Communion de prière pour la Vie : "Jésus, Marie, protégez la vie " ! (ou toute autre prière à Dieu)

Pour vous inscrire, cliquez ici ! Nombre de priants : 4 365


 

Dans une lettre à l'écrivain Georges Bernanos, la philosophe Simone Weil partage son inquiétude devant la capacité de l'être humain immoral à tuer un semblable catégorisé sans valeur.

Nous sommes en 1938, elle rentre d'Espagne où la guerre civile fait rage faisant des centaines de milliers de morts. La question ici n'est pas politique mais morale. Ce texte, elle aurait pu l'écrire face à n'importe quelle guerre, face à n'importe quelle atrocité.

Et aujourd'hui, ne sommes-nous pas devant une atrocité similaire quand il s'agit de tuer ceux dont la société a décrété qu'ils n'ont "nulle valeur" ?

Ceux qui n'ont rien fait d'autre que de vieillir ou d'être handicapés ?

Si une catégorie pré-établie d'être humain perd son droit intrinsèque à la vie, plus rien n'a de sens. C'est l'humanité toute entière qui perd sa finalité, qui perd son droit à la vie. Aujourd'hui lui, demain vous.

Et ces limites si nécessaires à l'être humain, ce "tu ne tueras pas" qui structure toute notre législation, si la société en vient à "passer outre", plus rien n'arrêtera la tuerie.

Ce texte de Simone Weil est à méditer, aujourd'hui peut-être plus que jamais. Pour rester des hommes, tout simplement.

"J’ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer.

Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni le blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d’abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l’étouffe de peur de paraître manquer de virilité.

Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d’âme qu’il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l’ai rencontrée nulle part. J’ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisais pas, qui n’auraient pas eu l’idée d’aller eux-mêmes tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l’avenir aucune estime.

Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. Car on ne peut formuler le but qu’en le ramenant au bien public, au bien des hommes – et les hommes sont de nulle valeur."

S. Weil

 

 

Question reçue :

Que faites-vous de la dignité ?

 

Réponse par Christophore :

Ah ! La dignité ? Mais, parlons-en, justement !

Car l´homme n´est pas qu´un animal supérieur.

Nous avons une conscience. Et nous savons qu´un jour nous mourrons.

Il est normal de respecter la nature, aidée par l´art médical pour soulager la souffrance. Mais pourquoi exiger un acte de mort de ceux dont la profession est de soigner et, justement, de soulager la souffrance, d´accompagner la personne humaine dans sa vie, jusqu'au bout ?

La relation médecin-malade, c´est une conscience qui répond à une confiance.

Même dans les temps barbares, les gens savaient qui était en face de qui. Si les condamnés étaient mis dans les mains des bourreaux, les malades, eux, et les mourants, s´adressaient préférentiellement à des soignants. Les bourreaux n´étaient pas des soignants, et les soignants n´étaient pas des bourreaux. Alors, confondons pas tout ! C´est quand même pas pareil. Pas pareil du tout, même !

Aussi, c'est par une sorte d'usure, de manipulation psychologique – qui reste néanmoins une effraction - que les tueurs veulent entrer dans les consciences, dûment "préparées". Préparation psychologique par culpabilisation des personnes vulnérables et de leur entourage. Préparation pratique par des euthanasies illégales, de plus en plus fréquentes et de plus en plus tolérées.

Et quand des meurtres flagrants, directs et non demandés par le malade, sont condamnés par l'Ordre des Médecins -qui souhaite préserver une éthique de confiance et de conscience - alors la condamnation devient presque un argument pour forcer la loi contre la pauvre "victime" assassin de ses victimes ! Certains commentaires en arrivent même à présenter ces condamnations comme inacceptables. Et d'appeler à cor et à cri une nouvelle loi qui exigerait du soignant de faire le métier du bourreau.

