatifs de leurs expériences au contact des malades.
- Plus globalement, nous suggérons la possibilité d’un enseignement intégré du palliatif à toutes les spécialités médicales. Cette proposition est susceptible de réduire le clivage soins curatifs / soins palliatifs voire de faire bénéficier les patients de soins plus intégrés.
Nous avons constaté une large méconnaissance du grand public au sujet des directives anticipées, c’est-à-dire la possibilité laissée à chacun de préciser par écrit ses volontés et souhaits concernant l’aspect médical de sa propre fin de vie (acharnement thérapeutique ou pas, réanimation, alimentation …) et de nommer une personne de confiance chargée de faire respecter ses volontés. Nous considérons positivement ce principe de directives anticipées. Même si elles ne revêtent pas un caractère obligatoire pour chacun, elles doivent être respectées quand elles existent. Le citoyen doit conserver son libre arbitre s’agissant d’éventuelles modifications du contenu de ses directives anticipées et du choix de la personne de confiance. Dans ce cadre, l’actuelle durée de validité de 3 ans de ces directives anticipées est sans objet.
Outre le déficit d’information du grand public, nous observons l’absence de centralisation de ces directives anticipées susceptibles de leur conférer un caractère officiel et opposable à l’entourage familial et aux médecins.
Aussi, nous proposons la mise en place d’un fichier informatique national. Cette centralisation, soumise aux règlementations de la CNIL, permettra aux professionnels de santé (en premier lieu urgentistes, réanimateurs) d’y accéder et de respecter les dispositions des patients. Parallèlement, l’existence de directives anticipées par un patient devra figurer comme une information inscrite sur la carte vitale.
L’existence de ce fichier autorisera l’administration à envoyer un courrier tous les 5 ans rappelant à la fois l’existence de directives anticipées et la possibilité de les modifier. Enfin, nous considérons nécessaire une action des pouvoirs publics par le biais d’une campagne nationale de communication. Elle visera à développer l’information du grand public sur l’existence et les modalités de mise en œuvre des directives anticipées et de la désignation d’une personne de confiance. Une place particulière devra être réservée à la relation liant les médecins généralistes à leurs patients dans le déploiement de cette campagne.
En dépit des nombreuses interventions sur ce sujet, la sédation est apparue à notre groupe comme une question particulièrement complexe à appréhender sur la fin de vie dans la mesure où elle constitue un aspect relevant essentiellement de la technique médicale et par là semble échapper à la maîtrise et à la responsabilité du patient. Nous avons bien compris que différents types de sédation coexistent de progressive jusqu’à terminale1, qu’il convient également de distinguer la simple sédation liée à la prise en charge de la douleur de celle beaucoup plus profonde altérant l’état de conscience. Par ailleurs, il nous est apparu que la sédation s’avère largement tributaire de la pratique hétérogène des services et équipes médicales. De ce constat peut découler la crainte d’une inégalité des patients concernés par la sédation, qu’elle soit territoriale ou indexée sur la compétence ou les convictions. Ce sentiment d’inégalité de traitement des patients nous a particulièrement frappés à travers les exemples de maîtrises différentes du double effet2 (difficulté de maîtrise du dosage des opiacés).
A ces éléments se rajoute un véritable trouble entretenu par notre perception d’un cadre légal - défini par la Loi Léonetti - insuffisamment clair et peu appliqué car laissant une part trop importante à l’interprétation du corps médical et excluant le patient comme l’ensemble des citoyens de ses implications.
Parallèlement, ce cadre légal a pu avoir pour effet de gêner le libre arbitre des médecins en matière de pratique de la sédation profonde en phase terminale. Certaines équipes médicales craignent en effet d’aller trop loin dans le processus de sédation d’un patient et au final d’être accusées d’avoir voulu provoquer sa mort.
Pour autant, nous considérons la sédation comme primordiale dans la mesure où elle fait partie intégrante de l’accompagnement du patient dans la prise en charge et l’objectif de soulager sa douleur. La possibilité d’être sédaté à hauteur de ses besoins constitue à nos yeux un droit pour tout patient en fin de vie ou atteint d’une pathologie incurable même si cela peut avoir pour effet d’abréger sa vie. Nous reconnaissons aux médecins la libre pratique de la sédation dès qu’il existe une suspicion de souffrance, quand bien même le patient ne peut pas l’exprimer.
Toutefois, la sédation doit s’inscrire obligatoirement dans un échange et une écoute du patient lui- même quand cela est possible, sinon de son entourage (personne de confiance, famille, médecin référent). En phase terminale, l’objectif de soulagement de la douleur et de la souffrance du patient doit primer sur le risque de décès pouvant survenir à l’issue d’une sédation profonde.
La possibilité de se suicider par assistance médicale comme l’aide au suicide constituent à nos yeux un droit légitime du patient en fin de vie ou souffrant d’une pathologie irréversible, reposant avant tout sur son consentement éclairé et sa pleine conscience.
Au sein de notre groupe, coexistent deux logiques :
- Le suicide médicalement assisté existe dès lors que la volonté de mourir a été exprimée par la personne (volonté attestée médicalement, assistance et administration ou non par un tiers) ; (12 personnes)
- Le suicide médicalement assisté exclut l’administration du produit par un tiers. (6 personnes)
Nous distinguons dès lors deux possibilités : les personnes en capacité de réaliser cet acte et celles qui ont besoin d’une assistance. Pour ces dernières, le consentement du patient s’appuiera sur les directives anticipées qu’il a pu rédiger ou sur la volonté qu’il a exprimé à un tiers (personne de confiance, médecin…). Dans tous les cas, l’acte du suicide médicalement assisté doit s’inscrire à la fois dans des procédures et un accompagnement médical. Il ne peut en aucun cas relever de la sphère marchande (cette demande ne peut pas créer un marché) et de structures privées (entreprises comme associations). Cet acte doit s’inscrire dans un environnement médical institutionnalisé (notamment à travers un dialogue avec son médecin référent). Cette démarche de suicide médicalement assisté se doit de respecter toute une série de conditions incontournables. Elle ne peut concerner que des personnes en fin de vie ou atteintes d’une maladie incurable ou irréversible, ayant manifesté leur volonté et dont la conscience est formellement constatée par un collège d’au moins deux médecins.
A cet égard, nous rappelons que la Loi n’incrimine pas tout individu assistant une personne consentante à mettre fin à ses jours sous la condition absolue que la conscience du patient ait été prouvée. Pour autant, nous insistons sur la nécessaire vigilance à apporter dans les cas où le suicide médicalement assisté concernerait des personnes n’étant pas en capacité de réaliser le geste par elles-mêmes afin de prévenir toutes dérives.
A l’issue des auditions organisées durant nos sessions de travail, nous avons noté les fait suivants :
- Aujourd’hui, il n’existe pas de cadre légal autorisant l’euthanasie.
- L’application de la Loi Léonetti n’a pas mis fin à la pratique d’euthanasie clandestine
- Le non-respect de directives anticipées contribue à faire porter sur les familles le poids de la décision, source de divisions.
Au sein de notre groupe, coexistent plusieurs interprétations de l’euthanasie : une partie d’entre nous (12 personnes) entend par euthanasie le cas d’une mort médicalement assistée sans qu’il ait été possible d’obtenir le consentement direct de la personne. Quand il y a consentement, c’est un suicide assisté, y compris dans le cas où un tiers administre le produit létal. Pour une autre partie du groupe (5 personnes3), il y a euthanasie dès qu’un tiers intervient pour administrer un produit létal avec mort immédiate.
Au-delà de ces deux sensibilités, notre groupe se retrouve autour de la notion du respect de la vie humaine qui constitue un principe essentiel de notre société. Nul ne peut disposer sans son consentement de la vie d’autrui : c’est un principe fondamental tant au niveau national qu’au niveau européen. Ce fait nous semble en parfaite cohérence avec notre raisonnement précédent qui rappelle l’importance de la dignité de chacun et le respect de la volonté individuelle.
Les mesures contenues dans la loi Léonetti, les avancées en matière de soins palliatifs et l’ouverture de la possibilité de recourir au suicide assisté que nous préconisons dans notre avis citoyen permettent d’écarter l’euthanasie comme solution pour la fin de vie. Toutefois, nous nous déclarons favorable à une exception d’euthanasie. Celle-ci est envisageable dans des cas particuliers, ne pouvant entrer dans le cadre du suicide assisté lorsqu’il n’existe aucune autre solution (pas de consentement direct du patient).
Ces cas strictement encadrés seront laissés à l’appréciation collégiale d’une commission locale ad hoc qu’il conviendrait de mettre en place. La composition de chaque commission devra être mixte et intègrera l’équipe médicale concernée par le cas mais également le médecin référent du patient, un médecin extérieur à l’hôpital concerné et un représentant du comité d’éthique de l’hôpital afin de refléter la pluralité des points de vue. Pour chaque cas, elle se réunira dans un délai raisonnable qui n’excèdera pas 8 jours. * * * 3 Une personne du groupe ne s’est pas positionnée.
Au final, au regard des points de vue et réflexions contenus dans notre avis, nous voulons un aménagement de la Loi Léonetti sur les points suivants :
- Le développement massif de l’accès aux soins palliatifs à la hauteur de l’enjeu démographique ;
- L’autorisation de la sédation en phase terminale ;
- La légalisation du suicide médicalement assisté (avec les nuances très sensibles relevées dans notre avis) ;
- La création d’une exception d’euthanasie.
Nous souhaitons une évaluation régulière de la mise en œuvre et de l’application de toute Loi sur la fin de vie.
Notes :
1 Dans la sédation terminale, il y a deux sédations : la sédation en phase terminale (d’un point de vue chronologique) et la sédation à effet terminal.
2 Par double effet, il faut entendre soulager la douleur d’un patient en fin de vie avec pour effet non souhaité le risque de raccourcir sa durée de vie.
Source : ccne-ethique.fr
Membres du groupe de travail
Régis Aubry (rapporteur)
Michaël Azoulay
François Beaufils
Ali Benmakhlouf
Alain Claeys
André Comte-Sponville
Anne-Marie Dickelé
Frédérique Dreifuss-Netter
Jean-Pierre Kahane
Xavier Lacroix
Claire Legras (rapporteur)
Claude Matuchansky
Francis Puech
Louis Schweitzer
Jean-Louis Vildé
Bertrand Weil
Personnalités auditionnées :
Jean Leonetti, ancien ministre
Didier Sicard, Président de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France (2012), Président d'Honneur du CCNE
Yves Kagan, médecin interniste gériatre, Fondation gériatrique de Rothschild, Paris
A la suite de la remise du rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France 1, le Président de la République a posé au Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé trois questions qui touchent à l'expression de l'autonomie des individus au sujet de leur fin de vie : « Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l'annonce d'une maladie grave, concernant la fin de sa vie ? Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d'une maladie grave et incurable, d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ? Comment rendre plus dignes les derniers moments d'un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d'une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ? ».
Le Comité s'est déjà interrogé sur le problème de l'accompagnement de la fin de vie et sur celui de l'euthanasie.
Dans son premier et bref avis sur le sujet 2, en 1991, le CCNE en était resté à la formulation de quelques principes forts, à partir desquels il désapprouvait qu'un texte législatif ou réglementaire légitime l'acte de donner la mort à un malade. En 1998 3, il a appelé de ses vœux une discussion publique sereine sur le problème de l'accompagnement des fins de vie, comprenant notamment la question de l'euthanasie et insisté sur l'importance d'une réflexion en commun sur la question des circonstances précédant le décès.
En 2000, il a conduit une réflexion plus complète 4. Constatant que la question de l'euthanasie proprement dite ne peut être isolée du contexte plus large que représente le fait de mourir aujourd'hui dans un monde fortement marqué par la technique médicale, ses qualités évidentes, mais aussi ses limites, il a recommandé une mise en œuvre résolue des soins palliatifs et condamné l'acharnement thérapeutique.
Le Comité, tout en soulignant avec force la valeur structurante et incontournable de l'interdit de donner la mort à autrui, a alors constaté que si l'application de la loi amenait à qualifier l'euthanasie d'homicide volontaire, d'assassinat ou de non-assistance à personne en danger, les juridictions faisaient preuve, lorsqu'elles étaient saisies en la matière, de la plus grande indulgence. Réaffirmant la valeur centrale de la limite étayée par l'interdit de donner la mort à autrui, il a alors estimé légitime de proposer l'inscription dans le code de procédure pénale d'une « exception d'euthanasie » permettant au juge de mettre fin à toute poursuite judiciaire, en fonction des circonstances et des mobiles d'un acte d'euthanasie.
Le CCNE, dans le cadre du présent avis, prend bien sûr appui sur sa réflexion antérieure, qui a également abordé la question de la réanimation néonatale, celle du refus de soin et celle des questions éthiques liées au développement et au financement des soins palliatifs 5. Aujourd'hui comme hier, en effet, la demande d'aide à mourir suscite un conflit de perspectives et de valeurs entre lesquelles il est très difficile de trancher. Toutefois, treize ans plus tard, cette question se pose dans un cadre législatif profondément renouvelé.
Fort de l'apport de nombreux travaux récents et des réflexions développées dans plusieurs pays, et conscient de la singularité profonde de chaque fin de vie, le Comité a ainsi souhaité s'interroger d'abord sur les origines du débat actuel sur la question de la volonté de mourir, afin de comprendre les raisons de son actualité et de l'acuité qu'il peut prendre, mais aussi de mesurer la portée des changements qu'il ouvre. Il a ensuite pesé tout l'apport théorique et pratique des lois dont notre pays s'est récemment doté en matière de droits des patients et d'accompagnement des personnes en fin de vie. Il a interrogé enfin les évolutions possibles de la loi, puis tenté d'éclairer les questions posées par l'hypothèse d'une légalisation du suicide assisté.
1 « Penser solidairement la fin de vie », Commission de réflexion sur la fin de vie en France, La Documentation française, décembre 2012.
2 Avis n°26 du 24 juin 1991 concernant la proposition de résolution sur l'assistance aux mourants, adoptée le 25 avril 1991 au Parlement européen par la Commission de l'environnement, de la santé publique et de la protection des consommateurs.
3 Avis n° 58, « Rapport et recommandations sur le Consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche ».
4 Avis n° 63 du 27 janvier 2000, « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie ».
5 Avis n° 65 du 14 septembre 2000, « Réflexions éthiques autour de la réanimation néonatale » ; avis n° 87 du 14 avril 2005, « Refus de traitement et autonomie de la personne » ; avis n°108 du 12 novembre 2009 sur les questions éthiques liées au développement et au financement des soins palliatifs.
Source : CCNE
A la suite de la remise, à la fin de l'année 2012, du rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, « Penser solidairement la fin de vie », le Président de la République a saisi le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) en lui posant trois questions :
- Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l'annonce d'une maladie grave, concernant la fin de sa vie ?
- Comment rendre plus dignes les derniers moments d'un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d'une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ?
- Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d'une maladie grave et incurable, d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?
Le CCNE a été amené à plusieurs reprises à réfléchir sur ces questions au cours des vingt dernières années. Dans le premier avis qu'il a émis sur ce sujet, en 1991, le CCNE « désapprouvait qu'un texte législatif ou réglementaire légitime l'acte de donner la mort à un malade » (avis N°26). En 1998, il se déclarait « favorable à une discussion publique sereine sur le problème de l'accompagnement des fins de vies comprenant notamment la question de l'euthanasie » (avis N°58). En 2000, il proposait la notion « d'engagement solidaire et d'exception d'euthanasie. » (avis N°63).
L'avis N°121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » présente l'état actuel des réflexions du CCNE qui prend en compte les évolutions de la loi et des pratiques au cours des dix dernières années au sujet des droits des personnes malades et des personnes en fin de vie, et le rapport de la Commission Sicard.
Plusieurs recommandations, et notamment les six qui suivent, font l'objet d'un accord unanime de la part des membres du Comité :
- la nécessité de faire cesser toutes les situations d'indignité qui entourent encore trop souvent la fin de vie ;
- la nécessité de rendre accessible à tous le droit aux soins palliatifs – un droit reconnu par le législateur depuis quatorze ans ;
- la nécessité de développer l'accès aux soins palliatifs à domicile ;
- la nécessité d'associer pleinement la personne et ses proches à tous les processus de décision concernant sa fin de vie.
- le respect des directives anticipées émises par la personne. A l'heure actuelle, et malgré leur nom de « directives », elles ne sont considérées par la loi que comme l'expression de souhaits, les décisions étant prises par les médecins. Le Comité demande que lorsqu'elles ont été rédigées en présence d'un médecin traitant, et dans des circonstances où une maladie grave a été annoncée, les directives anticipées soient contraignantes pour les soignants, sauf exception dûment justifiée par écrit ;
- le respect du droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu'au décès si elle en fait la demande lorsque les traitements, voire l'alimentation et l'hydratation ont été interrompus à sa demande.
- la nécessité de développer la formation des soignants, leur capacité d'écoute et de dialogue, et les recherches en sciences humaines et sociales sur les situations des personnes en fin de vie.
-la nécessité de faire cesser toutes les situations d'isolement social et de dénuement des personnes malades, des personnes handicapées, et des personnes âgées qui précèdent trop souvent la fin de leur vie, et de leur donner accès à l'accompagnement qui leur est indispensable.
En ce qui concerne le droit d'une personne en fin de vie à avoir accès, à sa demande, à un acte médical visant à accélérer son décès, et/ou le droit à une assistance au suicide, le Comité n'a pas abouti à l'expression d'une réflexion et de propositions unanimement partagées.
La majorité des membres du Comité expriment des réserves majeures et recommandent de ne pas modifier la loi actuelle, estimant qu'elle opère une distinction essentielle et utile entre « laisser mourir » et « faire mourir », même si cette distinction peut, dans certaines circonstances, apparaître floue. Ils considèrent que le maintien de l'interdiction faite aux médecins de « provoquer délibérément la mort » protège les personnes en fin de vie, et qu'il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à « donner la mort ».
En ce qui concerne plus spécifiquement l'assistance au suicide, ils estiment « que cette légalisation n'est pas souhaitable. », portant un jugement très réservé sur les indications de l'assistance au suicide et/ou de l'euthanasie dans les pays qui les ont dépénalisées ou autorisées et manifestant une inquiétude concernant l'élargissement de ces indications dans certains de ces pays. Enfin, ils considèrent que toute évolution vers une autorisation de l'aide active à mourir pourrait être vécue par des personnes vulnérables comme un risque de ne plus être accompagnées et traitées par la médecine si elles manifestaient le désir de poursuivre leur vie jusqu'à la fin.
Pour certains membres du Comité, qui se sont exprimés dans une contribution qui suit le texte adopté par la majorité du CCNE, la frontière entre « laisser mourir » et « faire mourir » a déjà, de fait, été abolie ; les lois de 2002 sur les droits des malades et de 2005 sur la fin de vie – en reconnaissant le droit d'une personne à demander au médecin d'interrompre des traitements vitaux, ou son alimentation et son hydratation –ont déjà reconnu le droit des médecins de « faire mourir » ou d'aider une personne, à sa demande, à « mettre un terme à sa vie ». Pour ces membres, la question qui se pose désormais est de savoir, dans ce cadre, pour quelles raisons certaines formes de « demande d'aide à mettre un terme à sa vie » seraient autorisées alors que d'autres ne pourraient l'être.
Que le CCNE ne soit pas parvenu à une réponse unanime sur ce sujet n'est pas surprenant, s'agissant de questions dont la complexité avait conduit nos prédécesseurs à écrire, dans l'avis N°63 : « le dilemme est lui-même source d'éthique ; l'éthique naît et vit moins de certitudes péremptoires que de tensions et du refus de clore de façon définitive des questions dont le caractère récurrent et lancinant exprime un aspect fondamental de la condition humaine. »
L'avis N°121 représente une étape dans la réflexion du Comité, que les contraintes du calendrier – liées au renouvellement tous les deux ans d'une partie de ses membres, prévu le 15 juin – l'ont amené à finaliser en l'état. Mais le CCNE, dans son ensemble, considère que la réflexion sur le sujet de la fin de la vie n'est pas close et qu'elle doit se poursuivre sous la forme d'un débat public.
Le Président de la République ayant mentionné, dans sa saisine, la présentation prochaine d'un projet de loi sur ces sujets, ce débat public devrait, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique, comporter des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité ».
Le CCNE continuera sa réflexion sur les questions concernant la fin de vie et en rendra compte après le débat public dont il propose la tenue.
Le 30 juin 2013
Jean Claude Ameisen
président du CCNE
Source : CCNE
La question de pouvoir mettre un terme à la vie surgit dans un contexte marqué par trois traits saillants : des évolutions médicales et sociologiques, la place de la médecine par rapport à la vie, le choix de certains pays de tolérer ou légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté.
I--1- Des évolutions médicales et sociologiques.
• La longévité croissante des individus et le vieillissement corrélatif de la population6, adressent au système de soins et plus largement à notre société des questions cruciales : comment accompagner la perte d'indépendance et d'autonomie des personnes très âgées, sans trop entamer les forces de leurs proches, mais aussi sans que la sollicitude et un souci de protection tendent à réduire la liberté de ces personnes ? Comment soigner et accompagner, et jusqu'où traiter des personnes malades ou handicapées particulièrement fragiles, présentant des situations cliniques complexes et poly-pathologiques ? Comment affronter la croissance du nombre de personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives ?
Une autre conséquence - longtemps impensée - des avancées techniques et scientifiques de la médecine est la possibilité de vivre longtemps avec une maladie qui ne guérira pas. Donnant une place plus grande aux maladies chroniques, la médecine moderne procure souvent aux personnes une espérance de vie plus longue, mais au prix d'existences extrêmement médicalisées, parfois dans des conditions d'inconfort extrême ou de souffrance.
Des progrès médicaux majeurs, par exemple en réanimation, ont aussi un revers lorsqu'il en résulte des situations inextricables. Que faire lorsque la survie se fait au prix de très lourdes séquelles motrices, sensorielles, cognitives ?
• Ces situations extrêmes, mais aussi celles des personnes démentes ou totalement dépendantes, sont parfois présentées ou ressenties comme une mort sociale, une mort
« incomplète », au risque de perdre de vue le progrès personnel et collectif qu'elles représentent.
Pourtant, l'espérance de vie sans incapacité croît plus vite que l'espérance de vie elle-même ; depuis les années 1970, le nombre moyen de mois de dépendance par personne est passé de 12 à 97. On peut vivre pleinement plus longtemps, même si le tempo de la vie des personnes âgées n'est évidemment pas le même que celui des personnes plus jeunes. La fin de vie est une autre allure de la vie et non simplement le bout de celle-ci.
Mais ces peurs sont aussi alimentées par la relégation qui semble être le lot de tant de personnes en fin de vie, notamment de celles qui vivent des situations de grand isolement ou qui achèvent leur vie dans des institutions faisant parfois figure, aux yeux des bien portants, de mouroirs qui peuvent susciter l'effroi. Pourtant, ce diagnostic ne conduit pas notre société à accorder plus de poids, plus de moyens à l'accompagnement des vieillards ou des personnes qui ont perdu beaucoup de leurs capacités du fait de l'âge ou de la maladie.
• Les proches de ces personnes malades ou très âgées ont et vont avoir à vivre des situations d'accompagnement parfois longues, voire épuisantes, alors qu'ils manquent de temps dans un quotidien déjà intense et qu'ils ne peuvent pas toujours avoir accès à des moyens adaptés de prise en charge à domicile. Souvent, l'entourage familial ne peut plus ou ne veut plus assumer seul une charge qui autrefois, dans un contexte à bien des égards différent, restait plus facilement dans ce cercle. La lourdeur croissante des situations – que l'on pense par exemple aux accompagnants des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'autres formes de troubles cognitifs – le fait que les enfants n'habitent presque plus jamais sous le même toit que leurs parents, que les deux membres du couple travaillent : tout tend à rendre plus difficile l'aide de ceux que l'on appelle les aidants « naturels ».
La notion de « droit au répit » des aidants doit trouver des traductions plus satisfaisantes, par exemple dans la création de structures capables de prendre le relais de l'entourage. Par ailleurs, l'intérêt des personnes âgées mérite d'être mieux apprécié : elles n'ont pas seulement besoin d'être soignées ; elles ont besoin que l'on prenne soin d'elles, au plus proche de leurs propres aspirations, qu'on entre en relation avec elles et non seulement que l'on agisse pour elles à travers le soin médical.
• L'évolution sociologique du rapport à la mort.
Certains épisodes comme la canicule de l'été 2003 ont révélé à la fois le grand isolement de certaines personnes âgées et l'image abîmée que véhiculaient d'elles les médias avec une crudité assumée : déchéance du corps, visage qui s'est par trop éloigné de l'« image de référence » de la personne, celle de ses belles années.
Par ailleurs, la prise en charge de la fin de vie et de la mort s'est institutionnalisée et professionnalisée. La norme en France, c'est de mourir à l'hôpital ou dans une maison de retraite : selon les données de l'Observatoire national de la fin de vie8, aujourd'hui, 58% des Français décèdent à l'hôpital, 27% à leur domicile, 11% dans une maison de retraite ou un lieu apparenté. Comme les prisons ont quitté le centre des villes, les mourants sont partis des foyers, les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes ou des personnes handicapées sont situés souvent hors des villes, loin même de leur périphérie, et la mort se trouve ce faisant à l'écart de notre quotidien.
