Depuis le 27 mai, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de la vie est examiné en première lecture à l’Assemblée nationale. Décryptage de ce texte largement modifié depuis le 17 mai dernier avec le docteur Jean-Marie Gomas, l’un des fondateurs du mouvement des soins palliatifs en France, gériatre, ancien responsable d’une unité douleurs chroniques et soins palliatifs à l’hôpital Sainte-Périne et auteur, avec le docteur Pascale Favre, de Fin de vie : peut-on choisir sa mort ?
Paris Notre-Dame – Vous avez été auditionné par la commission spéciale de préparation de la loi sur la fin de vie le 30 avril dernier. Quel est votre regard sur le projet de loi voté par cette même commission, le 17 mai dernier ?
Jean-Marie Gomas – Personne, parmi les soignants et les responsables qui travaillent sur ce sujet depuis des années, n’osait imaginer que les députés iraient aussi loin dans la méconnaissance, le mépris des soignants et, pour tout dire, l’incompétence notoire dans la vision de l’éthique du soin et de la relation de soin. Le projet de loi actuel n’est pas seulement l’un des plus permissifs du monde… il est aussi totalement mensonger !
P. N.-D. – C’est-à-dire ?
J.-M. G. – Premier mensonge, on appelle « aide à mourir » des actes qui sont de l’euthanasie et du suicide assisté. Quelqu’un qui ne connaît pas les enjeux de la relation de soin, c’est à dire l’immense majorité de la population, ne se rend pas compte que ce mot « aide » est un piège ; qui refuserait d’être aidé ? Voilà la première victoire des pro-euthanasie : nous forcer à utiliser cette expression d’aide à mourir qui veut tout et rien dire. « Aider à vivre », c’est de la médecine. « Aider à bien mourir », c’est de la médecine aussi, c’est ce qu’on fait en soins palliatifs en « prenant soin » jusqu’au bout de la personne en fin de vie. Mais parler d’« aide à mourir » pour refuser de dire « euthanasie » ou « suicide assisté », ce n’est pas de la médecine, c’est un choix de société, c’est tromper les citoyens.
Un autre mensonge, c’est l’article 1 de cette loi qui redéfinit – alors que cela n’a jamais été demandé par les soignants – les soins palliatifs en soins d’accompagnement. En fait, ce glissement sémantique a une fonction très précise ; cela permet au médecin de proposer la mort programmée dès la première consultation, au moment du diagnostic.
P. N.-D. – Comme au Canada ?
J.-M. G. – Exactement, comme au Canada, où, dans la même journée, le patient apprend qu’il est atteint d’une maladie grave, incurable, et peut demander – alors qu’il est sous le choc du diagnostic – l’euthanasie sans même commencer le moindre traitement. En France, nous prenons le même chemin, en débaptisant le plan personnalisé de soins – qui existe depuis dix ans et qui est la règle des bonnes pratiques, notamment en gériatrie – en plan personnalisé d’accompagnement durant lequel, comme par hasard, le médecin a pour mission d’annoncer au malade ce qui peut être fait pour lui, y compris la mort programmée. On n’est pas stupide, on a bien compris la manœuvre... D’ailleurs, l’article continue en évoquant la création de maisons d’accompagnement, ce qui est un autre piège !
P. N.-D. – Que craignez-vous avec ces maisons d’accompagnement ?
J.-M. G. – Les maisons d’accompagnement sont des sous-Ehpad encore moins médicalisées, où – la ministre l’a confirmé – on pourra y administrer la mort programmée. Ce sont donc des maisons d’euthanasie ou de suicide assisté. Cela tombe bien, quand on sait que, par ailleurs, il n’y a plus de budget pour les soins palliatifs ou les Ehpad, plus de médecins ni de soignants, avec des postes vacants partout… Il y a là un aspect d’économie qui reste étrangement passé sous silence ! Cet article 1 est un piège, un piège diabolique. Mais le texte tout entier repose sur la confusion et la manipulation, en profitant du fait que peu d’électeurs sont informés sur la fin de vie.
P. N.-D. – De quelle confusion parlez-vous ?
J.-M. G. – Ce texte entretient une confusion permanente – et volontaire – entre euthanasie et suicide assisté. Il faut rappeler ici que l’euthanasie, par définition, nécessite l’intervention d’un tiers : une personne vous enlève la vie en administrant une première piqûre pour vous mettre dans le coma et une seconde pour arrêter le cœur. En cinq minutes, vous êtes mort ; on est loin de l’image d’une mort douce… Dans le suicide assisté, ce n’est pas un tiers qui procède à l’acte ; c’est vous qui, jusqu’au bout, avez la liberté, le choix de vous décider à un moment ou à un autre d’absorber un médicament ou de déclencher une perfusion. Or, on touche là un autre point épouvantable du projet de loi, à savoir l’article 11 : « Le professionnel de santé doit rester à une distance suffisante pour pouvoir intervenir en cas de difficulté. » Autrement dit, si le malade n’arrive pas à se suicider tout seul, il faut l’achever ; on bascule de nouveau dans l’acte euthanasique, avec intervention d’un tiers…
P. N.-D. – Lorsque vous dites que ce texte est l’un des plus permissifs du monde, sur quels aspects concrets vous fondez-vous ?
J.-M. G. – Le projet de loi n’a pris en compte aucune mise en garde du corps médical. Tous les éventuels garde-fous – qui auraient plus ou moins encadré la loi – ont sauté. Prenons les « conditions d’accès », décrites dans l’article 6. Le critère d’engagement du pronostic vital – qui posait déjà problème avec l’introduction du « moyen terme » qui ne veut rien dire en médecine, tant l’évolution de la maladie est différente d’une personne à l’autre – est supprimé et remplacé par celui d’une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale ». On élargit les critères de manière tellement floue que n’importe qui pourra demander à être euthanasié ; on n’est plus dans une loi d’exception mais bien dans une loi incitative. Dans tous les autres pays, on observe une dérive dans les demandes d’euthanasie, avec des critères qui ne sont jamais respectés (à tel point que le médecin responsable de la commission d’évaluation de l’euthanasie du Québec a dû envoyer un mail à tous les médecins québécois durant l’été 2023 pour leur rappeler la loi, en précisant que « la vieillesse ne peut pas être à elle seule un argument pour autoriser l’euthanasie ».) Avec le projet actuel français, on laisse déjà le champ libre à n’importe quelle demande. Le seul critère de restriction est celui des mineurs… mais une partie de l’Assemblée nationale le déplore ; cela nous donne le projet d’après-demain...
P. N.-D. – D’après vous, quels sont les autres verrous essentiels qui ont sauté ?
J.-M. G. – Je voudrais particulièrement m’attarder sur trois points très graves : l’absence de la collégialité véritable au profit de la toute-puissance médicale, les délais et la possibilité que le tiers soit un proche. Toute ma vie, je me suis battu pour plus de collégialité dans la prise de décision médicale. Avec le projet actuel, la demande d’euthanasie ou de suicide assisté peut être validée par une simple demande formulée auprès d’un médecin, sans besoin de trace écrite, ni de réunion en présentiel ou de contre-examen par un autre médecin, donc sans contrôle en amont… ni après ! Le texte ne prévoit aucun mécanisme de transmission des dossiers comportant des irrégularités et les contrôles – a posteriori, donc une fois les personnes décédées – ne pourront se faire que sur une base déclarative… La porte est grande ouverte à toutes formes de dérives !
P. N.-D. – Et concernant les délais ?
J.-M. G. – Quand vous êtes malade, il vous faut du temps pour vous adapter, trouver du sens à votre vie, intégrer votre maladie, retrouver votre référentiel, rebâtir ce qui a du sens pour vous… Vous avez besoin d’aide et d’écoute. Avec le plan d’accompagnement, vous pouvez être euthanasié en quinze jours. Mais ce n’est pas tout ! Cette loi est une triple incitation au suicide : d’abord en proposant l’euthanasie ou le suicide assisté dès le diagnostic, en profitant d’un moment de grande vulnérabilité ; ensuite, en imposant la présence d’un professionnel de santé avec qui il faut prendre rendez-vous, ce qui fige tragiquement le passage à l’acte ; enfin, en reprogrammant automatiquement un rendez-vous si finalement vous ne vous êtes pas présenté. Quelle pression ose-t-on mettre sur le malade ? Où est sa liberté ? Un rendez-vous fixé, c’est incitatif, c’est beaucoup plus difficile de renoncer. Alors qu’en Oregon (Etats-Unis), on sait que 30 % de ceux qui se sont procurés la pilule mortelle y renoncent une fois rentrés chez eux, ce qui montre bien l’ambivalence et la complexité des malades face à la souffrance et à la mort.
P. N.-D. – Et concernant la possibilité que le tiers soit un proche ?
J.-M. G. – Aucun autre pays au monde n’a osé émettre l’idée qu’un proche pourrait être la main qui administre la mort… On touche là à une certaine perversion, ou à une grande méconnaissance de ce qu’est une famille – avec ses dissensions et ses relations complexes –, et des conséquences psychologiques et Trans générationnelles d’un tel acte. Cela montre bien la disparition totale d’ossature morale et de toute notion d’éthique.
P. N.-D. – Et sur le délit d’entrave ?
J.-M. G. – Cet article 18 est une catastrophe. Il est rédigé de manière telle que, si vous déployez vos efforts pour convaincre un malade que sa vie a du prix, du sens, et que vous lui proposez des alternatives pour la douleur, vous pouvez être attaqué pour entrave par des associations pro-euthanasie… ou par la famille du malade qui voudrait s’en débarrasser ! C’est insensé.
P. N.-D. – Cette outrance vous rassure-t-elle sur le fait que le texte actuel va trop loin pour être adopté ?
J.-M. G. – C’est plutôt là le dernier piège de cette entreprise politique. Tout le monde va être vent debout sur ce projet de loi en faisant sauter les articles ajoutés, et ainsi revenir au texte initial qui paraîtra finalement modéré. Or, le texte initial est déjà une horreur. Le collectif soignant – qui regroupe 800 000 personnes et vingt et une sociétés savantes médicales infirmières – s’est déjà élevé contre ce texte qui détruit la relation de soin, ment sur les mots en proposant l’euthanasie et le suicide assisté derrière « l’aide à mourir », met la pression sur les professionnels de santé en imposant leur présence, permet au tiers d’être en position d’achever un proche… et entraînera, à moyen terme, la disparition programmée des soins palliatifs qui s’effondrent dans tous les pays où l’euthanasie a été légalisée.
P. N.-D. – Que répondez-vous à l’argument de la liberté de choisir sa mort ?
J.-M. G. – J’entends bien l’aspiration de notre société à vivre sans risque, sans souffrance, dans l’obsession de la maîtrise et de l’autonomie. Mais je regarde les pays qui ont légalisé l’euthanasie, qui sont autant d’exemples à ne pas suivre. Les preuves sont formelles : derrière l’illusion de liberté, combien d’abus de faiblesse ? J’étais enseignant universitaire d’éthique à Bruxelles (Belgique) en 2002, au moment du passage de la loi. En 2003 et 2004, j’ai vu des infirmières en larmes raconter qu’elles avaient euthanasié des personnes âgées qui n’avaient rien demandé. Qui peut croire que ce projet n’organise pas la mort programmée des personnes âgées, faibles, vulnérables, dépressives et, bientôt, handicapées ?
Propos recueillis par Charlotte Reynaud
Fin de vie : peut-on choisir sa mort ?, Dr Jean-Marie Gomas, Dr Pascale Favre, Artège, 2022, 256 p., 17,90 €.
Claire Fourcade : « Nous soignants ne voulons pas avoir à décider de qui doit vivre et de qui peut mourir »
par Emmanuelle Réju, 11/03/2024, extraits
La présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), Claire Fourcade dit sa consternation et sa tristesse après les annonces du président Macron sur le projet de loi la fin de vie qui ouvre la voie à une « aide à mourir ».
La Croix : Quel est selon vous le sens du projet de loi sur la fin de vie qu’Emmanuel Macron vient de présenter dans l’interview conjointe accordée à notre journal et à Libération ?
Claire Fourcade : Le projet de loi parle « d’aide à mourir » mais il faut le relire en utilisant les mots qui permettront de décrire la réalité. Il s’agit clairement de suicide assisté et d’euthanasie sur décision médicale, sans même qu’une limite claire soit tracée entre les deux. C’est d’autant plus grave que, dans tous les pays où ces deux dispositifs sont légalisés, l’euthanasie devient plus que majoritaire, hégémonique. Le Canada a ainsi enregistré trois suicides assistés en 2022 pour 13 000 euthanasies.
Au-delà de cette confusion lexicale, ce nouveau « modèle français de fin de vie », selon l’expression du chef de l’État, pose d’autres questions. Notamment celle des conditions d’accès présentées comme « strictes » mais qui, au vu des expériences étrangères, seront nécessairement provisoires. En outre, le processus envisagé permet, en outre, que le geste final soit effectué par le patient lui-même, un personnel soignant, médecin ou infirmier, mais aussi un tiers de confiance. Or, aucun pays au monde n’a autorisé l’administration de la substance létale par un proche.
Le chef de l’État a annoncé un système bien éloigné des besoins des patients et des réalités des soignants. L’aide à mourir, c’est ce que nous faisons tous les jours en soins palliatifs. Dire que, par ce texte, nous allons découvrir la fraternité est méprisant pour le travail que nous effectuons.
Ce projet de loi va bouleverser la notion du soin sans que ce soit assumé, puisque le président de la République évoque pour en parler les termes de fraternité et de solidarité. Il ne dit d’ailleurs pas un mot des réticences exprimées par une immense majorité de soignants. Nous, soignants, ne voulons pas avoir à décider de qui doit vivre et de qui peut mourir. Nous ne voulons pas de ce pouvoir de décision.
Le président de la République confirme que le projet de loi contiendra un volet portant sur les soins palliatifs. Est-ce pour vous un progrès ?
C.F. : C’est un piège, à double titre. On n’arrête pas de nous dire que le développement des soins palliatifs est une priorité et une urgence absolue ! Or le trajet parlementaire du projet de loi ne commencera qu’en mai et va durer des mois… Une grande ambition en la matière devrait être un préalable. Le Comité consultatif national d’éthique avait même conditionné toute évolution législative à la mise à disposition de soins palliatifs pour tous.
Mais de quelle ambition parle le président quand il évoque la « stratégie décennale » qui doit être bientôt présentée ? Quand on regarde l’enveloppe qui lui sera dédiée, les promesses faites paraissent dérisoires. Le président de la République évoque un milliard d’euros de plus en dix ans, soit 6 % d’augmentation par an par rapport au budget actuel. Cela représente 1,5 euro par Français et par an. Un montant qui couvrira à peine l’inflation et l’augmentation du nombre de personnes à prendre en charge en raison du vieillissement de la population.. Or, actuellement, 50 % des patients meurent sans avoir eu accès à un accompagnement adapté faute d’une offre de soins suffisante. 500 personnes par jour ! On nous promet une révolution, je crains que ce soit à peine une évolution.
Enfin, lier dans un même texte un volet sur la mort provoquée et un autre sur les soins palliatifs est une restriction à la liberté parlementaire. Comment en effet ne pas voter un texte qui propose de développer les soins palliatifs, ce qui met tout le monde d’accord ?
Certaines de vos demandes ou inquiétudes ont-elles été prises en compte au fil de vos échanges avec les pouvoirs publics ?
C.F. : Nous n’avons eu d’échanges avec aucun membre de l’exécutif depuis le 6 septembre 2023. Dans nos échanges précédents, durant l’été, aucun texte n’a jamais été mis sur la table. Le seul dont nous ayons eu connaissance est celui qui a fuité en décembre dernier, qui montrait que nos inquiétudes n’avaient pas été prises en compte. Désormais il est parfaitement clair que nous n’avons pas été entendus.
Fin de vie : l’appel de 800.000 soignants contre « la mort médicalement administrée »
par Jean-Marie Dumont, 17/02/2023
Dans un appel publié le 17 février par Le Figaro, treize organisations représentant 800.000 professionnels de santé affirment leur refus « catégorique » de l’euthanasie et du suicide assisté.
