Communion de prière pour la Vie : "Jésus, Marie, protégez la vie " ! (ou toute autre prière à Dieu)

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Première partie

Origines du débat actuel sur la mort volontaire

 

III- La demande de légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté mobilise des principes dont la portée ou la conciliation font débat

III-1- Mourir dans la dignité ?

C’est devenu, au gré de sondages aux questions souvent trop sommaires – dont on peut noter qu’ils ne s’adressent presque jamais aux personnes « en fin de vie » – et d’une présentation trop schématique des enjeux du débat par des media ou des militants, une sorte d’évidence : autoriser l’euthanasie répondrait au souhait de garantir que les personnes puissent en toute circonstance « mourir dans la dignité ». Dans le même temps, le principe de dignité est mobilisé par les opposants à l’euthanasie et au suicide assisté.

Il existe en réalité, ainsi que le Comité a déjà eu l’occasion de le relever, deux usages très différents de ce terme.

Les partisans de la mort choisie se réfèrent à une conception subjective ou personnelle de la dignité : la dignité est ici entendue comme un regard que l’individu porte sur lui-même en fonction de ses valeurs, de ses désirs, des relations qu’il entretient avec ses proches, regard qui peut donc varier du tout au tout d’un individu à l’autre, et subir une altération lorsque la vieillesse ou la maladie se font plus présentes, selon l’image que les autres lui renvoient. La dignité renvoie ici à une dimension normative (à une manière d’être, à la bonne image de soi que l’on présente à soi-même ou à autrui, ou au fait d’être présentable selon des normes très variables dans le temps et dans l’espace, à la décence). La dignité,c’est aussi cette vertu stoïque selon laquelle chacun doit être capable de se maîtriser, de ne pas infliger à autrui le spectacle de sa détresse.

Dans cette acception, le droit à mourir dans la dignité correspond à la prérogative qui serait celle de chacun de déterminer jusqu’où il juge acceptable que soient entamées son autonomie et sa qualité de vie. Cette demande doit avant tout être mise en rapport avec les situations objectives d’indignité qui, ainsi qu’il a été relevé plus tôt, sont le lot de trop nombreuses personnes handicapées ou dépendantes. Pour d’autres, la demande d’un « droit à mourir dans la dignité » correspond davantage à l’affirmation de l’autonomie de la personne ; elle est en fait une expression de sa liberté individuelle et de la possibilité d’opposer celle-ci à des tiers.

Dans une autre conception, qui est celle que la tradition moderne place au fondement des droits de l’homme, la dignité revêt un sens ontologique, elle est une qualité intrinsèque de la personne humaine : l’humanité elle-même est dignité, de sorte que celle-ci ne saurait dépendre de la condition physique ou psychologique d’un sujet. La dignité est entendue ici comme ce qui exprime l’appartenance de chaque personne à l’humanité, comme la marque profonde de l’égalité des individus, une réalité morale qui qualifie l’être humain dans son existence et implique des devoirs à son égard.

Le problème n’est pas de prendre parti entre ces deux usages de la notion de dignité, mais de mesurer ce que signifie leur maniement dans le débat sur la volonté de choisir le moment de sa mort. A cet égard, les différences sont très grandes.

La dignité entendue comme absolu est inaliénable – celui qui est mentalement et physiquement diminué ne la perd pas – et non quantifiable. A cet égard tous les hommes ne naissent pas seulement mais meurent « égaux en droits et en dignité » et dire que le suicide assisté ou l’euthanasie permettent, en certaines situations, une mort « plus » digne n’a pas de sens.

Chacun peut en revanche relier le sentiment qu’il a de sa dignité à des aptitudes à comprendre, réfléchir, prendre des décisions ou à une qualité de vie. Lorsqu’une personne estime que sa vie n'est plus digne d'être vécue – sentiment tout à la fois naturel, aisément compréhensible dans un certain nombre de situations, mais aussi tragique car la représentation que nous nous faisons de notre dignité est liée au regard que les autres posent sur nous – faudrait-il lui donner la possibilité de mourir prématurément ?