Ces évolutions aboutissent à un retrait progressif de la mort de la culture commune, avec une disparition ou une modification profonde des rituels qui entouraient cet événement et le rendaient à la fois visible et plus admissible, ainsi qu'à une quête de maîtrise générale, y compris de la fin de vie et de sa mort.
C'est dans ce contexte que de nombreuses personnes, confrontées aux situations souvent inédites créées par la médecine et à son lot de peurs nouvelles, demandent la légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté.
Cette évolution peut être mise en rapport avec celle des préjugés sur ce qu'est une bonne manière de mourir : autrefois, mourir conscient, entouré, armé pour affronter ses « derniers instants »; aujourd'hui, mourir sans souffrir, sans que les facultés soient altérées, si possible de manière soudaine et inconsciente. Le rapport à la mort est désormais pour beaucoup déterminé à partir de notre vie présente, notre rapport à notre corps et à notre esprit.
L'expérience du mourir s'est donc profondément modifiée : si la mort s'est institutionnalisée, si son accompagnement s'est professionnalisé, le rapport moderne à la mort s'est privatisé, individualisé. Il oscille entre une mise à distance de la mort et une aspiration à la contrôler, à faire de la mort une question de choix individuel.
I-2- La place même qu'occupe la médecine dans notre rapport à la vie contribue à l'acuité prise par cette question.
La demande de maîtrise de leur fin de vie qu'expriment de nombreuses personnes puise à cet égard à deux sources : elle est à la fois la fille de l'espoir dans la médecine et du nouveau rôle reconnu aux patients dans la façon d'envisager leur santé.
L'expansion médicale fait figure de mythe : soignants et patients partagent souvent un même espoir dans la médecine ; ils assimilent la lutte contre la maladie à un combat, qu'ils mènent parfois jusqu'à une forme d'obstination déraisonnable. La poursuite acharnée des traitements ne doit évidemment pas être caricaturée tant elle est consubstantielle à la vocation du médecin et à la possibilité du progrès médical. Et il ne faut pas oublier qu'avant le développement des soins palliatifs, initié en Grande-Bretagne dans les années 1970, la médecine moderne se désintéressait largement de la douleur et de la solitude des personnes qu'elle ne parvenait pas à « sauver ».
Dans ce contexte d'attente très forte à l'égard des soignants et de prise de conscience du caractère intolérable des situations dans lesquelles les personnes en fin de vie étaient abandonnées par la médecine, le médecin s'est vu attribuer un rôle central dans les décisions qui concernent la vie ou la mort des personnes, ignorant parfois l'autonomie de la personne, même si les lois récentes de 2002, puis de 2005 ont atténué ce rôle.
Notre rapport à la médecine est en effet aussi un témoin de notre difficulté à vivre avec nos menaces intimes et nos peurs mêlées – douleur, vieillesse, maladie, mort – et à percevoir notre condition de mortels comme une liberté et non seulement comme un fardeau. La quête de santé peut être source de morbidité quand elle est difficulté à nous confronter à notre finitude et à celle d'autrui. On veut toujours faire contre la maladie ; parfois, il convient de faire avec elle.
Ce qui était foi dans la médecine et dans les médecins a pu évoluer ces dernières décennies vers une revendication d'adaptation de la médecine aux volontés de chacun du fait de l'affirmation depuis une quinzaine d'années des droits des malades : les patients s'impliquent fortement dans la gestion de leur santé – parfois sous une pression sociale de prendre soin de soi-même afin de vieillir « au mieux » – d'autant qu'ils ont facilement accès à une information large et que des droits leur ont été reconnus par le législateur, soucieux de renforcer leur autonomie et de donner du poids à l'expression de leur volonté.
Le mouvement en faveur du droit à « choisir sa mort » résulte en partie de ces évolutions, ainsi que des limites de la médecine dans l'accompagnement de la souffrance des personnes en fin de vie. De la demande d'un traitement médical à tout prix à son rejet violent et à la dénonciation d'une surmédicalisation pesante de la fin de vie, il n'y a souvent qu'un pas.
Ainsi, notre société, qui a tendance à refuser la mort et à attendre une réponse de la technique médicale, peut souhaiter en même temps mettre à distance la médecine lorsqu'elle la juge excessivement envahissante. Dès lors que le médecin doit répondre à mes souffrances en prenant en compte ma volonté, c'est finalement moi, patient, qui suis le prescripteur légitime quand il ne s'agit plus vraiment de traiter, mais d'organiser et d'accompagner la fin de mon existence.
Ces évolutions alimentent la demande de prise en compte par le législateur d'un droit à choisir les circonstances et le temps de sa mort. Cette demande a un premier visage, qui n'est pas étranger à la culture occidentale : maîtriser sa vie jusqu'à sa fin et décider du moment et des modalités de sa mort serait plus honorable et moins insupportable que de l'attendre passivement et manifesterait la pleine conscience de notre finitude. La question de la place du suicide émerge et celui-ci est ainsi parfois présenté comme l'ultime expression de la volonté et de la liberté individuelles, dans un contexte dans lequel les personnes sont confrontées tout au long de leur vie à des exigences de performance. Mais la demande d'autorisation de l'assistance à mourir a un autre visage : elle correspond au souhait de beaucoup de prévenir la souffrance et d'éviter des situations d'indignité.
I-3- Certains pays ont légalisé ou choisi de tolérer l'euthanasie ou l'assistance au suicide.
Depuis plusieurs années, un certain nombre de pays – la Suisse, le Bénélux et trois Etats américains (Oregon, Washington et Montana) – ont choisi de tolérer ou de légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté. D'autres, comme le Canada et le Royaume-Uni, réfléchissent actuellement à une éventuelle évolution de leur législation (Cf. annexe 1). Cependant, ce mouvement de libéralisation de l'aide à mourir, quoique bien réel, n'en demeure pas moins largement minoritaire dans le monde.
Les premières législations en la matière remontent à une vingtaine d'années. Elles sont nées en outre dans des contextes culturels particuliers. L'Oregon, qui a été le premier Etat à s'engager sur cette voie, a légalisé le suicide assisté en 1997. Si cette pratique y est acceptée, c'est avant tout parce qu'elle répond à une demande culturelle très forte d'autonomie.
L'euthanasie, en revanche, demeure interdite. En effet, l'idée de mourir de la main d'un tiers heurte profondément les mentalités, tant elle s'éloigne des canons habituels de l'autonomie. C'est d'ailleurs un des traits remarquables des pratiques dans cet Etat : la volonté de préserver son autonomie préside davantage à la décision du suicide assisté que le caractère insupportable de la souffrance, plus fréquemment évoqué sur le vieux continent.9
La seconde loi la plus ancienne, celle des Pays-Bas, a vu le jour, elle aussi, dans un contexte culturel particulier : elle n'a fait que formaliser une pratique, vieille d'une trentaine d'années déjà. En effet, c'est au début des années 1970 que la société hollandaise a commencé à pratiquer l'euthanasie. En 1984, l'Association médicale royale a élaboré les critères de minutie qui figurent aujourd'hui dans la loi adoptée en 2001. L'euthanasie s'est donc progressivement installée dans la culture hollandaise et la loi n'a fait que prendre le relais
d'une pratique largement répandue, sans causer par conséquent de rupture dans les mentalités. L'euthanasie occupe aujourd'hui une place significative aux Pays-Bas, comme en témoignent les chiffres de recensement des décès.10
Par ailleurs, l'euthanasie a été sporadiquement projetée sur le devant de la scène dans notre pays par la médiatisation d'affaires qui, si elles touchaient des cas très différents, ont nourri ensemble la demande d'un droit de mourir et d'y être aidé.
6 En cinquante ans, le nombre des personnes ayant plus de 85 ans est passé de 200 000 à 1,4 million.
7 Cf Jean de Kervasdoué, « Les vieux et l'argent : vrais problèmes et lieux communs », in Médecine et vieillesse, sept débats citoyens qui amènent à déconstruire nombre d'idées reçues, septembre 2012, publication du centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin.
8 Fin de vie : état des lieux. Rapport 2011 de l'observatoire national de la fin de vie, Paris, La Documentation française, 2012.
9 Rapport Sicard, p.76
10 2,8% des décès sont des euthanasies aux Pays-Bas (Rapport Sicard, p.74)
Source : CNNE
Les enjeux ouverts par le débat sur l'anticipation volontaire de la mort ont une portée très large, qu'il convient de bien cerner.
II-1- Un débat qui ne se cantonne pas à l'extrême fin de vie
Le débat sur la maîtrise de la fin de vie ne peut se limiter à l'extrême fin de vie, à la phase agonique d'une affection incurable, alors qu'il s'agit peut-être de la situation dans laquelle le recours à une mort volontaire est le moins probable et la demande la moins pressante.
Les partisans du suicide assisté ou de l'euthanasie expriment des demandes dont la portée est très différente : certains réclament une aide active à mourir réservée aux malades en situation d'incurabilité qui en font la demande, car ils souhaitent éviter, pour eux-mêmes ou pour leurs proches, une fin de vie qu'ils jugent insupportable ; pour d'autres, il s'agit d'une déclinaison du « droit à disposer de son propre corps ». Mais ces demandes sont unies par une même sensibilité à la question de la qualité de vie, à la notion de vie ne valant la plus peine d'être vécue, et une volonté de conserver un certain niveau de maîtrise de soi au plan physique et intellectuel.
La demande relative au suicide assisté concerne peut-être moins les situations dans lesquelles existe une menace vitale à court terme que celles qui se situent en amont. La « vraie » fin de vie, en effet, est, d'après nombre de témoignages, le règne de l'incertitude, une phase dans laquelle le temps de la décision est souvent ralenti, où la volonté peine à se fixer. Cet état de fait entre en tension avec un modèle libéral fondé sur l'affirmation du choix, sur la suprématie de la volonté individuelle.
D'autres situations que l'extrême fin de vie sont présentes dans le débat, notamment celle des personnes atteintes de maladies chroniques graves ou lourdement handicapées, ou celle des personnes qui doivent affronter la dégradation annoncée de leurs facultés mentales en cas de diagnostic d'une maladie neuro-dégénérative. La question posée est ici aussi celle de la place laissée par notre société à la différence, à la déviation d'une norme, à l'altérité ultime et donc à la question du sens de certaines vies, question éventuellement perçue par les malades eux-mêmes lorsqu'ils ne trouvent plus leur place. Elle interroge certaines pratiques médicales, notamment la réanimation, qui ne peut esquiver cette question des limites, mais qui est contrainte aussi de s'attacher à la spécificité de chaque cas clinique et humain.
En arrière-plan de toute réflexion sur le fait d'abréger l'existence, il y a aussi le contexte économique dans lequel sont effectués les choix individuels et collectifs en matière de santé. Certains se demandent s'il faut absolument prolonger la vie jusqu'à un âge très avancé si nous ne sommes pas en capacité de maintenir les personnes âgées dans une condition et à une place « acceptable » et alors qu'ils pèsent sur les ressources communes. Et ces personnes elles-mêmes intègrent souvent ce raisonnement et s'inquiètent de la charge humaine et financière qu'elles représentent pour leurs proches ou, plus largement, pour la société.
Plus d'un million de personnes âgées vivent dans des institutions médicalisées et ont à participer financièrement à leur prise en charge dans des conditions qui peuvent assécher leurs ressources ou celles de leur famille. L'effort de solidarité nécessaire pour atténuer cet état de fait est souvent présenté comme hors de portée. Mais pour le CCNE, il convient d'introduire de la clarté et de la vérité dans ce débat. Ce sont souvent des chiffres erronés qui sont avancés quant au coût que représente la prise en charge des personnes âgées et vulnérables. A cet égard, l'avis adopté par le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie le 22 avril 2010, intitulé « Vieillissement, longévité et assurance maladie », désamorce beaucoup d'idées reçues et montre qu'un meilleur accompagnement de la perte d'autonomie – besoin spécifique et distinct des traitements – est susceptible de limiter de manière importante la dépense d'assurance maladie liée à la prise en charge des personnes dépendantes.
II-2- La souffrance physique n'est pas le seul enjeu des demandes
La demande de légalisation de l'assistance au suicide ou de l'euthanasie est encore trop souvent liée à des douleurs qui envahissent le champ de la conscience des personnes en fin de vie ou lorsque leur qualité de vie est trop altérée. Elle est parfois liée au fait que la vie n'est plus perçue que comme une souffrance. Cette demande pose au moins deux questions : de quoi parle-t-on ? Et comment répondre à cette souffrance?
La douleur est difficile à définir pour un observateur extérieur : tout aussi bien symptôme d'une atteinte à l'intégrité du corps, qui est de l'ordre de l'objectivable, de l'évaluable, que douleur réelle puisque ressentie, mais qui ne trouve pas toujours d'explication rationnelle, ou expression d'une souffrance morale, sociale ou existentielle.
Les experts s'accordent pour dire que toute douleur peut aujourd'hui être soulagée par une gamme de solutions pouvant aller jusqu'à l'utilisation de techniques anesthésiques ou une chirurgie de la douleur. Les souffrances dont l'origine est une dépression trouvent elles aussi, très majoritairement, des réponses médicales même si, trop souvent, elles ne sont pas traitées comme elles le devraient. C'est donc non pas la douleur physique, ni la dépression qui devraient être en cause dans la demande d'anticipation de la mort si des soins palliatifs de qualité étaient proposés de manière égale sur tout le territoire : c'est un point sur lequel nos concitoyens ont à l'évidence un fort besoin de réassurance.
Choisir le moment de sa mort serait plutôt pour certains la seule réponse valable à une souffrance de nature plus existentielle. Cette souffrance n'est évidemment pas l'apanage du grand âge des personnes en phase terminale de maladies graves. Elle est une réalité humaine, qui tient à la relation à l'autre, à soi, à la vie, à sa vie.
Certaines personnes demandent qu'on les aide à mourir paisiblement pour ne plus éprouver cette souffrance existentielle. Se pose alors la question redoutable du champ de cette réponse : faut-il la réserver aux personnes dont la mort est très proche ?
Cette question conduit de manière absolument prioritaire à réfléchir aux efforts qu'il convient de faire pour que le soulagement nécessaire soit mieux prodigué. Ainsi toutes les demandes de suicide assisté ou d'euthanasie imposent une exploration de leur origine. Lorsque la cause est accessible à des soins palliatifs et à un accompagnement, ceux-ci doivent être mis en œuvre – sachant que les soins palliatifs ne sont pas simplement une aide aux personnes en fin de vie, quand on ne peut plus rien attendre des traitements curatifs, mais doivent s'intégrer à ces derniers qui ne sont jamais exclusifs d'autres formes du soulagement.
La question se pose de ce qu'il convient de faire lorsque la demande de suicide assisté ou d'euthanasie semble ne pas trouver un enracinement accessible à des soins et traitements palliatifs, mais semble correspondre à une souffrance de nature existentielle, à un désir de mort ou à un refus de n'avoir d'autre choix que d'achever son existence comme si la fin de vie était obligatoirement une maladie, c'est-à-dire dans le cadre d'une prise en charge médicale de plus en plus importante.
II-3- Les réponses ne peuvent être purement médicales
Les limites et les insuffisances de l'accompagnement des personnes en fin de vie ressortent de nombreux témoignages recueillis par la commission Sicard et les nombreuses études, d'Edouard Ferrand 11, notamment, qui soulignent le défaut majeur d'accès aux soins palliatifs. Ils expriment pêle-mêle une plainte quasi-obsessionnelle de l'insuffisance d'écoute des médecins, une dénonciation du « tout curatif », mais aussi des lacunes de la prise en charge médicale, de graves défaillances pratiques dans la mise en œuvre des soins palliatifs, l'impossibilité pour les familles de « gérer » la succession des équipes et des problèmes de communication entre les équipes soignantes, et avec les familles. Ces témoignages révèlent également un reproche qui n'est pas aisé à interpréter sur le temps et les modalités de l'agonie ; mais aussi l'embarras de la médecine à laquelle la société a confié le soin de s'occuper de la mort.
C'est un fait que l'expérience concrète d'une proportion importante de personnes en fin de vie et de leurs proches reflète un vécu très négatif de l'accompagnement par les
professionnels de santé. L'étude Mort à l'hôpital, réalisée dans 200 hôpitaux français, et publiée en 2008 par Edouard Ferrand et coll. 12, indique de plus que deux tiers des infirmières et infirmiers déclaraient qu'ils considéraient les conditions de fin de vie des personnes qu'ils soignaient comme inacceptables pour eux-mêmes, lorsqu'ils seraient en fin de vie. Il y a encore beaucoup à faire pour instaurer une écoute véritable, une attention à la douleur et aux souffrances des malades, sur tout le territoire et dans tous les services médicaux, pour éviter que la médecine ne se déshumanise. Certaines situations indignes et irrespectueuses ont été relatées lors de la mission Sicard et il faut en priorité y remédier.
Dans le même temps, le Comité souligne la nécessité de protéger la spécificité de la médecine. La place dominante qu'elle prend ou qu'on lui assigne dans l'accompagnement
des personnes en fin de vie ou des personnes très vulnérables ne va pas entièrement de soi.
La prise en charge globale des personnes très âgées, de celles qui entrent dans la dernière phase de la maladie, des personnes handicapées, leur accompagnement dans la durée ne sont en effet pas du ressort du seul monde médical et ne relèvent pas non plus entièrement d'une réponse publique. Accompagner ces personnes est une façon d'exprimer la solidarité à la fois individuelle et sociale en acceptant leur singularité, en les entourant dans le respect de leur liberté. Le temps de l'accompagnement ne peut être exclusivement celui de la médecine. Accompagner quelqu'un signifie être attentif à ses besoins, aux modestes gestes de son autonomie, et être présent dans l'écoute et dans la durée. Le rôle de l'accompagnement, au-delà de ce qu'il dit de notre humanité partagée, est de faciliter la mise en place d'un projet de (fin de) vie et de soins adapté à la fois à la personne elle-même et au groupe. Il œuvre à maintenir l'appartenance du singulier au collectif.
11 Voir, par exemple : Ferrand E, et coll. Evolution of requests to hasten death among patients managed by palliative care teams in France: a multicentre cross-sectional survey. European Journal of Cancer, 2012, 368-76.
12 Ferrand E, et coll. Circumstances of Death in Hospitalized Patients and Nurses' Perceptions: French Multicenter Mort-a-l'Hopital Survey. Archives of Internal Medicine, 2008,168 :867-75
Source : CCNE
III-1- Mourir dans la dignité ?
C’est devenu, au gré de sondages aux questions souvent trop sommaires – dont on peut noter qu’ils ne s’adressent presque jamais aux personnes « en fin de vie » – et d’une présentation trop schématique des enjeux du débat par des media ou des militants, une sorte d’évidence : autoriser l’euthanasie répondrait au souhait de garantir que les personnes puissent en toute circonstance « mourir dans la dignité ». Dans le même temps, le principe de dignité est mobilisé par les opposants à l’euthanasie et au suicide assisté.
Il existe en réalité, ainsi que le Comité a déjà eu l’occasion de le relever, deux usages très différents de ce terme.
Les partisans de la mort choisie se réfèrent à une conception subjective ou personnelle de la dignité : la dignité est ici entendue comme un regard que l’individu porte sur lui-même en fonction de ses valeurs, de ses désirs, des relations qu’il entretient avec ses proches, regard qui peut donc varier du tout au tout d’un individu à l’autre, et subir une altération lorsque la vieillesse ou la maladie se font plus présentes, selon l’image que les autres lui renvoient. La dignité renvoie ici à une dimension normative (à une manière d’être, à la bonne image de soi que l’on présente à soi-même ou à autrui, ou au fait d’être présentable selon des normes très variables dans le temps et dans l’espace, à la décence). La dignité,c’est aussi cette vertu stoïque selon laquelle chacun doit être capable de se maîtriser, de ne pas infliger à autrui le spectacle de sa détresse.
Dans cette acception, le droit à mourir dans la dignité correspond à la prérogative qui serait celle de chacun de déterminer jusqu’où il juge acceptable que soient entamées son autonomie et sa qualité de vie. Cette demande doit avant tout être mise en rapport avec les situations objectives d’indignité qui, ainsi qu’il a été relevé plus tôt, sont le lot de trop nombreuses personnes handicapées ou dépendantes. Pour d’autres, la demande d’un « droit à mourir dans la dignité » correspond davantage à l’affirmation de l’autonomie de la personne ; elle est en fait une expression de sa liberté individuelle et de la possibilité d’opposer celle-ci à des tiers.
Dans une autre conception, qui est celle que la tradition moderne place au fondement des droits de l’homme, la dignité revêt un sens ontologique, elle est une qualité intrinsèque de la personne humaine : l’humanité elle-même est dignité, de sorte que celle-ci ne saurait dépendre de la condition physique ou psychologique d’un sujet. La dignité est entendue ici comme ce qui exprime l’appartenance de chaque personne à l’humanité, comme la marque profonde de l’égalité des individus, une réalité morale qui qualifie l’être humain dans son existence et implique des devoirs à son égard.
Le problème n’est pas de prendre parti entre ces deux usages de la notion de dignité, mais de mesurer ce que signifie leur maniement dans le débat sur la volonté de choisir le moment de sa mort. A cet égard, les différences sont très grandes.
La dignité entendue comme absolu est inaliénable – celui qui est mentalement et physiquement diminué ne la perd pas – et non quantifiable. A cet égard tous les hommes ne naissent pas seulement mais meurent « égaux en droits et en dignité » et dire que le suicide assisté ou l’euthanasie permettent, en certaines situations, une mort « plus » digne n’a pas de sens.
Chacun peut en revanche relier le sentiment qu’il a de sa dignité à des aptitudes à comprendre, réfléchir, prendre des décisions ou à une qualité de vie. Lorsqu’une personne estime que sa vie n'est plus digne d'être vécue – sentiment tout à la fois naturel, aisément compréhensible dans un certain nombre de situations, mais aussi tragique car la représentation que nous nous faisons de notre dignité est liée au regard que les autres posent sur nous – faudrait-il lui donner la possibilité de mourir prématurément ?
Le Comité souligne que les deux conceptions de la dignité expriment des significations très différentes du mot et ne s’excluent pas a priori l’une l’autre. Il souligne aussi que c’est la lutte contre les situations objectives d’indignité qui doit mobiliser la société et les pouvoirs publics : non-accès aux soins palliatifs pour tous, isolement de certaines personnes à la fin de leur vie, mauvaises conditions de vie et défaut d’accompagnement des personnes malades et handicapées rendant impossible pour elles la fin de vie à domicile. La situation la plus indigne serait celle qui consisterait à considérer autrui comme indigne au motif qu’il est malade, différent, seul, non actif, coûteux... Mais par ailleurs, le passage de la dignité-décence à la dignité-liberté qu’opèrent certains ne laisse pas intacte la dignité entendue comme garante de l’égale valeur de tous les êtres humains, quelle que soit leur condition. Regarder l’assistance au suicide ou l’injection létale par un médecin comme une réponse possible au sentiment intime d’indignité ou à la crainte de perdre sa dignité entendue comme plénitude de ses facultés, voire capacité à être suffisamment heureux et autonome, peut avoir pour conséquence de donner à des personnes vulnérables le sentiment de leur « indignité ». Et cette crainte peut aussi s’exprimer s’agissant de la possibilité qui a été donnée aux personnes malades de refuser tout traitement vital, donc de choisir de ne pas prolonger leur vie.
Il existe donc une tension certaine entre la nécessité d’accorder sa place au sentiment personnel de dignité et le risque que cette dignité soit confondue avec la dignité inaltérable qu’il appartient aux proches et aux soignants de respecter chez les personnes en état de grande vulnérabilité en leur prodiguant soutien, réconfort et affection. Au plan de la société, il faut prévenir la marginalisation de tous ceux qui sont vulnérables, soit en raison de leur santé, soit par leur difficulté, voire leur inaptitude à trouver leur place au sein de la société ou de leur entourage proche.
La culture ambiante disant assez que la valeur de l’homme tient à sa capacité d’agir, de produire et d’être rentable, ainsi qu’à sa faculté de s’épanouir, il est essentiel de ne pas perdre de vue que la dignité est aussi cette valeur inaltérable qui peut, sans l’abolir, entrer en confrontation avec la liberté individuelle.
III-2-La demande de légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté se réclame d’une vision de la liberté qui interroge le rapport entre volonté individuelle et contenu de la loi.
L’émergence des droits des personnes malades, avec leur consécration législative, a contribué à sortir les questions éthiques du confinement médical. Elle a aussi favorisé l’affirmation par chaque citoyen de ses demandes particulières partout où son corps et sa santé, ou celle de ses proches, sont en jeu.
Cette évolution s’est inscrite dans une modification assez profonde du rapport entre le « je » et le « nous » ; elle est aussi devenue l’un des moteurs majeurs de cette modification.Comme dans d’autres domaines, il s’agit de savoir jusqu’où les préférences individuelles peuvent inspirer, sur les sujets les plus intimes, de nouveaux droits-créances mobilisant la solidarité nationale.
La revendication d’un droit à une aide à mettre fin à sa vie interroge cet équilibre entre liberté de chacun et souci de l’intérêt commun tel qu’il peut faire l’objet d’un consensus démocratique.