L’euthanasie ne peut en aucun cas être considérée comme un « soin » et sa légalisation serait une « transgression éthique majeure » : c’est ce qu’affirment treize organisations et sociétés savantes, représentant 800.000 soignants français, dans un appel rendu public par Le Figaro le 17 février. « L’ensemble des professionnels de santé interrogés refusent catégoriquement la démarche euthanasique », affirme ce document de vingt-six pages très argumenté qui rappelle ces quelques mots du serment d’Hippocrate : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Une déclaration très importante qui confirme l’opposition massive du secteur de la santé au projet de légaliser l’euthanasie et le suicide assisté actuellement poussé par certains responsables politiques et qui est au cœur de la Convention citoyenne sur la fin de vie.
Une prise de position « interprofessionnelle »
Ce document est le fruit d’une réaction collective à l’avis 139 du Conseil consultatif national d’éthique (CCNE). Dans ce texte publié en septembre, celui-ci avait affirmé que l’euthanasie et le suicide assisté pourraient être des actes « éthiques ». Prenant acte d’un « changement majeur d’approche » et de sa « rupture claire » par rapport aux avis précédents, les treize organisations ont souhaité réfléchir aux conséquences « éthiques et pratiques » qu’aurait sur la pratique des soignants « la mise en œuvre d’une forme de mort médicalement administrée » et recueillir l’avis de leurs membres. Ces « réflexions éthiques interprofessionnelles », co-signées notamment par le Conseil national professionnel infirmier, mais aussi plusieurs organismes représentant les professionnels de l’oncologie ou du grand âge, en sont le résultat.
Une « injonction de mort » sur les plus vulnérables
Plusieurs axes majeurs ressortent de cette enquête destinée à « informer le législateur et l’opinion publique » des effets d’une légalisation de la « mort médicalement administrée » sur les « pratiques soignantes ». Car ce sont elles qui sont concernées en premier lieu, que ce soit pour pratiquer l’acte de mise à mort (euthanasie) ou pour prescrire le produit létal (suicide assisté). Outre la fragilisation des équipes soignantes déjà très secouées par un système en crise, une telle légalisation « conduirait inévitablement le législateur à subvertir la notion même de soin », affirme le document. En « brisant » la déontologie médicale, elle conduirait à un « glissement éthique majeur », en créant une véritable « injonction de mort » sur « les personnes les plus vulnérables ». « Une légalisation d’une forme de mort médicalement assistée emporterait une modification essentielle de l’éthique soignante » et « transformerait fondamentalement la définition du soin ».
La contradiction entre la prévention du suicide et l’autorisation du suicide assisté
L’une des parties du document est consacrée aux demandes de mort, problématique bien connue des professionnels de santé. « Tous les professionnels de santé s’accordent sur la nécessaire mise en œuvre d’une écoute active et soutenante de ces demandes », affirme le texte qui rappelle que celle-ci permet dans la plupart des cas d’identifier les origines de cette demande et, en les traitant par le soin, de les réduire et de les faire disparaître. Il souligne aussi l’ambivalence des demandes et le caractère « changeant » de la volonté, « spécialement lorsque la personne est confrontée à un pronostic vital engagé à moyen ou court terme ». Face aux situations « très rares » où des patients, en pleine conscience et correctement soignés, demanderaient « à un autre citoyen de transgresser sa déontologie ainsi que le Code pénal pour répondre à son souhait », les organisations signataires estiment que la « réponse positive à cette demande ne relève pas du soin » et que le « cadre normatif et éthique clair », « garantie du bon fonctionnement du système de santé » ne doit pas être remis en question. Illustration de cette affirmation : le suicide, qui fait l’objet d’une importante politique de prévention, alors qu’en France chaque année entre 80.000 et 90.000 personnes sont hospitalisées des suites d’une tentative de suicide. Comment les professionnels de santé pourraient-ils concilier l’injonction simultanée à soigner les auteurs de tentatives de suicide manquées et à satisfaire la demande d’un patient désireux d’avoir recours au suicide assisté ?
L’opposition particulièrement forte des professionnels des EHPAD
« L’acte de donner la mort » ne peut en aucun cas devenir légal, affirment les treize organisations, alignées dans un même rejet. Certains pans du monde médical sont encore plus vent debout que d’autres. C’est le cas, indique le document, des professionnels de santé travaillant dans les EHPAD, « qui sont régulièrement confrontés aux demandes de mort de leurs patients », dont ils s’attachent alors à prendre soin au mieux pour que cette pulsion de mort se dissipe. « Pour ces professions, l’opposition à une légalisation de l’euthanasie est particulièrement marquée » et l’avis du CCNE prétendant que le suicide assisté et l’euthanasie pourraient être éthique a suscité chez elles « de nombreuses réactions de révolte, de colère, de rejet ». Les légaliser enverrait un message « insoutenable » aux personnes âgées dépendantes et aux professionnels de santé qui en prennent soin.
Fin de vie : « ne dévoyons pas les soins palliatifs »
par Gènéthique, 21/10/2022
« Nous tous, comme citoyens et comme personnes, sommes concernés par cette question de la fin de la vie, par la mort et par les conditions dans lesquelles elle surviendra. » Dans un article publié par la revue Etudes, Jacques Ricot, philosophe, et Claire Fourcade, présidente de la SFAP, réfutent l’affirmation selon laquelle « l’euthanasie serait un “complément” des soins palliatifs et qu’elle n’enlèverait rien à ces derniers ».
Bien que nous soyons tous concernés, par la proximité qu’ils entretiennent avec la mort, les patients, soignants et accompagnants de soins palliatifs sont les premiers impliqués. Ensemble, ils construisent jour après jour une alliance, et font une promesse : « quoi qu’il arrive, nous serons là, jusqu’au bout. Et nous ferons ce qu’il faut pour vous soulager. Quoi qu’il en coûte mais aussi quoi qu’il nous en coûte ». Dès lors, soignants et accompagnants tremblent à l’idée d’une loi qui, « sous couvert de respecter la liberté », viendrait obliger les patients à envisager qu’ils pourraient être là pour donner la mort.
L’euthanasie est la cessation du soin
Par une « manipulation du dictionnaire et du droit », l’euthanasie est présentée comme un « soin de fin de vie », dénoncent Jacques Ricot et Claire Fourcade. Pourtant « l’euthanasie va “ailleurs” », comme ils le rappellent. « Elle n’est ni un traitement, ni un soin ». En stoppant « tous les gestes humains et médicaux accompagnant la vie qui s’en va », elle ne « s’ajoute pas [aux soins palliatifs], elle les contredit dans leur visée profonde ».
« Aider à mourir, c’est précisément la mission des soins palliatifs qui accompagnent la vie, sans retarder la mort qui vient, ni la provoquer», affirment le philosophe et la présidente de la SFAP. « Aider à mourir, c’est donc aider à vivre le mieux possible les derniers moments d’une existence qui arrive à son terme ». Il s’agit de soulager la souffrance, et non de supprimer le souffrant.
Dès lors, accepter l’euthanasie modifierait le « pacte de soin qui unissait jusqu’à présent le médecin et le patient dans la lutte commune pour rendre supportables les conditions de la fin de vie ».
Les soins palliatifs, « une offre singulière »
« Le soin palliatif ne se réduit pas à celui que l’on donne lorsque la guérison n’est plus l’horizon». Ils sont une philosophie qui place la relation humaine au cœur du soin, rappellent Jacques Ricot et Claire Fourcade. En somme, un « modèle avant-gardiste de l’exercice médical » qui devrait être étendu à d’autres spécialités.
« Le soin palliatif vient rappeler à la médecine sa mission immémoriale : guérir quand c’est possible et soulager toujours, ne pas promettre l’immortalité terrestre, ne pas provoquer la mort. ». « Travailler en soins palliatifs, c’est reconnaître que l’homme est mortel et que la médecine n’est pas toute- puissante ». « Les pionniers des soins palliatifs sont venus interroger une médecine de la performance et de la toute-puissance », refusant comme le rappellent les auteurs. « Ils ont refusé une médecine de plus en plus technique qui divise et morcelle l’homme ».
Aujourd’hui, le soin palliatif récuse cette nouvelle forme de « toute-puissance d’une médecine qui, ne pouvant pas offrir la guérison, s’arrogerait le pouvoir exorbitant de faire le tri entre les “vraies” et les “fausses” demandes d’en finir. » Qui est-on pour s’autoriser une telle décision ? interrogent Jacques Ricot et Claire Fourcade.
Finalement, les soins palliatifs proposent une 3e voie. Ils permettent de « dire le scandale de laisser mourir dans la douleur, la solitude ou la peur en même temps que le scandale de faire mourir. ». Alors « ne dévoyons pas le soin palliatif en prétendant le “compléter” par ce qui le nie ».
« La mort n’est pas seulement, ni même toujours, un événement médical »
par Gènéthique, 01/02/2022, extraits
« Dans le monde entier, les systèmes de santé et d’assistance sociale ne parviennent pas à fournir des soins appropriés et empreints de compassion aux personnes en fin de vie et à leurs familles. » ...
Réunissant des experts de la santé et de l’assistance sociale, des sciences sociales, de l’économie, de la philosophie, des sciences politiques, de la théologie, du monde associatif, ainsi que des patients et des militants associatifs, la Commission a analysé la manière dont les sociétés du monde entier perçoivent la mort et les soins aux personnes mourantes. Elle a également formulé des recommandations à l’intention des décideurs politiques, des gouvernements, de la société civile et des systèmes de santé et de l’assistance sociale.
Un évènement familial devenu un évènement médical
« La pandémie de COVID-19 a vu de nombreuses personnes mourir de façon médicalisée, souvent seules, seulement en présence d’un personnel masqué dans les hôpitaux et les unités de soins intensifs, incapables de communiquer avec leurs familles, sauf de façon numérique », déplore le Dr Libby Sallnow, consultante en médecine palliative et maître de conférences honoraire au St Christopher’s Hospice et à l’UCL au Royaume-Uni, et coprésidente de la Commission. « La façon dont les gens meurent a radicalement changé au cours des 60 dernières années, constate-t-elle, passant d’un événement familial, parfois accompagné d’un soutien médical, à un événement médical avec un soutien familial limité. » Comme au Royaume-Uni où la moitié des personnes en fin de vie est hospitalisée.
Dès lors, il est nécessaire de « repenser fondamentalement la manière dont nous prenons soin des mourants, nos attentes à l’égard de la mort et les changements requis dans la société pour rééquilibrer notre relation avec la mort », affirme le Dr Sallnow.
Une technicisation de la mort
Avant les années 1950, les médecins intervenaient finalement assez peu, les décès étant causés par « une maladie ou une blessure aiguë ». Mais aujourd’hui, « la majorité des décès sont dus à des maladies chroniques, avec une forte implication des médecins et de la technologie ». Et « l’idée que la mort peut être vaincue est toujours plus alimentée par les progrès de la science et de la technologie, qui ont également accéléré le recours excessif aux interventions médicales en fin de vie », estime la Commission. Un processus qui a écarté les familles.
Pourtant, « nous allons tous mourir ». « La mort n’est pas seulement, ni même toujours, un événement médical », affirme Mpho Tutu van Furth, également membre de la Commission. Mais « la mort est toujours un événement social, physique, psychologique et spirituel ».
« La mort fait partie de la vie, abonde le Dr Richard Smith, coprésident de la Commission, mais elle est devenue invisible, et l’anxiété liée à la mort et au décès semble avoir augmenté. »
« La mort doit être reconnue comme ayant une valeur »
Dans ce contexte, la Commission du Lancet préconise notamment de comprendre la mort « comme un processus relationnel et spirituel plutôt que comme un simple événement physiologique ». Ce qui implique de privilégier l’accompagnement. Et « la mort doit être reconnue comme ayant une valeur ». « Sans la mort, chaque naissance serait une tragédie », affirme la Commission.
« Prendre soin des mourants, c’est donner un sens au temps qui reste », estime le Dr M.R. Rajagopal de Pallium India. C’est le moment « de s’accepter et de faire la paix avec soi-même », « de donner et de recevoir de l’amour ». Et les « soins palliatifs respectueux facilitent cela ». Ainsi, « l’amélioration de l’accès au soulagement de la douleur en fin de vie doit être une priorité mondiale, et la gestion de la souffrance doit être considérée comme une priorité en matière de recherche et de soins de santé, au même titre que l’augmentation de la durée de vie ».
[1] Report of the Lancet Commission on the Value of Death: bringing death back into life, The Lancet, DOI: 10.1016/S0140-67362102314-X
Discours du Docteur Claire Fourcade, Présidente de la Société Française d'Accompagnement et de soins Palliatifs, congrès 2022
Depuis 2 ans nous avons eu les gilets jaunes, le Covid avec ses confinements, ses visites interdites et des pratiques de soin dégradées. Nous avons maintenant la crise de l’hôpital et la guerre en Ukraine. Alors, une fois n’est pas coutume, ce matin j’ai décidé de venir avec des bonnes nouvelles.
Je voudrais d’abord remercier du fond du cœur monsieur le député Falorni. Il y a un an le projet de loi visant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté qu’il portait et qui n’a pas abouti, a été pour nous tous un électrochoc, vous savez celui qui fait repartir le coeur.
Grâce à lui nous avons lancé une grande consultation nationale qui a donné à la Sfap un mandat clair pour participer à tous les débats sur le sujet de la fin de vie et pour dire que « faire mourir n’est pas un soin » car, non, faire mourir ne peut pas être un soin.Je suis médecin, la mort n’est pas mon métier.
Grâce à lui nous avons ensuite lancé la 1ère campagne de communication sur les soins palliatifs. Elle a été vue par près de 17 millions de personnes et plus de 150 000 sont venues sur le site « osons vivre » pour y trouver des informations sur les soins palliatifs.
Cette campagne s’est doublée d’une campagne d’influence qui nous a permis de rencontrer toutes les équipes des candidats à la présidentielle et de faire entendre la voix des SP par le site « mobilisation soins palliatifs ». Une campagne qui, avec votre aide, va se poursuivre auprès des députés qui vont être élus dimanche et qu’il va falloir tous inviter dans nos structures pour les sensibiliser aux soins palliatifs parce qu’un député venu, c’est presque toujours un député convaincu.
Nous avons aussi décidé de revoir tout le projet associatif de la Sfap pour nous demander quelle Sfap nous voulions pour les années à venir, de quelle Sfap nous avions besoin. Nous ne voulons pas changer la Sfap mais, dans un monde où beaucoup de choses changent et pourraient changer encore davantage dans les mois à venir, nous voulons la mettre à la hauteur des défis qui l’attendent. Nous voulons agir plutôt que subir. Cette nouvelle Sfap sera plus forte sur le plan scientifique, plus audible dans la société pour faire entendre la voix des plus fragiles et de ceux qui les soignent, plus solide dans sa structure pour être à votre service à tous. Alors si une seule proposition de loi, même pas aboutie, peut produire un tel résultat, vous imaginez ce que pourrait donner un projet de loi qui serait voté ?
Bon, on ne va quand même pas aller jusqu’à le souhaiter…Mais même si des vents mauvais se lèvent, et pour tout vous dire l’horizon est un peu bouché en ce moment, nous allons continuer de lutter pour faire entendre la voix des soignants. Pour dire haut et clair, que la main qui soigne ne peut pas être la main qui tue et redire toujours que donner la mort n’est pas un soin.
Et même si notre voix n’était pas assez forte pour dévier complètement le cours de l’histoire, même si la loi changeait et que nous devions finalement aller, comme nous le redoutions, là où nous ne voulions pas aller, nous ne mourrons pas, nous ne disparaîtrons pas. Nous serons unis et nous ferons face ensemble parce que toujours des patients auront besoin de nous pour être écoutés, accompagnés et soulagés. Eux non plus ne disparaîtront pas. Même en Belgique, où la loi a changé il y a 20 ans, ce sont moins de 3% des DC qui sont des euthanasies. Il reste donc 97% de patients pour qui les SP peuvent permettre de vivre jusqu’au bout dans la dignité. We will survive.
Pourquoi choisissons-nous les soins palliatifs ? Pourquoi décidons-nous de travailler au contact de la mort, des pleurs, de la peine, de la douleur, des plaies et des odeurs nauséabondes ?
Et plus encore : pourquoi restons-nous ? Pourquoi les équipes de soins palliatifs sont-elles souvent plus stables et moins malades que d’autres ? Dans un monde du soin qui parfois semble n’avoir plus de sens, qu’est-ce qui fait sens pour nous ?