En voilà donc un déni de la dignité de la personne humaine ! Et, là, il faut être aveugle pour ne pas le voir ou de trop mauvaise foi pour ne pas le reconnaître. Un animal vieillissant ou malade auquel nous sommes attachés, bénéficierait de plus de démarches et de plus de soins qu'un vieillard auquel nous sommes redevables. Mais cela, c'est nous, nous, qui n'avons pas la dignité minimale pour le reconnaître ! Autrement, c'est un accompagnement dans l'amour, la présence et la reconnaissance persévérante pour leurs vies, dont chaque jour est un cadeau, c'est cela que nous leur offririons !... Ce serait la joie d'être près d'eux, la gratitude pour leur présence, c'est cela qu'ils liraient dans nos yeux... et non notre impatience d'en finir, notre avarice et notre lent, mais hélas inexorable, enfoncement dans NOTRE indignité à nous ! Qui, elle, est là et bien là !

Non, la dignité de la personne humaine ne se réduit pas au parfait fonctionnement de son cerveau, de ses sphincters, ni à la performance de ses dents et de ses muscles ! Cela, tout au plus, ce serait chez les animaux que nous regarderions ces choses. A l'achat, n'est-ce pas ? Ou encore, chez l'esclave, bien sûr... en théorie, l'esclavage est aboli. Comme la peine de mort. En pratique l'un et l'autre se réinventent dans la civilisation des "pays développés".

Alors, voyez-vous, je pense que la dignité, ceux qui en manquent, ce sont des hommes qui ont oublié où est la véritable dignité de leurs semblables.

Car enfin, n'est-il pas indécent, malsonnant et manipulateur des personnes vulnérables, de parler autant du coût de leur maintien en vie ? Qu'est-ce d'autre que manipulation mentale, culpabilisation psychologique ? Mais, quel vieillard digne et noble ne se sentira pas poussé à une "demande d´aide à mourir", en tout bien tout honneur de son côté (mais en toute avarice et toute hypocrisie de qui l'y pousse)  si on nous serine sans cesse son devoir de décharger par là sa famille, ses enfants, ses petits-enfants, bref finalement toute la société - pour laquelle il a toute sa vie travaillé et souffert, soit dit en passant - du fardeau que celle-ci lui souffle être sa simple existence à lui ?

Non, soyons un peu honnêtes, et suffisamment lucides, pour reconnaître que leur liberté de choix est ligotée par la manière même dont cette loi se présente : "toi, le vieux, toi, le handicapé, toi, l'incurable, pousse-toi, dégage, laisse-nous la place, le temps, l´argent ! au nom du sacro-saint profit sur tout, tout de suite et à tout prix !"

La grandeur d´une civilisation se juge sur la manière dont elle traite les plus faibles. En particulier sur la manière dont elle entoure la mort.

Et là, nous en avons, des leçons à recevoir des civilisations dites "primitives" ! Qui n'ont pas (encore !) remplacé la nature par la domination de l'homme. Et de l'homme qui, surtout, est en passe de perdre tous ses repères !

Dans la nature, les feuilles tombent le moment voulu, les animaux meurent en paix le moment venu.

Il n´y a que l´homme qui devrait se laisser voler sa mort ?

 

 

 

Le principe constitutionnel de dignité à l’origine des lois de bioéthiques est-il en fin de vie ?

17/05/2018

Gènéthique : Aujourd’hui, quels sont les principes qui régissent le droit de la bioéthique en France ?

Bertrand Mathieu : Pour vous répondre, je prendrai essentiellement en compte les principes constitutionnels. Du fait de leur degré de généralité, ces principes ne sont pas fondamentalement différents de ceux reconnus sur le plan international. J’en mentionnerai deux : la dignité et la liberté, cette dernière étant essentiellement entendue comme le principe d’autonomie de l’individu. Ces deux axes ordonnent le droit de la bioéthique. Il faut leur adjoindre d’autres principes comme le principe d’égalité, le droit à la santé, le principe de responsabilité ou la liberté de la recherche. A prendre aussi en compte, l’une des spécificités du droit de la bioéthique, qui est que ces principes concernent non seulement l’individu, mais aussi l’espèce humaine.

G : Ces grands principes sont-ils toujours d’actualité ?

BM : Comme l’exprime clairement la lettre de saisine du Conseil d’Etat par le Premier ministre, l’une des questions qui se posent est de savoir s’il faut rompre avec ces principes reconnus en 1994 et réaffirmés en 2004 et 2011. En effet leur élasticité n’est pas sans limites et les questions posées peuvent devenir incompatibles avec ces principes.