La liberté est bien sûr la valeur qui unit les membres de notre société. Non seulement, elle est capitale du côté de la personne, mais elle est aussi au fondement de la vie de la cité. Le principe de liberté implique qu'il appartient à toute personne majeure et capable de prendre elle-même les décisions qui la concernent. Une telle personne ne saurait en principe se voir imposer un comportement déterminé au motif qu'il serait objectivement conforme à son intérêt. Chacun est seul juge de son propre intérêt, y compris en choisissant de ne pas agir en considération de son intérêt. Il ne resterait rien de la liberté individuelle si le caractère irrationnel d'un comportement le rendait illicite.
Certes, cette logique n’est pas absolue : le port obligatoire de la ceinture de sécurité, l’encadrement strict du don d’organes entre vifs sont deux exemples parmi bien d’autres des limites qui lui ont été apportées.
Néanmoins, il est désormais acquis que le droit d'une personne de recevoir des traitements ne puisse se transformer en une obligation de les subir 13. Par le passé, cette obligation a pu être regardée comme étant au premier chef une obligation à l'égard de la collectivité, obligation qui s'imposerait au médecin mais également au malade. La collectivité exerçait alors un droit sur la santé de ses membres, droit dont les médecins étaient les garants.
L’hypothèse d’une autorisation de l’aide à mettre soi-même fin à sa vie, voire d’un droit à être euthanasié va bien au-delà ; elle met en tension une conception de l’autonomie entendue comme souveraineté individuelle et ses implications à la fois personnelles et sociales.
En effet, l’euthanasie ou le suicide assisté ne sont pas seulement demandés comme une solution au sentiment d’indignité, de souffrance ou de lassitude existentielle extrême dont sont atteintes certaines personnes. Ils font aussi, à côté ou au-delà, l’objet d’une revendication de principe par certaines personnes qui souhaitent que l’autonomie devienne la référence première dans le but de ne pas laisser à la nature ou à un tiers (particulièrement au médecin) le pouvoir de décider du terme de la vie.
Un certain nombre de points ne paraissent pas faire débat. En premier lieu, la liberté signifie bien sûr la possibilité pour chaque personne de se déterminer en fonction d’une conception du bien qui lui est propre. Dès lors, le médecin doit respecter la liberté du patient, ses croyances, ses choix, ses demandes, même s’il les juge contraires à la raison ou à son intérêt (prendre des risques disproportionnés, se droguer, refuser une transfusion sanguine ou un traitement jugé nécessaire), et même si, ce faisant, il met manifestement en jeu sa responsabilité morale et sa fidélité aux valeurs qui fondent sa vocation.
En second lieu, la prudence conduit, s’agissant des personnes gravement malades ou qui subissent des inconforts lourds et divers dans leur grand âge, à tenir particulièrement compte de deux éléments : la difficulté à apprécier la liberté de jugement qui comporte toujours une part importante de subjectivité; et la possibilité que la personne décide sous l’emprise exercée par un tiers. Néanmoins, personne ne peut présumer que le libre-arbitre de la personne malade ou âgée est inexistant ou trop altéré pour juger que sa demande ne traduit pas sa volonté.
Pourtant, dans une autre conception, rattacher à l’exercice de la liberté le droit de choisir le moment et les modalités de sa mort et d’y être assisté n’est pas chose facile, pour trois raisons au moins.
Il y a, tout d’abord, le fait qu’au nom de ma liberté, je prends prise sur celle d’autrui, pour lui demander de me prêter assistance d’une manière qu’il peut juger paradoxale au regard des devoirs qu’il s’assigne au nom de la fraternité ou qui peut le heurter 14.
Ensuite, on ne peut jamais avoir la certitude que le désir d'une personne d'exercer cette liberté soit effectivement profond et constant. Les personnes qui accompagnent ou soignent des patients atteints de graves maladies ou très âgés témoignent de la variabilité extrême des demandes d’anticipation de la mort. La revendication d’une mort choisie interroge donc profondément notre conception de la liberté et du rapport qu’elle entretient avec le bien commun.
Enfin, la liberté entendue comme souveraineté de la volonté est selon certains le fruit d’une conception incomplète car oublieuse de la dimension relationnelle de tout être. Ils soulignent que ce qui est en jeu dans la fin de la vie ne relève pas seulement du désir, des droits, voire des souffrances individuels : c'est le sens du lien qui est engagé, des liens interpersonnels, mais aussi du lien social. La fin de vie ou la maladie sont pour beaucoup un moment où le besoin d’être en lien avec d’autres est important. Ce peut être un moment de souffrance, mais aussi un temps d’émotions, un temps essentiel de passation, d’échange de paroles ou d’histoires familiales, de gestes ... Un moment pour tenter de penser notre condition d’êtres humains, celle d’individus singuliers appartenant pleinement à un groupe social.
13 L’avis n° 87 du CCNE du 14 avril 2005, « Refus de traitement et autonomie de la personne », comporte une annexe consacrée à l’histoire des droits et de l’autonomie de la personne qui explique où et pourquoi cela n’a pas toujours été le cas.
14 C’est déjà vrai pour l’arrêt de traitement, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, mais aussi pour l’IVG, l’interruption médicale de grossesse, la destruction des embryons surnuméraires, le diagnostic pré-implantatoire etc. Ce n’est donc pas un problème spécifique à l’assistance au suicide, même s’il y est peut-être plus aigu.
Source : CCNE
I- La fin de vie a fait l’objet depuis quinze ans d’une attention forte de la part du
législateur.
La question de la fin de vie avait longtemps été traitée en creux par le droit, qui complétait la prohibition de l’homicide par des dispositions du code de déontologie demandant au médecin de « s’abstenir de toute obstination déraisonnable ». Elle a fait depuis une quinzaine d’années l’objet de nombreuses interventions de la part du législateur qui, si elles ne renouvellent pas fondamentalement les principes qui résultaient des dispositions du code de déontologie ou de la jurisprudence, ont eu un impact très fort, même si l’on déplore leur application encore lacunaire. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie représentent, de fait, des étapes majeures dans l’affirmation des droits des personnes malades et la prise en compte des enjeux complexes de la fin de vie. Leur élaboration a donné lieu à des débats approfondis ; et les témoignages des professionnels de santé montrent qu’elles ont eu un impact profond, notamment en milieu hospitalier, et permis une approche plus respectueuse des personnes en fin de vie. La loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, a en particulier eu l’effet d’un signal conduisant nombre de services à s’interroger sur leurs pratiques à la lumière des principes qu’elle affirmait ou réaffirmait avec solennité.
Ce changement de perspective n’est toutefois pas perçu pour ce qu’il est par nos concitoyens et qui est encore loin d’avoir produit tous ses effets dans le monde médical.
I-1- Les personnes soignées sont aujourd’hui titulaires de nombreux droits.
La loi du 9 juin 1999 sur les soins palliatifs a garanti le droit à l’accès aux soins palliatifs à toute personne malade dont l’état le requiert ; c’est un droit qu’elle ou ses proches peuvent faire valoir en justice. Et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a donné à toute personne malade le droit à un choix libre et informé dans les domaines concernant sa santé.
A ces droits des personnes malades répondent des devoirs des médecins.
En son état actuel, l'éthique médicale fait trois devoirs au médecin: celui de soulager la souffrance, celui de s'interdire toute obstination déraisonnable, celui de respecter la volonté du patient; ces devoirs se trouvaient énoncés de longue date et avec une parfaite clarté aux articles 36,37 et 38 du code de déontologie médicale avant d'être réaffirmés par les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005.
Le premier de ces devoirs, alléger la souffrance, implique en particulier le développement des soins palliatifs auquel la loi de 2005, par les débats qu'elle a suscités, a donné un véritable élan.
La volonté de soulager la douleur et la souffrance autorise, dans le dernier état de la législation, l'usage de techniques ou de produits dont un des effets, secondaire et indirect pourrait être d'entraîner la mort. La loi intègre ainsi ce qu’il est convenu de nommer la « théorie du double effet », qui a donné lieu à beaucoup de discussions : un risque est considéré comme justifiable si le bénéfice de l’acte qui l’a produit est supérieur à ses effets secondaires, si ses effets secondaires ne sont pas provoqués pour eux-mêmes, mais ne sont que des conséquences indirectes et involontaires de l’acte, même s’ils sont prévisibles, et, enfin, si on ne peut pas faire autrement pour prendre soin et soulager le patient.
Le deuxième devoir, celui de s'abstenir de « toute obstination déraisonnable » a été repris dans les termes du code de déontologie médicale; la loi de 2005 a, néanmoins, prévu la possibilité d'éviter les traitements lorsque ceux-ci apparaissent inutiles ou disproportionnés. Si elle devrait théoriquement aller de soi, cette obligation se heurte en pratique à la complexité de certaines situations, ainsi qu’à la difficulté de renoncer, pour le médecin comme pour le malade et ses proches. Cette difficulté peut aussi être mise en relation avec le fait qu’il existe deux catégories très différentes de traitements « inutiles ou disproportionnés » qui tendent être confondues : d’une part, ceux que la médecine a évalué objectivement comme tels et, d’autre part, ceux que la personne malade considère comme inutiles, disproportionnés ou déraisonnables. Dans le premier cas, il s’agit d’une norme ; dans le second cas il s’agit de la perception et du choix de la personne malade.
La loi du 22 avril 2005 a en outre indiqué que pourrait être déraisonnable une survie artificiellement organisée, ce qui est une explicitation du principe. Un point important est à noter : dans sa définition même, l'interdiction de l'obstination déraisonnable autorise, voire impose si nécessaire, des gestes et des actes (arrêter un dispositif par exemple) qui, par eux- mêmes, contribueront à provoquer directement la mort; elle va donc bien au-delà de ce qu'implique la seule volonté de soulager la souffrance.
La loi a aussi modifié l’équilibre que traduisait le code de déontologie, en ouvrant au médecin la possibilité de prendre lui-même une décision d’arrêt ou de limitation de tout traitement à l’égard des patients « hors d’état d’exprimer leur volonté » : cette décision devant être précédée d’une discussion dans le cadre d’une procédure collégiale, prenant en compte « les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée, ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches ».
Le troisième devoir est celui qui a reçu les réaffirmations les plus formelles des deux lois de 2002 et 2005: toute personne prend, avec les professionnels de santé « les décisions concernant sa santé ». Le médecin doit respecter « la volonté de la personne de refuser tout traitement »; si ce refus met sa vie en danger, le médecin doit tenter de la convaincre d'accepter des soins et en tout cas assurer « la qualité de sa fin de vie », la loi de 2005 répétant encore que c'est la personne elle-même qui « décide de limiter ou d'arrêter tout traitement » qu’elle juge déraisonnable et de s’engager ainsi, le cas échéant, volontairement dans un processus de fin de vie.
Comme le précédent cet article a une grande importance sur le plan éthique: comme le précédent il implique, en effet, pour respecter la décision ainsi prise par le patient, non seulement de mettre un terme aux traitements et à la nutrition et l’hydratation artificielles (le "laisser mourir") mais de faire au besoin des gestes extrêmes, tels que débrancher un appareil, qui sont de nature à provoquer la mort.
L'apport des lois de 2002 et 2005 est important, enfin, en ce qui concerne les protections et les procédures pour les patients qui sont hors d’état d’exprimer leur volonté: Le médecin doit respecter la procédure collégiale, rechercher et prendre en compte les directives anticipées éventuelles et recueillir l’avis de la personne de confiance (si elle a été désignée) ou à défaut la famille ou les proches. Le médecin doit limiter ou arrêter un traitement si celui–ci est jugé « inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». La décision motivée doit être inscrite dans le dossier du patient.
Depuis l’avis n° 63 du CCNE, les droits de la personne malade en fin de vie se sont donc fortement développés.
Si la personne ne peut revendiquer un traitement si celui-ci n’est pas pertinent par rapport aux données scientifiques, elle est en mesure de refuser un traitement pertinent, même si cela accélère son décès. Elle peut rédiger des directives anticipées valables trois ans et modifiables à tout moment pour le cas où elle deviendrait incapable d’exprimer sa volonté. Le médecin, tenu de s’enquérir de leur existence, en tient compte si la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté. Mais il ne s’agit pas vraiment de directives : elles n’ont pas de valeur contraignante et, aujourd’hui, aucun formalisme particulier n’entoure leur recueil et leur conservation.
Enfin, toute personne majeure peut désigner une personne de confiance – parent, proche ou médecin traitant – qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir l'information nécessaire à cette fin. Son avis prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées.
Cet ensemble de textes, encore mal connu du grand public et insuffisamment connu des praticiens, a eu des échos certains hors même de nos frontières. Il est d'une indéniable cohérence. En particulier, la loi du 22 avril 2005, adoptée à l’unanimité par le Parlement, a inspiré la législation de nombreux pays.
I-2- Néanmoins, cette loi pose un certain nombre de questions d’interprétation.
Les premières tiennent à la solidité de la distinction entre « laisser mourir » et « faire mourir » sur laquelle elle se fonde. Cette distinction est parfois très ténue. Pour le patient ou ses proches, la différence concrète, en phase terminale d’une affection grave et incurable entre, d’une part, l’arrêt des traitements jugés déraisonnables, susceptible d’accélérer la survenue de la mort, associé à des traitements palliatifs – dont celui de la douleur comportant éventuellement un double effet – et d’autre part, l’administration d’un produit dans le but de donner la mort à la demande du patient (acte d’euthanasie) peut poser question au plan éthique à deux niveaux.
Quelques heures ou quelques jours de vie supplémentaire, dans un état psychique proche du coma ont-ils un sens ? Certes, dans le premier cas (arrêt des traitements jugés déraisonnables), l’intention première est de soulager la douleur ou la souffrance et dans le second, l’intention est de mettre fin à la vie. Dans les faits, arrêter un traitement vital ou administrer un traitement dont l’effet secondaire peut contribuer à l’accélération de la survenue de la mort a la même conséquence qu’administrer un produit létal. Ce qui est alors important n’est pas tant d’interroger l’intention - l’intention réelle étant bien difficile à appréhender - que de poser l’exigence d’une fin de vie la moins inconfortable possible, la plus respectueuse possible de la personne et de ses proches. Entre ces deux circonstances, la temporalité diffère avec une mort qui survient plus lentement et a priori paisiblement dans les suites d’arrêt de traitements jugés déraisonnables – à condition que les traitements palliatifs et l’accompagnement des proches y concourent – que lors d’un suicide assisté ou d’une euthanasie.
Néanmoins, aujourd'hui, la question se trouve posée de savoir si le patient serait en droit d'exiger de recevoir des traitements susceptibles d’accélérer la survenue de sa mort, qui sont laissés à la décision du médecin voir des traitements provoquant la mort.
La présentation des acquis de la législation tend en fait à mettre l’accent sur ce qui est le plus consensuel : le soulagement de la souffrance au risque de l’anticipation du décès et de la perte de conscience. Mais elle ne doit pas conduire à perdre de vue que le « laisser-mourir » au sens de la loi Leonetti, ce n’est pas simplement laisser la nature faire son œuvre, c’est une notion complexe, aux frontières parfois peu évidentes, qui implique une tâche difficile, un accompagnement, qui mobilise beaucoup de moyens et qui demande de multiples arbitrages pour déterminer au plus juste ce qu’il faut arrêter ou ne pas arrêter, limiter ou ne pas entreprendre, administrer et à quelles doses.
Par ailleurs, il est évident que si cette loi, présentée aujourd’hui comme un point d’équilibre, a favorisé, d’après le témoignage de nombreux soignants, la résorption d’actes d’euthanasie active encore pratiqués dans un huis-clos médical, elle a aussi déplacé les limites de ce qui est communément admis comme acceptable : ont basculé dans ce champ, au gré des évolutions législatives successives, l’interruption de traitement demandée par le patient, y compris, selon le comité 15, l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielle 16, ou l’administration d’antalgiques ou de sédatifs puissants, susceptibles d’accélérer la survenue de la mort.Si les soins palliatifs s’imposent, il serait toutefois illusoire de penser qu’ils peuvent répondre à toutes les situations de souffrance et qu’ils feront disparaître toute demande de mort volontaire. Les soins palliatifs ne dispensent donc pas du débat: conçus pour soulager les difficultés et les inconforts de la fin de vie, ils ne disent et ne peuvent rien dire en eux-mêmes sur la légitimité ou non d'anticiper cette mort.
15 Avis N°87 du CCNE « Refus de traitement et autonomie de la personne » (2005).
16 A la différence de faciliter le fait de manger et de boire, considéré comme un soin, la nutrition et l’hydratation artificielles (par perfusion veineuse ou sonde entérale) sont considérées comme des traitements dont il convient d’avoir l’accord auprès de la personne malade.
Source : CCNE
II- Progresser sur le plan de la connaissance et de l'application de la loi : un très vaste chantier
Restant méconnue17, la loi du 22 avril 2005 n'a pas fait l'objet d'une appropriation assez large par les acteurs de santé : alors même qu'elle réaffirme pour partie des principes anciennement établis, son impact, très fort dans nombre de services hospitaliers, ne se fait guère sentir dans d'autres, ni en dehors de l'hôpital, sans doute en raison de la modification profonde des pratiques médicales et des rapports entre les médecins et la personne malade que requiert sa pleine et entière mise en œuvre.
La question de l'information donnée au malade et à ses proches, à la fois sur la pertinence des traitements curatifs et sur les stratégies d'accompagnement palliatives, devient cruciale. Or il n'est pas facile de trouver le juste milieu entre devoir d'information pour que le malade puisse exprimer son avis et devoir de tact et mesure, de ne pas asséner des vérités difficiles à entendre. C'est pourtant là le cœur même du processus de choix libre et informé, qui est l'un des fondements de la démarche éthique médicale moderne.
Enoncer et recueillir des directives anticipées n'est pas simple : il s'agit pour le soignant comme pour la personne malade d'anticiper le pire, d'envisager l'hypothèse d'une guérison impossible, d'une fin de vie difficile.
Mettre en place une procédure collégiale n'est pas habituel dans la pratique médicale où l'on a appris en général à décider seul.
Le CCNE remarque toutefois qu'il n'est guère surprenant que la loi - alors qu'elle est appelée à renouveler profondément la prise en charge des patients en fin de vie - soit méconnue, peu ou mal appliquée dès lors que son adoption n'a pas été accompagnée par une politique adéquate de formation des professionnels de santé et que l'information (à l'initiative des pouvoirs publics, mais aussi des media) n'en a pas permis une appropriation suffisante par les citoyens.
Si les patients ou leurs proches ignorent largement l'état du droit, c'est encore plus vrai des personnes que les circonstances de la vie n'ont pas encore confrontées à la maladie grave et à la fin de vie.
La majorité de ceux qui revendiquent la légalisation du suicide assisté ou de l'euthanasie, le font à partir de témoignages personnels : souvent, ils ont vu mourir un proche dans des conditions insupportables ou prolongées de souffrance physique ou psychique, d'isolement, de déchéance corporelle ; à partir de là ils ont décidé de refuser une fin comparable pour eux-mêmes ou un autre proche. Les soins palliatifs n'ont pas été prodigués, ou ils ne l'ont pas été d'une manière satisfaisante. La crainte d'une médicalisation excessive de la fin de vie et le refus d'un maintien artificiel et prolongé des fonctions vitales alimentent donc certaines positions sur l'euthanasie, comme l'avait souligné le CCNE dans son avis n° 63 et, à nouveau, dans son avis n°108 du 12 novembre 2009 sur les questions éthiques liées au développement et au financement des soins palliatifs.
Il est alarmant que ces situations « d'indignité imposée » demeurent fréquentes et que la question de l'équité de la prise en charge des personnes en fin de vie sur le territoire reste, quatorze ans après l'adoption de la loi garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs et huit ans après l'adoption de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, aussi prégnante, même si des progrès importants ont été accomplis.18
Certes, les soins palliatifs se sont beaucoup développés en France depuis quinze ans. Mais c'est essentiellement à l'hôpital qu'ils ont été rendus possibles et particulièrement dans les services de soins « aigus ». Il est indispensable de réaliser rapidement des progrès importants s'agissant des soins de suites et dans les unités de soins de longue durée, ainsi que dans les établissements médico-sociaux, même si un véritable travail est engagé dans les établissements pour personnes âgées dépendantes.
C'est finalement au domicile que les soins palliatifs se sont le moins développés. Comme le souligne le deuxième rapport de l'Observatoire national de la fin de vie, la France est l'un des pays d'Europe dans lesquels on meurt le moins souvent chez soi. Aujourd'hui, on meurt beaucoup plus souvent à l'hôpital qu'au domicile. En 2008, 58 % des décès se sont produits à l'hôpital, 27 % à domicile et 11 % en maison de retraite. Pourtant, tous les sondages montrent que les Français souhaiteraient très majoritairement finir leur vie dans le lieu qui leur est le plus familier : leur domicile19.
17 Lors de l'évaluation conduite en 2008 de la loi du 22 avril 2005, mais aussi dans le 1er rapport de l'Observatoire national de la fin de vie en 2012 et lors de la publication des résultats de l'étude menée par l'INED sur les décisions médicales en fin de vie.
18 Au plan hospitalier, on disposait fin 2011 de 117 unités de soins palliatifs (1314 lits), de 5057 lits identifiés de soins palliatifs (il s'agit de renforts de moyens en personnel et en formation dans des services où la question de la fin de vie est prégnante) et de 418 équipes mobiles de soins palliatifs – dispositif essentiel pour développer la culture palliative des équipes soignantes confrontées à des situations difficiles en fin de vie, dans les établissements de santé mais aussi les structures médico-sociales où se produisent un grand nombre de décès.
19 Vivre la fin de vie chez soi. Rapport 2012 de l'Observatoire national de la fin de vie, Paris, La Documentation Française, 2013.
Source : CCNE
III- Des améliorations s'imposent donc
Le présent avis ne développera pas la question de la formation des professionnels de santé et de la recherche pluridisciplinaire sur la fin de vie ; sur ce point, il fait siennes les recommandations de la commission Sicard, rappelées en annexe 3. Il se réfère également, s'agissant des démarches et des réformes nécessaires pour rendre possible et souhaitable la fin de vie au domicile, au rapport de l'Observatoire national de la fin de vie pour 2012, intitulé « Finir sa vie chez soi ».
Trois séries d'améliorations semblent devoir être apportées : redéfinir les conditions d'une délibération interdisciplinaire collégiale ; repenser la vocation et la valeur des directives anticipées ; réévaluer la pratique de la sédation en phase terminale.
III-1- Passer d'une procédure collégiale à une délibération collective et interdisciplinaire.
Les textes réservent aujourd'hui ce qui est nommé « procédure collégiale » aux situations relatives aux patients « hors d'état d'exprimer leur volonté ». Certes, le champ de cette procédure collégiale a été élargi à la suite du rapport de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie de novembre 2008 20: le médecin doit s'y soumettre non seulement si lui-même envisage une décision de limitation ou d'arrêt d'un « traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne », mais aussi au vu des directives anticipées du patient, présentées par tout détenteur de celles-ci, ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou à défaut des proches.
Le CCNE estime que la collégialité doit être mobilisée plus largement encore et avec plus de rigueur pour toute décision qui engage la fin de vie. La manière dont elle est pensée et mise en œuvre, mais aussi les circonstances dans lesquelles elle joue doivent être précisées.
Cette « procédure collégiale » doit s'ouvrir systématiquement à la personne malade (avec l'attention et les précautions que peuvent exiger les particularismes culturels et psychologiques), même si l'expression de sa volonté est altérée du fait de sa condition, ou à défaut à sa personne de confiance, à sa famille 21 ou à ses proches.
Tout doit être mis en œuvre pour que la personne puisse décider ou, si elle ne le peut pas, puisse participer à la délibération.
La « procédure collégiale » doit ensuite évoluer dans le sens d'une plus grande exigence de rigueur. Plutôt que d'une procédure, il doit s'agir d'un processus de délibération collective entre personnes ayant des avis argumentés différents ; son but est d'éliminer, par le fait même de les exposer à autrui, les raisons d'agir qui seraient non pertinentes (fatigue de l'équipe, émotion envahissante, gestion du personnel, manque de moyens).
Cette délibération collective ne doit pas se limiter à un échange entre membres d'un collège de médecins. Elle doit être interdisciplinaire ou méta-disciplinaire. Une large place doit également être faite aux professionnels non médicaux concernés par la prise en charge de la personne.
En particulier, la nécessité d'une délibération collective doit pouvoir être décidée par les professionnels non médicaux concernés par la prise en charge de la personne.
A ce jour elle ne peut être décidée que par le médecin, de lui-même ou au vu des directives anticipées du patient, présentées par tout détenteur de celles-ci, ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou à défaut des proches.
Ce processus de délibération collective s'impose au-delà des situations dans lesquelles la personne n'est pas en état d'exprimer sa volonté : il est nécessaire avant toute décision de mise en œuvre d'une sédation et dans toute situation de grande incertitude, quels que soient le lieu et les conditions de la prise en charge de la fin de vie.
La mise en œuvre de cette délibération collective devrait enfin faire partie intégrante de l'évaluation des établissements de santé. Elle devrait être valorisée en tant qu'action « performante ».