Qui dans notre société ose pousser chaque jour la porte de ceux qui vont mourir, encore et encore, non pas une fois mais 12 fois par jour tous les jours de l’année ? Qui ose regarder en face ce visage défiguré, le toucher et lui faire un sourire ? Qui ose entrer dans une chambre dont l’odeur déborde jusque dans le couloir sans un mouvement de recul ? Qui ose voir dans ce visage abimé, ce corps déserté par la conscience, cet esprit qui vagabonde, le reflet de notre commune humanité ? Qui ose écouter celui qui veut mourir comme celui qui ne veut pas mourir et résister à la tentation de s’enfuir ?
C’est vous. Vous tous. Chacun de vous. Vous qui n’avez pas peur.
Vous qui êtes doux, adaptables, gentils et humbles. Vous tous qui acceptez et accompagnez ce que tant d’autres refusent : la vieillesse, la laideur, la maladie et la mort. Vous qui soulagez, apaisez, réconfortez et ramenez le sourire.
Vous tous à qui l’on ne dit pas assez combien vous êtes courageux, forts et dignes. Dignes de respect, d’éloge, de reconnaissance et d’admiration. Nous sommes la médecine des petits riens, celle qui perd toujours et pourtant nous sommes forts et résistants. Notre médecine, celle des choses minuscules, des soins de bouche, de la douleur soulagée et des repas plaisirs est un changement de société majuscule.
Nous portons des valeurs : rendre le patient acteur de ses choix, de ses soins et surtout de sa vie, le mettre au centre de notre réflexion, de notre mode d’organisation, donner une place à ses proches, travailler en équipe, changer de regard, prendre le temps, faire l’éloge de la faiblesse et de la lenteur, de l’altérité et de la pluridisciplinarité.
Pendant des année mon mari, qui porte un regard distancié et volontiers ironique sur ce que je fais, m’a demandé s’il était bien raisonnable de faire découvrir la sophrologie, les socio-esthéticiennes ou les glaces bananes-myrtilles faites maison à des gens qui allaient mourir. Ce qu’il questionnait n’était pas de le faire ou de prendre soin et donner le meilleur à ces personnes mais d’attendre pour le faire les 15 jours avant la mort. Si tout cela est particulièrement nécessaire quand on vit à l’ombre de la mort, cela ne l’est pas moins tout au long du reste de la vie.
Nous avons commencé par la fin de la vie parce que c’est là qu’était l’urgence, parce que c’est là que se révélait de la manière la plus voyante l’absurdité d’une médecine qui morcelle l’être humain pour le réduire à ses organes, qui valorise mieux la technique que la relation, qui promet la vie éternelle quand la mort reste l’horizon de toute vie. Nous avons commencé par la fin de la vie parce que c’est de ces lieux qu’avaient déserté les médecins qui n’entraient plus dans les chambres de ceux qui allaient mourir et que la place était à prendre.
Maintenant c’est l’ensemble du monde du soin que désertent les soignants et que le sens abandonne. Maintenant que nous arrivons dans le mur de la financiarisation, de la logique de la performance et du tout économique, la place est à prendre partout.
Indignons-nous de ce qui est fait aux patients, de ces toilettes chronométrées, de cette présence rationnée, de cette écoute minutée. Indignons-nous de ce qui nous est fait, de ce qui nous est imposé, de ce qui nous est refusé : avoir les moyens de soigner humainement et en accord avec les valeurs qui nous ont fait choisir tous ces métiers qui nous rassemblent.
Indignons-nous de ce qui est fait à notre société tout entière quand on lui dit que le faible, le vulnérable, le fragile, le vieux ou le moche n’ont pas leur place parmi nous et ne devraient pas être le centre de notre attention et de nos préoccupations.
Mais s’indigner ne suffit pas. S’indigner c’est ce qui fait se lever, c’est ce qui met en marche, c’est ce qui fait choisir les soins palliatifs quand les conditions de la fin de vie sont trop révoltantes. C’est ce qui m’a fait choisir, jeune externe, cette voie encore si peu empruntée quand j’ai entendu un professeur de médecine un de mes « maîtres » dire à un patient mourant du Sida « Vous en avez bien profité, maintenant vous n’allez pas venir vous plaindre et pleurnicher ».
Maintenant que l’indignation nous a fait nous lever, maintenant que nous nous tenons debout devant la société, nous pouvons avancer. Que nous soyons aide-soignante, professeur de soins palliatifs, infirmière, assistante sociale, psychologue ou bénévole, nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes là parce que ce qui compte ce n’est pas le pouvoir, ce n’est pas la performance, ce n’est pas de gagner. Ce qui compte c’est la personne. Celle que nous avons devant nous : malade, vulnérable, cassée, mourante mais aussi celle que nous sommes tous, homme ou femme, soignants et citoyens qui avons tant besoin de donner du sens à ce que nous faisons. Les soins palliatifs ont du sens. Ils sont utiles et être utile peut rendre heureux.
Nous sommes une médecine puissamment Politique, au sens noble du terme car nous faisons une médecine dont la seule richesse sont les êtres humains : ceux que nous soignons et ceux qui la pratiquent. Ensemble nous irons toujours plus loin pour continuer à innover, à inventer de nouveaux lieux pour accompagner, de nouvelles techniques pour soulager, pour allier technique et humanité, efficacité et écoute et pour tenir notre promesse du non-abandon.
Ensemble nous changerons le monde ou au moins le monde du soin et c’est déjà une immense ambition. Nous dirons qu’il est possible de soigner autrement, de donner du sens à notre pratique quotidienne, d’être la paix de ceux qui partent comme celle des survivants. C’est pour cela que nous sommes réunis ici aujourd’hui. Ensemble nous transmettrons aux plus jeunes d’entre nous ce que nous avons reçu de nos aînés pour qu’à leur tour ils fassent vivre et grandir ce trésor. Ensemble nous sommes invincibles. Si nous savons rester unis et faire de nos différences une force, nous surmonterons toutes les difficultés. Les soins palliatifs sont un nouveau modèle du soin, une nouvelle façon d’envisager, de regarder, de valoriser l’être humain. Et si les soins palliatifs étaient l’avenir de notre système de santé ? Ils sont un progrès inouï : Soigner ensemble pour permettre de vivre dignement jusqu’à la mort. Ils ne sont pas une évolution mais une Révolution.
Il est là le pouvoir subversif des soins palliatifs, il est là le génie des soins palliatifs.
Je vous l’avais dit, que des bonnes nouvelles ! Merci et …We will survive !
Dr Claire Fourcade, présidente de la SFAP, Juin 2022
Marine Sahut d’Izarn, médecin à l’hôpital Ambroise Paré. Travaillant en soins palliatifs, cette pneumologue décrit comme cette mission patiente donne du sens à sa vie.
« N’attendez pas d’être à ma place pour savoir quel sens vous voulez donner à votre vie ! ». Installée dans son lit, au sein d’une unité de soins palliatifs parisienne, ses yeux d’un bleu limpide étaient rivés dans les miens.
À quelques jours de sa mort, elle m’interpellait, moi, l’étudiante de sixième année de médecine venue apprendre à « gérer » la fin de vie de mes patients, et tester ma capacité à faire face à ces situations. Ses mots faisaient voler en éclats la vision fragmentée de la médecine qu’on m’avait enseignée sur les bancs de la fac, organe par organe, telle une mécanique dont on apprend les rouages, les dysfonctionnements et les pannes. Ils venaient remettre au centre de ma préoccupation d’apprenti-docteur la personne humaine, dans toutes ses dimensions, sa complexité et sa beauté.
La rencontre avec un patient
Car en soins palliatifs c’est bien de cela qu’il s’agit : rencontrer et soigner un patient unique, avec sa maladie, ses symptômes, mais aussi le retentissement qu’a sa maladie sur son quotidien et « sa vie intérieure » - psychique et spirituelle. Le retentissement sur ses proches aussi, car la maladie de l’un, c’est la préoccupation et la souffrance des autres.
À l’opposé d’une vision qui laisserait à penser qu’on passe en soins palliatifs lorsque les médecins baissent les bras et qu’on est en toute fin de vie, j’y ai découvert une médecine de pointe que j’exerce aujourd’hui le plus tôt possible dans l’histoire de la maladie des patients atteints de maladie grave, que je suis parfois durant de longs mois voire années. Une médecine sans compromis lorsqu’il s’agit de soulager des symptômes. Une médecine d’excellence quand il s’agit de communication et de relation. Une médecine qui voit large et qui sait écouter aussi bien les maux du corps que ceux du cœur.
Quand le corps fait défaut
Voilà que cette patiente me questionnait sur le sens que je donnerais à ma vie, et me donnait à voir en miroir ce qui, au crépuscule de la sienne, interroge le cœur de chaque homme, de chaque femme qu’il m’a été donné de rencontrer : ma vie a-t-elle eu et a-t-elle encore du prix ? Fait-elle encore sens alors que le corps fait défaut et qu’arrive la dépendance ? Pour qui et pour quoi ? Ma patiente avait trouvé sa réponse : l’amour de sa famille, de ses enfants et petits-enfants, traversait sa vie comme un fil conducteur éclairant ses années.
Aujourd’hui à son école, j’essaie avec mon équipe d’aider ceux que je rencontre à retrouver le fil rouge de leur existence. Dans une vie percutée par la violence de la maladie et les épreuves de la vie, nous cherchons ensemble ce qui fait sens à leurs yeux et sa déclinaison possible au temps présent. Des fils qui se tissent, d’autres qui se renouent, avec ces proches dont on s’est éloigné, avec soi-même parfois.
L’accompagnement
C’est tout cela que contient pour nous ce mot parfois galvaudé ou dit trop vite : « accompagnement » ; animé d’un profond respect pour chaque personne rencontrée, et de la conviction que chaque vie peut être soutenue et vécue jusqu’au bout malgré l’épreuve. Une maïeutique patiente et humble devant la souffrance d’autrui qui constitue pour moi – à mon tour de répondre à la question de ma patiente ! - le sens de mon engagement de médecin.
(1) Praticien hospitalier au sein de l’équipe mobile de soins de support, soins palliatifs et traitement de la douleur de l’hôpital Ambroise Paré (AP-HP) à Boulogne, auteur de « En première ligne COVID 19, lettres du front », Éditions Balland, 130 p., 9 €
L’euthanasie et l’aide au suicide sont à l’ordre du jour : quel pays (occidental en particulier) n’y a pas été confronté – au moins à travers quelques notes médiatiques – durant ces derniers mois ? ...
Questions éthiques
Nombreuses sont évidemment les questions qui surgissent face à ces pratiques, par exemple : à qui revient leur mise en œuvre ? Au personnel de santé ? En Allemagne, les médecins ne veulent pas être impliqués car ils estiment que cela ne correspond pas à leur rôle de soignants (ils sont en cela cohérents avec le serment d’Hippocrate, récemment publié sur ce blog).
Aider une personne à se suicider, est-ce un acte de compassion (pour qu’elle ne souffre plus) ou un acte d’abandon (je ne souhaite pas être affecté par la souffrance de cette personne ou je ne me sens pas la force de la porter avec elle, alors je l’aide à mourir) ?
Enfin, la dignité humaine est souvent invoquée comme critère pour légitimer l’euthanasie ou l’assistance au suicide : décider de sa mort, c’est pouvoir mourir « dans la dignité ». Mais qu’est-ce qui fait qu’un homme est digne ? Est-ce l’absence de maladie ? Est-ce le fait d’être complètement autonome ? Est-ce mon ressenti, c’est-à-dire un sentiment subjectif de dignité ou d’indignité qui pourrait varier au gré de mon humeur, de mes difficultés ou de mon état de santé ?
Une pente glissante
Comme l’écrit José Pereira dans un article récemment paru dans la revue Current Oncology, les différentes législations se sont dotées de garde-fous pour tenter d’éviter les dérives mais, selon cet auteur, ils ne sont qu’illusion. En effet, il observe (notamment aux Pays-Bas et en Belgique où l’euthanasie a été légalisée respectivement en 2001 et 2002) que, si l’euthanasie et l’assistance au suicide n’étaient réservées au départ qu’à un petit nombre de malades en phase terminale, certaines juridictions en élargiraient de plus en plus l’indication: aux Pays-Bas, une personne de plus de soixante-dix ans qui se sent « fatiguée de vivre » peut demander qu’on l’aide à mourir. Ainsi, dans ce pays, l’euthanasie semble être passée de l’état de solution ultime à celui d’intervention précoce ! M. Pereira observe également que les législations en ce domaine sont souvent transgressées et que ces transgressions ne sont pas poursuivies. C’est le phénomène « de la pente glissante » : on tolère une transgression de la loi et quand ça devient une habitude, on change la loi. Par exemple, dans tous les pays concernés, on exige que la personne qui demande l’euthanasie ait au préalable donné son consentement écrit (c’est une pratique courante pour nombre d’interventions sur le corps humain qui n’ont en principe pas une issue fatale). Elle doit alors avoir été dûment informée de la procédure mais également des alternatives qui peuvent lui être proposées (c’est là aussi que le bât blesse, notre auteur montrant comme les médecins actuels sont peu formés en médecine palliative). Ainsi, il y aurait cinq cents euthanasies par année aux Pays-Bas, effectuées sans le consentement des patients (ce qui correspond à une personne euthanasiée sur cinq). De même, tous les cas d’euthanasie ne seraient pas rapportés contrairement à ce qu’exige la législation.
Questions essentielles
Les promoteurs de l’assistance au suicide et de l’euthanasie les considèrent comme un progrès, une participation libre de chaque personne à sa propre mort. « J’ai construit ma vie, ne puis-je pas construire ma mort ? Est-ce que je ne sais pas moi comment mourir et à quel moment ? » Il est vrai que les valeurs de choix et d’autonomie de la personne sont essentielles mais elles ont aussi leurs limites. N’est-ce pas un peu osé d’affirmer que je sais exactement ce qu’il me faut ? La vie dont je vis actuellement en suis-je la source, l’origine ? Si cette vie ne vient pas de moi, mais que je la reçois jour après jour, puis-je vraiment affirmer, sans me mentir à moi-même, que j’en suis le seul maître et seigneur ? Si je reçois ma vie, ne devrais-je pas, dans une même logique, recevoir ma mort ? Quelle est mon attitude face au réel : est-ce une attitude revendicatrice, qui veut en prendre une partie et laisser ce qui ne me convient pas ou est-ce une attitude d’ouverture qui accueille le réel sans condition, sans préjugé ? En effet, de nos jours, on cherche à tout prix à supprimer toute forme de souffrance, considérée comme absurde, destructrice. Cependant, elle fait partie de notre condition humaine et en voulant s’en extirper, on se déshumanise.
La pente glissante dont parle M. Pereira est bien entamée dans certains pays : cela signifie que nombre de personnes se considérant ou étant considérées comme « inutiles » sont facilement supprimées, le fait de les tuer apparaissant alors davantage comme un geste compassionnel que criminel ! Ainsi la vie humaine n’est-elle plus considérée comme étant digne d’un respect inconditionnel qui semble être de plus en plus conditionné par une multitude de choses et, en particulier, dans notre société matérialiste, par la productivité et la capacité de consommer. La souffrance arrive alors comme un grain de sable dans ces beaux rouages du consumérisme, bienheureux grain importun qui vient nous rappeler que ces rouages qui tendent de nous aveugler en voulant nous vendre un bonheur superficiel n’ont cependant pas le dernier mot sur notre finalité : nous sommes faits pour davantage que la consommation. Notre malaise face à la souffrance vient notamment de cette discordance entre l’idéal consumériste proposé et la réalité : toute forme de souffrance, voire toute forme de contrariété, est alors considérée plutôt comme un obstacle que comme la possibilité d’un chemin, pour soi et pour son entourage. La souffrance, comme toute forme d’épreuve, peut heureusement être aussi une opportunité de croissance, d’enrichissement humain.