Faut-il dès lors les maintenir ? Les modifier ? Les remplacer par une conception purement casuistique à l’anglo-saxonne, à laquelle répond parfaitement la notion très souple d’éthique ou de « demande sociétale » et le développement d’un droit presque exclusivement procédural ? Dans ce cas, il n’y aurait plus de limites fixées a priori à l’évolution des techniques et des pratiques. C’est de mon point de vue un choix fondamental qui se fait de plus en plus impérieux.

G : Pourquoi ces principes seraient-ils remis en questions ?

BM : Je ne suis pas compétent pour interpréter les demandes sociétales, je ne suis pas un expert scientifique en la matière, mais le droit doit être facteur de cohérence.

De manière un peu caricaturale, il y deux manières d’ordonner le droit, soit à travers une logique libérale fondée sur l’autonomie de l’individu qui sera peu protectrice, soit par le biais d’une logique fondée sur des principes objectifs. Plus protectrice, cette deuxième option est moins libérale.

On peut essayer de concilier ces deux logiques, cette conciliation résulte notamment du caractère inaliénable des libertés qui interdit de sacrifier sa liberté au nom de la liberté. Mais dans un certain nombre de cas, elles s’avèrent contradictoires.

Le droit ne dit pas de manière absolue, comme le fait une religion ou une morale, ce qui doit être. Il dit ce qui doit être dans un système déterminé, comme je le disais plus haut, il exige une cohérence. Or, plusieurs obstacles mettent à mal la cohésion du droit. Tout d’abord, les questions examinées portent des enjeux économiques importants et le phénomène de mondialisation conduit à ce que les obstacles juridiques posés par le droit étatique soient aisément contournés.

Ensuite, le droit doit s’écarter de deux tentations perverses. La première consisterait à ignorer les données techniques et sociales engendrées par la science et à maintenir contre vents et marées la pureté de règles inadaptées. La seconde conduit le légiste à se limiter à un rôle de notaire transcrivant les avancées scientifiques en règles juridiques sans cesse renouvelées et adaptées.

Enfin, l’architecture du système, conduit le législateur à fixer un cadre très général ainsi que des règles procédurales. La régulation des pratiques est quant à elle essentiellement assurée par des organes indépendants, très largement gérés par des médecins et des scientifiques. Le risque est alors important de voir le fossé se creuser entre des principes immuables inscrits dans le code civil et des dispositions techniques dérogatoires, de plus en plus dérogatoires, inscrites dans le code de la santé publique.

G : Quelle est la portée du principe de dignité ?

BM : Le principe de dignité de la personne humaine a été inscrit dans le Code civil (article 16) en 1994 à l’occasion du vote des lois dites « de bioéthique ». La formulation de ce principe est insérée entre la reconnaissance de la primauté de personne et le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. L’interprétation retenue par le Conseil constitutionnel renvoie au sens même du principe de dignité qui implique que la personne humaine ne soit pas traitée comme un objet (dégradée) à une fin qui lui est étrangère (asservie). Ainsi contrairement à la liberté qui présuppose l’autonomie de celui qui l’exerce, la dignité n’est conditionnée que par l’humanité de l’être qu’elle protège. Aucune autre considération, tenant par exemple à la qualité de la vie de cet être, à ses caractéristiques génétiques, ne peut conditionner la reconnaissance de cette dignité sauf à méconnaître le principe lui-même.

De ce point de vue, le principe de dignité est essentiellement un droit objectif. En ce sens, indépendamment de toute action individuelle en vue de sa protection, il s’impose comme une obligation que chacun doit respecter.

La détermination du principe cardinal de l’ordre juridique, principe de liberté ou principe de dignité, relève d’un choix philosophique. Le choix du principe de liberté implique que la régulation du système social s’opère grâce au principe de responsabilité qui impose la réparation des dommages causés par l’exercice de sa liberté. Le principe de dignité s’affirme comme limite autonome et externe à l’exercice de la liberté. Il crée des limites à l’instrumentalisation et à la marchandisation de l’humain dont la science comme l’économie ont aujourd’hui besoin, soit dans un but altruiste, l’amélioration des conditions sanitaires de la population globale ou la satisfaction des désirs individuels, soit dans un but propre au développement économique.

G : Existe-t-il un autre principe au fondement des lois de bioéthique ?