20 Article 37 du code de déontologie médicale modifié. Article R. 4127-37du code de la santé publique. Décret du 29 janvier 2010 relatif aux conditions de mise en œuvre des décisions de limitation ou d'arrêt de traitement.
21 Une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, en date du 11 mai 2013, relative à une situation de fin de vie au Centre hospitalier universitaire de Reims, pose à cet égard la question de la place et de la valeur des avis – éventuellement divergents – des différents membres de la famille et des diligences auxquelles doit se soumettre le médecin avant de prendre une décision.
Source : CCNE
III-2- Repenser la vocation et la valeur des directives anticipées.
Quelle que soit leur forme ou leur appellation, qui varient selon les pays – directives anticipées, mandat de protection future, testament de vie ou encore procuration donnée à un tiers – les souhaits précédemment exprimés peuvent aider les patients à « participer sans être présents » aux discussions qui précèdent les décisions relatives aux soins et traitements qui leur sont dispensés en fin de vie.
Les « directives anticipées », formulées par écrit, représentent probablement le moyen reflétant le plus directement la volonté de la personne concernée, au moment où elle les a formalisées.
Leur utilisation demeure très confidentielle : selon une étude récente de l'INED22, les directives anticipées concernent 1,8% des patients pour lesquels une décision de fin de vie a été prise alors qu'ils n'étaient « plus en capacité de participer à la décision ». Cela pose très clairement la question de l'appropriation de cette pratique, à la fois par les patients et par les professionnels de santé.
Prenant en compte les propositions émises sur ce sujet par la Commission de réflexion sur la fin de vie en France "Penser solidairement la fin de vie", le Comité& a développé sa réflexion à deux niveaux.
III-2-1- Contexte, contenu, modalités de recueil et de conservation de ces directives.
La première réflexion a trait au moment de leur rédaction. En effet, quelle est la valeur de directives rédigées alors que la personne, ayant certes toutes ses capacités, n'est pas entrée ou entre à peine dans la maladie ?
Le CCNE estime que deux types de directives anticipées sont possibles selon les circonstances.
Un premier type, qu'il conviendrait plutôt de nommer « déclarations anticipées de volonté », que toute personne, malade ou pas, songeant à sa fin de vie serait invitée à rédiger. Elles seraient destinées à l'inciter non pas à anticiper sa mort, mais plutôt à réfléchir à sa propre fin de vie : pourraient y être exposés ses souhaits en termes de lieu de vie ou de mode de prise en charge.
Le second type répond à la situation d'une personne atteinte d'une maladie grave ou potentiellement létale. La valeur intrinsèque des « directives anticipées » est différente : elles constituent un véritable outil de dialogue avec le malade. Il est alors essentiel que, pour leur rédaction, un accompagnement par un professionnel de santé soit proposé à la personne intéressée, afin d'aborder ce temps très délicat avec tact et mesure et d'aider à l'élaboration du document dans le but de garantir son effectivité. Ces « directives anticipées » permettraient d'anticiper les décisions qui devront être prises, compte tenu de l'évolution de la maladie et des différentes options qui s'ouvriront. Leur intérêt, à la fois pour le malade et pour le médecin, est ainsi manifeste dans certaines maladies chroniques ou dégénératives.
Dans ce second type, le périmètre et le contenu des directives anticipées doivent être bien mesurés : trop précises, elles ne laissent pas de place à l'interprétation médicale en vue de leur adaptation ; trop générales, elles ne permettent pas de s'assurer que la volonté exprimée répond à la situation. Elles ne peuvent cependant porter que sur des possibilités autorisées par la loi. Elles devraient au moins pouvoir concerner des choix de traitements à mettre en œuvre, mais aussi les éventuelles demandes de limitation ou d'arrêt de traitement dans certaines situations prédéfinies. En outre, elles devraient pouvoir aborder d'autres questions pour la fin de vie : organisation des soins, conditions et lieu de vie.
Quel que soit, par ailleurs, le régime juridique applicable, pour être prises en compte et effectives, les directives anticipées doivent répondre à certaines conditions de validité : authentification de l'auteur, de la capacité juridique de celui-ci, précision du contenu, notamment.
Se pose également la question de leur durée de validité, actuellement limitée à trois années et des modalités de leur réitération éventuelle. Le renouvellement périodique et une durée de validité limitée permettent de rester proche de la réalité. Toutefois, dans les affections comme la maladie d'Alzheimer, au cours desquelles l'altération des capacités cognitives de la personne peut être lente et aller en s'aggravant, il faut pouvoir se référer à des déclarations exprimées très en amont, avant que la situation cognitive du patient ne se soit détériorée, le mettant dans l'impossibilité de réitérer valablement sa volonté.
Enfin, elles devraient être rendues accessibles en temps utile pour le médecin, ce qui impose de s'interroger sur le lieu et les modalités de leur conservation. Elles devraient autant que possible être également confiées au médecin traitant, à la personne de confiance, intégrées au dossier médical personnel informatisé, voire enregistrées dans un registre national.
III-2-2- Opportunité de doter les directives anticipées d'un caractère contraignant
Peut-on être sûr que les directives anticipées écrites par une personne atteinte d'une maladie grave expriment sa volonté libre et éclairée ? On ne saurait toutefois déduire de son état son incapacité totale à dire ses préférences. Par contre, quelle valeur accorder à des déclarations anticipées de volonté rédigées par une personne ayant des troubles cognitifs débutants ?
Le Comité estime que l'on ne peut renforcer la valeur accordée aux directives anticipées sans accepter d'évaluer la capacité de la personne malade au moment de la rédaction de ses volontés. Evaluer l'autonomie de la personne signifie vérifier sa capacité de compréhension, sa capacité d'appréciation, sa capacité de raisonnement, sa capacité d'expression et de maintien du choix ou de sa volonté. Il conviendrait qu'un document écrit du médecin atteste de la fiabilité des directives ...
Est-il souhaitable que la déclaration anticipée de volonté soit juridiquement contraignante au moment où se pose la question d'un risque d'obstination déraisonnable ?
Dans certains pays, les directives anticipées s'imposent au médecin et font porter la responsabilité de la décision sur la personne malade ; elles n'y sont pas nécessairement plus répandues pour autant. Dans d'autres systèmes, elles n'ont pas de force obligatoire pour le médecin et ne sont alors considérées que comme une indication des souhaits de la personne au moment de leur rédaction, qu'à ce titre le médecin prend en compte, mais sans être lié par elles. Il en va ainsi en France : le médecin conserve un pouvoir d'appréciation au regard de la situation concrète et de l'éventuelle évolution des connaissances médicales au moment où la décision doit être prise ; le médecin porte la responsabilité de la décision – d'où l'intérêt d'un processus de délibération collective tel que défini dans le paragraphe précédent avant toute décision. Si les déclarations anticipées indiquent la volonté de la personne au moment de leur rédaction, elles ne préjugent pas de l'évolution de cette volonté au cours de l'évolution de la maladie - évolution régulièrement constatée chez les personnes restant capables de l'exprimer. Or, plus la personne malade se rapproche de la fin de sa vie, plus on observe qu'elle est susceptible de changer d'avis et de réviser ses directives anticipées. En tout état de cause, le caractère révocable des directives anticipées est admis par tous.
L'Allemagne23 offre un exemple particulièrement intéressant. La loi y permet au patient, pour le cas où il ne serait pas en mesure de l'exprimer, de prévoir par écrit les traitements qu'il autorise et ceux qu'il refuse, alors même qu'au moment où il exprime sa volonté, aucun traitement ou intervention n'est envisagé. Sur le fondement de cet écrit, l'assistant ou le mandataire du malade est chargé de vérifier, lorsque celui-ci n'est plus en état d'exprimer sa volonté, si les dispositions qu'il a prises correspondent à ses conditions actuelles de vie et de traitement. Si tel est le cas et si rien ne laisse supposer le revirement du patient, le représentant fait connaître cette volonté et veille à son respect par l'équipe médicale, sachant que cette règle s'applique indépendamment de la nature et du stade de la maladie de l'assisté. Si la disposition que le malade a prise ne correspond pas à ses conditions actuelles de vie et de traitement, l'assistant doit déterminer les vœux de traitement ou la volonté présumée de l'assisté et décider sur cette base si la mesure médicale doit être autorisée ou spécifiée, sachant que cette règle s'applique aussi au cas où il n'existe pas de disposition prise par un malade. Ainsi, lorsque les souhaits manifestés sont par trop éloignés des circonstances réellement vécues par la personne malade, les directives anticipées perdent leur caractère contraignant. C'est alors l'analyse de la volonté présumée de la personne qui prend le relais, la loi précisant que les souhaits du patient doivent être recherchés à partir de données concrètes telles que les déclarations écrites ou orales qu'il a pu faire ou ses convictions éthiques ou religieuses.
Pour concilier plus encore le respect de la volonté du patient et le respect de la liberté du médecin, pour permettre à tous nos concitoyens qui le désirent de préparer la fin de leur vie afin de préserver ce qui leur semble essentiel, pour eux ou les leurs, et pour contribuer à une discussion en amont sur la fin de la vie et la place de la médecine, la valeur des directives anticipées devrait, selon le Comité, être renforcée, dès lors que les modalités de leur recueil et leur contenu répondent à certaines conditions. Il est à l'évidence difficile d'imaginer que l'inanité qui frappe actuellement cet outil dans notre pays puisse disparaître si leur respect n'est pas mieux garanti.
A tout le moins, il serait nécessaire que tout non-respect des déclarations anticipées de volonté en impose une justification écrite, faisant référence à la teneur de la délibération collective conservée au dossier médical.
III-2-3- Propositions
Le Comité estime que les pouvoirs publics doivent engager une nouvelle étape en faveur de cet outil important que peuvent être les directives anticipées. C'est probablement parce que la possibilité de rédiger des directives anticipées est évoquée trop tard et qu'elles sont dépourvues de valeur contraignante qu'elles ne sont le plus souvent pas formulées. Les directives anticipées sont pourtant un acte de responsabilité et elles méritent plus de considération.
- Il serait souhaitable d'inciter toute personne, malade ou pas, songeant à sa fin de vie à rédiger des « déclarations anticipées de volonté » pour exposer ses souhaits en termes de lieu de vie ou de mode de prise en charge.
- Toutes les personnes atteintes d'une maladie potentiellement grave devraient être informées par leur médecin traitant de la possibilité de rédiger de véritables directives anticipées. A cet égard, une réflexion interdisciplinaire précise doit être engagée pour mettre au point, à partir des exemples étrangers les plus probants, un formulaire-type, qui ne serait pas exclusif mais permettrait à chacun d'engager une réflexion personnelle.
- Pour que les directives anticipées constituent un véritable outil de dialogue, toute personne atteinte d'une maladie grave ou qui intègre un EHPAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) doit bénéficier le plus tôt possible dans le cours de sa maladie, de l'accompagnement d'un professionnel de santé pour en rédiger si elle le souhaite. Ces directives permettraient d'anticiper les décisions à prendre en cas d'évolution défavorable de la maladie, aussi bien pour le choix de traitements que pour ceux concernant l'organisation des soins ou du lieu de vie.
- Dans les deux cas, les directives anticipées doivent être intégrées au dossier médical personnel informatisé, voire enregistrées dans un registre national. Les règles limitant leur durée de validité pourraient être assouplies à la faveur de mesures propres à inciter à leur réitération dans un délai raisonnable.
Lorsque des directives anticipées existent, elles devraient être présumées avoir valeur obligatoire pour les professionnels de santé. Cette présomption relative à leur caractère contraignant ne cèderait que dans trois circonstances : l'urgence rendant impossible leur prise en compte, l'inadaptation des directives à la situation clinique du patient ou des témoignages suffisamment précis, étayés et le cas échéant concordants des proches du malade indiquant que les directives ne correspondent plus au dernier état de sa volonté.
Dans ces trois hypothèses, le non-respect des directives devrait obligatoirement faire l'objet d'une motivation écrite versée au dossier médical du malade. Même dans certaines situations d'urgence, en effet, la prise en compte des directives anticipées est possible ; elle peut notamment permettre d'orienter la prise en charge du patient – on peut songer à une personne porteuse d'une SLA24 qui a demandé à ne pas être intubée.
22 Pennec S, Monnier A, Pontone S, Aubry R. "End-of-life medical decisions in France: a death certificate follow-up survey 5 years after the 2005 Act of Parliament on Patients' Rights and End of Life". BMC Palliative care 2012; 11 (25) ; enquête réalisée en collaboration avec l'Observatoire national de la fin de vie.
23 Dominique Thouvenin : « La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, dite loi Leonetti : la médicalisation de la fin de vie », paru in " Fin(s) de vie – Le débat ", coordonné par Jean-Marc Ferry, PUF, 2011, p.303-368.
24 La sclérose latérale amyotrophique (SLA), également appelée maladie de Charcot, est une maladie neuro-dégénérative provoquant une paralysie progressive de l'ensemble de la musculature striée.
Source : CCNE
III-3- Réévaluer la pratique de la sédation en phase terminale
« La sédation est la recherche, par des moyens médicamenteux, d'une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu'à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d'une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation lui ont été proposés sans permettre d'obtenir le soulagement escompté »25.
La sédation peut être intermittente ou continue. La sédation profonde et continue est celle qui pose le plus de questions et un grand nombre d'auteurs26 s'accordent pour la réserver aux seuls patients à pronostic létal à court terme, de l'ordre de « quelques heures à quelques jours », c'est-à-dire à ceux qui sont « en phase terminale », au sens que les professionnels du soin s'accordent à donner à cette expression.
Les situations et les types de décisions relatives à la sédation ne sont pas homogènes et les interrogations éthiques sont plus importantes lorsque la situation clinique se situe en amont de la phase terminale, lorsque la nature réfractaire27 des symptômes n'est pas clairement définie ou lorsque la souffrance est essentiellement d'ordre psychique. Elles sont également délicates lorsque la sédation accompagne la limitation ou l'arrêt d'un traitement maintenant une fonction vitale, ou l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation artificielle.
En effet, les traitements sédatifs, utilisés à des fins de soulagement, diminuent la vigilance voire la conscience, altèrent les processus cognitifs et la communication, ce qui peut être regardé comme contraire au but espéré par les patients qui bénéficient de soins palliatifs. Mais dans d'autres cas, cette altération de la conscience est au contraire souhaitée. Il en va notamment ainsi pour des maladies dans lesquelles la mort peut intervenir de manière particulièrement douloureuse, angoissante ou éprouvante pour la personne ou pour ses proches (mort par asphyxie en cas de SLA par exemple).
Les effets possibles de la sédation administrée en phase terminale justifient pour le Comité que sa mise en oeuvre relève – à l'instar des décisions de limitation ou d'arrêt d'un traitement maintenant une fonction vitale - d'une délibération collective associant dans toute la mesure du possible le patient, ce qui n'est pas aujourd'hui toujours le cas.
Au-delà, le Comité s'est interrogé sur la nécessité d'une modification de la loi visant à permettre qu'une sédation continue jusqu'au décès, demandée par un patient, puisse s'imposer au médecin. Pour le Comité, la question parait se présenter sous un jour très différent selon quatre situations cliniques.
1) Personnes malades en phase terminale d'une affection grave et incurable, capables d'exprimer leur volonté.
Il semble légitime que la personne malade dont la situation associe un pronostic létal à court terme et un risque vital immédiat (hémorragie cataclysmique, notamment extériorisée, de la sphère ORL, pulmonaire ou digestive), ou une détresse respiratoire asphyxique (sensation de mort imminente par étouffement avec réaction de panique), puisse bénéficier de la mise en oeuvre d'une sédation continue jusqu'à son décès.
Lorsqu'un patient en phase terminale présente un symptôme réfractaire ou une souffrance jugée réfractaire, le Comité estime qu'une « préférence pour la conscience » ne peut lui être imposée et sa demande doit être satisfaite. Mais il relève que cette décision ne peut être que subsidiaire : il convient, dans ces circonstances, de laisser un temps suffisant au malade, en amont de la phase terminale, pour qu'il soit ferme dans son choix et aux médecins pour qu'ils explorent les possibilités d'améliorer les traitements, éventuellement en prenant un avis spécialisé. Une délibération collective, telle que définie plus avant dans ce texte, est bien entendu requise dès lors que la demande du patient paraît suffisamment ferme et éclairée. Ce temps doit permettre à chacun d'évaluer si la réponse à la demande du patient doit plutôt prendre la forme d'une sédation légère destinée à rendre supportable les inconforts et à permettre un certain degré de communication ou de contact avec les proches ou, selon la volonté de la personne malade, d'une sédation plus profonde et prolongée jusqu'au décès. C'est également au cours de cette délibération collective que sera discuté l'arrêt de tout traitement susceptible de contribuer à maintenir en vie de façon jugée indue ou artificielle
Dans ces deux hypothèses – sédation légère ou sédation profonde – ce sont l'affection grave et incurable de la personne, mais aussi l'arrêt des éventuels traitements contribuant au maintien en vie qui sont la cause du décès de la personne. La sédation continue ne provoque pas la mort de la personne mais relève du seul souci de ne pas laisser un symptôme ou une souffrance jugés insupportables envahir le champ de la conscience de la personne à la toute fin.
2) Personnes en phase terminale incapables d'exprimer leur volonté
Le même raisonnement que celui développé ci-dessus s'impose. Le Comité estime qu'il faut tenir compte aussi strictement que possible des signes perceptibles de souffrance qu'exprime la personne et des éventuelles directives anticipées si elles contiennent une demande de sédation continue jusqu'au décès et si elles sont adaptées à la situation dans laquelle se trouve la personne. L'avis de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches, sera évidemment à prendre en compte.
3) Personnes atteintes d'une affection grave et incurable, qui ne sont pas en phase terminale et qui sont inconscientes ou incapables d'exprimer leur avis, et chez qui les traitements vitaux sont interrompus.
Il s'agit soit de personnes gravement malades dont la survie ne dépend que du maintien d'une réanimation, soit de personnes gravement et irrémédiablement cérébrolésées28 (état végétatif ou pauci-relationnel grave secondaire à un traumatisme crânien, à des lésions hémorragiques ou aux conséquences d'une anoxie cérébrale), dont la survie est totalement dépendante des soins de nursing et d'une nutrition et hydratation artificielles.
Il s'agit ici de savoir si les personnes font ou non l'objet d'une obstination déraisonnable et s'il faut poursuivre ou stopper les moyens permettant un maintien artificiel en vie. Lorsque la décision d'arrêt des thérapeutiques susceptibles de contribuer au maintien en vie est prise au terme d'une procédure collégiale, une sédation jusqu'au décès, au bénéfice du doute, pour une éventuelle souffrance ou des inconforts générés par les conséquences de l'arrêt de ces thérapeutiques s'impose à l'évidence. Sont ainsi concernés par exemple l'extubation, la décanulation, ou l'arrêt d'une nutrition-hydratation artificielles.
Là encore, l'arrêt des traitements qui contribuent au maintien en vie est la cause de l'accélération de la survenue du décès de la personne. La sédation continue n'est donc pas à l'origine de la mort. Son indication comme celle des antalgiques ne relève donc que du souci de ne pas laisser un éventuel symptôme ou une souffrance marquer en fait la fin de la vie de la personne.
Le CCNE souhaite ici attirer l'attention sur une situation « limite » rencontrée parfois en néonatalogie.
La question de la sédation profonde de nature à accélérer le processus de mort se pose d'une manière particulière dans le cas des nouveau-nés, atteints de lésions cérébrales sévères et irréversibles, pour lesquels, avant la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, un geste létal était parfois pratiqué, et pour lesquels, depuis son entrée en vigueur, une décision d'arrêt des traitements est prise. Lorsque ces nouveaux nés ont une ventilation assistée, l'arrêt de la ventilation et la mise en oeuvre d'une sédation sont généralement admis, d'autant que la technique est en soi génératrice d'inconfort et de souffrance. Parfois ces nouveau-nés respirent de façon autonome. Se pose alors la question de l'arrêt de la nutrition et de l'hydratation et de la mise en oeuvre d'une sédation. Cette question est beaucoup plus débattue. D'une part cet arrêt fait craindre qu'on « laisse l'enfant mourir de faim ».
D'autre part, il pose la question du délai de survenue de la mort qui peut parfois être long.
Une étude, non encore publiée, réalisée par le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin, constate, à partir d'entretiens avec des parents d'enfants quelques temps après le décès, menés avec l'accord de plusieurs équipes de néonatologie, que la perception des familles est très positive lorsque la mort est survenue peu de jours après la mise en oeuvre de cette décision, ce laps de temps leur permettant de tenir dans leurs bras leur enfant débarrassé de tout l'appareillage médical et de se sentir parents. En revanche, lorsque la survie se prolonge, parfois plusieurs semaines, il semble que le temps ait un effet destructeur sur les parents qui assistent à une détérioration physique progressive du nouveau-né, avec un sentiment très fort de culpabilité du fait qu'ils ne remplissent pas leur rôle de nourriciers.
Ces situations, qui requièrent bien entendu une sédation profonde du nouveau-né et un accompagnement rapproché des parents, restent l'objet de débats chez les néonatalogistes29 et les gynécologues-obstétriciens. Pour le CCNE, il est souhaitable que la loi soit interprétée avec humanité afin que, grâce à la manière de mener la sédation, le temps de l'agonie ne se prolonge pas au-delà du raisonnable.
Par ailleurs, il est indéniable que dans certains cas ces situations n'ont été possibles que parce qu'en amont – à la naissance ou même en anténatal – les équipes n'ont pas su s'abstenir – refuser une obstination déraisonnable - là où cela aurait été préférable. Ces dernières décisions elles-mêmes sont difficiles et donnent et donneront encore lieu à des débats de professionnels.
4) La question de la sédation continue jusqu'au décès, à la demande de certaines personnes malades, atteintes d'une affection grave et incurable, mais qui ne sont pas en phase terminale.
Un symptôme réfractaire en phase palliative non terminale peut être une indication de sédation mais a priori intermittente ou transitoire. La reprise de la sédation voire une sédation continue ne se justifie que par l'incapacité à trouver une réponse à l'inconfort de la personne malade.
Si dans l'évolution de la maladie, une souffrance à dominante psychologique ou existentielle devient réfractaire à une prise en charge adaptée, une sédation là encore transitoire peut être acceptée si elle est demandée par la personne malade, après évaluations pluridisciplinaires répétées dont celles d'un psychologue ou d'un psychiatre. La reprise de la sédation voire une sédation continue ne se justifie que par l'incapacité à trouver une réponse à l'inconfort de la personne malade et après une délibération collective avec explicitation écrite des raisons d'une telle décision.
Dans la situation de ces patients en phase non terminale d'une affection grave et incurable et en dehors de tout symptôme ou souffrance réfractaire, il n'apparaît pas opportun de recourir à une sédation continue pendant plusieurs semaines ou mois. L'expérience des cliniciens montre en effet combien une telle demande varie et évolue dans le temps ; des soins palliatifs et un accompagnement adaptés ont en règle générale, un impact positif. Par contre, accéder à une demande de sédation continue jusqu'au décès, en dehors de tout symptôme ou souffrance jugés réfractaires et en dehors de la phase terminale, placerait la personne dans un état de conscience ne lui permettant pas d'exprimer ses éventuels changements d'avis. Bien évidemment, une sédation temporaire, mais aussi une sédation plus prolongée, légère (vigile) et titrée pour tout à la fois maintenir la possibilité pour la personne d'exprimer son avis et rendre plus tolérable sa perception de sa vie est possible.
Dans le cas de personnes malades ou handicapée, atteinte d'une affection grave et incurable, qui ne sont pas en phase terminale, et qui demandent de façon réitérée et éclairée l'arrêt d'un traitement vital ou celui de la nutrition et de l'hydratation qui leurs sont dispensées médicalement, la demande d'une sédation pour accompagner les conséquences de ces décisions peut être une indication de sédation. Il est évident que de telles décisions ne se conçoivent qu'au terme d'échanges répétés et de processus de délibération collective entre la personne malade et toutes les personnes intervenant dans le soin et les traitements
La sédation continue se distingue-t-elle vraiment de l'euthanasie ?
Le terme de sédation désigne l'utilisation d'un traitement visant à atténuer la perception d'un symptôme ou d'une souffrance réfractaire ou encore à provoquer une altération de la vigilance ou de la conscience jusqu'au décès chez une personne atteinte d'une affection grave et incurable. Les doses utilisées sont titrées et adaptées à l'intention. Si la sédation est continue, la mort survient effectivement, mais dans une temporalité qui ne peut pas être prévue et dans un contexte de relatif apaisement qui peut favoriser l'accompagnement par les proches.
Si le produit sédatif est utilisé pour mettre un terme à la vie d'une personne à sa demande, il s'agit d'une euthanasie. Le médecin ne procède pas du tout de même, et le médicament sédatif est souvent employé à dose crescendo jusqu'au décès.
Aussi, afin de ne pas créer d'ambigüité, il convient de ne pas utiliser le même terme pour désigner des pratiques dont l'intention est différente30. Le risque de confusion serait grand si, derrière un même mot, on plaçait des réalités aussi différentes. L'euthanasie relève d'une démarche différente de la sédation, au plan médical, en termes d'accompagnement et quant au choix du patient ou de ses proches.