Nous avons à Genève une amie qui souffre depuis cinq ans d’une sclérose latérale amyotrophique. Cette maladie dégénérative la paralyse petit à petit. Elle n’a d’abord plus pu marcher ; maintenant, elle ne peut plus parler ; elle arrive encore à déglutir mais ne bouge plus que les yeux. A trente-huit ans, elle est redevenue complètement dépendante. Cependant, à mesure que son handicap physique grandissait, s’est développé en elle une magnifique vie intérieure. Grâce aux technologies informatiques adaptées à ce type de handicap, elle écrit énormément avec beaucoup de talent et d’humour. Sa mère s’occupe courageusement d’elle, avec tendresse et humilité. En effet, notre amie a tant d’amis : c’est impressionnant de voir son rayonnement, de voir comme elle nous redonne vie par sa confiance en la vie malgré les souffrances endurées et bien réelles pour elle-même, sa mère et leur entourage ! Toute personne, quelles que soit ses limites, son handicap, sa souffrance n’a-t-elle pas quelque chose à me dire, n’a-t-elle pas quelque chose à donner, quelque chose d’unique que personne ne pourra dire ou faire ou donner à sa place ? Mais pour pouvoir donner, transmettre, communiquer encore faut-il qu’il y ait quelqu’un pour recevoir, pour entendre, pour s’ouvrir !
Le plus grand besoin de l’homme n’est-il pas celui d’une compagnie, d’une présence ? Combien plus ce besoin de compassion se fait-il sentir dans l’épreuve, dans la maladie, dans l’agonie ? Mon attitude, dès lors, ne doit-elle pas être celle de celui qui se tient là, tout proche, parfois sans paroles mais simplement pour offrir la consolation d’une présence aimante ? C’est ce que propose notamment la médecine en soins palliatifs : en plus des compétences techniques qui permettent de soulager au maximum les symptômes d’une maladie, il y a cette irremplaçable présence humaine qui accompagne jusqu’au bout du chemin : cette ultime épreuve, qu’on appelle agonie, n’est-elle pas la dernière étape du chemin qu’il ne faudrait pas amputer sous peine d’amputer sa propre humanité ?
Face au mystère de la souffrance, il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la soulager ou même, quand cela est possible, la supprimer, mais c’est la souffrance qu’il faut faire disparaître et jamais la personne qui souffre sous peine de souscrire à une nouvelle forme de barbarie.
Dr. Pascale della Santa
Source : terredecompassion.com
Choisir sa mort : un bien ? | Terre de Compassion Pascale Della Santa 8-11 minutes
L’euthanasie et l’aide au suicide sont à l’ordre du jour : quel pays (occidental en particulier) n’y a pas été confronté – au moins à travers quelques notes médiatiques – durant ces derniers mois ? Qui n’a pas entendu parler du « tourisme de la mort » qui met au devant de la scène la ville de Zurich, où des personnes de toutes nationalités peuvent venir recevoir le poison mortel qui les fera passer « en douceur » de l’autre côté[1] ? En effet, l’assistance au suicide est tolérée en Suisse, pour autant qu’elle ne soit pas due à « un mobile égoïste »[2]. Un certain vide juridique (en partie volontaire)[3] permet ainsi à des associations telles « Dignitas [4]» ou « Exit[5] » d’offrir leurs services depuis plusieurs années.
El Greco, Marie Madeleine pénitente
Questions éthiques
Nombreuses sont évidemment les questions qui surgissent face à ces pratiques, par exemple : à qui revient leur mise en œuvre ? Au personnel de santé ? En Allemagne, les médecins ne veulent pas être impliqués car ils estiment que cela ne correspond pas à leur rôle de soignants (ils sont en cela cohérents avec le serment d’Hippocrate, récemment publié sur ce blog).
Aider une personne à se suicider, est-ce un acte de compassion (pour qu’elle ne souffre plus) ou un acte d’abandon (je ne souhaite pas être affecté par la souffrance de cette personne ou je ne me sens pas la force de la porter avec elle, alors je l’aide à mourir) ?
Enfin, la dignité humaine est souvent invoquée comme critère pour légitimer l’euthanasie ou l’assistance au suicide : décider de sa mort, c’est pouvoir mourir « dans la dignité ». Mais qu’est-ce qui fait qu’un homme est digne ? Est-ce l’absence de maladie ? Est-ce le fait d’être complètement autonome ? Est-ce mon ressenti, c’est-à-dire un sentiment subjectif de dignité ou d’indignité qui pourrait varier au gré de mon humeur, de mes difficultés ou de mon état de santé ?
Une pente glissante
Comme l’écrit José Pereira dans un article récemment paru dans la revue Current Oncology[6], les différentes législations se sont dotées de garde-fous pour tenter d’éviter les dérives mais, selon cet auteur, ils ne sont qu’illusion. En effet, il observe (notamment aux Pays-Bas et en Belgique où l’euthanasie a été légalisée respectivement en 2001 et 2002) que, si l’euthanasie et l’assistance au suicide n’étaient réservées au départ qu’à un petit nombre de malades en phase terminale, certaines juridictions en élargiraient de plus en plus l’indication: aux Pays-Bas, une personne de plus de soixante-dix ans qui se sent « fatiguée de vivre » peut demander qu’on l’aide à mourir. Ainsi, dans ce pays, l’euthanasie semble être passée de l’état de solution ultime à celui d’intervention précoce ! M. Pereira observe également que les législations en ce domaine sont souvent transgressées et que ces transgressions ne sont pas poursuivies. C’est le phénomène « de la pente glissante » : on tolère une transgression de la loi et quand ça devient une habitude, on change la loi. Par exemple, dans tous les pays concernés, on exige que la personne qui demande l’euthanasie ait au préalable donné son consentement écrit (c’est une pratique courante pour nombre d’interventions sur le corps humain qui n’ont en principe pas une issue fatale). Elle doit alors avoir été dûment informée de la procédure mais également des alternatives qui peuvent lui être proposées (c’est là aussi que le bât blesse, notre auteur montrant comme les médecins actuels sont peu formés en médecine palliative). Ainsi, il y aurait cinq cents euthanasies par année aux Pays-Bas, effectuées sans le consentement des patients (ce qui correspond à une personne euthanasiée sur cinq). De même, tous les cas d’euthanasie ne seraient pas rapportés contrairement à ce qu’exige la législation.
Questions essentielles
Les promoteurs de l’assistance au suicide et de l’euthanasie les considèrent comme un progrès, une participation libre de chaque personne à sa propre mort. « J’ai construit ma vie, ne puis-je pas construire ma mort ? Est-ce que je ne sais pas moi comment mourir et à quel moment ? » Il est vrai que les valeurs de choix et d’autonomie de la personne sont essentielles mais elles ont aussi leurs limites. N’est-ce pas un peu osé d’affirmer que je sais exactement ce qu’il me faut ? La vie dont je vis actuellement en suis-je la source, l’origine ? Si cette vie ne vient pas de moi, mais que je la reçois jour après jour, puis-je vraiment affirmer, sans me mentir à moi-même, que j’en suis le seul maître et seigneur ? Si je reçois ma vie, ne devrais-je pas, dans une même logique, recevoir ma mort ? Quelle est mon attitude face au réel : est-ce une attitude revendicatrice, qui veut en prendre une partie et laisser ce qui ne me convient pas ou est-ce une attitude d’ouverture qui accueille le réel sans condition, sans préjugé ? En effet, de nos jours, on cherche à tout prix à supprimer toute forme de souffrance, considérée comme absurde, destructrice. Cependant, elle fait partie de notre condition humaine et en voulant s’en extirper, on se déshumanise.
La pente glissante dont parle M. Pereira est bien entamée dans certains pays : cela signifie que nombre de personnes se considérant ou étant considérées comme « inutiles » sont facilement supprimées, le fait de les tuer apparaissant alors davantage comme un geste compassionnel que criminel ! Ainsi la vie humaine n’est-elle plus considérée comme étant digne d’un respect inconditionnel qui semble être de plus en plus conditionné par une multitude de choses et, en particulier, dans notre société matérialiste, par la productivité et la capacité de consommer. La souffrance arrive alors comme un grain de sable dans ces beaux rouages du consumérisme, bienheureux grain importun qui vient nous rappeler que ces rouages qui tendent de nous aveugler en voulant nous vendre un bonheur superficiel n’ont cependant pas le dernier mot sur notre finalité : nous sommes faits pour davantage que la consommation. Notre malaise face à la souffrance vient notamment de cette discordance entre l’idéal consumériste proposé et la réalité : toute forme de souffrance, voire toute forme de contrariété, est alors considérée plutôt comme un obstacle que comme la possibilité d’un chemin, pour soi et pour son entourage. La souffrance, comme toute forme d’épreuve, peut heureusement être aussi une opportunité de croissance, d’enrichissement humain.
Nous avons à Genève une amie qui souffre depuis cinq ans d’une sclérose latérale amyotrophique. Cette maladie dégénérative la paralyse petit à petit. Elle n’a d’abord plus pu marcher ; maintenant, elle ne peut plus parler ; elle arrive encore à déglutir mais ne bouge plus que les yeux. A trente-huit ans, elle est redevenue complètement dépendante. Cependant, à mesure que son handicap physique grandissait, s’est développé en elle une magnifique vie intérieure. Grâce aux technologies informatiques adaptées à ce type de handicap, elle écrit énormément avec beaucoup de talent et d’humour. Sa mère s’occupe courageusement d’elle, avec tendresse et humilité. En effet, notre amie a tant d’amis : c’est impressionnant de voir son rayonnement, de voir comme elle nous redonne vie par sa confiance en la vie malgré les souffrances endurées et bien réelles pour elle-même, sa mère et leur entourage ! Toute personne, quelles que soit ses limites, son handicap, sa souffrance n’a-t-elle pas quelque chose à me dire, n’a-t-elle pas quelque chose à donner, quelque chose d’unique que personne ne pourra dire ou faire ou donner à sa place ? Mais pour pouvoir donner, transmettre, communiquer encore faut-il qu’il y ait quelqu’un pour recevoir, pour entendre, pour s’ouvrir !
Le plus grand besoin de l’homme n’est-il pas celui d’une compagnie, d’une présence ? Combien plus ce besoin de compassion se fait-il sentir dans l’épreuve, dans la maladie, dans l’agonie ? Mon attitude, dès lors, ne doit-elle pas être celle de celui qui se tient là, tout proche, parfois sans paroles mais simplement pour offrir la consolation d’une présence aimante ? C’est ce que propose notamment la médecine en soins palliatifs : en plus des compétences techniques qui permettent de soulager au maximum les symptômes d’une maladie, il y a cette irremplaçable présence humaine qui accompagne jusqu’au bout du chemin : cette ultime épreuve, qu’on appelle agonie, n’est-elle pas la dernière étape du chemin qu’il ne faudrait pas amputer sous peine d’amputer sa propre humanité ?
Face au mystère de la souffrance, il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la soulager ou même, quand cela est possible, la supprimer, mais c’est la souffrance qu’il faut faire disparaître et jamais la personne qui souffre sous peine de souscrire à une nouvelle forme de barbarie.
Dans une unité de soins palliatifs, la vie jusqu'au bout
par Carole Collinet-Appéré, 20/03/2022, extraits
...Le Finistère compte trois unités de soins palliatifs, dont celle de Guilers qui nous ouvre ses portes. Reportage dans un service qui accompagne la vie. Jusqu'au bout.
Sur un tableau blanc, écrits au feutre, ces quelques mots : "merci de l’aider à regarder le foot sur sa tablette". Dans son lit, l’homme a les yeux fermés. La porte de la chambre s’ouvre en douceur. Véronique entre à pas feutrés, murmure un "bonjour" et pose, sur une petite table, quelques flacons d’huiles essentielles.
L’infirmière de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Brest est formée à l’aromathérapie et à la réflexologie. "Je vais vous masser tout d’abord les mains, puis les pieds" glisse-t-elle à l’homme qui acquiesce et se détend. "Au début, ça fait mal mais après, ça calme ma douleur" répond-il.
Humanité
La porte s’ouvre à nouveau. "Oh mon papa, tu m’as manqué". Un sourire accueille la jeune femme brune qui arrive de Rennes où elle est étudiante. Elle vient rendre visite à son père chaque semaine. Ils s’embrassent, elle pose sa tête sur son épaule, lui caresse les cheveux. "Dans ce service, constate-t-elle, l’écoute est immense. Il y a de la bienveillance, je le vois avec mon père. Il est entre de bonnes mains".
"Etre là au bon moment". Ce pourrait être le mantra de cette unité de soins palliatifs de dix lits, installée au deuxième étage du centre de soins et de réadaptation de Guilers. ...
"Le bout du bout"
Dans une chambre voisine, Alain observe le parc en contrebas depuis sa fenêtre. L’homme, âgé de 70 ans, est atteint d’une leucémie. Il a intégré l’unité de soins palliatifs depuis quinze jours. "On se doute que lorsque l’on arrive ici, c’est un peu le bout du bout" lâche-t-il avant de se reprendre et d'annoncer que son projet, "c’est de rentrer à la maison, requinqué".
Alain est heureux de dire qu’il est à nouveau capable de marcher un peu. "Je suis même allé au restaurant avec ma famille l’autre jour, un restaurant face à la mer. La mer et les livres, ils me sont indispensables ». La maladie s’est emparée "brutalement" de son corps et a été découverte lors d’un examen de routine l’été dernier. Elle amène "des hauts et des bas. Parfois, c'est la tristesse qui domine" ajoute le septuagénaire. A Guilers, il aime "l’ambiance familiale, c’est pas l’usine comme à l’hôpital Morvan, sourit-il. C’est plus calme et le personnel est aux petits soins. Pour reprendre des forces, c’est idéal".
La médecin responsable de l’unité de soins palliatifs (USP) remarque les mécanismes de défense, comme le déni, chez certains patients et leur famille. "Ils savent où ils se trouvent mais ne se l’avoueront pas, enfin pas tout de suite, déclare le docteur Véronique Bellein. Ils sont accrochés à l’idée de guérir. Derrière le ‘j’ai envie de guérir’, il faut entendre ‘je ne veux pas mourir’. Qui peut accepter que sa maladie est incurable ? Qui peut accepter sa fin de vie en toute sérénité ? C’est un long processus. Notre travail ne se résume pas à soulager la souffrance physique, il s’agit également de prendre en compte cette souffrance psychique".
"La qualité de vie"
Travailler dans un service de soins palliatifs, "c’est un choix volontaire" précise Pierrick Laot, cadre de santé et secrétaire de la Coordination bretonne de soins palliatifs. Lui-même a fait ce choix, il y a sept ans. A l’origine, il était infirmier en psychiatrie. "Ce qui m’accroche, c’est cette qualité de l’accompagnement, analyse-t-il. Les soins palliatifs traitent du temps qu’il reste à vivre et de ce que l’on va en faire. Nous, nous regardons ce temps et pas que la mort à venir".
Outre des médecins, une quinzaine d’infirmières et aides-soignantes compose l’USP qui a été créée en 2003. On n’y ressent pas la hiérarchie qui régit habituellement un service hospitalier. "Chaque avis a autant d’importance qu’un autre, observe Pierrick, puisque l’on est dans une approche globale du malade. On n'est plus sur la question du guérir, on est dans soulager sa douleur et préserver son confort de vie".
Des liens
Des rires fusent de la salle de pause. C’est l’heure du déjeuner pour l’équipe de jour. "Vous savez, c’est un peu les montagnes russes des émotions ici, souffle Céline. On passe de la joie à la tristesse, de la tristesse à la joie".
Céline est infirmière dans l'unité depuis onze ans. "Des liens se nouent avec les malades, on n'est pas dans le 'bonjour, au revoir' ni le 'faire vite'. On devine rien qu'à l'intonation de leur voix, l'expression sur leur visage, comment ils vont. On a aussi de beaux partages, plus joyeux, avec eux. Il y a même eu des mariages ici. On est dans la vie".
Autour de la table, chacun reconnaît qu’il existe "un confort de travail" au sein de l’USP. "On a le temps de prendre soin" glisse Mélanie. La conversation finit toutefois par mettre en lumière le manque d’effectif la nuit. "L’infirmière est seule et doit prioriser les urgences" affirment ces soignants. Alors qu’en journée, c’est en binôme qu’ils travaillent. "C’est paradoxal, en fait. Parce que de nuit comme de jour, être à deux permet de mieux évaluer les situations et de maintenir cette qualité d’accompagnement qui est l’essence même des soins palliatifs".
Le temps "indéfini"
Même si l’horloge de la salle de pause n’est jamais à l’heure, le temps est une notion prégnante dans le service. Le temps pour les malades, leurs proches, le temps des discussions à bâtons rompus entre collègues autour d’un café "pour s’épauler" et ce temps face à la vie qui s’effiloche.