BM : Oui, je pense au consentement. Il est généralement spécifié que le consentement doit être libre et éclairé. En fait, un consentement qui ne serait pas libre et éclairé serait par nature vicié. Aussi, des formes de consentement dont on peut douter qu’elles présentent en toutes circonstances les caractéristiques d’un véritable consentement, comme le consentement représenté, le consentement préconstitué, ou même le consentement présumé, sont prises en compte par le droit.

G : Si on se place dans la perspectives de la révision de la loi de bioéthique, comment ces principes s’ordonnent-ils sur des questions comme la fin de vie ?

BM : La question de l’euthanasie est aujourd’hui essentiellement posée en termes de revendication d’un droit à obtenir d’un tiers une mort désirée ou souhaitée alors que l’individu se trouve hors d’état de se la donner à lui-même. Si la revendication d’un libre choix du moment et des conditions de sa mort peut être discutée, la formulation de cette exigence en « droit à mourir dans la dignité » est particulièrement contestable. Elle sous-tend l’idée qu’il y a des vies qui, objectivement, ne valent pas la peine d’être vécues, qu’il y a des vies moins dignes que les autres. Or le principe de dignité exprime l’idée selon laquelle il n’y a aucune vie humaine qui n’en vaut une autre. La dignité est une qualité liée à l’humanité, elle ne supporte aucune autre condition.

De manière plus pragmatique, la remise en cause d’un principe tel que celui de l’interdiction de donner la mort à autrui, ouvrirait la voie à bien des dérives.

Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que, s’agissant des personnes âgées, la conséquence directe ou non, assumée ou non, d’une dépénalisation même partielle de l’euthanasie active, serait de contribuer à résoudre les problèmes économiques liés au vieillissement et à la dépendance. L’alternative des soins palliatifs est, par exemple, incontestablement, beaucoup plus coûteuse.

Il convient également d’examiner, en termes de droits fondamentaux, les logiques qui conduiraient à une autorisation encadrée de l’acte d’euthanasie. Au regard de la manière dont le consentement à la mort serait appréhendé (interprétation d’un consentement représenté ou pré constitué au regard de l’état du malade, de la vivacité de sa souffrance et de son espérance de vie…), il apparaît clairement que la décision serait en fait celle du médecin, auquel est associée, le cas échéant, l’équipe soignante. Comme il est habituel en matière de bioéthique, l’exercice d’un tel pouvoir tendrait à être soumis à des conditions essentiellement procédurales. Il n’en reste pas moins que la décision appartiendrait pour l’essentiel au corps médical, comme c’est aujourd’hui le cas en matière d’arrêt de soins. Le médecin, sur lequel repose in fine la décision, est alors confronté à des considérations idéologiques, économiques, hospitalières, idéologiques, familiales qui ne peuvent que rendre plus difficile et plus incertain son jugement. Par ailleurs, il est contestable de traiter de cette question dans une loi de bioéthique qui s’attache essentiellement à des questions thérapeutiques.

(...)

Source : genethique.org

 

 

Euthanasie: digne et dépendant

par Rémi Brague, figarovox, 06/02/2014

TRIBUNE - Le philosophe Rémi Brague s'interroge sur la pertinence de l'expression « mourir dans la dignité »

Janvier 2014, 9: 11: j'entends sur France Inter une publicité pour un médicament contre la gastro et la grippe qui «vous privent de votre dignité». Cette perte de «dignité» désigne simplement le ridicule qu'il y a, la goutte au nez, d'éternuer façon cent mégatonnes ou d'avoir à se précipiter aux toilettes. La perte de la face provient elle-même d'une perte de contrôle sur son nez ou ses sphincters. Cet usage intempérant du mot est plus bête que méchant. Mais il révèle un glissement de sens intéressant, de la dignité à la décence et de celle-ci à la domination de soi.

C'est le même glissement que l'on rencontre, à un niveau autrement plus grave, dans l'idée qu'on nous serine d'une «mort dans la dignité». Il existe une Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui milite pour l'«euthanasie» et le suicide assisté. À entendre ce nom, qui ne voudrait en devenir membre? Mais à y réfléchir, je garde mon bulletin d'adhésion. Il serait inutile. J'en fais déjà implicitement partie depuis ma naissance.