Cette distinction entre la sédation continue et l'euthanasie est essentielle, mais il ne faut pas laisser à penser pour autant qu'elle est toujours évidente en pratique.
En phase avancée d'une maladie grave, la distinction entre arrêt des traitements contribuant au maintien des fonctions vitales associé à une sédation d'une part, et utilisation, à la demande de la personne, de médicaments sédatifs pour accélérer la survenue de la mort, d'autre part, peut faire débat.
Arrêter un traitement – médicamenteux ou nutritionnel – ou une technique (par exemple un respirateur artificiel) qui contribue au maintien des fonctions vitales, c'est accélérer la survenue de la mort. On admet donc que, dans certaines circonstances, accélérer la survenue du décès de la personne à sa demande peut être licite.
Certains s'interrogent. Pourquoi, s'il peut être licite, d'un point de vue éthique, d'accélérer la survenue du décès à la demande de la personne malade, en arrêtant un traitement ou une technique, administrer un produit – qu'il soit létal intrinsèquement ou qu'il le soit du fait de la dose utilisée ou du contexte d'une maladie évoluée avec altération fonctionnelle des organes – ne le serait-il pas ?
Dans une approche conséquentialiste, le résultat est le même : c'est accélérer la survenue de la mort d'une personne qui en est proche.
Certains accordent beaucoup d'importance à l'intention qui serait différente : ceux-ci estiment que laisser la mort advenir lorsque ce qui retient artificiellement la vie est arrêté n'est pas de même nature que d'administrer un produit qui provoque la mort.
D'autres mettent plutôt en avant la différence de temporalité entre l'arrêt des thérapeutiques jugées déraisonnables et l'euthanasie. Selon eux, cette temporalité a un sens. Le temps de survenue de la mort, lorsque cette mort n'est pas provoquée rapidement par un produit létal, est un temps qui peut permettre l'accompagnement ultime par les proches et contribuer à la prévention d'éventuelles difficultés à réaliser le « travail de deuil ».
D'autres enfin pensent que cette distinction n'est pas opérante en situation de phase avancée de la maladie : ils estiment que la différence n'est pas radicale, lorsque la personne demande une accélération de la survenue de sa mort, entre d'une part débrancher un respirateur, arrêter d'alimenter et d'hydrater et injecter un produit sédatif - qui, dans ce contexte et selon la façon dont il est utilisé, peut accélérer la survenue de la mort - et d'autre part injecter un produit létal dans le but de faire mourir la personne.
En ce qui concerne la question précise de la saisine sur la sédation mise en place en phase terminale de la maladie, le Comité distingue deux cas de figure.
Il est évident qu'en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, l'heure n'est plus aux discussions byzantines sur l'intention exacte du médecin dans l'utilisation de produits qui peuvent contribuer à accélérer la survenue de la mort. Le strict respect de la loi ne doit pas conduire à des situations plus douloureuses et plus violentes que son non-respect.
L'enjeu pour l'équipe soignante et pour les proches est alors de s'adapter au mieux à une situation singulière, dans un esprit de dialogue et de respect.
Par contre, en dehors des situations de fin de vie telles que décrites ci-dessus, il existe une différence essentielle entre, d'une part, administrer un produit létal à une personne qui ne va pas mourir à court terme si cette administration n'est pas faite et, d'autre part, permettre d'accélérer la survenue de la mort en arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu'elle juge déraisonnables. Si une personne, handicapée ou atteinte d'une maladie incurable, mais qui n'est pas en phase terminale, demande d'arrêter tout traitement susceptible de contribuer au maintien des fonctions vitales, la médecine doit l'accompagner, en ayant éventuellement recours à une sédation appropriée, dans le sens des conséquences de sa décision. La mort surviendra plus tôt, elle sera provoquée du fait de la décision d'arrêt des traitements jugés déraisonnables par la personne, décision que le médecin est tenu de respecter, et non de la décision du médecin.
En conclusion, le CCNE estime qu'un patient doit pouvoir, s'il le demande, obtenir une sédation continue jusqu'à son décès lorsqu'il est entré dans la phase terminale de sa maladie. Il s'agirait d'un droit nouveau qui viendrait s'ajouter au droit de refuser tout traitement et au droit de se voir prodiguer des soins palliatifs quand ceux-ci sont indiqués.
25 Consensus formalisé d'experts. La sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifiques et complexes. Blanchet V, Viallard ML, Aubry R. Sédation en médecine palliative : recommandations chez l'adulte et spécificités au domicile et en gériatrie. medpal.2010 ; 9 :59-70
26 Idem
27 « Est défini réfractaire tout symptôme dont la perception est insupportable et qui ne peut être soulagé en dépit des efforts obstinés pour trouver un protocole thérapeutique adapté sans compromettre la conscience du patient. Cherny NI, Portenoy RK. Sedation in the management of refractory symptoms: guidelines for evaluation and treatment. J Palliat Care 1994; 10(2):31-38.
28 L'état végétatif (et l'état pauci-relationnel grave) se définissent par l'absence (ou la grande pauvreté) de conscience de soi et de relation avec l'environnement, et des cycles veille-sommeil. La survie est totalement dépendante des soins dit de nursing et d'une nutrition et hydratation artificielles.
29 Cf "The French Society of Neonatology's Proposals for Neonatal End-of-Life Decision-Making", C. Dageville, P. Bétrémieux, F. Gold, U. Simeoni, for the Working Group on Ethical Issues in Perinatology. Neonatalogy sept. 2010 et "A Time to Be Born and a Time to Die: Ethical Challenges in the Neonatal Intensive Care Unit Commentary on C. Dageville et al.: The French Society of Neonatology's Proposals for Neonatal End-of-Life Decision-Making", Ola Didrik Saugstad, Neonatology avril 2011
30 Anquinet L, Raus K, Sterckx S, Smets T, Deliens L, Rietjens J.AC. Similarities and differences between continuous sedation until death and euthanasia – professional caregivers'attitudes and experiences: a focus group study. Palliative medicine 2012; 27(6): 553-561
Source : CCNE
Le Président de la République a posé au CCNE la question suivante : « selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d'une maladie grave et incurable, d'être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ? »
Le champ dans lequel se situe cette question est celui de la personne atteinte d'une maladie grave et incurable, et non seulement celui de la personne en phase avancée ou terminale d'une maladie. A noter également que le cadre de la question se limite à la personne consciente et autonome ayant exprimé la volonté de mettre elle-même un terme à sa vie.
Avant de réfléchir aux modalités selon lesquelles pourrait être organisée l'assistance d'un tiers à une personne dans une telle situation, il est apparu nécessaire au Comité de poser d'abord la question de la nature de cette assistance, puis de la place éventuelle qu'elle pourrait prendre.
I- Distinguer deux notions : l'assistance au suicide, le suicide assisté et l'euthanasie.
Toute demande d'aide à mourir formulée par une personne atteinte d'une maladie grave et incurable a un sens qui doit être prioritairement recherché.
Toute demande qui aurait pour origine un symptôme non contrôlé ou une souffrance accessible à un traitement ou un accompagnement doit d'abord conduire à proposer à celui qui l'émet des soins palliatifs.
Lorsque, malgré cela, la demande persiste, il convient de s'assurer qu'elle correspond à l'expression de la volonté libre, éclairée et réitérée du patient.
Il est alors indispensable d'analyser la nature même de cette demande : il existe des différences certaines entre demande d'être aidé pour mourir ou finir sa vie, demande d'aide à se donner la mort, demande de suicide assisté et demande d'euthanasie.
Deux situations ne feront pas l'objet d'un développement particulier dans cet avis : les demandes d'aide à mourir qui reflètent une demande de soins palliatifs et les demandes de donner la mort formulées par un tiers.
Les premières sont probablement les plus fréquentes. Elles résultent souvent de situations indignes – la personne n'est plus considérée comme un sujet – auxquelles doivent répondre l'offre de soins palliatifs et un accompagnement, qui ne relève bien sûr pas des seules équipes de soins palliatifs.
Les demandes de donner la mort formulées par un tiers pour une personne atteinte de maladie grave et incurable évoluée, qui elle-même ne demande pas à mourir, relèvent d'un autre champ. Elles doivent être considérées avec la plus grande circonspection puisque, d'une part, la personne pour qui une telle demande est formulée est à ce point vulnérable qu'elle ne peut exprimer sa volonté et, d'autre part, le risque est grand d'une décision fondée sur une approche trop subjective de la bienfaisance ou répondant à une motivation ambivalente. Le processus de délibération collective, tel que défini au chapitre précédent, doit alors être engagé pour décider s'il est pertinent de poursuivre les traitements qui contribuent au maintien de la vie. Au terme de ce processus, lorsque la décision d'arrêt des traitements jugés déraisonnables est prise peut se poser la question d'une sédation jusqu'au décès.
Méritent en revanche d'être précisées les notions d'assistance au suicide, d'une part, de suicide assisté, et d'euthanasie, d'autre part.
Il y a une différence a priori évidente entre suicide et euthanasie: alors que le suicide est un acte de la personne elle-même, l'euthanasie impose l'intervention d'un tiers pour donner la mort. Mais cette différence est moins nette lorsqu'il est question d'assistance au suicide. Dans certaines situations, en effet, une personne qui souhaite mettre elle-même un terme à sa vie peut ne pas être en capacité de réaliser elle-même ce geste parce qu'elle est atteinte d'une maladie grave et incurable.
On peut ensuite distinguer deux situations - l'assistance au suicide, d'une part, le suicide assisté ou l'euthanasie, d'autre part, – au nom de l'idée selon laquelle donner la possibilité à une personne de se donner la mort n'est pas identique à donner la mort à quelqu'un à sa demande.
I-1-L'assistance au suicide
L'assistance au suicide consiste à donner les moyens à une personne de se suicider elle-même. Dans ce cas, la personne réalise elle-même son suicide en absorbant un produit létal qui lui a été préalablement délivré. La seule volonté à l'origine de l'acte létal est celle de la personne qui peut, dans sa sphère privée, mettre fin à sa vie. La personne détenteur du produit létal reste libre de décider de ne pas l'absorber.
L'assistance au suicide va au-delà du fait de ne pas empêcher qu'une personne attente à sa propre vie. Dans son avis n° 63, le Comité ne la distinguait pas de l'euthanasie. Comme pour l'euthanasie, en effet, ce qui est par définition un acte individuel - le suicide - mobilise en ce cas l'intervention d'autrui. Toutefois, l'assistance au suicide présente cette particularité qu'elle fait peser sur la personne qui la demande la responsabilité de l'acte final - même si,en amont, cette responsabilité est de fait partagée avec des tiers - et que le poids moral n'est en donc pas assumé de la même manière par d'autres que cette personne. L'assistance au suicide présente aussi cette particularité d'être une simple possibilité donnée à la personne de mettre fin à son existence, et non pas, comme l'euthanasie, la réalisation d'une interruption de son existence.
La distinction entre assistance au suicide et euthanasie peut néanmoins paraître spécieuse et hypocrite à certains, pour lesquels il y a une parenté forte entre le fait de donner à une personne la possibilité de se donner la mort et le fait d'être acteur de la mort de la personne. Le Comité souligne néanmoins que cette distinction a le mérite de confronter la personne qui demande cette assistance à la responsabilité de son acte et de ne pas accréditer l'idée qu'il serait notablement plus aisé pour des tiers, notamment médecins, d'aider quelqu'un à mourir que pour cette personne de se donner la mort.
L'expérience de l'état d'Orégon est, à ce titre, intéressante: les personnes atteintes d'une maladie évaluée comme incurable fatale dans les six mois à venir peuvent y obtenir la prescription par un médecin d'un produit létal. Dans l'état de Washington, ou l'assistance au suicide est également légalisée, selon une étude publiée récemment31, plus d'un tiers des personnes susceptibles de se procurer le produit létal ne le font pas ; un peu moins d'un tiers se procurent le produit, mais ne l'absorbent pas (parce qu'elles décèdent avant ou décident de ne pas se donner la mort) ; un peu plus d'un tiers se l'administrent - dont 60% par ingestion - et décèdent en général dans les 24 heures. Ces suicides correspondent à 0,2 % des décès. Il semble que le fait de savoir que l'on peut avoir recours à cette possibilité éviterait souvent le passage concret à l'acte, peut-être parce que la personne s'en trouve rassurée.
L'assistance au suicide implique forcément des tiers : le médecin, qui atteste du caractère mortel de la maladie à un horizon de six mois, qui certifie du caractère libre et éclairé du choix du patient, qui prescrit le produit létal ; le pharmacien qui le délivre ; et, plus largement, la société entière qui permet et organise cet acte.
On pourrait parler ici d'assistance pharmacologique au suicide, - terme préférable à celui d'assistance médicale au suicide puisque la présence du médecin n'est pas requise - procédure permettant dans des conditions très strictes la délivrance et la détention d'une substance létale dont l'absorption volontaire conduit à un décès rapide et sans violence.
I-2-Le suicide assisté et l'euthanasie
La notion de suicide assisté correspond à une autre situation : lorsqu'une personne qui souhaite mettre fin à son existence n'est pas apte à le faire en raison de son état physique, elle a besoin, pour aller au bout de sa décision, de l'aide active d'un tiers pour l'administration - par absorption ou injection - du produit létal. La différence est alors ténue avec la notion d'euthanasie.
Le suicide assisté mobilise donc plus étroitement que l'assistance au suicide un tiers dont le rôle suscite des questions lourdes : jusqu'où peut aller cette mobilisation? Est-ce faciliter la réalisation de l'acte suicidaire ? Est-ce réaliser l'acte ? Ne peut-on craindre qu'un tiers affecte l'autonomie personnelle de la personne ? Jusqu'où, dans son droit à vouloir se donner la mort, une personne dans une telle situation peut-elle obliger un tiers à « la suicider » ?
Certains soutiennent toutefois qu'il existe une différence réelle entre suicide assisté et euthanasie : la volonté de la personne qui veut mourir et qui le décide pour ce qui dépend d'elle, par exemple en refusant tout traitement, mais qui est dans l'impossibilité de se donner la mort elle-même, est censément première et clairement affirmée. Elle demande à un tiers, médecin ou autre, de faire que ce qu'elle ne peut accomplir par elle-même.
L'euthanasie est, selon toutes les définitions communément admises32, un acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d'une personne atteinte d'une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu'elle juge insupportable. Dans la logique de ce qui vient d'être dit, elle concerne les personnes qui ne souhaitent pas se suicider, serait-ce avec une assistance. Certaines personnes, en effet, peuvent exprimer à la fois le désir de mourir et leur impossibilité psychologique de se donner elles-mêmes la mort en se suicidant – et ce en dehors de tout empêchement lié à la maladie -, ou encore leur préférence pour qu'un médecin mette fin, à leur demande à leur existence, plutôt que de la faire elles-mêmes.
31 Loggers E.T, Starks H, Shannon-Dudley M, Back A.L, Appelbaum F.R, Stewart F.M. Implementing a Death with Dignity Program at a Comprehensive Cancer Center. N Engl J Med 2013;368:1417-24
Source : CCNE
II- Questions posées par l'assistance au suicide
Le principe même de cette modification majeure de la législation, évoquée dans la saisine du Président de la République, doit être abordé en premier, la question de la légitimité de l'acte d'assistance au suicide ne dépendant pas ou pas principalement de la nature des conditions dont on peut l'entourer.
II-1-La non-assistance à personne en danger
Si la mort peut être souhaitée par une personne, notre société a d'abord le devoir de tendre la main à ceux de ses citoyens qui ont besoin qu'on les aide à vivre, à surmonter une perte d'espoir et elle a toujours aspiré à mieux le faire. La notion d'assistance au suicide heurte donc a priori, dans la mesure où elle paraît signifier qu'à rebours de notre détermination à répondre à l'appel de ceux qui veulent attenter à leurs jours, l'on puisse regarder le suicide comme une solution acceptable.
Cette conception est traduite dans le droit pénal par l'infraction de non-assistance à personne en danger33. L'omission de porter secours à une personne en péril, y compris dans le cas où c'est elle-même qui est l'origine de ce péril, peut être punie de peines très lourdes, allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.
Certains, toutefois, posent la question suivante : au nom de quel principe imposerait-on à une personne atteinte de maladie grave et incurable évoluée, de continuer un chemin qu'elle ne veut pas suivre ? Ne pas empêcher une personne atteinte d'une telle maladie d'attenter à sa propre vie est, dans cette conception, non pas une forme de non-assistance à personne en danger, mais plutôt le témoignage du respect de sa liberté.
Nous ne sommes pas là dans le cas du suicide pharmacologique, où une personne fournit un produit, et encore moins d'un véritable suicide assisté, pour lequel un tiers aide à administrer le produit létal : il s'agit simplement en l'espèce de considérer la personne qui est présente lors du suicide. Il se trouve que la loi française n'effectue aucune distinction entre deux catégories de personnes qui n'interviennent pas directement pour administrer la substance mortelle, c'est-à-dire entre celle qui fournit une aide et celle qui se contenterait d'être là. Il en résulte que la personne qui souhaite se suicider est contrainte à une totale solitude, ce qui soulève une question au plan de l'éthique et conduit à s'interroger sur la possibilité que le droit prenne en compte la particularité de cette situation précise.
II-2-L'assistance au suicide et l'interdit de donner la mort à autrui
Il n'est guère de principe plus solidement établi que cet interdit, depuis les termes du serment d'Hippocrate : « je ne remettrai à personne du poison si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ».
Il est transcrit dans le code de déontologie des médecins en ces termes : « le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et de mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort »34.
Les seules exceptions à cet interdit d'attenter à la vie d'autrui relèvent de la nécessité d'empêcher quelqu'un de nuire à d'autres en situation de violence.
Cet interdit est bien sûr structurant de la confiance que la personne peut avoir dans la société et donc très important pour notre imaginaire collectif. Les termes qui l'expriment sont essentiels et forts.
Si le suicide ne fait plus aujourd'hui l'objet d'un interdit, à la différence de ce qui prévalait à d'autres époques ou existe dans d'autres civilisations, il reste néanmoins massivement considéré comme l'aboutissement du désespoir de ne pas trouver de sens à sa vie – à ceci près que le refus de traitement est légalisé, alors qu'il peut procéder des mêmes raisons.
Il est en effet difficile d'affirmer que le suicide est toujours le fruit d'une liberté, tant il est souvent provoqué par une souffrance, un sentiment d'inutilité ou de perte de sens, d'une culpabilité vis-à-vis de son entourage, même s'il peut exister des suicides altruistes, tels que les présentait Durkheim ou dans un sens plus large: il est fréquent ainsi que des personnes âgées ou malades expriment leur volonté de ne pas peser sur leurs enfants et de préserver le patrimoine qu'elles souhaitent leur transmettre, que leur prise en charge en fin de vie entamerait largement.
Certains considèrent en outre que revenir sur l'interdiction d'assister autrui dans sa démarche de mettre fin à ses jours pourrait modifier considérablement la relation du malade avec son entourage, soignants en particulier. La confiance de fond en la bienfaisance pourrait être ébranlée. L'entourage est habité par une certaine ambivalence, comme il s'en trouve une – différente – chez le malade35. Le désir d'aider à accélérer la survenue de la mort peut être présent chez les soignants, dans la famille et chez les proches, surtout si la fin de vie est marquée par la souffrance et des inconforts multiples. L'entourage peut en effet projeter sur la personne malade ses propres angoisses ou ses difficultés à assurer un accompagnement.
L'interdit de donner la mort à autrui formulé par la loi vient étayer une limite. Il permet souvent d'éviter que l'entourage ne soit culpabilisé par une décision lourde qu'il serait amené à prendre ou à entériner.
La demande d'une légalisation de l'assistance au suicide, c'est-à-dire d'une aide apportée à une personne afin qu'elle exerce sa « liberté » de se suicider s'inscrit donc dans un changement de perspective significatif – même si, pour certains, il y a une forme de continuité entre une telle évolution et l'arrêt par le médecin d'un traitement vital à la demande de la personne, ou à l'issue d'une procédure collégiale lorsque la personne ne peut exprimer sa volonté.
Donner à une personne en fin de vie la possibilité de se donner la mort pour respecter sa volonté reste et demeurera toujours un acte d'une extrême gravité et la société, lorsqu'elle s'en remet aux médecins de le faire, leur confie la tâche la plus lourde que l'on puisse concevoir. Aucune réforme des textes, quelle qu'elle puisse être, ne pourra jamais l'ignorer.
On ne peut toutefois assimiler l'homicide tel que réprimé dans toute société civilisée, qui est l'acte de celui qui prend à autrui sa vie, et la situation d'une personne en présence d'un patient qui aurait décidé de mourir, qui s'en donnerait les moyens en refusant traitements et nutrition et qui demanderait en outre une assistance active pour atteindre à la mort à laquelle il aspire (suicide assisté ou euthanasie); les deux situations et, partant, les deux actes se situent dans deux univers radicalement différents.
L'assistance au suicide pourrait être rapprochée selon certains de la possibilité que le législateur donne au médecin de faire un geste qui entraîne la mort, pour se conformer à l'interdit de l'acharnement thérapeutique ou pour respecter la volonté du patient qui refuse un traitement.
De plus, certains estiment qu'il convient de distinguer, dans la maladie grave et incurable la période non terminale de la phase avancée et « terminale ». Lorsque l'espérance de vie est estimée à quelques jours, voire quelques semaines, et que la personne demande une assistance au suicide, la distinction entre arrêt des traitements contribuant au maintien des fonctions vitales avec utilisation éventuelle d'une sédation jusqu'au décès et l'assistance au suicide peut apparaître ténue.
Laisser la mort advenir n'est certes pas de même nature que d'administrer un produit qui provoque la mort ni de donner à une personne, après décision d'arrêt des thérapeutiques jugées par elle déraisonnable, un produit qui lui permet de se suicider. Certains pensent cependant que cette distinction n'est pas convaincante en situation de phase avancée ou terminale et qu'il n'y a pas de différence radicale entre débrancher un respirateur, arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles, donner à la personne un produit létal ou injecter un produit létal si le malade le demande de manière suffisamment libre et éclairée.
Un autre argument invoqué relève d'une dimension de justice : au nom de quoi le suicide, qui est possible pour une personne autonome, pourrait ne plus l'être pour une personne au seul motif qu'elle n'a pas l'autonomie physique pour réaliser cet acte ? Certains répondent à cet argument que la loi n'est pas là pour rétablir en tous points l'inégalité compromise par la nature.
33 Aux termes de l'article 223-6 du code pénal : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende./ Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. ».
34 Article L. 4127-38 du code de la santé publique.
35 Soulignée par une des personnes auditionnées, le docteur Kagan.
Source : CCNE
II-3-Les « situations- limites »
Si l’interdit énoncé par la loi et sa valeur de limite font l’objet d’un consensus particulièrement large, il est des situations complexes dans lesquelles certains choisissent de s’en affranchir, par compassion ou par conviction, ou pour d’autres mobiles plus obscurs.
Les partisans de la légalisation de l’assistance au suicide estiment que cet état de fait justifie un déplacement de la limite de l’interdit. Ils soulignent que l’assistance au suicide est une réalité qu’il est hypocrite de laisser vivre dans l’ombre et le non-dit au nom de la pureté des principes éthiques en la renvoyant au vocabulaire de la compassion et en laissant ceux qui la pratiquent encourir un risque pénal.
Le Comité observe tout d’abord qu’il est très difficile de savoir ce qu’il en est de la réalité et du nombre de ces situations dites extrêmes ou limites pour lesquelles les médecins ou les proches d’un malade envisagent de prendre un tel risque, risque dont ils peuvent avoir plus ou moins conscience.
Alors qu’il est essentiel d’éclairer la réalité des faits sur ce point, on ne dispose pas d’étude pertinente, hormis celle publiée récemment par l’INED36. Or il est nécessaire, sur un tel sujet, de séparer la rumeur des faits. Cette publication de l’INED montre que les euthanasies sont rares : elles représentent 0,2% des décès si on associe l’intention de donner la mort, la demande du patient et l’injection d’une substance létale par un soignant, soit environ 1 100 des 550 000 décès annuels en France. Mais cette étude intéressante ne nous éclaire toutefois pas sur la réalité des situations qui conduisent à une assistance au suicide.
Cette même étude estime que 0,4% des décès résulteraient d’une injection de produit létale par un soignant en dehors de toute demande de la personne. Ces situations, qui correspondent de fait à des homicides, sont inacceptables37. Là encore, l'étude conduite ne nous éclaire aucunement sur la nature des situations qui ont conduit à une telle pratique. Or ces situations doivent à l’évidence être explorées.
Lorsqu’ils sont confrontés à une situation qu’ils estiment limite ou extrême, pour laquelle l’application stricte de la loi leur paraît une mauvaise solution, le médecin ou les acteurs de santé concernés devraient choisir une voie intermédiaire entre l’abandon de la personne au motif que la réponse qu’ils envisagent est illégale et la pratique d’un geste dans la solitude et dans l’ombre pour éviter toute condamnation. Dans cette situation précise, il est indispensable au contraire qu’ils provoquent un processus de délibération collective - au sens proposé dans le chapitre II. Au terme de cette délibération, une trace écrite devrait montrer que toutes les alternatives ont été recherchées, - en particulier la sédation jusqu’au décès – et permettre de justifier et motiver la décision, rendant ainsi visible ce qui jusqu’à ce jour se situe dans l’opacité….. Cette manière de procéder est avant tout de nature à permettre, dans l’intérêt du patient, une décision plus juste; elle peut aussi cantonner ou supprimer le risque que des professionnels qui auraient agi avec compétence, diligence et humanité fassent l’objet de poursuites. On peut ici évoquer les notions « d’engagement solidaire » et d’« exception d’euthanasie » qui figurent dans l’avis n°63 du CCNE38.