Cette question "combien il me reste ?" qui revient sans cesse, "c'est la seule chose que l’on ne maîtrise pas" témoigne Céline. Du temps "indéfini". "Je suis incapable de dire combien de temps il reste quand un patient ou sa famille me le demande, confirme le docteur Bellein. Je réponds : ‘et vous, vous en pensez quoi ?’, ce qui nous permet de mesurer si les gens ont cheminé et comment. Cette mort leur appartient. Notre rôle à nous est de veiller à la dignité du malade et de soutenir son entourage".
Dans le couloir, en cette fin d'après-midi, les familles se croisent. Se saluent. Avant de rejoindre les chambres. Derrière les portes closes, la vie, jusqu'à son dernier souffle.
TÉMOIGNAGE | Le Dr Vinay nous expose l’importance de vivre dignement les moments de fin de vie. Il nous rappelle que certains malades en apparence inconscients demeurent toujours conscients de la réalité qui les entoure.
Dr PATRICK VINAY | Hôpital Notre-Dame, unité de soins palliatifs, Montréal
« Bien que l'objectif est que la mort soit sans douleur et sans détresse, une analyse a montré que ce n'est pas toujours le cas ». Le professeur Jaideep Pandit, anesthésiste aux hôpitaux universitaires d’Oxford a publié une étude sur les conditions de décès des patients euthanasiés[1], dans les pays où cet acte est autorisé. Les patients euthanasiés reçoivent généralement des barbituriques, sédatifs puissants, qui doivent leur faire perdre conscience et provoquer l’arrêt des poumons et du cœur. Mais l’étude rapporte des complications : 9% des patients ont reçu une dose incomplète à cause de leur difficulté à avaler et 10% ont été pris de vomissements, rendant la prise incorrecte. En conséquence, certains patients mettent jusqu’à une semaine à mourir, ou se réveillent de leur coma. On rapporte même des cas de patients euthanasiés qui étaient assis au moment de leur décès. Les réveils de coma concernent 2% des euthanasies. « Cela laisse craindre que certaines morts ne soient peut-être inhumaines », s’inquiètent les chercheurs.
L’état d’inconscience arrive généralement en quelques minutes. Pour la mort elle-même, dans 67% des cas, elle survient dans les 90 minutes, dans 33% des cas elle met plus de 30 heures à arriver, et dans 4% des cas elle peut mettre jusqu’à sept jours. « Les résultats vont à l'encontre de l'argument avancé en faveur de l'aide médicale à mourir selon lequel les patients décèderaient avec dignité et paix ».
Les méthodes et les molécules varient énormément d’un pays à l’autre, alors que l’objectif est le même pour tous : tuer le plus vite possible une personne inconsciente dès que possible. « Les différences [considérables] entre les méthodes suggèrent que la méthode parfaite pour atteindre un état de perte de conscience demeure inconnue » à ce jour, ont déclaré les chercheurs, ce qui induit que « les citoyens vulnérables risquent d'être tués par des moyens sous-optimaux, voire cruels ».
[1] Etude publiée dans la revue Anaesthesia, et rapporté par le British Medical Journal.
Réflexion sur l'euthanasie : la personne dépossédée de sa valeur propre
par Dr François Primeau, 28/10/10, extraits
À partir de mon expérience professionnelle de gérontopsychiatre et de ma formation en éthique, j'aimerais proposer une brève réflexion que m'inspire le débat actuel sur l'euthanasie. J'ai déjà contribué à ce débat dans un mémoire, hébergé sur le site de l'Assemblée nationale du Québec, auquel le lecteur pourra se référer.
La méconnaissance des facteurs psychiatriques et psychologiques dans ce débat me semble stupéfiante. Il existe en effet une différence notable entre les motifs invoqués pour la légalisation de l'euthanasie (douleur intolérable non soulagée) et ceux qui motivent les demandes réelles d'euthanasie, soient la dépression et la démoralisation. Une étude récente de 2009 du Marie Curie Palliative Care Institute de Liverpool (155 hôpitaux et 3893 patients du Royaume-Uni) révèle que 65% des patients dans les dernières 24 heures de vie sont confortables sans médication, 31% reçoivent de faibles doses d'analgésiques et 4%, des doses plus élevées de médication. En fin de vie, la douleur peut donc être prise en compte adéquatement. Cependant, seulement 3% des patients en phase terminale sont traités pour dépression, alors que de 20% à 50% en souffrent. Or les patients déprimés sont susceptibles de demander l'euthanasie 5.29 fois plus souvent que ceux qui ne le sont pas, et ces demandes sont éphémères: 50% changent d'idée après avoir exprimé une demande d'euthanasie en moins de deux semaines. Face à la détresse existentielle profonde que vivent ces patients, la demande d'euthanasie est un impératif clinique afin d'ouvrir un dialogue entre le patient, le médecin et l'équipe traitante pour en comprendre la signification. Cette évaluation permet d'apporter davantage de sérénité en traitant ce qu'un auteur a appelé la démoralisation psycho-spirituelle. ...
Enfin, d'un point de vue plus fondamental, cette pression pour l'euthanasie enlève la dignité inaliénable et «le respect dû à tout être humain du simple fait qu'il est humain» (Paul Ricoeur). La valeur de la personne ne dépend plus que de son propre regard subjectif ou du regard d'autrui sur soi-même. Quand la date de « péremption » approche et que la qualité de vie diminue, la personne est jugée sans valeur et mieux vaudrait qu'elle soit euthanasiée! Une réflexion en profondeur est donc incontournable pour respecter, par la compassion et l'accompagnement, le mystère de la personne dans tout son être, et résister à l'attraction vers le néant que propose l'euthanasie.
François Primeau, MD, CSPQ, FRCPC, BPh, CTh
Professeur agrégé de clinique en psychiatrie et neuro-sciences, Université Laval Chef, Service de gérontopsychiatrie, CHAU-Hôtel-Dieu de Lévis
Selon le récent Troisième rapport intérim sur l’aide médicale à mourir au Canada par Santé Canada, environ 1500 personnes sont décédées d’euthanasie administrée par des médecins dans les six mois compris entre le 1er juillet et le 31 décembre 2017. Ce nombre est assez petit pour être saisissable par notre imagination, mais très imposant ; mille kilomètres ou mille dollars, sont des nombres importants. Que dire de mille cinq cents vies humaines?
Toute statistique sur la mort interpelle le respect. L’image solennelle des tombes silencieuses alignées nous rappelle que nous acceptons la mort seulement parce qu’elle est inévitable. Surtout en tant que médecins, nous sommes habitués à combattre autant que possible toute contingence mortelle, comme nous rejetons toute forme d’homicide. Nous acceptons la mort seulement lorsqu’elle est inévitable.
Et pourtant, voici ces 1500 morts, volontairement provoquées par des médecins, dans des maisons, des cliniques et des hôpitaux, soutenues, justifiées et certifiées par tout un personnel administratif, selon l’application d’une loi, et finalement compilées dans un rapport gouvernemental. Voilà la définition du surréalisme : présenter ce qui est extraordinaire et outrageant comme banal et normal.
La plupart d’entre nous serons toujours inconfortables avec ces faits. Il existe un écart moral immense entre le suicide et le suicide assisté; et un écart encore plus grand entre tout suicide et l’euthanasie. Comme médecin nous acceptons qu’un patient refuse de poursuivre tout traitement; cela est son droit légitime et légal. Cependant, donner la mort à un patient par administration d’un poison mortel sera toujours illégitime, même si le geste est légal.
Comment donc travailler comme médecin dans ce Brave New World (de Huxley)?
Malgré tout, les statistiques de Santé Canada nous disent aussi que seulement une petite fraction des patients demande l’euthanasie, et que peu de médecins veulent l’administrer. Nous ne sommes donc pas seuls.
Notre objectif n’est pas de justifier notre opposition mais de travailler à répondre de mieux en mieux aux besoins réels de la vaste majorité des patients qui sont non-suicidaires. Ainsi, nous l’espérons, ceux qui songent à l’euthanasie passeront du désespoir à l’espérance, de l’anxiété à la paix.
Chaque euthanasie est une sorte de faillite; nous aimerions savoir comment la prévenir du point de vue médical et sociétal et empêcher les abus possibles. Voilà pourquoi la documentation de chaque euthanasie est cruciale et mérite un rapport plus détaillé, afin de répondre à l’objectif cité dans ce Rapport de Santé Canada : « …informer avec transparence et cultiver la confiance des citoyens dans l’application de la loi. »
Les paramètres de ce rapport sont trop limités (un cadre plus extensif serait en préparation à Santé Canada).
Actuellement, toute euthanasie doit être rapportée à une autorité publique; au Québec, il s’agit de la Commission spéciale sur la fin de vie; dans les autres provinces, il s’agit du Coroner. Le défaut majeur de ce protocole est que la personne qui soumet le rapport est la même qui a évalué le patient et administré l’euthanasie. Le médecin ou l’infirmière écrit simplement ce qu’il a fait et en donne les raisons. L’agence de révision n’a aucune autre source d’informations et se borne à vérifier que les bons formulaires ont été bien remplis par les personnes concernées.
Le portrait statistique des candidats à l’euthanasie à travers les provinces est cependant une source de renseignements plus prometteuse pour une politique de développement des soins. Nous apprenons donc que le candidat typique est le malade cancéreux (65% des euthanasies au Canada),en C-B (7,93 euthanasies par 100 000 habitants; Québec 5,35; Ontario 3,51; Maritimes 2,97; Prairies 2,69). Ce candidat typique a plus de 55 ans et vit dans une grande agglomération urbaine (57%). Cependant, Il faudrait aussi savoir pourquoi ces personnes ont demandé la mort, contre tout instinct naturel.
D’autres informations, qui pourraient être explorées davantage dans ce portrait statistique, sont les chiffres sur les demandes refusées (Maritimes 8% des demandes; Alberta 8%; Québec 16%; Manitoba 18%; Sask. 23%). Mais la seule raison donnée pour le refus est la non-correspondance aux critères d’admissibilité. Une déception: L’Ontario et la Colombie-Britannique ne tiennent aucune statistique à ce sujet.
Il faudrait en savoir davantage sur chaque patient concerné. Les soins palliatifs étaient-ils disponibles? La personne avait-elle un soutien familial ou social? Quels étaient l’état de sa santé mentale et l’accès à un suivi pertinent si nécessaire? Quels étaient l’influence et l’opinion de la famille ou des proches? Le médecin traitant a-t-il démontré un biais en faveur de l’euthanasie? Quelles alternatives ont été proposées? Toutes ces informations pourraient montrer les améliorations à viser.
En somme, toute documentation statistique reflète l’usage qu’on veut en faire. Si on veut normaliser et étendre la pratique de l’euthanasie, l’information exigée sera aussi simple que possible et la révision des données sera essentiellement une formalité non critique, comme actuellement. De plus, les groupes pro-euthanasie se serviront des données sur les patients pour agrandir les critères aux catégories de personnes présentement exclues.
Notre but est à l’opposé; nous voulons un reportage plus extensif et plus objectif sur chaque euthanasie, afin de mieux promouvoir et montrer les chemins alternatifs.
Au fil du temps qui passe, avec cette démission sociale programmée envers les personnes vulnérables, votre témoignage comme médecin joue un rôle crucial dans la culture et la conscience populaire, et contribue à la solidarité entre médecins. Vous êtes invités à partager toute anecdote personnelle, pouvant ou non concerner des euthanasies sous contraintes, de toutes sortes, et toute réflexion plus générale découlant de votre profession. Le Collectif publiera vos contributions sous « La voix des médecins » (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
Euthanasie: l'objection de conscience doit être reconnue, insiste Thomas De Koninck
par Pierre Pelchat, Le Soleil, 12/02/2011
Le professeur de philosophie à l'Université Laval Thomas De Koninck estime que les médecins doivent avoir la possibilité de refuser l'euthanasie à un patient par objection de conscience si le gouvernement légalise cette pratique.
«Si l'État québécois commet l'irréparable erreur de légaliser l'euthanasie, sous quelque forme que ce soit, il doit absolument voir à ce que l'objection de conscience soit formellement reconnue dans la loi sur le même pied, sans quoi il posera un geste totalitaire. Ceci est tout à fait majeur, je ne saurais trop insister», a-t-il affirmé, cette semaine, devant la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité.
Selon M. De Koninck, la pression que subiront les médecins, les infirmières ou toute personne concernée dont la conscience interdit de donner la mort s'avérera insupportable. Il a qualifié cette pression de «forme de violence inadmissible».
«Voyez comme elle est énorme déjà sur nous tous et toutes, avant même toute législation, la pression du politically correct entretenue par les médias, qui fait dire à tant de gens que votre jugement est à coup sûr déjà rendu», a-t-il dit aux parlementaires présents.
En outre, le philosophe a soutenu que la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté créera de la pression auprès des malades et des personnes âgées. «Faire du suicide un droit a des terribles conséquences, dont celle d'une pression inadmissible sur le malade ou la personne âgée, à qui on reprochera et qui se reprochera de ne pas se sentir "de trop" et de ne pas solliciter dès lors de se faire supprimer», a-t-il affirmé.
«Quoi de plus inhumain qu'une pareille pression sur la conscience de cette personne, je vous le demande? Car il s'agit à toutes fins pratiques d'un rejet radical et d'un déni de toute dignité à cette personne, pire épreuve, on peut le penser, que celle d'un être souffrant entouré de soins», a ajouté le professeur.
Loi injuste
D'autre part, M. De Koninck croit qu'une loi sur l'euthanasie serait injuste pour la grande majorité des Québécois et ne servirait pas le bien commun. «Faire une loi pour quelques cas individuels sans tenir compte du point de vue de l'ensemble des citoyens, ça ne peut pas être une bonne loi», a-t-il fait valoir.
Il a mis en garde les députés sur les résultats de sondages qui pencheraient en faveur de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. À son avis, la valeur de ces sondages est douteuse compte tenu du manque de précision des questions qui ont été posées et de la confusion dans la population sur la définition de l'euthanasie et du suicide assisté.
Au lieu de mettre fin à la vie sur demande, M. De Koninck croit qu'il faut plutôt utiliser les soins palliatifs. Il s'est également dit contre tout acharnement thérapeutique pour prolonger artificiellement la vie. «C'est toujours la souffrance, physique et morale, qu'il faut s'employer à supprimer par tous les moyens possibles, jamais la personne humaine», a-t-il conclu.
Par ailleurs, dans une entrevue précédente, M. De Koninck, avait affirmé que la légalisation de l'euthanasie pourrait conduire à des abus. «Quelle belle façon de se débarrasser de quelqu'un afin d'accélérer un héritage, par exemple, que de prétendre qu'il ou elle nous a suppliés de faire le beau geste humanitaire de soulager sa souffrance en l'euthanasiant, d'autant plus désintéressé que ce fut à sa demande expresse», a-t-il affirmé.
«Comment ne pas anticiper la pente glissante vers la barbarie où conduit, une fois légalisée, la possibilité d'éliminer en douce, le regard clair, celles et ceux que la faiblesse, la pauvreté, les handicaps vouent à une vie jugée désormais "sans valeur" par les puissants qui en décideront», a-il poursuivi.
LORSQUE LES « GRANDES FRAGILITÉS » IMPOSENT UNE EXIGENCE POLITIQUE
Auprès de la personne en situation de vulnérabilité
Qu’on ne s’y trompe pas, ce « livre blanc » est un acte politique. Il ne se limite pas à la compilation de témoignages, certes essentiels, et à poser des revendications étayées par une étude scientifique exigeante et pertinente. Il nous est indispensable dans sa restitution de ces territoires si difficilement accessibles aux confins de ce que représente la condition humaine, lorsque la personne éprouve l’extrême du handicap et des dépendances, au point de ne plus être définie en des termes qui affirment encore la plénitude de son humanité. C’est dire à quel point ce « livre blanc » s’avère important et précieux dans ce contexte politique où la dignité humaine est à ce point bafouée que le Conseil constitutionnel a estimé nécessaire de nous rappeler, dans une décision du 6 juillet 2018, la signification du « principe de fraternité ».