Le Comité souligne que les deux conceptions de la dignité expriment des significations très différentes du mot et ne s’excluent pas a priori l’une l’autre. Il souligne aussi que c’est la lutte contre les situations objectives d’indignité qui doit mobiliser la société et les pouvoirs publics : non-accès aux soins palliatifs pour tous, isolement de certaines personnes à la fin de leur vie, mauvaises conditions de vie et défaut d’accompagnement des personnes malades et handicapées rendant impossible pour elles la fin de vie à domicile. La situation la plus indigne serait celle qui consisterait à considérer autrui comme indigne au motif qu’il est malade, différent, seul, non actif, coûteux... Mais par ailleurs, le passage de la dignité-décence à la dignité-liberté qu’opèrent certains ne laisse pas intacte la dignité entendue comme garante de l’égale valeur de tous les êtres humains, quelle que soit leur condition. Regarder l’assistance au suicide ou l’injection létale par un médecin comme une réponse possible au sentiment intime d’indignité ou à la crainte de perdre sa dignité entendue comme plénitude de ses facultés, voire capacité à être suffisamment heureux et autonome, peut avoir pour conséquence de donner à des personnes vulnérables le sentiment de leur « indignité ». Et cette crainte peut aussi s’exprimer s’agissant de la possibilité qui a été donnée aux personnes malades de refuser tout traitement vital, donc de choisir de ne pas prolonger leur vie.

Il existe donc une tension certaine entre la nécessité d’accorder sa place au sentiment personnel de dignité et le risque que cette dignité soit confondue avec la dignité inaltérable qu’il appartient aux proches et aux soignants de respecter chez les personnes en état de grande vulnérabilité en leur prodiguant soutien, réconfort et affection. Au plan de la société, il faut prévenir la marginalisation de tous ceux qui sont vulnérables, soit en raison de leur santé, soit par leur difficulté, voire leur inaptitude à trouver leur place au sein de la société ou de leur entourage proche.

La culture ambiante disant assez que la valeur de l’homme tient à sa capacité d’agir, de produire et d’être rentable, ainsi qu’à sa faculté de s’épanouir, il est essentiel de ne pas perdre de vue que la dignité est aussi cette valeur inaltérable qui peut, sans l’abolir, entrer en confrontation avec la liberté individuelle.

III-2-La demande de légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté se réclame d’une vision de la liberté qui interroge le rapport entre volonté individuelle et contenu de la loi.

L’émergence des droits des personnes malades, avec leur consécration législative, a contribué à sortir les questions éthiques du confinement médical. Elle a aussi favorisé l’affirmation par chaque citoyen de ses demandes particulières partout où son corps et sa santé, ou celle de ses proches, sont en jeu.

Cette évolution s’est inscrite dans une modification assez profonde du rapport entre le « je » et le « nous » ; elle est aussi devenue l’un des moteurs majeurs de cette modification.Comme dans d’autres domaines, il s’agit de savoir jusqu’où les préférences individuelles peuvent inspirer, sur les sujets les plus intimes, de nouveaux droits-créances mobilisant la solidarité nationale.

La revendication d’un droit à une aide à mettre fin à sa vie interroge cet équilibre entre liberté de chacun et souci de l’intérêt commun tel qu’il peut faire l’objet d’un consensus démocratique.

La liberté est bien sûr la valeur qui unit les membres de notre société. Non seulement, elle est capitale du côté de la personne, mais elle est aussi au fondement de la vie de la cité. Le principe de liberté implique qu'il appartient à toute personne majeure et capable de prendre elle-même les décisions qui la concernent. Une telle personne ne saurait en principe se voir imposer un comportement déterminé au motif qu'il serait objectivement conforme à son intérêt. Chacun est seul juge de son propre intérêt, y compris en choisissant de ne pas agir en considération de son intérêt. Il ne resterait rien de la liberté individuelle si le caractère irrationnel d'un comportement le rendait illicite.

Certes, cette logique n’est pas absolue : le port obligatoire de la ceinture de sécurité, l’encadrement strict du don d’organes entre vifs sont deux exemples parmi bien d’autres des limites qui lui ont été apportées.

Néanmoins, il est désormais acquis que le droit d'une personne de recevoir des traitements ne puisse se transformer en une obligation de les subir 13. Par le passé, cette obligation a pu être regardée comme étant au premier chef une obligation à l'égard de la collectivité, obligation qui s'imposerait au médecin mais également au malade. La collectivité exerçait alors un droit sur la santé de ses membres, droit dont les médecins étaient les garants.