Le Comité observe qu’il est indispensable d’en savoir plus sur ce point en conduisant, dans la durée, des études approfondies, qui tiennent compte de la qualité de l’accompagnement, du bénéfice de soins palliatifs et de la possibilité éventuelle d’obtenir en toute fin de vie une sédation profonde ; ces éléments, lorsqu’ils sont effectivement présents, devraient tendre à limiter considérablement les situations-limites.
A ce stade, il n’est donc pas possible d’affirmer que la volonté de maintenir l’intangibilité des principes se fait au prix d’une pratique ambiguë et occulte, mais acceptée, qu’une légalisation « réaliste » permettrait d’aborder de manière plus claire.
Le Comité observe par ailleurs que déplacer la frontière de l’interdit ne supprimerait pas cette frontière : quelle que soit la limite, il existera toujours des situations limites qui la rencontreront et l’interrogeront. Si l’interdit de donner la mort devait être déplacé, il faudrait s’interroger sur le risque que sa délimitation se fasse par un curseur mouvant et réévaluable en fonction d’un bilan entre les avantages et les inconvénients de différentes catégories de situations. Ce risque est évidemment déjà présent : il appelle à une grande vigilance dès lors qu’il est question d’arrêter un traitement, mais aussi s’agissant de l'accès aux traitements, et notamment à la réanimation. Il est particulièrement sensible dans une société où la place du réalisme économique peut largement empiéter sur le respect de la personne. Une prudence extrême s’impose ainsi s’agissant de l’aide active apportée à une personne pour qu’elle mette fin à ses jours ; ce, d’autant qu’il serait très difficile de borner de manière efficace la possibilité ouverte par la loi de supprimer sa vie pour vaincre une situation jugée insupportable par la personne, notamment parce qu’il est excessivement difficile de codifier de manière sérieuse les limites du supportable.
Enfin, certains soulignent que fonder une éthique – et a fortiori le droit – sur la compassion serait périlleux. Compatir avec la souffrance de l’autre est une valeur indiscutable ; faire de la compassion un principe éthique ou juridique déterminant serait dangereux La compassion seule peut conduire aux pires excès, dans une attitude fusionnelle. Elle peut être une projection de nos peurs. Elle doit être équilibrée par d’autres principes. Une morale qui, excluant de son champ les repères, se réfèrerait à la seule empathie, risquerait de se dispenser de l’appui de la raison discursive et de se détacher de la nécessité première de renforcer l’engagement solidaire envers les personnes vulnérables.
Mais il est vrai, à rebours, que la demande d'assistance au suicide n'est pas toujours formulée comme une demande de compassion, mais comme une demande de solidarité qui permettrait "d'échapper à une obligation de subir la compassin", et exprimerait un plus grand respect pour l'autonomie et la liberté de la personne.
II-4- Le bilan des expériences étrangères invite à la prudence, notamment lorsqu’elles autorisent l’euthanasie
Le bilan, détaillé en annexe 2, n’est pas le même dans tous les pays qui pratiquent l’aide active à mourir depuis longtemps ; les données relatives aux pays du Bénélux, qui permettent l’euthanasie soulèvent selon le Comité, comme pour la Commission Sicard, des interrogations difficiles. La progression des chiffres y est nettement plus vive. Alors que l’Etat de l’Oregon et la Suisse ne comptent que plusieurs dizaines de suicides assistés par an, le nombre de signalements d’euthanasie a augmenté de 18% entre 2010 et 2011 aux Pays-Bas et ont presque triplé en Belgique depuis 2006 : on y dénombre aujourd’hui 1200 euthanasies par an.
Dans les autres pays, les données sont plus stables. Elles mettent néanmoins en évidence qu’un risque existe que les patients qui pourraient retrouver le goût de vivre ne reçoivent pas les soins auxquels ils auraient droit. Ainsi, d’après les rapports annuels de l’Etat d’Oregon sur les suicides médicalement assistés39, le nombre d’assistances au suicide augmente régulièrement, bien que faiblement, alors que diminue le nombre des patients auxquels une prise en charge médicale pour dépression est proposée en fin de vie.
Néanmoins, une étude récente montre que cette évaluation par un psychiatre est plus stricte que lors des décisions, bien plus fréquentes, de limitation ou d’arrêt de traitement vitaux40.
Le champ d’application de la loi est-il respecté?
- Même s’il s’agit de plus de la question de l’euthanasie, l’expérience des pays du Bénélux montre qu’il paraît relativement illusoire de fixer de manière stable les critères de l’éligibilité à l’euthanasie. Ces pays ont légalisé l’euthanasie pour les malades en phase terminale aptes à décider, mais en pratique, la cible s’est progressivement avérée être plus large et s’étend aux membres vulnérables de la société. En Belgique, plusieurs majeurs incapables ont ainsi été euthanasiés, de même que des personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives dans une phase assez précoce. Comme en témoignent la trentaine de propositions de loi visant à étendre le champ d’application de la loi de 2002, les demandes sont loin d’être épuisées dans ce pays. Une modification de cette loi tendant à étendre le droit à l’euthanasie aux personnes démentes et aux mineurs est actuellement soumise au Parlement. Cette volonté d’élargir le champ d’application de la loi sur l’euthanasie montre que son principe est désormais bien ancré et admis par une majorité de citoyens dans la société belge, même si c’est avec de grandes disparités entre Wallons et Flamands. Elle témoigne aussi de ce que l’euthanasie est conçue comme un droit de la personne dont il n’est pas légitime de frustrer par principe telle ou telle catégorie de citoyens.
- Aux Pays-Bas, l’euthanasie, souvent pratiquée par un médecin traitant qui connaît la personne, dans un contexte dans lequel la mort à domicile est la norme, paraît globalement bien acceptée. Certains soulignent toutefois un relatif affaissement de la solidarité au gré d’une banalisation de cette pratique. Par ailleurs, la tentation de réinterpréter de manière toujours plus large les termes du texte est présente : est ainsi étudiée la création d’« équipes mobiles » spécifiques pour la pratique de l’euthanasie. .
- En Suisse, le suicide assisté, toléré en vertu d’une interprétation a contrario de la loi pénale, n’est pas non plus resté cantonné strictement aux personnes en toute fin de vie. Selon une étude, l’association suisse Exit Deutsche Schweiz a assisté entre 1990 et 2000 748 suicides : 21,1% des personnes en cause ne souffraient d’aucune maladie mortelle41.
Ainsi que l’a relevé le rapport de la commission Sicard, la légalisation de l’euthanasie ne fait pas disparaître les actes pratiqués en violation de la loi : on compterait en Belgique trois fois plus d’euthanasies pratiquées dans des conditions suspectes qu’avant l’adoption de la loi – ce qui n’est paradoxal qu’en apparence et peut s’expliquer par une certaine facilité à mettre en oeuvre ces pratiques.
Il faut aussi s’interroger sur la difficulté particulière qui peut être celle des deuils consécutifs à une aide active à mourir. Certains tenants du suicide assisté mettent en avant l’apaisement des familles qui accompagnent le mourant. La réalité est plus complexe et moins systématique. La mort provoquée n’apporte pas toujours la sérénité à l’entourage¸ elle n’est pas toujours « douce » pour l’intéressé. Le processus peut être long et s’étaler sur plusieurs heures et certains signes extérieurs, comme les râles terminaux et les pauses respiratoires, peuvent s’avérer angoissants pour ceux qui sont présents. Le rôle qui est souvent dévolu aux proches ne va pas de soi : aider le suicide d’un parent, y assister, en porter le poids...
L’acte n’est ainsi pas dénué de violence, tant symbolique que réelle. On remarque d’ailleurs la relative réticence des médecins à s’en occuper. En Suisse, le corps médical est très clivé sur la question. Il faut désamorcer l’illusion qui voudrait que l’euthanasie soit simple pour le médecin à qui il est demandé de prêter son concours. Il n’est vraisemblablement pas plus facile de donner la mort, de quelque manière que ce soit, que de se suicider. De nombreux témoignages de personnels soignants, y compris au sein du Comité, ont relaté la difficulté extrême avec laquelle ils avaient vécu la pratique de l’administration de « cocktails lithiques » à des malades en toute fin de vie, qui s’est nettement résorbée même si, ainsi qu’on l’a vu, elle n’a pas complètement disparu.
Enfin, la pratique de l’assistance au suicide ou de l’euthanasie semble résister à tout contrôle efficace. Bien que les législations aient prévu des commissions de surveillance, le contrôle se fait a posteriori et sur un mode déclaratif, misant sur l’expérience clinique et la bonne foi du médecin qui rapporte les faits. Il en résulte une absence quasi systématique de poursuites (aucune à ce jour en Oregon, au Luxembourg et en Belgique ; quelques-unes par an aux Pays-Bas).
36 Pennec S, Monnier A, Pontone S, Aubry R. “End-of-life medical decisions in France: a death certificate follow-up survey 5 years after the 2005 Act of Parliament on Patients' Rights and End of Life”. BMC Palliative care 2012; 11 (25) ; enquête réalisée en collaboration avec l’Observatoire national de la fin de vie.
37 Dans son avis n°63 "Fin de vie, arrêt de vie, exception d'euthanasie", le CCNE soulignait que "Hors consentement, aucun acte euthanasique ne saurait être enviagé".
38 « …. ce qui ne saurait être accepté au plan des principes et de la raison discursive, la solidarité humaine et la compassion peuvent le faire leur. Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l'être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l'inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d'engagement solidaire. » « Si en situation concrète la décision d'arrêter une vie peut aux limites apparaître un acte acceptable, cet acte ne peut se prévaloir d'une évidence éthique claire. Une telle décision ne peut et ne pourra jamais devenir une pratique comme une autre. Cette pratique, fondée sur le respect des droits imprescriptibles de la personne, ne doit tendre qu'à inscrire fermement les fins de vie et, éventuellement, les arrêts de vie, au sein de la vie elle-même et à ne pas exclure d'un monde humanisé les derniers instants d'une existence donnée. »
39 Consultables sur le site http://www.oregon.gov/DHS/ph/pas/index.shtml.
40 Prokopetz J.J.Z, Soleymani Lehmann L. Redefining Physicians’ Role in Assisted Dying.n engl j med 2012; 367: 97-99
41 Bosshard G, Ulrich E, Bär W. 748 cases of suicide assisted by a Swiss right-to-die organization. Swiss Medical Weekly 2003. 133.:310–317·
Source : CCNE
III- Conclusion
Au terme de sa réflexion, le Comité formule six séries de remarques.
1. Une nouvelle étape s'impose afin de garantir la prise en compte de l'avis des personnes qui sont en fin de vie. A cet égard, le Comité recommande trois évolutions majeures de la législation actuelle.
- Il faut en premier lieu que le processus de délibération collective qui a commencé d'être formalisé dans les textes soit revu afin qu'il associe systématiquement la personne malade et ses proches, qu'il s'élargisse à tous les professionnels du soin et ne soit pas conçu comme une discussion collégiale entre experts et qu'il soit mis en oeuvre de manière beaucoup plus large, dès que des décisions complexes doivent être prises en fin de vie, que ce soit du fait d'une raison médicale ou d'une demande du patient.
- Le Comité estime aussi nécessaire un changement de perspective s'agissant de la valeur accordée aux directives anticipées : les conditions de leur recueil doivent être repensées, un accompagnement médical devant être proposé à la personne malade qui souhaite en rédiger afin qu'elles soient aussi pertinentes que possible au regard de sa pathologie et qu'elles puissent ainsi être réellement prises en compte. Lorsque des directives anticipées existent, elles devraient être présumées avoir valeur obligatoire pour les professionnels de santé et tout écart par rapport à ces directives devrait être justifié par écrit dans le dossier médical de la personne.
- Enfin, le Comité préconise que soit défini un droit des individus à obtenir une sédation jusqu'au décès dans les derniers jours de leur existence. Ainsi, une personne qui est maintenue en vie par une assistance vitale pourra, au nom de son droit à refuser des traitements, s'engager dans un processus de fin de vie en bénéficiant de l'assistance des soins palliatifs et si elle le souhaite mourir sous sédation. Afin que ce droit soit réellement garanti et que sa mise en oeuvre ne soit pas dévoyée, toute décision de sédation profonde, continue ou intermittente, en phase terminale d'une maladie, doit aussi être retracée au dossier médical de la personne.
Selon le Comité, ces évolutions sont de nature à apporter une réponse à l'immense majorité des demandes des personnes en fin de vie. Elles doivent permettre, ce qui est essentiel, que cette réponse soit diverse et nuancée, chaque cas se présentant de manière très différente, et qu'elle tienne compte autant que possible des désirs de chacun, souvent difficiles à anticiper et fluctuants.
2. Pour autant, la tâche à accomplir est encore immense. Les conditions dans lesquelles les personnes terminent leur vie en France ne sont pas globalement satisfaisantes. Si, dans l'état actuel de la médecine, les souffrances physiques et, en principe, les souffrances d'origine dépressive peuvent être adéquatement soulagées, la douleur ne fait pas encore en pratique toujours l'objet d'un traitement approprié. Plus largement, le Comité insiste sur le fait que les questions les plus pressantes, à cet égard, ne doivent pas être éludées : prise en charge financière et accompagnement humain des personnes malades et handicapées, accès équitable aux soins palliatifs, non seulement en fin de vie, mais chaque fois qu'un besoin de soulagement s'exprime, mise en place des soins palliatifs à domicile, développement de la formation des médecins et de la recherche dans le domaine de la fin de vie, attention à la place des personnes âgées dans la société et vigilance à l'égard de leurs droits, aide aux aidants familiaux et aux proches.
La résolution de certaines situations indignes doit être une priorité absolue des politiques de santé. Le Comité constate que, de telles situations, peut naître un sentiment d'indignité qu'expriment certaines personnes en fin de vie, ou que redoutent nos concitoyens. Et il relève que la légalisation du suicide assisté ou de l'euthanasie n'est pas de nature à apporter une réponse aux problèmes aigus et prioritaires qui viennent d'être rappelés.
3. Le Comité souligne par ailleurs l'absolue nécessité d'une meilleure connaissance des « situations limites » dans lesquelles les malades ou leurs proches, ainsi que les professionnels de santé concernés estimeraient que ni les soins palliatifs ni une sédation ne suffisent à rendre acceptables les derniers instants de la vie d'une personne. Seul un tel approfondissement permettra de dépasser le stade actuel fait de rumeurs contradictoires et d'apporter un surcroît de vérité au débat sur la fin de vie. Les pouvoirs publics devraient prendre ensuite l'initiative d'un travail permettant aux professionnels de santé, aux magistrats et aux patients de partager et rapprocher leur vision de telles situations, afin de permettre une application juste de la loi pénale.
4. En ce qui concerne l'assistance au suicide, plusieurs positions se sont exprimées au sein du Comité.
Il faut tout d'abord relever que la saisine ne se limite pas à la question de l'assistance au suicide pour les personnes en fin de vie et que les enjeux du débat sont en effet plus vastes, ainsi que le confirment les expériences étrangères auxquelles on peut se référer.
La question de l'assistance au suicide de certaines personnes qui sont en phase avancée ou terminale d'une maladie reste délicate, même si le Comité relève que les évolutions qu'il recommande sont de nature à rendre plus résiduelles encore les demandes en ce sens. Dans d'autres cas, il estime dans sa majorité qu'elle appelle une réponse clairement négative : les situations notamment des personnes qui ne sont pas en phase avancée ou terminale d'une maladie au sens où l'entend la médecine - personnes atteintes d'un handicap, le cas échéant mental, d'une maladie évolutive grave ou d'une dépression sévère.
5. Certains membres du CCNE42 considèrent que le suicide assisté et l'euthanasie doivent – au moins dans certaines circonstances – être légalisés. Ils estiment que le respect de la liberté des individus doit aller jusqu'à ce point et permettre d'autoriser des tiers qui accepteraient de leur prêter assistance à le faire, sans risque majeur pour les liens de solidarité au sein de la société.
Le Comité estime cependant majoritairement que cette légalisation n'est pas souhaitable : outre que toute évolution en ce sens lui paraît, à la lumière notamment des expériences étrangères, très difficile à stabiliser, il souligne les risques qui en découlent au regard de l'exigence de solidarité et de fraternité qui est garante du vivre ensemble dans une société marquée par de nombreuses fragilités individuelles et collectives et des carences importantes dans le champ de la politique relative à la fin de vie.
6. Le débat engagé sur la fin de vie et l'accompagnement des personnes âgées et handicapées doit continuer et gagner plus largement l'espace public. Le Comité estime qu'il est nécessaire d'organiser un véritable débat public national sur la fin de vie et la mort volontaire. L'article 46 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique prévoit d'ailleurs que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux organisé à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique.
Le débat public est un outil pour associer la société civile à la décision publique. Il contribue à dépasser le constat d'un affrontement entre des positions inconciliables pour éclairer les enjeux communs, qui intègrent les préférences individuelles sans pouvoir s'y ramener et mettre à jour la complexité des questions. Il aide à dépasser le constat de différences d'approche profondes pour s'accorder sur des valeurs dont nous constatons qu'elles nous réunissent : l'autonomie de la personne, la protection des plus faibles, la liberté de penser.
Paris, le 13 juin 2013
42 Voir infra « Réflexion autre »
Source : CCNE
Une réflexion autre proposée par certains membres du comité :
Au-delà des propositions concernant le processus de délibération collective et interdisciplinaire, les directives anticipées, et la pratique de la sédation en phase terminale qui réunissent l'ensemble du comité autour du texte adopté le 13 Juin 2013 par la majorité du CCNE, les membres du comité soussignés s'associent aux deux contributions qui suivent.
Yves AGID, Joëlle BELAÏSCH-ALLART, André COMTE-SPONVILLE, Patrick GAUDRAY, Jean-Pierre KAHANE, Alice RENE, Michel ROUX, Michel VAN PRAËT
Le choix de l'exception
Patrick Gaudray
La récurrence du débat sur la fin de vie illustre de manière claire le fait que nous sommes là dans l'indécidable d'un domaine où s'affrontent des valeurs tout aussi fondamentales les unes que les autres, où l'application de règles strictes ajoute bien souvent de la violence à la violence intime des derniers moments de l'existence, où la vulnérabilité représente la caractéristique commune et majeure, stigmate d'une fragilité individuelle et d'une force si tant est que la force de l'humanité tient au rassemblement de ces vulnérabilités individuelles.
En réponse aux trois questions dont l'a saisi M. le Président de la République, et au terme d'une réflexion collective et d'échanges, le CCNE a choisi de proposer un avis structuré en trois parties : (i) Origines du débat actuel sur la mort volontaire, qu'on pourrait percevoir comme un certain regard sur la société et la mort, (ii) Acquis et limites de la législation relative à la fin de vie : des améliorations s'imposent au plan de la loi et des politiques publiques, qui dresse un bilan de la législation en actes, et (iii) Légaliser l'assistance au suicide ? C'est-à-dire faut-il ou non changer la loi ?
Si les recommandations qui figurent dans la deuxième partie de l'avis (délibération collective et interdisciplinaire, directives anticipées, et pratique de la sédation en phase terminale) constituent un socle commun de toutes les réflexions du CCNE, la troisième, qui apporte la réflexion du comité en réponse aux deux dernières questions de M. le Président de la République, ouvre sur des opinions inconciliables à l'intérieur du CCNE comme dans l'ensemble de la société. N'en présenter qu'une conduirait le comité à s'éloigner de la démarche d'ouverture qu'il avait suivie en 2000, lors de l'élaboration de son avis N° 6343. Constatant que « si en situation concrète la décision d'arrêter une vie peut aux limites apparaître un acte acceptable, cet acte ne peut se prévaloir d'une évidence éthique claire.
Une telle décision ne peut et ne pourra jamais devenir une pratique comme une autre », le CCNE avait considéré que : « les deux positions en débat sont porteuses de valeurs fortes et méritent attention et respect. Le Comité dans son ensemble le reconnaît et le souligne.
Elles apparaissent toutefois inconciliables et leur opposition semble bien mener à une impasse. Faut-il s'y résigner et renoncer à avancer ? ».
Dans cet avis N° 63, le CCNE avait apporté une réflexion complexe et ouverte dont on a surtout retenu le concept d'exception d'euthanasie compris dans un contexte juridique. Le comité le justifiait en constatant qu'il « n'est jamais sain pour une société de vivre un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue », en référence à la réalité de l'euthanasie clandestine et hypocrite, inégalitaire et anarchique.
Mais le CCNE soulignait, au-delà du juridique, que certaines situations échappent à la norme et devaient donc être perçues et traitées comme exceptionnelles44.
La nécessaire application de la loi instituant l'interdiction d'une « obstination déraisonnable », la reconnaissance et la prise en compte des droits et des choix du malade, ainsi que le renforcement des activités de soins palliatifs dans le projet médical des services, complétés utilement par la mise en oeuvre des propositions présentes dans la deuxième partie de l'avis majoritaire du comité, ainsi que par une réelle prise en compte et une mise en avant de la personne dite de confiance, constitue un ensemble cohérent qui ne doit pas être opposé à la possibilité d'une demande d'euthanasie.
Nous ne sommes pas là sur le même plan et nier cet état de fait conduirait à envisager cette dernière comme une alternative aux précédentes. Il n'en est rien.
Les soins palliatifs existent et se développent dans notre pays, même s'il reste d'expérience commune qu'ils y sont encore dans un état très déficitaire, ainsi, plus généralement, que l'accompagnement des personnes en fin de vie ou en situation d'impasse thérapeutique. Pour autant le recours à l'assistance au suicide ou à la mort provoquée ne peut se concevoir comme une alternative à leur mise en place.
Le choix d'une mort anticipée doit rester le choix de l'exception, et non le dernier recours devant l'absence de moyens de limiter la souffrance, qu'elle soit physique ou psychique. Plus encore, ce choix ne devrait être envisagé qu'au terme d'un parcours palliatif de qualité.
Pour exceptionnel qu'il resterait, ce choix ne devrait pas rester clandestin.
« Nous refusons de croire que, devant la maladie, la souffrance et la mort, il puisse y avoir un cadre rigide qui définirait ce qu'est la dignité, la liberté individuelle ou la responsabilité collective », affirme un document de l'Eglise protestante unie de France45. Le droit qu'il convient donc d'affirmer est, outre celui de ne pas avoir à souffrir, ni physiquement ni moralement, le droit à ne pas mourir dans l'indignité. Ce droit devrait même devenir un droit opposable.
Laisser seul un être humain devant son choix (exprimé, manifesté de manière claire et répétée) de mettre fin à ses jours, ne pas lui donner accès à une manière humaine et relativement « douce » de le faire, représente un abandon, une faille dans la solidarité, la fraternité énoncée dans la devise nationale. Il existe une frontière sémantique entre le suicide, assisté ou non, et l'euthanasie. Il est ainsi délicat de réaliser un amalgame entre ces deux actes à la faveur d'un subtil distinguo entre assistance au suicide et suicide assisté.
Dès qu'on se place dans le cas où une personne souhaite que soit mis fin à ses jours46, alors qu'elle est dans l'incapacité de le faire, on est devant le choix de la mort provoquée, de l'euthanasie, sans qu'aucun euphémisme puisse en alléger le poids. Ce poids n'est pas moindre dans le « laisser mourir » que dans le « faire mourir ».
43 CCNE, avis N° 63 : « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » (27 janvier 2000).
44 « Certaines situations peuvent être considérées comme extrêmes ou exceptionnelles, là où elles se présentent d'abord comme hors normes. La norme en effet tient ici dans la nécessité pour le soignant de soigner - quoi qu'il en soit - et, pour le patient, de vouloir (sur)vivre. Mais il se peut aussi que cette volonté non seulement fasse défaut, mais se présente, à l'inverse, comme volonté d'en finir et de mourir » (CCNE, avis N° 63).
45 Eglise protestante unie de France, Synode de Lyon 2013 : « A propos de la fin de la vie humaine »
46 Albert Camus débutait Le mythe de Sisyphe par ces mots : « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux, c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. ».
Source : CCNE
Etat des lieux au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, les débats actuels portent sur le suicide assisté. En effet, la culture anglo-saxonne de l'autonomie semble influencer les questions de fin de vie et tolère davantage l'aide au suicide que le fait de donner la mort à autrui.