Depuis quelques années, à travers des controverses bien discutables dans l’actualité judiciaire, nous avons appris à mieux comprendre les responsabilités et les défis auxquels les personnes dites en « état d’éveil sans conscience (ou minimale) » nous confrontent. Leur vulnérabilité en appelle de notre part à l’expression d’obligations morales et de considérations politiques dès lors que le fil de leur existence tient aux égards et aux solidarités que nous leur témoignons. La vérité insoupçonnée d’une vie hors de nos représentations et même de ce qui nous paraît a priori humainement concevable et acceptable a émergé aux confins des pratiques soignantes : ces personnes nous imposent une considération et une réflexion plus exigeante et fondée que la compassion.
À propos de leur accueil parmi nous, de leur accompagnement à domicile ou en établissement ainsi que des soins qui leur sont prodigués, Il n’est plus recevable aujourd’hui, comme l’ont fait deux parlementaires, d’affirmer de manière péremptoire et sans la moindre précaution que « ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer 1». Ces personnes lourdement handicapées mais également leurs proches et les soignants auprès d’elles pour un parcours de vie et de soin dont la signification mérite mieux que des disputations distanciées et une telle stigmatisation, et dont l’échéance ne se décrète pas selon l’application d’un texte de loi, justifient de notre part une sollicitude qui ne se circonscrit pas à l’arbitrage des conditions de mise en œuvre de l’arrêt de leurs soins.
Aucune instance n’a autorité à « penser » comme s’il s’agissait d’une évidence, que, totalement dépendantes et entravées dans leurs facultés relationnelles, la persistance de leur vie relève d’une « obstination déraisonnable » qui justifierait le renoncement. Sans quoi il conviendrait de renoncer à réanimer toute personne dont on estimerait a priori qu’elle ne retrouverait pas son autonomie, et de s’interroger sur le statut et les droits des personnes en phase évoluée de maladies neurologiques évolutives à impact cognitif, comme la maladie d’Alzheimer... Il n’est pas acceptable de se laisser contraindre par des dilemmes approximatifs qui, plutôt que de favoriser une approche personnalisée et circonstanciée de réalités humaines à ce point singulières, énigmatiques et tragiques, ne nous inciteraient qu’à l’échappatoire, au « moindre mal » dont on comprend qu’il imposerait l’abandon systématisé. Près de 1 700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains, dans l’effroi, à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »... Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle d’« état végétatif chronique » ou « pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difficulté à se représenter ce que certains ont décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et afin de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme », provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité 2. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote, une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ».
Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécificités : ils s’adressent à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures spécifiquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses proches.
Affronter les enjeux du point de vue de nos valeurs
Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces états de handicaps, comme leurs fluctuations possibles et l’incidence des conditions mêmes de réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient désormais en amont, dans les premières heures, ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de définir un seuil temporel au-delà duquel la situation serait considérée irrévocable, s’agissant par exemple de traumatismes crâniens dont l’évolutivité est incertaine ? Dans ce cas c’est en termes de mois, voire d’années que le processus décisionnel s’élabore, et aucune législation actuelle n’intègre la situation d’une personne stabilisée dans un état de conscience minimale dont la poursuite des soins apparaîtrait à un moment donné injustifiée.
Dans ce contexte extrême, éprouvé dans sa violence, son injustice, l’arbitrage de la décision ne saurait relever de la seule procédure médicale formellement recevable. D’autres enjeux conditionnent la recevabilité d’une décision : elle doit tenir compte de la pluralité des points de vue et surtout de l’intérêt direct la personne concernée. Lorsque la discussion porte sur l’irréversibilité d’un traumatisme, sur les possibilités même limitées d’évolution dans le temps, quels principes ou quelles valeurs faire prévaloir alors que rien n’indique ce que serait la préférence de la personne qui ne l’aurait pas exprimée dans des directives anticipées ? Peut- on se satisfaire de l’interprétation subjective et hasardeuse de postures physiques, de crispations qui inclineraient à y voir l’expression d’un refus ou au contraire d’une volonté de vivre ? Au nom de quelle autorité et selon quels critères assumer le choix de renoncer ou au contraire celui de poursuivre ? La position des proches doit-elle s’avérer déterminante alors que l’on sait l’impact des circonstances sur leur vie au quotidien ? Les compétences médicales elles-mêmes n’auraient-elles pas parfois leurs limites dans le processus d’arbitrage ? Le soin d’une personne relève en effet de considérations autres que strictement techniques et performatives ; certaines réalités soumises aux critères d’une évaluation scientifique d’indicateurs quantifiables sont susceptibles de ne délivrer qu’une part fragmentaire de leur signification. Le débat portant sur les caractéristiques mêmes d’un « état pauci-relationnel » en dit long des incertitudes qu’il importe de ne pas négliger en préservant une exigence de prudence. Outre l’importance qu’il y aurait à clarifier les concepts afin de nous prémunir d’interprétations préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade, ne serait-il pas opportun de consacrer une véritable réflexion aux situations inhérentes à la chronicité de certaines maladies, aux conséquences des maladies évolutives ou aux handicaps sévères qui limitent ou abolissent les facultés cognitives, voire la vie relationnelle de la personne ?
Il n’est pas recevable d’appréhender ces réalités humaines sous le seul prisme de l’aménagement des conditions visant à mettre un terme à une existence estimée injustifiée ! Reste posée de manière entière la question si délicate à aborder d’une personne qui n’est pas en capacité d’exprimer son refus d’un soin ou d’un accompagnement. Il paraît évident que ces aspects si particuliers du respect du droit des personnes malades justifieraient une approche qui ne relève pas d’un dispositif de fin de vie. Cela d’autant plus que les proches des personnes en situation d’EVC ou d’EPR en parlent comme s’agissant de grands blessés. Ils portent sur elles un regard empreint de tendresse, de sollicitude et leur témoignent une prévenance de chaque instant, attentifs à des signes de présence qui jusqu’au plus loin dans leur résolution défient l’irrévocable. Ces « grandes fragilités » se croisent, se partagent et se surmontent dans l’acte de soin vécu auprès de la personne comme un acte de vie, l’expression d’une résistance qui engage des valeurs si essentielles qu’y renoncer compromettrait une certaine idée que l’on se fait de la dignité humaine.
S’impose donc une pensée politique et une réflexion éthique renouvelée de réalités humaines qui défient nos représentations de la vie, de l’existence humaine, de nos responsabilités individuelles et sociales à l’égard de personnes qui éprouvent autrement un parcours de vie dont il me semble a priori irrecevable de discuter la légitimité. L’exigence de liberté pourrait relever du souci de démédicaliser notre approche de ces existences ainsi fragilisées et de tout mettre en œuvre pour leur conférer une part même limitée de sociabilité. Une telle visée impose d’emblée une réflexion relative aux conditions d’accueil et de suivi de ces personnes, à leur environnement intime et familial, aux soutiens apportés à leurs proches et aux professionnels intervenant auprès d’elles. Les controverses actuelles ne sauraient dénaturer ce champ d’obligations qui nous incombent, sans pour autant renoncer à affronter, dans le cadre d’une concertation digne, les dilemmes provoqués par une existence qui se poursuit sans qu’on ne parvienne plus à être assuré de ce qu’elle signifierait encore pour la personne. À cet égard, des contributions à la fois politiques, scientifiques, juridiques et éthiques adossées à des travaux de recherche, s’avèrent indispensables afin de mieux assumer collectivement des situations à tant d’égards inédites : elles justifient des engagements et des arbitrages justes. Sans quoi s’accentuerait le risque que ne s’imposent des logiques décisionnelles qui, dans leur mise en œuvre systématisée, s’avéreraient irrecevables, délétères, en fait incompatibles avec nos valeurs de démocrates.
C’est dire la signification et la portée, ici et maintenant, de ce « livre blanc ». Il est rendu public au moment où la bioéthique est en débat afin de revoir la loi qui lui a été consacrée le 11 juillet 2011. J’ai souvent évoqué « l’éthique d’en bas » au regard de considérations supérieures qui surplomberaient les enjeux humains et quotidiens. Il nous faut aborder « d’en bas », autrement, renouer avec un sérieux et une capacité de sollicitude à hauteur du « principe de fraternité » si l’on souhaite que persistent une idée et une exigence d’humanité dans un contexte de numérisation de nos valeurs et de nos idéaux. C’est aussi le message à la fois politique et philosophique que nous permet de saisir ce « livre blanc ».
Emmanuel Hirsch Professeur d’éthique médicale (université Paris-Sud-Paris-Saclay), président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique, université Paris-Saclay, directeur de l’Espace éthique Île-de-France
1 Alain Claeys et Jean Leonetti, Rapport de présentation de la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, Assemblée nationale, 12 décembre 2014.
2 « Avis sur les expérimentations sur des malades en état végétatif chronique », Comité consultatif national d’éthique, avis no 7, 24 février 1986.
« L'euthanasie n'est pas une solution aux souffrances »
par Tribune Collective, 06/11/2018, extraits
FIGAROVOX/TRIBUNE - Vingt-trois médecins, membres du groupe Grain de Sel, alertent sur les dangers que représenterait une légalisation de l'euthanasie en France, entre déshumanisation du patient et appauvrissement des relations inter-personnelles.
Cette tribune est proposée par le groupe Grain de Sel du collège des médecins de la SFAP, Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Les signataires sont tous médecins.
Devant la perspective de la maladie grave, nous sommes tous habités par des peurs -chacun avec notre histoire- de la souffrance et de la mort. Ces craintes suscitent un débat récurrent au sein de notre société centrée sur l'individu. Nous, médecins, proposons ici questions et réflexions.
Les revendications d'euthanasie proviennent pour l'essentiel de personnes en bonne santé ou de certains patients en période d'annonce ou d'aggravation d'une maladie. Ils réagissent ainsi aux craintes suscitées par les représentations de la maladie. Les patients qui formulent une demande de mort ne la souhaitent généralement plus quand ils sont correctement soulagés et accompagnés. Ceux qui persistent dans leur demande sont le plus souvent habités par le désir ambivalent de «vivre encore un peu», mais autrement (avec moins d'obstination médicale parfois...). Les demandes peuvent aussi émerger des familles, signes de leur propre désarroi et vécu d'impuissance.
Pourtant nous, professionnels, sommes témoins des belles choses qui peuvent se vivre dans les derniers moments, même s'ils sont difficiles, tant à domicile qu'à l'hôpital: pacification de liens familiaux, partage de souvenirs, désir de transmission, mots d'amour, restauration de liens sociaux perdus. Ils favorisent la continuité de la mémoire de la personne décédée et contribuent à la prévention de deuils pathologiques Supprimer ces moments serait prendre un risque sociétal, vers un appauvrissement des relations et une plus grande solitude.
Devant la crainte de souffrir avant de mourir, beaucoup demandent un «droit à la mort» au nom du respect de l'autodétermination. Mais nos décisions n'engagent-elles vraiment que nous? Quelles questions posent ce type de demandes? La réalité n'est-elle pas plus complexe et nuancée? La psychologie et notre expérience de médecins en soins palliatifs nous enseignent que des choix affirmés avec certitude cachent souvent de l'ambivalence, de l'inquiétude, du doute. Ces sentiments sont difficiles à dévoiler, surtout en situation de vulnérabilité liée à la maladie, et nécessitent d'autant plus d'efforts de compréhension de la part de l'entourage et des soignants.
D'ailleurs, une demande qui convoquerait l'action d'un tiers pour mourir ne traduit-elle pas plutôt symboliquement un ultime appel envers la solidarité humaine plutôt qu'un souhait de voir provoquer la mort, c'est-à-dire rompre ce lien?
Le temps éprouvant de l'agonie, qui suscite des craintes et ne fait plus sens est heureusement accompagné médicalement aujourd'hui. Il n'est pourtant pas dénué de significations, ou d’opportunités de temps d'échanges essentiels.
Enfin, des enjeux sociaux et financiers ne risquent-ils pas de venir parasiter des choix dits «libres et éclairés»? Le souci de libérer l'entourage d'un fardeau trop lourd est une parole de patients régulièrement entendue comme motivation de demande de mort.
Or une loi qui ne protège pas le plus faible ou le plus vulnérable peut-elle être juste ? ...
Les débats ne prennent pas suffisamment en compte la complexité des situations et des relations et semblent incapables de reconnaître une quelconque valeur aux personnes faibles et vulnérables.
En outre, introduire dans notre législation un droit-créance à choisir le moment de sa mort est la porte ouverte à de multiples dérives. Nous le constatons dans les rares pays ayant dépénalisé l'euthanasie ou le suicide assisté (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Canada): euthanasie de mineurs, de personnes déprimées, de personnes schizophrènes, de personnes démentes sans leur accord, de personnes âgées «lasses de vivre» ... [*] Demander aujourd'hui la légalisation d'une mort choisie, c'est prendre le risque qu'il ne soit plus possible demain d'exprimer le souhait de vivre encore malgré la maladie et le handicap.
Les difficultés réelles de l'accès à des soins d'accompagnement de fin de vie sont génératrices elles-mêmes de souffrances. La société peut-elle autoriser le recours à l'euthanasie dépénalisée comme palliatif des carences du système de santé, au risque qu'elle devienne la solution la plus simple et la moins coûteuse à la complexité des situations à traiter?
Travaillons plutôt à recréer du lien et du sens, améliorons la qualité des soins, donnons-nous les moyens collectifs d'accompagner les plus vulnérables (personnes handicapées, personnes âgées, personnes malades.). C'est le signe d'une société humaine.
Médecins signataires :
Benjamin Autric, Alix de Bonnières, Jean-Jacques Chever, Béatrice Cholin, Malika Daoud,Catherine d'Aranda, Esther Decazes, Elisabeth Dell'Accio, Delphine Dupety, Jean-Marc Hoang, Alain Hirschauer, Clémence Joly, Kirsten Keesmann, Sophie Lacondamine, Myriam Legenne, Christine Léveque, Caroline Mars, Alexis Petit, Colette Peyrard, Elisabeth Quignard, Bruno Rochas, Michel Sans Jofre Sylvie Schoonberg
Des médecins canadiens mettent en garde par rapport à l'euthanasie
par Institut Européen de Bioéthique, 23/10/2018
Des médecins canadiens se disent "consternés " de l'influence qu'exerce l'euthanasie sur les patients, les médecins, et leur pratique médicale. "Définir l'euthanasie comme un « soin de santé » auquel tous les citoyens ont droit (conditionnellement à des critères ambigus et arbitraires) fait que nous pourrions être forcés, pour des raisons d’intégrité et de conscience professionnelle, d’émigrer ou de se retirer complètement de notre pratique. Nous sommes tous profondément inquiets du futur de la médecine au Canada. Nous croyons que ce changement sera non seulement nuisible à la sécurité des patients, mais également à la perception essentielle par le public – et par les médecins eux-mêmes – que nous sommes réellement une profession dédiée seulement à la guérison et au mieux-être. Nous sommes donc très inquiets. "
Le document présenté par ces médecins aborde clairement les effets négatifs délétères de la pratique de l'euthanasie sur le vivre ensemble, mais aussi sur la vocation des médecins à soigner, guérir et accompagner. Soulignant que de plus en plus, l'euthanasie est présentée comme un droit, et même un Droit de l'Homme, ou une obligation professionnelle soi-disant éthique, les médecins affirment "qu'en tant que médecins de tradition hippocratique, nous nous concentrons sur le bien de nos patients, en évitant l'acharnement thérapeutique et en répondant à leur souffrance avec compassion, compétence et à l’aide de soins palliatifs."
Ils constatent aussi "que le nombre de médecins québécois qui commencent à travailler en soins palliatifs a diminué après la légalisation de l'euthanasie, pendant que l’Association des soins palliatifs du Québec craint maintenant que les patients choisissent l'euthanasie parce que des soins palliatifs adéquats ne sont pas disponibles."
Ces praticiens tirent la sonnette d'alarme en affirmant que l'euthanasie transforme la culture médicale. "Nos observations et expériences personnelles au cours des deux dernières années confirment notre conviction que la pratique de la médecine hippocratique est fondamentalement incompatible avec l'euthanasie et le suicide assisté. (...) Nous croyons que les médecins et les associations médicales devraient défendre vigoureusement l’excellent modèle reçu de notre Histoire. Et l’euthanasie, ce n’est pas de la médecine."