Et je n'ai nul besoin de réclamer comme un droit ce que je possède déjà de toute façon comme un fait. En effet, je suis membre de droit d'une société plus large qui s'appelle l'espèce humaine. Or, tout homme étant digne, la mort de tout homme est digne. C'est notre regard sur le mourant qui peut la croire indigne.

Ma propre mort ne sera pas nécessairement agréable ou paisible. Je souhaite bien sûr qu'elle ne soit pas trop douloureuse ou angoissée. J'aimerais, comme nous tous, mourir soigné, entouré, accompagné. Mais ma mort sera de toute façon digne. Ma dignité, nul ne peut me l'ôter. Elle tient à ce que je suis une personne, non à l'état dans lequel je me trouve.

L'ennui est que l'on fait voyager sous le pavillon de la «dignité» toute sorte de marchandises de contrebande. On s'y réfugie quand on est à cours d'arguments juridiques, comme il y a quelques années, quand on a interdit le jeu du lancer de nains. Plus grave est la confusion de la dignité avec la maîtrise, avec la revendication d'indépendance. Perdre le contrôle sur soi-même, ce serait perdre sa dignité. Auquel cas, le suicide planifié serait la mort la plus «digne» parce qu'il me permettrait de tout contrôler, de décider et d'exécuter moi-même, et de ne pas tomber dans la dépendance d'autrui.

Je voudrais ici prendre le contre-pied de cette logique qui me semble spécieuse. Et soutenir la thèse diamétralement opposée: la dignité peut s'accommoder de la dépendance, voire elle culmine dans la dépendance absolue. Regardons l'enfant nouveau-né, totalement livré au bon vouloir de ceux qui, parents ou non, se trouvent là. Le poète latin Juvénal nous a laissé une sentence souvent citée: «On doit le plus grand respect à l'enfant» (maxima debetur puero reverentia) (Satires, XIV, 47). La formule me semble mériter d'être prise très littéralement, la maxime, au maximum, et le superlatif, dans toute sa rigueur, pas comme on dit «mes meilleurs vœux».

Cela veut alors dire très précisément: la dignité, ce qui rend digne de respect, est portée à l'incandescence, atteint son comble indépassable dans le cas de l'enfant. Et elle l'est précisément parce que la dignité est présente en lui sous sa forme la plus pure, parce qu'elle est alors privée de tout autre appui qu'elle-même. On peut estimer quelqu'un en fonction de ses réalisations. Mais ce n'est pas là le respecter.

On respecte quelqu'un à cause de la présence en lui, comme d'ailleurs en tout homme, d'une capacité à faire le bien. Dans le cas de l'enfant, il est encore incapable de faire quoi que ce soit. Il ne peut même pas encore parler, comme le dit le mot latin in-fans, celui-là même qu'emploie Juvénal deux vers plus loin.

On dit parfois qu'un vieillard est «retombé en enfance». Expression profonde. Cela ne veut pas nécessairement dire qu'il devient gâteux, mais qu'il est dans une situation analogue à celle de l'enfant qu'il faut nourrir et changer. Bien sûr, l'enfant va grandir, et le vieillard mourir. Leur situation de dépendance va dans des directions opposées.

Mais comme telle, elle est la même. Retomber en enfance, cela veut dire aussi monter au statut de ce qui, comme l'enfant, mérite le respect maximal. Sous son apparence fragile et souvent repoussante, le vieillard rayonne de dignité. Il devient l'objet d'une exigence de respect sans condition. Il n'est plus capable de fournir aucune prestation.

Tout «donnant-donnant», matériel ou affectif, est exclu. Il ne lui reste plus, pour qu'on s'interdise de le supprimer, que sa dignité d'être humain. Que l'on souhaite en finir par un suicide est, à tout le moins, excusable. Le suicide présente en effet ce paradoxe d'être à la fois peut-être condamnable, mais en tout cas respectable, deux qualifications qui s'excluent partout ailleurs. Mais honte sur nous si nous ne sommes pas capables de faire sentir à ceux qui en sont tentés que leur dignité ne dépend pas de ce qu'ils font (même si c'est se supprimer), mais de ce qu'ils sont.

Source : lefigaro.fr