L'euthanasie
Comme l'euthanasie ne fait pas l'objet d'une incrimination particulière,48 la jurisprudence la qualifie d'homicide et la punit assez sévèrement. En effet, la jurisprudence ne prend en compte que l'acte et l'intention de tuer et ne s'intéresse ni à la souffrance du patient, ni à la
répétition de sa demande, ni à la compassion du médecin. Dernièrement, la jurisprudence a par exemple condamné à la prison à vie avec une peine de sûreté de 9 ans, réduite à 5 ans en novembre 2010, une mère qui avait tué son fils. Celui-ci souffrait de troubles cérébraux réversibles et sa mère avait décidé de lui administrer une dose létale d'héroïne. La Cour a rappelé que « la loi sur le meurtre ne distinguait pas le meurtre commis pour des raisons
malveillantes et celui commis par amour familial. L'euthanasie reste un meurtre ». 49
Le suicide assisté
Depuis 1961,50 le suicide et la tentative de suicide ont été dépénalisés. Aujourd'hui, seule l'aide au suicide reste incriminée, la peine pouvant aller jusqu'à 14 ans de prison. Cependant, l'idée du suicide assisté s'insère beaucoup plus facilement dans la mentalité des Britanniques que celle de l'euthanasie.
L'affaire Purdy portée devant la Chambre des Lords (2009)
L'affaire Purdy51 a relancé le débat au Royaume-Uni. Debbie Purdy, une femme atteinte d'une sclérose en plaques, a saisi la Haute Cour pour s'assurer que son mari ne serait pas poursuivi s'il l'accompagnait en Suisse où elle souhaitait mourir avec le concours de l'association Dignitas. Mais la Cour s'en est tenue à la loi. Cependant, la Chambre des Lords a estimé que le Director of Public Prosecutions qui décide de l'opportunité des poursuites
pénales devait baliser plus clairement les critères concernant la décision de ces poursuites sur le suicide assisté afin que celles-ci ne soient pas laissées à l'arbitraire.
Les directives du Director of Public Prosecutions (DPP) (2009-2010)
Le DPP Keir Starmer a ainsi rendu public des directives le 23 septembre 2009, modifiées le 25 février 2010 après une consultation publique. Tout en précisant qu'elles ne décriminalisaient en rien l'aide au suicide, comme en témoignent les qualifications pénales de « suspect » et
de « victime », le DPP a exposé une liste de 16 facteurs provoquant l'inculpation et de 6 facteurs la rendant inutile. Ce qui ressort principalement de ces critères de non inculpation, c'est avant tout l'assurance que la personne a été parfaitement autonome dans sa décision (pas de pression extérieure, pas de défaillance mentale, démarche de sa propre initiative...) et que la personne qui l'a aidée agissait de manière purement altruiste. Chose singulière, aucune référence à l'état physique de la personne n'est mentionnée. Toutefois, le DPP précise que la liste de ces critères n'est pas exhaustive et qu'il ne fournit à personne la garantie de ne pas être poursuivi. L'appréciation doit se faire au cas par cas. Cette position
est contestée par la Commission on Assisted Dying, un organisme privé composé d'experts, comme entraînant une incertitude anxiogène pour les médecins et les familles.
Légalisation du suicide assisté proposée par la Commission on Assisted Dying (2012)
Suivant de près les questions relatives à l'aide à mourir, cette même commission a rendu un long rapport en janvier 2012. Après avoir interrogé plus de 1 300 personnes, elle a conclu à ce que la loi de 1961 était « inadéquate et incohérente ».
Par conséquent, la Commission on Assisted Dying se montre favorable à la légalisation du suicide assisté. Le modèle qu'elle propose est très proche de celui de l'Etat d'Oregon aux Etats-Unis. Seraient concernées les personnes de plus de 18 ans en phase terminale, ayant moins d'un an à vivre, mais pas les personnes lourdement handicapées. La personne candidate doit être en bonne santé mentale, c'est-à-dire ne souffrir d'aucune altération significative de sa volonté du fait d'une dépression ou d'une démence. Si c'est le cas, le médecin est chargé de réorienter le malade vers des soins adaptés. La Commission rejette le
critère de la souffrance insupportable, jugé trop subjectif et peu clair. De même, elle refuse l'instauration légale de l'euthanasie. Le fait que seul le malade puisse prendre le produit létal apporte une garantie quant au respect de sa volonté, la personne étant maîtresse de ses actes jusqu'au bout. En aucun cas, le médecin ne doit administrer un produit létal. Jusqu'à ce
jour, cette proposition n'a pas encore été relayée par un projet de loi.
48 Homicide Act de 1957
49 Affaire Frances Inglis du 21 janvier 2010, jugée en appel le 12 novembre 2010
50 Suicide Act de 1961
51 Affaire R. v. Director of Public Prosecutions du 30 juillet 2009
Source : CCNE
Au Canada, le débat sur l'euthanasie et le suicide assisté a sérieusement commencé dans les années 1990, différentes propositions de loi ayant été déposées par des parlementaires, sans jamais être votés Aussi la loi actuelle interdit-elle toujours l'aide active à mourir.
Cependant, les débats sont plus que jamais d'actualité. Du fait de la structure étatique, les enjeux de la question se situent à deux niveaux, à savoir l'Etat fédéral (compétent en matière criminelle) et les provinces (compétentes en matière de santé). Le premier refuse la légalisation au niveau fédéral, mais certaines provinces essaient de trouver des échappatoires.
I- La résistance au niveau fédéral
I-1- La législation en matière criminelle
A l'heure actuelle, n'existe au Canada aucune interdiction formelle du suicide. Alors qu'elle était incriminée il y a encore quelques décennies, la tentative de suicide a été dépénalisée en 1972. Aujourd'hui, seule l'aide au suicide est encore punissable. L'article 241 du Code criminel l'interdit formellement, qu'il s'agisse de conseiller, aider ou encourager une personne à se donner la mort.
Quant à l'euthanasie, elle tombe sous le coup de l'article 222 du Code criminel qui interdit le meurtre. Habituellement, la jurisprudence canadienne distingue deux degrés, selon que le meurtre a été prémédité (1er degré) ou non (2ème degré). Or, assez paradoxalement, l'euthanasie est le plus souvent qualifiée de meurtre de second degré par la jurisprudence alors que l'intention de tuer ne fait en général pas de doute. Depuis les années 1990, les parlementaires ont déposé plus d'une dizaine de projets de loi sur la mort volontaire.52 Le dernier, promouvant une dépénalisation de l'aide à mourir, date de mai 2009.53 Il proposait une autorisation de l'euthanasie et du suicide assisté. La personne devait avoir au moins 18 ans et devait, soit éprouver des douleurs physiques ou mentales aigües sans perspective de soulagement, soit être en phase terminale de maladie.
Mais de nombreuses critiques ont empêché l'adoption de ce projet. Le projet de loi a ainsi été rejeté massivement le 21 avril 2010 par 228 voix contre 59.
I-2- La jurisprudence de la Cour suprême du Canada
La Cour suprême du Canada a confirmé l'interdiction de l'aide au suicide dans la célèbre affaire Rodriguez de 199354. Une femme atteinte d'une sclérose latérale amyotrophique avait demandé aux juges de reconnaître l'inconstitutionnalité de l'article 241 du code criminel, mais elle n'a pas obtenu gain de cause. Les juges se sont fondés sur le fait que le but du code criminel était de protéger les personnes vulnérables et que seule une prohibition absolue était acceptable. La Cour suprême du Canada a aussi confirmé l'interdiction de l'euthanasie dans une affaire Latimer. En novembre 1994, Robert Latimer a été reconnu coupable du meurtre au second degré par asphyxie de sa fille de 12 ans, Tracy, gravement handicapée. Il est condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.
II- Les fissures au niveau provincial
Si l'Etat fédéral ne semble pas prêt à légaliser l'euthanasie et le suicide assisté, les provinces n'opposent pas, quant à elles, la même résistance farouche. De manière générale, la jurisprudence des tribunaux de province se montre assez indulgente dans les affaires relatives à la fin de vie. D'une part, on remarque une certaine forme d'impunité. En effet, les personnes accusées d'aide au suicide sont la plupart du temps condamnées à de la prison avec sursis ou à des périodes de probation. D'autre part, les accusations de meurtre au premier degré sont souvent abandonnées lors des audiences au profit d'une requalification en meurtre de second degré, voire en simple administration de substance nocive. Ces derniers temps, deux provinces mettent particulièrement en avant leur désaccord avec la politique fédérale : la Colombie-Britannique tente de faire reconnaître la légalité de l'aide à mourir par l'inconstitutionnalité des dispositions du code criminel fédéral, tandis que le Québec préfère contourner le problème par une législation en matière de santé.
II-1- La Colombie-Britannique : le combat au niveau constitutionnel
L'affaire Carter en 201255 a fait grand bruit : la Cour suprême de Colombie-Britannique, en effet, n'a pas statué comme dans l'affaire Rodriguez et a jugé que la prohibition absolue de l'aide au suicide n'était pas constitutionnelle, parce que disproportionnée. Elle l'a en outre jugée discriminatoire : le fait que le suicide ne soit pas interdit par la loi, mais qu'en revanche l'aide au suicide le soit, placerait dans une situation défavorable les personnes qui ne peuvent pas se suicider par leurs propres moyens. Selon elle, le suicide et l'aide au suicide ne peuvent pas être traités différemment d'un point de vue juridique. Cette affaire est toujours en cours, le jugement d'appel devant intervenir prochainement.
II-2- Le Québec : le combat au niveau législatif
Depuis quelques temps, le Québec se familiarise avec l'idée de l'euthanasie. Dans un sondage de juin 2007, c'était la province canadienne la plus favorable à cette pratique (87% des Québécois). A la suite de la Société royale du Canada qui a donné un avis plutôt favorable à une légalisation en novembre 2011,56 la Commission spécialement mandatée par l'Assemblée nationale du Québec a adopté la même position dans un rapport rendu en mars 2012, après avoir parcouru la province et organisé de nombreuses consultations publiques. Le Comité Ménard, composé de juristes, a été chargé de réfléchir à la mise en oeuvre de cette légalisation, ce qui a été fait dans son rapport de janvier 2013.57 Depuis, une proposition de loi est attendue pour juin 2013. Ce rapport propose un moyen de contourner l'obstacle fédéral. Il s'agirait de qualifier l'aide médicale à mourir de « soins de fin de vie ». Cela aurait pour conséquence de faire entrer l'aide au suicide dans le domaine de la santé. Or, cette compétence revient aux provinces, l'Etat fédéral n'ayant que très peu de pouvoir dans ce domaine. Le rapport Ménard, comme celui de la Commission, circonscrit d'emblée le champ d'une éventuelle loi : il s'agit d'une aide médicale à mourir en fin de vie. Cependant, à la lecture du texte, si l'aspect médical est incontestable, le critère de la fin de vie n'est pas clairement mentionné : « Le Comité adhère à l'idée que de facto l'aide médicale à mourir se situe nécessairement en fin de vie, sans par ailleurs prévoir l'exigence d'une maladie terminale »58. Une certaine confusion s'instaure alors, dans la mesure où la maladie grave et incurable est exigée...
En effet, concernant les conditions médicales de l'aide à mourir, il faut d'une part souffrir d'une maladie grave et incurable, d'autre part, la situation médicale de la personne doit se caractériser par une déchéance avancée de ses capacités, sans aucune perspective d'amélioration, et enfin, la personne doit éprouver des souffrances physiques ou psychologiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées. La Commission a jugé d'une « égale importance » les douleurs physiques et les souffrances psychologiques.
Déroulant la logique de la qualification de l'aide à mourir en « soin », « la décision de solliciter l'aide médicale à mourir ne doit pas exiger un degré plus élevé d'aptitude à consentir que celle requise pour n'importe quel traitement médical »59. Le Comité ne semble donc reconnaître aucune particularité aux décisions de fin de vie. Le Comité ne souhaite pas pour autant que l'offre d'aide à mourir soit proposée aux personnes souffrant d'une « maladie mentale, comme la dépression ». Dans ce cas, le médecin devra orienter son patient vers des soins adaptés. De même, « la simple existence d'un déficit cognitif quelconque n'est pas suffisant pour rendre une personne inapte à consentir. [...] Ainsi, une personne qui a fait l'objet d'un diagnostic de démence ou de maladie d'Alzheimer est encore généralement apte au début de sa maladie, ce n'est qu'avec la progression de la maladie qu'elle deviendra inapte à consentir à des soins »60.
Même si le Comité estime que l'offre ne doit concerner que les personnes majeures aptes, la question de son ouverture aux mineurs se pose. En effet, si le droit retient la qualification de « soin » pour l'aide médicale à mourir, la loi actuelle reconnaît aux mineurs de plus de 14 ans la capacité de consentir ou de refuser des soins. Certes, il ne s'agit pas d'une véritable « majorité médicale » dans la mesure où la décision du mineur peut être renversée par les parents ou même par un tribunal. Toutefois, la question n'est pas franchement tranchée. Le Comité propose un contrôle a posteriori par le coroner mais aussi un contrôle a priori effectué par le tribunal au cas où il y aurait des difficultés quant à la détermination de l'aptitude et de l'acquisition des critères de recevabilité.
52 Depuis 1991, on compte 8 projets de loi déposés à la Chambre des Communes (C-351, C-203, C-261, C-215, C-385, C-407, C-562, C-384) et 3 projets de loi déposés au Sénat (S-13, S-29, S-2).
53 Projet de loi Lalonde C-384 (13 mai 2009)
54 Affaire Rodriguez c/ Colombie-Britannique du 30 septembre 1993
55 Affaire Carter c/ Canada du 15 juin 2012 (2012 BCSC 886)
56 SOCIETE ROYALE DU CANADA, Prise de décision en fin de vie, novembre 2011
57 MENARD, GIROUX et HEBERT, « Mettre en oeuvre les recommandations de la Commission spéciale de l'Assemblée nationale sur la question de mourir dans la dignité », Rapport du Comité de juristes experts, janvier 2013
58 Ibid. p.357
59 Ibid. p.359
60 Ibid., p.360
Source : CCNE
Pays | Euthanasie | Suicide assisté |
SUISSE Articles 114 et 115 du Code Pénal de 1942 |
Pénalisée |
Toléré d’après une interprétation a contrario du Code pénal En l'absence de législation fédérale et cantonale, les directives de l'Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM)47 sont considérées comme des règles supplétives. Dans la pratique, l'assistance au suicide est organisée par des associations dans certains cantons.
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OREGON WASHINGTON |
Pénalisée |
Légalisé → Le médecin n'est pas au centre du processus.
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PAYS-BAS Loi sur le contrôle de l’interruption de la vie sur demande et de l’aide au suicide du 12 avril 2001 |
Légalisée Légalisé → Le médecin est au centre du processus.
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BELGIQUE Loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002 |
Légalisée → Le médecin est au centre du processus.
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Silence de la loi |
LUXEMBOURG Loi sur l’euthanasie et l’assistance au suicide du 16 mars 2009 |
Légalisée → Le médecin est au centre du processus. |
Légalisé → Le médecin est au centre du processus. |
47 Directives médico-éthiques sur l’accompagnement médical des patients en fin de vie ou souffrant de troubles cérébraux extrêmes de l’Académie Suisse des Sciences Médicales
Source : CCNE
Bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l'euthanasie
Au-delà de la France, quelques pays ont déjà abordé le problème de l'euthanasie et du suicide assisté, soit en choisissant l'une ou l'autre des deux pratiques, soit en acceptant les deux. Si certains pays se posent aujourd'hui la question de l'acceptation de ces pratiques, comme c'est actuellement le cas au Québec et au Royaume-Uni, d'autres ont au contraire fait marche arrière. On peut ainsi citer l'exemple d'un Etat australien, le Territoire du Nord,
qui avait légalisé l'euthanasie et le suicide assisté en 1995 et dont le texte a été abrogé en 1997 par un amendement fédéral.
I- La légalisation du suicide assisté (Oregon et Washington)
Cela fait maintenant une quinzaine d'années que l'Etat de l'Oregon a légalisé le suicide assisté. L'État de Washington l'a imité en 2009 et la Cour suprême du Montana a reconnu ce droit la même année, dans son arrêt Baxter vs Montana du 31 décembre 2009. Depuis l'entrée en vigueur de son Death with Dignity Act, l'Oregon compte un millier de suicides assistés. Les chiffres progressent chaque année sans toutefois être alarmants61.
La principale condition requise par ces deux législations quasiment identiques est celle de la maladie terminale du patient, c'est-à-dire qu'il faut non seulement avoir une maladie (l'infirmité ou le grand âge ne sont pas suffisants, comme cela a été précisé en 1999), mais
aussi être en fin de vie (l'espérance de vie doit être de moins de 6 mois). Les législateurs n'ont pas retenu le critère de la souffrance comme c'est le cas au Bénélux, difficile à apprécier et beaucoup plus subjectif que celui de la maladie.
En outre, la loi interdit explicitement de délivrer une médication létale à une personne souffrant de troubles psychiatriques ou psychologiques, ou de dépression, dans la mesure où ces désordres psychiques pourraient altérer le consentement. C'est pourquoi le médecin peut demander l'avis d'un de ses confrères, spécialistes en la matière.
Mais, depuis quelques années, on observe un recul des expertises psychiatriques : en effet, en Oregon jusqu'en
2005, 14% des suicides assistés ont été précédés de cet examen alors qu'en 2010, ce pourcentage n'est que de 1,5%, et de 3% en 2010 dans l'Etat de Washington62.
Au regard du système de protection sociale de ces États, très différent du nôtre, il semble que la législation sur le suicide assisté ait été pensée en fonction de l'accès aux soins palliatifs. En effet, la loi n'autorise le suicide assisté que pour les personnes jugées comme
ayant moins de 6 mois à vivre. Or, d'après un rapport de 2007 de la Oregon Health Services Commission, c'est uniquement dans cette période-là que les personnes bénéficiant du programme social Medicaid (sécurité sociale des personnes ayant des faibles revenus) sont admis en soins palliatifs et que le programme Medicare les prend en charge.63
Dans le but de prévenir des dérapages, les deux lois ont institué des commissions de contrôle. Cependant, à la lecture des rapports, leur mission s'apparente plus à un rôle d'enregistrement des statistiques qu'à un rôle de critique.
61 Dans les rapports annuels, on comptait ainsi 71 cas en 2011 pour l'Oregon et 94 pour Washington.
62 LEGROS B., Euthanasie, arrêt de traitement, soins palliatifs et sédation, Les Etudes Hospitalières, 2011, p.248
63 Ibid., pp.242-244
Source : CCNE
Bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l'euthanasie
II- La tolérance du suicide assisté en Suisse
En Suisse, les domaines de compétences de l'État se déploient à deux niveaux : fédéral et cantonal. Au niveau fédéral, le code pénal interdit clairement l'euthanasie mais tolère le suicide assisté lorsqu'il est pratiqué sous un mobile non égoïste. Il revient ensuite aux cantons, compétents en matière de santé, de légiférer sur la question ou non. En l'absence de législation, les autorités suivent les règles de l'Académie suisse des sciences médicales.
Cette absence de législation a parfois conduit à des dérives de la part de certaines associations d'aide au suicide. On a vu ainsi des suicides organisés dans des lieux incongrus, tels des voitures ou des caravanes sur des parkings (automne 2007). Les méthodes ont aussi
parfois changé et l'hélium a pu être substitué au NAP (printemps 2008). Une rumeur disait même que des cendres de suicidés avaient été jetées au fond du lac de Zurich (octobre 2008)64. Outre des procédés parfois contestables, les associations d'aide au suicide provoquent un malaise quant au « business » de la mort qu'elles développent. En effet, en plus des opérations de marketing et de publicité (annonces, spots radio, publicités dans le métro), le chiffre d'affaires de certaines associations progresse vivement, ayant pu aller jusqu'à doubler en quelques années65. Enfin, la jurisprudence a récemment acquitté une
accompagnatrice qui avait ouvert elle-même le robinet permettant la perfusion du produit létal, ce qui pourrait s'apparenter à une euthanasie alors qu'elle est interdite66.
Mais c'est surtout la largesse des critères de sélection mis en œuvre par les associations qui suscite la critique. Il n'y a aucune exigence de résidence en Suisse pour les candidats au suicide et c'est pourquoi certaines associations, comme Dignitas, acceptent des étrangers
(33% sur l'ensemble des assistances au suicide pour l'année 2007). Cela donne ainsi lieu à un tourisme de la mort qui nuit à l'image de la Suisse et trouble l'ordre juridique des États voisins. Par ailleurs, les associations acceptent souvent des personnes qui ne sont pas en fin de vie. Dans les chiffres de suicides assistés fournis par Exit Deutsche Schweiz entre 2001- 2004, 34% des personnes suicidées ne souffraient pas de maladies mortelles.67 Ces organisations aident aussi parfois des personnes atteintes de maladies ou troubles psychiques. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs reconnu, le 3 novembre 2006, un droit au suicide assisté pour ces personnes-là, à la condition qu'elles soient capables d'émettre un jugement
libre (affaire Hass). Enfin, ces dernières années, certaines associations ont ouvert leurs services à des personnes en bonne santé. Cette politique a été annoncée par Dignitas en juin 2008 68 et Exit Deutsche Schweiz en septembre 2008.69 Cependant, le Président d'Exit ADMD en Suisse Romande, Jérôme Sobel, a, quant à lui, rappelé récemment que n'importe quelle demande de suicide assisté n'était pas forcément valable.70 L'ASSM estime elle aussi que certains critères comme la fatigue de vivre ou la mauvaise qualité de vie ne sont pas suffisants pour ouvrir un droit au suicide assisté71.
Entre 2003 et 2007, le nombre de suicides assistés a augmenté de 52%72 avant de connaître un coup d'arrêt dans sa progression. Les auteurs du rapport de 2009 émettent prudemment l'idée que ce recul pourrait être en lien avec un renforcement des soins palliatifs, que les associations ne proposent pas toujours.73
Ces dernières années, le Conseil fédéral a préféré maintenir le statu quo car il ne voulait pas donner un label étatique à la pratique du suicide assisté. Le Tribunal fédéral, dans l'affaire Hass, a d'ailleurs refusé de qualifier de droit constitutionnel la remise d'une dose létale de NAP sans ordonnance. Cependant, l'utilisation stricte du droit en vigueur par les autorités publiques a parfois abouti à des dérives dans les organisations d'assistance au suicide. C'est, par exemple, la confiscation des surplus de doses de NAP qu'elle détenait illégalement qui a fait qu'une association a utilisé de l'hélium pour assurer ses engagements.74 Cependant,
cette tendance au statu quo a été remise en cause en juin 2012 : le canton de Vaud a décidé de se munir d'une législation, ce qui est une première en Suisse.
64 DFJP, Assistance organisée au suicide : examen approfondi des solutions envisageables et de la nécessité
d'une nouvelle règlementation fédérale, 2009
65 C'est le cas de Dignitas dont le chiffre d'affaires était de 770 000 Francs en 2004 et de 1,4 million en 2008.
66 DREYFUS A., « Notre mort nous appartient », in Marianne, avril-mai 2013
67 DFJP, Assistance organisée au suicide..., op. cité, p.7 64
68 http://www.blick.ch/news/schweiz/todes-service-jetzt-auch-fuer-gesunde-id163490.html
69 DFJP, Assistance organisée au suicide..., op. cité, p.7
70 « Pas question d'accéder aux désirs d'une personne en bonne santé qui fait une demande émotionnelle
parce qu'elle a perdu son travail ou parce que son conjoint l'a quittée. En ce sens, nous pouvons être aussi un bon garde-fou contre les suicides pour de mauvaises raisons. » in DREYFUS A., « Notre mort nous appartient »,
in Marianne, avril-mai 2013
71 ASSM, Problèmes de l'assistance médicale au suicide, 2012
72 DJFP, Assistance organisée au suicide..., op. cité
73 LEGROS B., Euthanasie..., op. cité, p.233 ; Rapport Sicard pp.67-69
74 DFJP, Assistance organisée au suicide..., op. cité
Source CCNE
C'est au bout de plusieurs décennies de pratique acceptée que les Pays-Bas ont légalisé l'euthanasie et le suicide assisté en 2001. La Belgique a suivi en 2002 pour l'euthanasie tout en restant silencieuse sur le suicide assisté. Enfin, en 2009, le Luxembourg a admis les deux
pratiques. Alors que l'expérience du Luxembourg n'est pas encore très lisible et ne concerne actuellement que quelques cas par an, la progression des chiffres aux Pays-Bas et en Belgique est pour le moins alarmante. En effet, ces derniers temps, les Pays-Bas accusent une progression annuelle du nombre d'euthanasies de 18% (2010-2011)75. Déjà en 2009, alors que le rythme annuel d'augmentation atteignait 13%, l'ONU avait fait savoir que la situation le préoccupait76. En Belgique, le nombre d'euthanasies a presque triplé depuis2006 77.
III-1- L'interprétation extensive des termes de la loi
En Belgique, dans les termes de la loi, le critère requis est celui de la souffrance physique ou psychique insupportable et constante qui doit résulter d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.
En quelques années, l'interprétation de cette notion s'est
considérablement distendue comme en témoignent les différents rapports de la commission de contrôle.