Collectif des médecins contre l'euthanasie : les médecins canadiens ne tueront pas
par PRNewswire, REYKJAVIK, Islande, 01/10/2018
Alors que les délégués de l'Association médicale mondiale (AMM) se réunissent à Reykjavik, en Islande, pour leur Conférence sur l'éthique médicale et leur Assemblée générale annuelle, les médecins canadiens s'élèvent contre une position éthique soi-disant neutre sur l'euthanasie. Les médecins canadiens affirment que la neutralité en matière d'euthanasie est un permis de tuer.
L'Association médicale canadienne (AMC) et la Société royale néerlandaise pour la promotion de la médecine (KNMG) présentent une motion demandant à l'AMM de prendre une position neutre sur l'éthique de l'euthanasie et du suicide assisté. L'AMM a longtemps rejeté ces actes comme étant contraires à l'éthique. Seuls six pays sur 200 (3 %) dans le monde autorisent les médecins à causer intentionnellement la mort, et la grande majorité des associations médicales nationales s'y opposent.
En tant que médecins canadiens, nous affirmons que la position de l'AMC ne reflète pas nos opinions et notre expérience, et qu'une position neutre est illogique et indéfendable.
L'abandon par l'AMC de sa politique de longue date contre l'euthanasie et le suicide assisté, et l'adoption d'une position neutre ont influencé la décision de la Cour suprême du Canada en 2015, qui a conduit à la loi de 2016 autorisant l'euthanasie et le suicide assisté.
Depuis lors, des pressions constantes s'exercent pour normaliser et étendre ces pratiques et pour abandonner les mesures de sécurité mises en place pour protéger les personnes vulnérables. Le gouvernement envisage d'étendre l'euthanasie et l'aide au suicide aux enfants et aux personnes atteintes de maladie mentale et de troubles cognitifs. Les médecins et les hôpitaux subissent des pressions pour pratiquer l'euthanasie ou y faire référence, même lorsque cela viole leurs principes fondamentaux.
Le Dr Paul Saba, un médecin de famille de Montréal, affirme : « Les gens ont besoin d'aide pour vivre, pas pour se suicider ».
La Dr Catherine Ferrier, présidente du Collectif des médecins contre l'euthanasie, met en garde l'AMM contre une position neutre sur l'euthanasie et le suicide assisté, soulignant que la « neutralité » de l'AMC a immédiatement conduit à la promotion de l'euthanasie et du suicide assisté dans les forums nationaux et internationaux.
Le Collectif des médecins contre l'euthanasiecherche à garantir des soins médicaux de qualité et une prise de décision respectueuse aux patients vulnérables, en particulier àceux qui risquent d'être poussés à mettre fin prématurément à leurs jours par le biais de l'euthanasie ou du suicide assisté, et il vise aussi à protéger l'intégrité professionnelle de tous les travailleurs de la santé.
Pour obtenir plus d'information : 438-938-9410 Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
En Islande : Dr Sheila Harding +1-(306)-229-5379 ; Dr Paul Saba +1-(514)-886-3447.
par Baptiste Beaulieu, médecin généraliste, 04/09/2018, extrait
Le visage d’aujourd’hui est celui de Jeannine, 95 ans, une belle vieille dame que j’ai reçue un jour au cabinet médical.
Elle était voutée, ridée, tremblante, le pas mal assuré, la vue trouble, bref, arborait tous les stigmates de la vieillesse, avec bien sûr, comme disait mon grand-père « les oreilles remplies de semoule » : elle était sourde comme un pot. Je regarde sa prise de sang : nickel. Pas de sucre. Pas de cholestérol. Pas d’inflammation. Et des reins qui pètent le feu. Je l’examine. Lui trouve une tension artérielle un peu élevée. Pas grand-chose. Rien qui ne justifie d’ajouter un nouveau médicament à la liste déjà longue comme le bras de pilules en tous genres qu’elle doit déjà prendre tous les matins. Jeannine me demande : Combien, la tension ? Je lui explique (en parlant fort pour traverser la semoule) : « Un peu élevée, mais c’est pas grave » Je ne vais pas aller l’embêter avec un régime sans sel à 95 ans et encore moins avec des médicaments. – Vous êtes sûr, docteur, que ce n’est pas grave hein ? – Oui, oui, ne vous inquiétez pas. Et voilà qu’elle me fait répéter une fois, deux fois, trois fois, de quatre manières différentes, que non, avoir un peu de tension artérielle à 95 ans, ce n’est pas grave. Elle me l’a fait répéter combien de fois, à votre avis ? Sept fois. SEPT-FOIS. Et je dois bien avouer qu’à la cinquième, moi, du haut de mes 27 ou 28 ans, c’est à dire du haut de cette facilité-là que confère un jeune âge, je commence un peu à me sentir irrité de devoir répéter et impuissant à la rassurer. Allons, 95 ans ! Et elle s’inquiète pour un peu de tension artérielle ? Mais il faut bien savoir rendre les clefs, un jour, non ? J’étais, et le suis encore un peu j’espère, ce qu’on appelle communément « un petit con ». Car soudain, elle lâche d’une petite voix fluette, cette petite voix enfantine qu’adoptent certaines personnes très âgées, cette petite voix capable de dire papa ou maman pour parler de leurs géniteurs morts des années plus tôt, avec ce ton voix de l’enfance revenue donc, elle lâche : « C’est que, docteur, moi, je ne veux pas mourir ». Voilà. MOI, docteur, je ne veux PAS mourir. Ce n’était plus une vieille dame qui parlait. C’était l’humanité toute entière. Qui a peur. Qui doute. Qui ne sait pas s’il y a un après. ... Oui, on peut avoir 20 ans et ne plus avoir envie de vivre. Mais on peut avoir 95 ans et avoir la même boulimie d’exister qu’à 14 ans. On peut avoir 95 ans, se découvrir de la tension artérielle et avoir peur. Parce qu’on veut pas descendre la pente, pas tout de suite, ou alors pas trop vite. Parce qu’on veut encore grappiller un jour aux mois qui restent, une heure aux jours, une minute aux heures. Oh, pas longtemps, ce qu’on peut, une seconde, mais quand cette seconde se termine on en veut encore une, puis une autre encore. Parce que c’est la vie et que c’est tout ce qu’on connait. Qu’on veut sentir, respirer, toucher, goûter, aimer, pleurer encore un tout petit peu. Toucher la neige une dernière fois. Voir la mer une dernière fois. Et, quand cette dernière fois est passée, on en veut une autre et une autre encore. PARCE QUE C’EST TOUT CE QU’ON CONNAÎT.
Mort planifiée: une inquiétante mise en scène du suicide
par Dr Sc. Mélina Andronicos et Dr Laurent Michaud, 27/08/2018
OPINION. Réagissant à la publication du témoignage d’une dame planifiant son suicide alors qu’elle est en bonne santé, les docteurs Mélina Andronicos et Laurent Michaud, pour le Groupe romand de prévention du suicide, rappellent quel devrait être le traitement médiatique de cette question
La lecture de l’article «Mourir encore belle, l’an prochain» nous a questionnés et inquiétés en tant qu’acteurs en prévention du suicide.
Dans les témoignages des personnes suicidées ou suicidaires, mettre fin à ses jours est avant tout un moyen d’échapper à une souffrance intolérable. Cette souffrance peut être en lien avec des facteurs sociaux, culturels, voire existentiels mais, dans la très grande majorité des cas, elle découle d’un trouble de santé mentale, généralement accessible à une prise en soins. A travers un choix individuel, l’article met en avant une vision pessimiste de l’âge avancé et médiatise le suicide comme un choix «facile», «acceptable», «hygiénique» et «salutogène» pour la société, permettant de fuir la vieillesse, la maladie ou même l’ennui (absence d’émotion).
La question délétère du «prix»
Si nous comprenons et respectons les positionnements personnels de chacun, nous sommes préoccupés des effets possibles d’une telle approche de ce sujet complexe auprès du public et, pour ce cas particulier, auprès des personnes âgées et, ou, atteintes de maladies. La personne interrogée présuppose «qu’un suicide coûte moins cher qu’une place en EMS ou qu’une chimiothérapie»; quel est le prix d’une relation d’une petite-fille ou d’un petit-fils avec sa grand-mère ou son grand-père? Quel est le prix de la vie d’une personne ayant survécu à son cancer? Evoquer ainsi cette question du «prix» nous semble particulièrement délétère, tant il est vrai que les considérations économiques peuvent contribuer à ce que les personnes âgées ou malades se sentent un fardeau pour la société. Le suicide est un acte intime et le fait d’en parler, y compris par médias interposés, peut être un cri d’alerte face à une angoisse de mort, la réaction à une perte de désir ou de sens à l’existence. Dans l’approche proposée ici, nous craignons que journal et lecteurs ne cautionnent involontairement le suicide dans une fonction de délivrance face à l’ennui et ne le réduisent à la simple expression d’une liberté individuelle.
Nous déplorons par ailleurs les indications concrètes relatives à la manière de se suicider, qui peuvent entraîner un phénomène d’imitation (effet Werther). Du fait de leur souffrance psychique intense, les personnes suicidaires sont particulièrement vulnérables et réceptives à ce phénomène, auquel les directives du Conseil suisse de la presse rendent d’ailleurs attentif: «Afin d'éviter les risques de suicide par imitation, les journalistes renoncent à des indications précises et détaillées sur les méthodes et les produits utilisés».
Le rôle des médias
Le suicide est l’affaire de tous et chacun de nous peut être acteur de sa prévention; par nos actions et discours, nous pouvons y contribuer. Changer notre regard sur la santé mentale redonnerait une place à la souffrance psychique facilitant ainsi l’acceptabilité face à la demande d’aide. Pour prévenir le suicide, il est primordial de mener des campagnes sur les difficultés psychologiques, de rendre accessibles et faciles les dépistages de troubles de santé mentale et de sécuriser les lieux à risque. Offrir des soins individualisés et adaptés à chacun ainsi que des lieux de soins non stigmatisants, rassurants, où l’individu peut aussi bien aborder ses problèmes sociaux, professionnels, que ses troubles physiques et psychiatriques, est également un élément essentiel à ces efforts de prévention. Parallèlement à leur premier devoir d’information, les médias jouent un rôle important par leurs choix rédactionnels qui, loin de devoir éviter le sujet, peuvent le traiter en donnant la parole à des personnes ayant surmonté le suicide ou s’engageant en faveur de la prévention.
En cas de détresse psychologique, ne restez pas seul! Vous pouvez faire appel à vos proches, et (ou) à différentes lignes téléphoniques ou institutions de votre région (voir le répertoire de Stop Suicide).
Dr Sc. Mélina Andronicos et Dr Laurent Michaud sont membres du Groupe romand de prévention du suicide.
"En général, les gens meurent comme ils ont vécu."
Propos recueillis par Catherine Bellini, 14/06/2012, extraits
GIAN DOMENICO BORASIO. Avec son équipe, le neurologue et chef du service des soins palliatifs du CHUV apaise les derniers mois de vie de patients atteints d’une maladie incurable. Ses explications alors que le débat sur le suicide assisté fait rage.
Humaniste pétillant, l’Italien Gian Domenico Borasio était une sommité des soins palliatifs en Allemagne, où il a conseillé le Parlement dans l’écriture de lois, avant de prendre la direction des soins palliatifs du CHUV. Ici aussi, le professeur a collaboré à l’élaboration du contre-projet à l’initiative Exit qui veut contraindre les EMS vaudois à accepter le suicide assisté dans leurs murs. Son service regroupe médecins, infirmières, psychologues ainsi qu’aumôniers et assistants sociaux. Au CHUV, l’unité compte huit lits. Des équipes mobiles interviennent dans tout l’hôpital, à domicile et dans les EMS. Cinquante-six lits de soins palliatifs sont répartis dans quatre lieux du canton, à Aubonne, Lavaux, Orbe et Rive-Neuve; cette dernière unité va passer de 14 à 20 lits cet été. A l’avenir, le professeur Borasio prévoit d’ajouter des lits à Lausanne car il arrive que certains patients doivent attendre. Dans le canton de Vaud, le coût du programme de soins palliatifs est inférieur à 5 francs par personne et par an, alors que les coûts de la santé s’y élèvent en moyenne à 8450 francs.
Consacrer son temps à des mourants, n’est-ce pas terriblement déprimant?
Tout au contraire, c’est un enrichissement énorme, un privilège que de côtoyer des patients en fin de vie. Ils nous apprennent à vivre, à réorganiser nos priorités. Jamais je n’ai entendu un patient me dire: j’aurais dû travailler davantage. Nos études scientifiques ont montré qu’on assiste, à l’approche de la mort, à un déplacement des valeurs, un transfert qui va de l’égoïsme à l’altruisme, surtout envers la famille. Et cela améliore la qualité de vie des patients.
Mais quand les gens arrivent dans vos services, ils ont surtout très peur. Non?
Ils ont surtout très mal, au sens large. Peine à respirer, nausées, douleurs, états confusionnels aigus, ces derniers étant très troublants et fréquents en fin de vie. Au départ, les gens ont peur que les douleurs empirent, mais 15% seulement de notre travail porte sur le traitement de la douleur. La peine à respirer représente une souffrance majeure car il est angoissant d’avoir le sentiment d’étouffer. Là, la morphine donne d’excellents résultats. Et si elle est bien dosée, elle ne change pas le niveau de conscience. Dans la grande majorité des cas, les traitements permettent de rendre les symptômes supportables. Mais contrôler les symptômes n’est que le début de l’apaisement. Nous proposons aussi un encadrement psychosocial et spirituel.
Pouvez-vous agir contre la peur de la mort?
Nous n’avons pas la prétention de soulager de la peur de la mort et de l’anéantissement de notre être. La philosophie et la religion cherchent à répondre aux questions fondamentales, à ce qui vient après la mort. Ici, nous sommes plus modestes. Nous cherchons à soulager de la peur de mourir. Notre but, décrit dans la définition des soins palliatifs par l’OMS, consiste à améliorer la qualité de vie des patients et de leurs proches face à une maladie potentiellement mortelle.
En phase terminale?
Non. Nous ne sommes pas un mouroir. Rendre paisibles les dernières 24 heures, ce n’est pas difficile. Notre travail est de rendre les derniers 24 mois paisibles et si possible agréables. Les soins palliatifs modernes durent parfois des années. Plus de 50% de nos patients ressortent d’ici vivants, soit pour rentrer chez eux, soit pour entrer dans des lits d’accompagnement répartis dans les quatre unités cantonales. Et certains viennent de manière ambulatoire. Contrairement à une idée reçue, les soins palliatifs ne raccourcissent pas la vie. Au contraire: une étude parue dans la plus réputée des revues médicales (The New England Journal of Medicine), portant sur des personnes souffrant de cancer pulmonaire, a comparé deux groupes de patients suivant le même traitement, l’un d’eux bénéficiant, en plus, de soins palliatifs. Résultat: ce dernier groupe a subi moins de chimiothérapies, il a moins souffert de dépression et il a bénéficié d’une meilleure qualité de vie. Surtout, ce qui est bouleversant, c’est que les patients ayant reçu des soins palliatifs ont vu leur vie s’allonger de trois mois. Trois mois sans les effets secondaires très lourds de certains médicaments, médicaments très chers de surcroît.
Vous voulez dire que les soins palliatifs sont plus bénéfiques aux patients et moins chers que certains traitements médicamenteux en fin de vie?
Oui. Mais il n’y a pas de lobby économique pour les soins palliatifs. Seul l’Etat peut souhaiter promouvoir nos soins. Il y a résistance au niveau du système médical, car les intérêts financiers sont majeurs: les dépenses médicales liées aux dernières années de vie représentent un pourcentage important du marché de la santé.
Vos patients souhaitent-ils un suicide assisté?
Très rarement et encore plus rarement pour des symptômes physiques. Quand une personne demande un suicide assisté, c’est qu’elle a perdu le sens de sa vie, qu’elle la trouve indigne, qu’elle a la sensation d’être un fardeau. Cinq personnes sur mille meurent par un suicide assisté en Suisse, très peu. ...
Avez-vous vécu des expériences avec Exit?