L’hypothèse d’une autorisation de l’aide à mettre soi-même fin à sa vie, voire d’un droit à être euthanasié va bien au-delà ; elle met en tension une conception de l’autonomie entendue comme souveraineté individuelle et ses implications à la fois personnelles et sociales.

En effet, l’euthanasie ou le suicide assisté ne sont pas seulement demandés comme une solution au sentiment d’indignité, de souffrance ou de lassitude existentielle extrême dont sont atteintes certaines personnes. Ils font aussi, à côté ou au-delà, l’objet d’une revendication de principe par certaines personnes qui souhaitent que l’autonomie devienne la référence première dans le but de ne pas laisser à la nature ou à un tiers (particulièrement au médecin) le pouvoir de décider du terme de la vie.

Un certain nombre de points ne paraissent pas faire débat. En premier lieu, la liberté signifie bien sûr la possibilité pour chaque personne de se déterminer en fonction d’une conception du bien qui lui est propre. Dès lors, le médecin doit respecter la liberté du patient, ses croyances, ses choix, ses demandes, même s’il les juge contraires à la raison ou à son intérêt (prendre des risques disproportionnés, se droguer, refuser une transfusion sanguine ou un traitement jugé nécessaire), et même si, ce faisant, il met manifestement en jeu sa responsabilité morale et sa fidélité aux valeurs qui fondent sa vocation.

En second lieu, la prudence conduit, s’agissant des personnes gravement malades ou qui subissent des inconforts lourds et divers dans leur grand âge, à tenir particulièrement compte de deux éléments : la difficulté à apprécier la liberté de jugement qui comporte toujours une part importante de subjectivité; et la possibilité que la personne décide sous l’emprise exercée par un tiers. Néanmoins, personne ne peut présumer que le libre-arbitre de la personne malade ou âgée est inexistant ou trop altéré pour juger que sa demande ne traduit pas sa volonté.

Pourtant, dans une autre conception, rattacher à l’exercice de la liberté le droit de choisir le moment et les modalités de sa mort et d’y être assisté n’est pas chose facile, pour trois raisons au moins.

Il y a, tout d’abord, le fait qu’au nom de ma liberté, je prends prise sur celle d’autrui, pour lui demander de me prêter assistance d’une manière qu’il peut juger paradoxale au regard des devoirs qu’il s’assigne au nom de la fraternité ou qui peut le heurter 14.

Ensuite, on ne peut jamais avoir la certitude que le désir d'une personne d'exercer cette liberté soit effectivement profond et constant. Les personnes qui accompagnent ou soignent des patients atteints de graves maladies ou très âgés témoignent de la variabilité extrême des demandes d’anticipation de la mort. La revendication d’une mort choisie interroge donc profondément notre conception de la liberté et du rapport qu’elle entretient avec le bien commun.

Enfin, la liberté entendue comme souveraineté de la volonté est selon certains le fruit d’une conception incomplète car oublieuse de la dimension relationnelle de tout être. Ils soulignent que ce qui est en jeu dans la fin de la vie ne relève pas seulement du désir, des droits, voire des souffrances individuels : c'est le sens du lien qui est engagé, des liens interpersonnels, mais aussi du lien social. La fin de vie ou la maladie sont pour beaucoup un moment où le besoin d’être en lien avec d’autres est important. Ce peut être un moment de souffrance, mais aussi un temps d’émotions, un temps essentiel de passation, d’échange de paroles ou d’histoires familiales, de gestes ... Un moment pour tenter de penser notre condition d’êtres humains, celle d’individus singuliers appartenant pleinement à un groupe social.

13 L’avis n° 87 du CCNE du 14 avril 2005, « Refus de traitement et autonomie de la personne », comporte une annexe consacrée à l’histoire des droits et de l’autonomie de la personne qui explique où et pourquoi cela n’a pas toujours été le cas.
14 C’est déjà vrai pour l’arrêt de traitement, l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, mais aussi pour l’IVG, l’interruption médicale de grossesse, la destruction des embryons surnuméraires, le diagnostic pré-implantatoire etc. Ce n’est donc pas un problème spécifique à l’assistance au suicide, même s’il y est peut-être plus aigu.

Source : CCNE