C'est sans doute la notion de souffrance qui a été le plus revisitée par la Commission belge de contrôle. Tout d'abord, concernant les caractères de la souffrance, la Commission belge de contrôle a estimé, dans son premier rapport (2002-2003), que le caractère insupportable
de la souffrance était « en grande partie d'ordre subjectif et dépend de la personnalité du patient, des conceptions et des valeurs qui lui sont propres»78. Le médecin peut donc difficilement la déterminer. De même, « quant au caractère inapaisable de la souffrance, il
faut tenir compte du fait que le patient a le droit de refuser un traitement de la souffrance, même palliatif ».79 Dans son troisième rapport (2006-2007), la Commission a décidé que l'estimation du caractère insupportable et inapaisable de la souffrance devait parfois tenir compte de l'âge du patient et que « la prévision d'une évolution dramatique (coma, perte d'autonomie, démence progressive) a été considérée comme une souffrance psychique
insupportable et inapaisable ».80
De plus, la loi prévoit que l'origine de la souffrance doit être une affection pathologique ou accidentelle. Or, la Commission belge de contrôle accepte des cas de personnes qui souffrent uniquement des effets du grand âge.81 Dans le quatrième rapport (2008-2009), plusieurs membres (minoritaires) de la Commission ont signalé leurs désaccords quant à cette interprétation extensive de la loi, considérant que la souffrance et la demande d'euthanasie n'étaient pas liées aux affections mais aux conséquences de l'âge.82
De même, la Commission s'ouvre de plus en plus au cas des maladies psychiatriques. Dans le deuxième rapport (2004-2005), on notait déjà la présence de cas d'affections
neuropsychiatriques : 6 cas en 2004, 3 en 200583. A la suite du troisième rapport et de son interprétation large sur la notion de souffrance psychique, on note que dans la catégorie des euthanasies de personnes dont le décès n'est pas prévu à brève échéance, le nombre d'affections neuropsychiatriques est passé de 8% à 24% en deux ans84, entretenant une confusion entre la souffrance psychique et la maladie psychiatrique.
Les Pays-Bas ne retiennent que le critère de la souffrance insupportable sans perspective d'amélioration. Mais la Cour suprême fait preuve d'une grande indulgence pour les
médecins qui acceptent de pratiquer l'euthanasie à la demande d'une personne seulement fatiguée de vivre (affaire Brongersma du 24 décembre 2002)85.
III-2- La revendication du droit à l'euthanasie et au suicide assisté pour les plus vulnérables
La question de l'ouverture de ce droit aux mineurs est actuellement débattue en Belgique.
Au regard des différentes propositions de loi déjà déposées, le débat oscille entre le maintien d'un seuil chiffré en âge et l'abolition de ce seuil au profit de la capacité de discernement (certains l'estiment déjà présente aux alentours de 7-8 ans). Les Pays-Bas, quant à eux, reconnaissent déjà ce droit aux mineurs de 12 ans et plus. C'était une des nouveautés que la loi de 2001 a ajoutée à la pratique antérieure. Pour les 16-18 ans, les
parents doivent participer à la prise de décision et pour les 12-16 ans, un double consentement est nécessaire, celui de l'enfant et celui des parents.
En Belgique, la question de l'ouverture de l'euthanasie aux personnes démentes a aussi été envisagée,86 notamment pour celles qui auraient exprimé leur volonté dans une déclaration anticipée et non limitée dans le temps.
Aujourd'hui, le débat porte aussi sur les sujets atteints de maladie d'Alzheimer, dont on a pourtant déjà vu certains cas mentionnés dans les rapports. Aux Pays-Bas, 12 cas de démences ont été signalés en 2009. Dans leur rapport, les Commissions hollandaises de contrôle recommandaient simplement au médecin d'agir avec plus de prudence quant au discernement de la personne. Elles précisaient que l'avis d'un autre médecin était essentiel pour les maladies psychiatriques à l'exception de la
démence et de la dépression87.
Enfin, reste le cas des nouveau-nés. On remarque ici l'influence sur la Belgique du protocole de Groningen, institué aux Pays-Bas. Celui-ci a été mis en place entre l'hôpital de l'Académie de Groningen et la justice pour permettre d'abréger la vie des nouveau-nés lourdement
handicapés. Paradoxalement, la pratique n'est pas légale mais est officiellement contrôlée.
III-3- Un contrôle inefficace de la pratique
D'une part, on peut remarquer le recul des consultations de confrères lors de la détermination de l'éligibilité au suicide assisté ou à l'euthanasie. Comme il a été dit plus
haut, l'avis d'un autre médecin pour la démence ou la dépression n'est pas considéré comme essentiel par la Commission belge. Aux Pays-Bas, avant la loi de 2001, le médecin devait consulter au moins deux experts indépendants, dont un psychiatre. Depuis la loi, le médecin
ne doit plus consulter qu'un seul confrère, sans exigence de spécialité. Comme dans l'Etat de l'Oregon, les consultations psychiatriques deviennent rares. Et parfois, sous prétexte d'urgence, le médecin néerlandais ne consulte pas un autre confrère. Certes, cette attitude
est sanctionnée par les Commissions hollandaises, mais seulement a posteriori.88 Enfin, au Luxembourg, l'avis du médecin porte uniquement sur le caractère grave, incurable et sans issue de l'affection ainsi que sur la souffrance physique ou psychique constante et insupportable et non sur le consentement89.
D'autre part, dans ces trois pays du Bénélux, le système de contrôle fonctionne a posteriori et de façon déclarative, ce qui jette un doute sur le sérieux du contrôle : d'où le chiffre quasiment nul de sanctions. En dix ans de pratique, aucun cas n'a été transféré au procureur du Roi en Belgique.90 Aux Pays-Bas, seuls quelques cas par an sont sanctionnés.91 Au Luxembourg, toutes les euthanasies pratiquées ont été déclarées conformes à la loi.92
III-4- L'existence d'une alternative ?
En Belgique, la Commission Santé avait voulu à l'unanimité mettre en place un filtre a priori de soins palliatifs au sein de la procédure euthanasique, mais cela a été rejeté au moment de la rédaction de la loi. Pourtant, les personnes en soins palliatifs semblent moins demandeuses d'euthanasie que les autres. Pour l'année 2010-2011, 10% des demandes d'euthanasies ont été formulées à des médecins formés en soins palliatifs, tandis que 50% l'ont été à des médecins généralistes et 40% à des spécialistes.93 Les médecins belges semblent de moins en moins formés pour les soins palliatifs. En effet, sur les médecins consultés pour une euthanasie, ils étaient 19,5% à être formés à cette discipline selon le premier rapport en 2002-2003 alors qu'ils ne sont plus que 10% en 2009 94.
De même a-t-on pu croire à une amélioration des soins palliatifs aux Pays-Bas. Cependant, certaines études démontrent que même s'il est indéniable que les unités de soins palliatifs ont vu leur nombre augmenter, la qualité de ces services n'a pas toujours suivi. L'élément le plus symptomatique de cette tendance est l'abus de la sédation en phase terminale. En effet, la douleur, la dyspnée ou la confusion, qui relèvent habituellement des soins palliatifs
sont souvent traitées par les médecins néerlandais par une sédation. Celle-ci est souvent utilisée sans que le médecin ne se soit assuré du caractère réfractaire du symptôme, ni du caractère insupportable de la souffrance, ni de la fin de vie (espérance de vie d'une à deux semaines).95 Une étude montre qu'une équipe spécialisée en soins palliatifs a donné un avis défavorable sur la mise en place d'une éventuelle sédation en phase terminale dans 42% des cas. Ces refus étaient motivés dans 96% des cas par l'absence de caractère réfractaire du symptôme96. La sédation en phase terminale tend à être banalisée alors qu'elle est normalement exceptionnelle.
III-5- Un accès à la mort de plus en plus facilité
L'euthanasie et le suicide assisté tendent à se banaliser au Benelux. En Belgique, il est de moins en moins rare que ce soient des infirmières qui pratiquent l'euthanasie alors qu'en théorie, elles n'en ont pas le droit.97 De même, les pharmacies belges proposent depuis 2005
un « kit euthanasie ».98
Quant aux Pays-Bas, l'association « Uit wrije wil », c'est-à-dire « de plein gré », milite activement pour une plus grande accessibilité à l'euthanasie. Elle réclame ainsi ce droit pour toutes les personnes de plus de 70 ans, simplement fatiguées de vivre. C'est elle qui est à l'origine de l'idée des équipes euthanasiques mobiles et des cliniques de fin de vie.
75 Rapport Sicard, p.75
76 COMITE DES DROITS DE L'HOMME, Rapport, Vol.I, Assemblée Générale, Nations Unies, Documents officiels,
64ème session, supplément n°40, 2009, p.74. Disponible sur http://ccprcentre.org/doc/ICCPR/AR/A_64_40(Vol I)_Fr.pdf.
77 On comptait 429 cas en 2006 et 1133 cas en 2011.
78 Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, Premier rapport aux chambres législatives,
22 septembre 2002-31 décembre 2003, p.16
79 Ibid.
80 Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, Troisième rapport aux chambres législatives, (2006-2007), p.24
81 Par exemple, en mars 2011, un couple a ainsi obtenu l'euthanasie alors que seul le mari était en phase terminale de cancer. Sa femme souffrait uniquement des effets du grand âge. Sur http://www.ieb-eib.org/fr/bulletins/bulletin-de-lieb-14-avril-2011-56.html#sujet131
82 Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, Quatrième rapport aux chambres législatives, (2008-2009), p.22
83 1 cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, 3 de maladies d'Alzheimer, 1 de maladie de Huntington, 4 de dépressions majeures irréductibles. Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, Deuxième rapport aux chambres législatives, (2004-2005)
84 LEGROS B., Euthanasie..., op. cité, p.276
85 Le médecin, condamné sur le principe, n'a pas été sanctionné. LEGROS B., Euthanasie...., op. cité, p.266
86 Proposition 53 0498/001 le 28 octobre 2010
87 COMMISSIONS REGIONALES DE CONTROLE DE L'EUTHANASIE, Rapport 2009
88 CRCE, Rapport 2009
89 COMMISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'EVALUATION DE LA LOI DU 16 MARS 2009, Premier rapport,
(2009-2010)
90 IEB, Dossier, Euthanasie : 10 ans d'application de la loi en Belgique, avril 2012
91 CRCE Rapport annuel
92 CNCE, Premier rapport, (2009-2010)
93 IEB, Dossier..., op. cité
94 LEGROS B., Euthanasie..., op. cité, p.282
95 MATTELAER X., AUBRY R., « Pratique de la sédation aux Pays-Bas : preuve du développement des soins palliatifs ou dérive euthanasique ? », in Médecine Palliative, Vol.11, juin 2012
96 DE GRAEFF A., JOBSE AP., VERHAGEN EH., MOONEN AAJ., De rol van consultative bij palliative sedatie in de regio Midden-Nederland, Ned Tijdschr Geneeskd 2008 ; 152 : 2346-50
97 LEGROS B., Euthanasie..., op. cité, p.280-281
98 http://lci.tf1.fr/science/2005-04/kit-euthanasie-dans-pharmacies-belges-4895910.html
Source : CCNE
Annexe 3
Dans les études médicales et infirmières et autres, peu ou pas de temps est accordé à l'approche, l'accompagnement et le soin des personnes en fin de vie.
Malgré les recommandations renouvelées des différents rapports, malgré les revendications constantes du Collège national des enseignants pour la formation universitaire en soins palliatifs, le développement de cette formation reste bien modeste. Certes, la question de la mort et de la fin de vie a été introduite dans le premier cycle mais au sein d'un module très large. Au cours du deuxième cycle, le nombre d'heures consacrées au module « douleur, soins palliatifs, anesthésie » peut varier de 2h à 35h...
Ultérieurement, il n'y a plus aucune formation en dehors des diplômes d'études spécialisés complémentaires. La majorité des unités de soins palliatifs ne sont pas habilitées comme lieu de stage validant pour le DES de médecine générale ou le DES de cancérologie. La formation continue reste elle aussi peu valorisée. Il existe un diplôme universitaire de soins palliatifs, où selon l'ONFV, les médecins représentent seulement 28% des participants.
De toute façon, il n'y a aucun recensement des actions réalisées et on estime que 80% des médecins n'ont reçu aucune formation à la prise en charge de la douleur.
Seuls 3 cancérologues en Ile de France sur 150 étaient formés aux soins palliatifs en 2008 et 63% des médecins déclarent n'avoir jamais reçu de formation sur les limitations de traitement.
Tant que la formation des professionnels de santé à la culture palliative restera marginale, il n'y a rigoureusement rien à espérer d'un changement des pratiques en France face aux situations de fin de vie. Si un nouveau regard, heurtant les conformismes et les traditions, n'est pas porté par les pouvoirs publics, il n'y a aucune possibilité que les institutions médicales elles-mêmes proposent de leur propre chef, des changements dont elles ne mesurent pas l'importance sociale pour les citoyens.
Recommandations
Demander à la conférence des doyens dès 2013 de :
- Créer dans chaque université une filière universitaire spécifiquement destinée aux soins palliatifs.
- Repenser en profondeur l'enseignement des études médicales afin que les attitudes curatives ne confisquent pas la totalité de l'enseignement :
o Rendre obligatoire un enseignement de soins palliatifs qui aborde en profondeur les différentes situations cliniques.
o Développer la formation au bon usage des opiacés et des médicaments sédatifs.
o Susciter un enseignement universitaire et en formation continue sur ce que l'on entend par « obstination déraisonnable ».
o Apporter tout au long de leur cursus une formation aux étudiants en médecine à l'exigence de la relation humaine dans les situations de fin de vie, grâce au concours des sciences humaines et sociales, et les amener à une réflexion sur les excès de la médicalisation.
o Rendre obligatoire pour les étudiants, généralistes et spécialistes principalement concernés par les maladies graves, un stage en soins palliatifs durant leur internat.
Pour les instituts de formation du personnel soignant, une démarche analogue doit être conduite.
- Pour la formation continue des médecins (Développement Professionnel Continu), exiger qu'un des programmes de formation annuelle suivi par un médecin en activité, au moins une fois tous les trois ans, porte sur les soins palliatifs et sur les attitudes à adopter face à une personne malade en fin de vie.
- Pour la formation continue des soignants, une démarche analogue doit être conduite.
Source : CCNE
L'examen par le Comité des droits de l'homme (CDH) des Nations Unies du rapport périodique des Pays-Bas a eu lieu les 14 et 15 juillet 2009.
Extrait des observations finales du Comité des droits de l'homme :
"Le Comité reste préoccupé par l'étendue de l'euthanasie et de l'aide au suicide dans l'État partie. En application de la loi relative à l'interruption de la vie sur demande et à l'aide au suicide, même s'il faut l'avis d'un second médecin, un médecin peut mettre fin à la vie d'un patient sans que la décision ne fasse l'objet d'un examen indépendant conduit par un juge ou un magistrat pour s'assurer qu'elle n'est pas le résultat de pressions morales ou d'une mauvaise appréciation (art. 6).
Le Comité réitère ses recommandations antérieures à ce sujet et demande instamment le réexamen de cette législation à la lumière de la reconnaissance du droit à la vie consacrée dans le Pacte."
Source : Comité des droits de l'homme Centre for Civil and Political Rights
Article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
1. Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.
Source : Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme
Alexandre Mauron, professeur de bioéthique à l'Université de Genève, détaille les spécificités historiques de la fin de vie dans son pays
Par ERIC FAVEREAU
18 décembre 2012
(extraits)
Pourquoi la Suisse a-t-elle adopté un dispositif permettant le suicide assisté, et non l'euthanasie ?
Il est essentiel de comprendre que la légalité de l'assistance altruiste au suicide résulte d'un débat qui se situe à la fin du XIXe siècle. Ce débat intervient lors de la rédaction d'un code pénal fédéral et lors de ces discussions, pour les juristes, dès lors que l'on est dans un Etat laïc où le suicide n'est pas condamné pénalement, (...) l'assistance à un suicide ne peut être en soi un délit. Pour que l'aide au suicide devienne un délit, il faut que l'aide repose sur une motivation égoïste. On le voit, ce débat n'est pas du tout un débat médical.
C'est-à-dire ?
Les exemples de suicides assistés évoqués à l'époque sont des suicides liées à des histoires d'honneur perdu, ou d'amants malheureux, les malades désirant mourir ne sont qu'une situation parmi d'autres. On n'est pas, le plus souvent, dans une problématique d'éthique médicale.
Depuis ce débat, que s'est-il passé ?
Le code pénal fédéral a été adopté en 1937. Et nous sommes restés sur ce cadre-là. A partir de la fin des années 80, cette thématique est revenue dans le débat public, parce qu'apparaissent des façons de participer à un suicide assisté qui ne sont pas de simples arrangements privés entre citoyens. Des associations d'aide au suicide assisté émergent, associations souvent militantes.
Et que disent les autorités fédérales ?
Elles se tiennent plutôt en retrait ; ce sont des parlementaires qui prennent conscience qu'il y a des pratiques organisées. Dès les années 90, un député évoque la possibilité d'euthanasie légalisée dans certaines situations : cette proposition est repoussée. En même temps, il y a des volontés visant soit à élargir, soit à restreindre le cadre de l'aide au suicide. Mais jamais à le remettre en cause.
Ce dispositif paraît bien accepté par la société suisse.
Oui. Il y a un vrai statu quo législatif, mais c'est normal, c'est une loi ancienne, qui a façonné les attitudes. Et il faut se rappeler l'atmosphère du début du XXe siècle. L'attitude, alors, face au suicide était aussi un enjeu de laïcité. On affirmait que le suicide stoïcien était honorable, par opposition à la condamnation du suicide par les Eglises, ou à la perception du suicide comme une infraction à l'ordre social.
Ce qui frappe dans votre dispositif, c'est que le médecin est mis à l'extérieur.
Le médecin n'est pas seulement mis à l'extérieur, il en est absent. Certes, cela change : depuis vingt ans, le débat a remis les professions soignantes sur le tapis, car nul ne peut nier qu'un suicide non violent passe par la rédaction par un médecin d'une ordonnance, et du coup ces professionnels sont interpellés, mais de manière indirecte.
Quelle est la réaction des médecins ?
L'attitude des professions médicales a été modérée. A l'image de l'Académie suisse des sciences médicales, qui a dit que le suicide assisté n'était pas une activité médicale : cela ne veut pas dire que le médecin n'y participe pas mais s'il le fait, c'est en tant que citoyen, et non pas en tant que médecin. (..)
Comme éthicien, comment regardez-vous le dispositif ?
Ce système est satisfaisant, mais il ne règle pas les problèmes définitivement ; l'idée même qu'une loi peut régler toutes les situations est une idée perverse. La loi a sa place, mais elle doit rester modeste. Pour autant ce n'est pas un modèle.
Source : Libération
Rapport 804 du comité d'experts
Si des décisions d'arrêter tout traitement prolongeant la vie et de laisser la " nature suivre son cours" sont moralement et légalement justifiables, la question se pose de savoir si la société doit permettre aux médecins d'aider la nature à suivre son cours plus rapidement. Si le malade doit mourir, on peut se demander si une période intermédiaire de lent déclin vers la mort peut avoir un intérêt pour le malade ou sa famille ? Pourquoi les malades, leurs familles et les soignants seraient-ils obligés d'attendre la mort passivement ? Accélérer la mort de façon active - euthanasie - ne serait-il pas préférable ?
Nombreux sont ceux qui soutiendront que l'euthanasie reste absolument illégale en raison du plus fondamental de tous les principes, à savoir que personne ne peut disposer de la vie d'autrui. Des autorités religieuses, des philosophes et des juges ont réaffirmé ce principe, de différentes façons et en tout temps. D'autres ont soutenu que le principe "ne pas disposer de la vie" ne peut se justifier si l'euthanasie paraît souhaitable dans certaines circonstances, à certains points de vue, ou à toute personne impliquée dans un cas particulier. Ces points de vue, et d'autres du même ordre, ont été repris de temps à autre et vigoureusement débattus dans divers pays.
La position adoptée par le comité est que, avec l'apparition de méthodes modernes de soins palliatifs, la légalisation de l'euthanasie volontaire n'est pas nécessaire. Maintenant qu'il existe une solution possible au problème de la mort dans la souffrance, il est préférable de concentrer ses efforts sur la mise en application de programmes de soins palliatifs plutôt que d'exercer des pressions pour légaliser l'euthanasie.
Le comité est parvenu aux conclusions suivantes :
- Il est éthiquement justifiable de ne pas mettre en oeuvre ou d'arrêter des mesures destinées à prolonger la vie qui ne sont pas en accord avec les désirs du malade, quand de telles mesures ne peuvent inverser l'évolution de la maladie mais seulement prolonger l'agonie.
- Il est également justifiable, sur le plan éthique, pour des médecins, après consultation avec des membres de la famille, des tuteurs ou des mandataires préalablement désignés par un malade, de prendre de telles décisions au nom de patients inconscients ou incapables.
- Des médicaments à des doses requises pour supprimer la douleur et d'autres symptômes ne peuvent pas être refusés seulement parce qu'ils pourraient abréger la vie d'un malade.
- L'euthanasie (hâter la mort de façon active par des médicaments) ne doit pas être légalisée.
Source : Organisation Mondiale de la Santé (OMS/WHO)
Dans sa Recommandation 1418 (1999, réaffirmée en 2012) sur la "Protection des droits de l'homme et de la dignité des malades incurables et des mourants" :
"L'Assemblée recommande par conséquent au Comité des Ministres d'encourager les Etats membres du Conseil de l'Europe à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous égards: (...)
En maintenant l'interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants :
1. vu que le droit à la vie, notamment en ce qui concerne les malades incurables et les mourants, est garanti par les Etats membres, conformément à l'article 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme qui dispose que «la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement»;
2. vu que le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou un mourant ne peut jamais constituer un fondement juridique à sa mort de la main d'un tiers;
3. vu que le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou un mourant ne peut en soi servir de justification légale à l'exécution d'actions destinées à entraîner la mort."
Source : Conseil de l'Europe
L’OMS prend position contre l’âgisme à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées.
Communiqué de presse
29 septembre 2016 | GENÈVE - Une nouvelle analyse effectuée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) montre que les attitudes négatives ou âgistes à l’égard des personnes âgées s’observent partout. Elles ont par ailleurs des effets négatifs sur la santé physique et mentale des personnes âgées.
Soixante pour cent des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête World Values Survey analysée par l'OMS, estiment que les personnes âgées ne sont pas respectées. Plus de 83 000 personnes dans 57 pays ont participé à cette enquête qui évaluait les attitudes à l’égard des personnes âgées dans tous les groupes d’âge. On retrouvait le plus faible niveau de respect dans les pays à revenu élevé.
«Cette analyse confirme que l’âgisme est une pratique extrêmement courante et pourtant la plupart des gens n’ont pas conscience des stéréotypes qu’ils entretiennent inconsciemment à l’égard des personnes âgées», indique John Beard, Directeur du Département Vieillissement et qualité de vie à l’OMS. «Comme pour le sexisme et le racisme, il est possible de changer les normes sociales. Il est temps de cesser de définir les gens en fonction de leur âge et il en résultera des sociétés plus prospères, équitables et plus saines.»
Les attitudes négatives à l’égard du vieillissement et des personnes âgées ont également des conséquences majeures sur la santé physique et mentale des personnes âgées. Les personnes âgées qui pensent être un fardeau pour les autres perçoivent également leur vie comme ayant moins d’importance, ce qui les expose au risque de dépression et d’isolement social. Des travaux de recherche publiés récemment montrent que les personnes âgées ayant une attitude négative vis-à-vis de leur propre vieillissement ne se rétablissent pas aussi bien des incapacités et vivent en moyenne 7,5 années de moins que celles ayant une attitude positive.
D’ici à 2025, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait doubler et atteindra 2 milliards d’ici à 2050. Les pays à revenu faible ou intermédiaire compteront la grande majorité des personnes âgées.
«La société pourra retirer un avantage de cette population vieillissante si nous vieillissons tous en meilleure santé», déclare Alana Officer, Coordonnatrice au Département Vieillissement et qualité de vie. «Mais pour cela, nous devons éliminer les préjugés âgistes».
«L’âgisme peut prendre de nombreuses formes, notamment lorsque les médias présentent les personnes âgées comme fragiles, dépendantes et dépassées. Il s’agit aussi des pratiques discriminatoires telles que le rationnement des soins de santé en fonction de l’âge ou les politiques institutionnelles telles que le départ à la retraite obligatoire à partir d’un certain âge», ajoute-t-elle.
Les limites d’âge appliquées à des politiques telles que l’âge du départ à la retraite ne reconnaissent pas l’éventail de capacités des personnes âgées et supposent que toutes les personnes âgées ont des caractéristiques similaires. Cet âgisme institutionnalisé et profondément ancré peut être utilisé pour établir une discrimination à l’égard des personnes âgées lors de l’allocation des ressources sanitaires ou lors de la collecte de données ayant une influence sur les politiques sanitaires.
En mai 2016 l’Assemblée mondiale de la Santé appelait le Directeur général à mettre au point une campagne mondiale de lutte contre l’âgisme et à mettre en œuvre la Stratégie et le Plan d’action mondiaux sur le vieillissement et la santé.
La Journée internationale des personnes âgées, célébrée le 1er octobre, met en exergue la contribution importante des personnes âgées à la société et sensibilise aux problèmes et aux difficultés que pose le vieillissement dans le monde actuel. Le thème pour 2016, Prendre position contre l’âgisme, invite chacun à réfléchir à l’âgisme et aux effets négatifs sur les personnes âgées.
Source : who.int
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