Non. Mais une patiente que nous suivions de manière ambulatoire pour une sclérose latérale amyotrophique a voulu recourir à Exit en voyant sa maladie progresser. C’était absolument son droit. Je souhaite simplement qu’on ne banalise pas l’assistance au suicide, qu’on ne laisse pas les gens isolés, qu’ils sachent qu’il existe des alternatives. Alors seulement, ils peuvent décider librement, en connaissance de cause. Parce que, à la fin, on dépend beaucoup de son entourage. Je viens de lire la lettre d’une femme qui, victime d’un cancer, affirmait que sa famille la poussait à demander un suicide assisté.
Dans votre livre «Über das Sterben» (que l’on pourrait traduire par «A propos du mourir»), qui n’existe qu’en allemand jusqu’ici, vous conseillez de parler de la mort. Pourquoi?
La communication est à la base des soins palliatifs. Et si les gens ont parlé de la mort, prendre des décisions en fin de vie est beaucoup plus facile. D’autant plus si des directives anticipées ont été rédigées. Parler diminue la peur de mourir.
Comme pour les naissances, vous affirmez que quand les choses se déroulent normalement, il vaut mieux laisser faire la nature en phase terminale.
Dans la plupart des cas, physiologiquement, le mourir se déroule mieux si on intervient le moins possible. ...
Existerait-il une façon idéale de mourir?
Non. Après des années de pratique, une évidence s’impose: en général, les gens meurent comme ils ont vécu. Si quelqu’un a été combatif toute sa vie, il se battra jusqu’au bout. Notre rôle n’est pas de faire du paternalisme terminal, d’imposer ce qui nous semble une «belle» ou «bonne» mort. Mais essayer d’éliminer les obstacles qui s’élèvent entre une personne et sa propre mort – celle qui est en accord avec les souhaits, le vécu et la personnalité de chacun.
Euthanasie : les dérives concernant les personnes atteintes de maladies psychiatriques
par Mathilde de Robien, 26/07/2018
Suite à la dépénalisation de l’euthanasie depuis plus de seize ans en Belgique et aux Pays-Bas, de multiples dérives et des cas limites concernant son application pour les personnes atteintes de troubles mentaux sont constatés. En effet, comment donner suite à la demande d’euthanasie d’un patient lorsque ses facultés mentales sont altérées ? Comment réagissent psychiatres et psychanalystes ?
En 2001 et 2002, les Pays-Bas puis la Belgique ont dépénalisé l’euthanasie. Depuis seize ans, le nombre d’euthanasies dans ces pays ne cesse d’augmenter. Aux Pays-Bas, les décès ont triplé en 15 ans pour atteindre 6 585 décès en 2017, selon le rapport annuel des comités régionaux de l’examen de l’euthanasie. En Belgique, ce chiffre a plus que doublé en 7 ans : 2 309 déclarations d’euthanasies ont été remises à la Commission fédérale de contrôle en 2017, contre 953 en 2010.
Par ailleurs, les propositions de loi se sont multipliées pour faciliter et pour élargir les conditions de la pratique de l’euthanasie. Les faits mettent en lumière de multiples dérives dans l’interprétation et dans l’application de la loi : persistance de nombreuses euthanasies clandestines, interprétation de plus en plus large des critères à respecter, notamment sur la notion de « souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable », ouvrant la porte à l’euthanasie de personnes présentant des troubles psychiatriques. Ainsi, en Belgique, de plus en plus de personnes (77 au cours des années 2016 et 2018) sont euthanasiées pour des troubles mentaux et de comportement tels que la dépression, la maladie d’Alzheimer ou la démence. Aux Pays-Bas, en 2017, 252 euthanasies ont été déclarées pour des pathologies psychiatriques (83 cas) et des démences (169 cas). Cette tendance inquiétante pose de vraies questions d’ordre éthique.
Vers une banalisation de l’euthanasie
Bien que la loi prévoie le recours à l’euthanasie uniquement dans le but de soulager les souffrances somatiques des malades en phase terminale, la réalité n’est pas si simple. Il arrive que la frontière soit floue entre souffrance physique et souffrance psychique.
Le docteur Willem Lemmens, professeur de philosophie et d’éthique à l’université d’Anvers en Belgique, a dénoncé une dangereuse banalisation de l’euthanasie lors d’un symposium abordant les questions d’éthique autour de la fin de vie, organisé à Oxford début juillet. « En l’espace de quelques années, les demandes d’euthanasie en psychiatrie sont devenues de plus en plus acceptables et habituelles », a déploré le philosophe. Il a notamment réclamé « une prise en charge attentive de la souffrance psychique, en renonçant à faire de l’euthanasie une option thérapeutique, car celle-ci signifie en fait la fin de toute thérapie ».
Cette législation étant peu encadrée, de fortes tensions apparaissent au sein du corps médical entre les psychiatres qui s’opposent à une application trop large de la loi, et ceux, passant pour des pionniers, qui s’empressent de médiatiser des euthanasies au nom d’un droit fondamental à disposer de sa vie. « Les psychiatres qui s’opposent à l’application trop large et indulgente de la loi sont méprisés, accusés d’être inhumains, de manquer d’empathie vis à vis des souffrances insupportables », explique le docteur Willem Lemmens. La mort est présentée comme une solution thérapeutique. De cette façon, « l’euthanasie est, pour ainsi dire, sacralisée et toute critique est rejetée comme étant inhumaine et dès alors immorale », souligne-t-il.
Problème éthique
Comment donner suite à la demande d’euthanasie d’un patient lorsque ses facultés mentales sont altérées ? Cette question pose également un vrai problème d’éthique. En effet, le texte de loi précise explicitement que la demande du patient doit être volontaire et mûrement réfléchie. De ce fait, accorder l’euthanasie à des patients qui souffrent de troubles psychiatriques ou de démence pose problème. Pour une décision aussi irréversible que l’euthanasie, la question de la liberté de choix se pose pour toute personne, et ce jusqu’au dernier moment. Dans le cas présent, la volonté du patient est difficile à établir. La référence à une directive anticipée (document écrit préalablement demandant l’euthanasie dans les cas où la personne serait amenée par la suite à ne plus pouvoir donner son consentement) est fréquente pour justifier l’euthanasie des personnes démentes. Cependant, comment prendre en considération une déclaration anticipée pour un tel acte ?
Le 16 février 2017, une pétition signée par 350 médecins néerlandais dénonçait les euthanasies de personnes démentes et la multiplication des cas limites. « Donner une injection mortelle à un patient atteint de démence avancée, sur la simple base d’une déclaration anticipée ? À quelqu’un qui n’est pas en mesure de confirmer qu’il veut mourir ? Nous nous y refusons. Notre réticence morale à mettre fin à la vie d’un être humain sans défense est trop grande. »
« Nous prévenons le suicide, nous ne le fournissons pas »
Un autre conférencier présent au symposium d’Oxford, le docteur Mark Komrad, psychiatre et professeur à l’Université du Maryland, a déclaré que le recours à l’euthanasie en raison de troubles mentaux était une inversion des valeurs cliniques et éthiques fondamentales de la psychiatrie. « La souffrance humaine est notre objectif principal, et nous avons des compétences pour accompagner un patient dans sa souffrance, peu importe le diagnostic », écrit-il dans Psychiatric Times. « Notre approche est de traiter cette souffrance de diverses manières, mais pas en étouffant la vie de la victime. Nous prévenons le suicide, nous ne le fournissons pas. »
Quelles leçons tirer des expériences belge et néerlandaise ?
Pour le docteur Lemmens, il est essentiel d’écouter et de diffuser les témoignages et les voix critiques qui s’élèvent en Belgique et aux Pays-Bas. Si une société fait place à l’euthanasie, il doit rester des médecins qui témoignent et montrent qu’une autre culture médicale est possible : celle d’une prise en charge de la souffrance mentale où l’euthanasie n’est pas une option thérapeutique, puisqu’elle signifie la fin de toute thérapie.
Des médecins et bioéthiciens ont publié dans le Journal of Palliative Care une analyse détaillant cinq raisons majeures de s'opposer à l'euthanasie. Parmi eux, Daniel Sulmasy[1], de l'Université de Georgetown, qui a siégé à la Commission pour l'étude des questions de bioéthique du président Obama, Margaret Somerville[2], l'une des adversaires les plus virulentes de la légalisation de l'euthanasie au Canada et Lukas Radbruch[3], spécialiste des soins palliatifs.
Ils estiment que l’euthanasie est :
1/ une « pente glissante » : les auteurs affirment que malgré les conditions d’accès strictes aux Pays-Bas et en Belgique, la loi est inefficace et régulièrement violée. « Permettre l'euthanasie volontaire a conduit à l'euthanasie non volontaire ».
2/ un « manque d’auto-détermination » : l’expression d'un désir de mort ne signifie pas toujours qu'un patient souhaite effectivement l'euthanasie ou le suicide assisté.
3/ des « soins palliatifs inadéquats », qui sont « l'obligation éthique la plus urgente des juridictions dans le monde », bien plus que l’euthanasie.
4/ un risque pour le « professionnalisme médical », car l’euthanasie menace l’ « intégrité morale » de la médecine.
5/ une « différence entre les moyens et les objectifs » à prendre en compte : l’euthanasie confond le problème de la souffrance avec la vie des personnes elles-mêmes. « C’est la douleur et la souffrance que nous devons tuer, pas la personne avec sa douleur et sa souffrance ».
par Andreia Cunha dos Santos Silva, Médecin généraliste, 04/06/2018
Alors qu'au Portugal, une majorité de députés ont rejeté les propositions de loi qui voulaient dépénaliser l'euthanasie, je ne peux manquer – en tant que médecin portugais, formé en Belgique et en Suisse, et actuellement en activité à Bruxelles – d'envoyer mon témoignage professionnel sur ce qui se pratique dans ces pays européens où l'euthanasie est déjà dépénalisée à certaines conditions « bien strictes. »
De nombreux patients m'ont déjà demandé de mettre fin à leur vie, souvent en dehors des conditions prescrites par la loi, et en plus aussi très souvent, je suis également confrontée à des familles qui souffrent de la maladie d'un proche et qui me demandent de l'euthanasier...
Durant ma spécialisation, j'ai suivi un patient qui était dans un état très avancé de sa pathologie oncologique. Très vite, cet homme est entré dans un coma irréversible, et son agonie (en médecine, on désigne par ce mot la période précédant le décès, qui, dans la plupart des cas, est sans douleur) a duré au moins trois jours. On m'a demandé – comme à toute l'équipe – comment je réagissais face à cette situation. Je tiens à souligner qu'il n'y avait pas d'obstination thérapeutique et que la douleur était traitée correctement. Cependant, puisque le patient n'était plus conscient, mais que son agonie était considérée par certains collègues comme trop longue, certains ont dit qu'il était nécessaire « d'aider ce patient à mourir ». Sachant très bien ce qui se passe dans tant d'hôpitaux belges, je n'ai pas été surprise. Heureusement, le patient a fini par mourir de mort naturelle, en présence des infirmières qui prenaient soin de lui !
Quelques années plus tard, j'ai eu affaire à un patient qui avait fait une demande d'euthanasie : il disait que sa souffrance était « insupportable ». Cela avait été « évalué » par deux collègues médecins. Le jour où cet homme devait choisir la date de son euthanasie, il a commencé à être désorienté et confus. Il n'a pas pu faire connaître la date qu'il avait choisie. Quelques jours après, le patient n'est plus confus. La discussion reprend avec lui, pour voir si le processus d'euthanasie devait se poursuivre.
Quand je lui ai demandé s'il maintenait sa demande d'euthanasie, ce patient m'a avoué qu'il ne voulait pas mourir, mais que les nombreuses douleurs qu'il ressentait lui étaient insupportables et que c'était pour cela qu'il demandait la mort. Je dois admettre que je ne m'attendais pas à cette réponse. Je partais du principe que, depuis le début, tout avait été fait pour atténuer la douleur. Je me suis rendu compte que son traitement n'était pas adapté à l'intensité des symptômes et, après l'ajustement thérapeutique, le patient a finalement retiré sa demande d'euthanasie et est retourné chez lui pour recevoir des soins palliatifs à domicile.
Ces épisodes que je rapporte aujourd'hui, parmi beaucoup d'autres, montrent clairement à quel point il est dangereux de dépénaliser des pratiques qui conduisent à la mort des patients : il est utopique de croire que l'on peut contrôler ces pratiques, que ce soit par les autorités ou par des commissions externes.
La récente controverse au sein de la Commission de contrôle de l'euthanasie en Belgique en est la preuve . Justifier la dépénalisation de l'euthanasie en affirmant qu'elle empêchera l'euthanasie clandestine et illégale, c'est une tromperie gigantesque.
Nous savons en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse que ce n'est pas le cas. Même les militants de l'euthanasie en Belgique disent haut et fort que le nombre d'euthanasies non sollicitées (et donc hors la loi) dépasse 1.000 décès par an.
Mais ce n'est pas tout...
Dans un article publié dans le journal Le Soir en 2014, le professeur Jean-Louis Vincent, président de la Société belge intensivistes, défend la possibilité de pratiquer des euthanasies sans l'accord du patient en les justifiant par le constat que, selon lui, de nombreux patients admis aux soins intensifs, s'ils s'en sortent, auraient une qualité de vie « médiocre ». Mais appartient-il au médecin de décider qui mérite de vivre et qui mérite de mourir ? C'est apparemment le cas dans nos hôpitaux belges...
Ceux qui connaissent bien le sujet de l'euthanasie et du suicide assisté ne sont pas surpris par ces dérives. Elles viennent d'une conception purement utilitariste de la fin de la vie, cachée derrière le dogme de l'autonomie du patient, à qui rien ne résiste quand elle se conjugue à la « qualité de vie ». Celle-ci est impossible à définir parce qu'elle est subjective et propre à chaque personne. De plus, ces lois de dépénalisation, même si elles sont restrictives, font admettre progressivement à la société et aux médecins que la mort provoquée est un droit du patient et qu'elle est simplement une proposition thérapeutique comme n'importe quelle autre. Alors qu'en fait l'euthanasie mine les fondements de notre pratique médicale et de notre « vivre ensemble ».
Malgré ces situations sérieuses auxquelles je suis confrontée depuis le début de ma carrière, j'ai pu travailler avec des équipes de soins palliatifs. J'ai pu apprendre comment faire face à la fin de la vie et à la souffrance d'un patient, comment prendre soin de lui et de sa famille. L'apparition des soins palliatifs en médecine provient en grande partie de l'interdiction de tuer, qui est constitutive de la médecine. Cela conduit de très nombreux professionnels de la santé à rechercher et à procurer les meilleurs traitements pour soulager la douleur physique et la souffrance morale des patients.
Cependant, dans une vision faussement « humaniste » du patient et de la médecine, certains veulent nous faire croire que la réponse la plus humaine que nous puissions donner à un autre être humain qui souffre est la mort, surtout s'il la demande. Il semble donc très facile, et certainement moins cher pour nos gouvernants d'avoir une loi pour permettre la mort des citoyens.
Et pour revenir au Portugal, il est maintenant urgent de réfléchir, d'instituer et de financer un réseau efficace de soins palliatifs. Car nous faisons face, dans mon pays, à une quasi-absence de ces soins. Et cela est inadmissible alors que les soins palliatifs ont été développés depuis des décennies et sont proposés par l'Organisation Mondiale de la Santé comme la seule façon de soigner et de suivre les patients en fin de vie.
Soutenir l'euthanasie et le suicide assisté au motif que l'on peut « mourir mal », quand les moyens pour un suivi adéquat des patients en fin de vie sont peu ou prou absents, est tout simplement insultant pour les Portugais et les professionnels de la santé ! L'eugénisme par l'élimination des personnes âgées, c'est aussi comme cela que cela se passe...
Aujourd'hui, je vous dis : Je ne veux pas être un meurtrier, je veux être un médecin !
Penser dès lors que le Portugal ne tombera pas dans les mêmes dérives que celles qui existent déjà dans les pays où l'euthanasie et le suicide assisté ont été dépénalisés, relève de la pure inconscience de la part de nos dirigeants. Ouvrir la porte à ces pratiques au Portugal, même dans les conditions les plus restrictives, sera le début de la rampe glissante qui va plus tard forcer la même porte à s'ouvrir au nom d'un « droit de mourir » pour tous ceux qui le demandent. Les promoteurs de la « mort assistée » le savent très bien.
Il y a donc deux possibilités pour lutter contre la mort, toutes deux sont à la portée de l'État et de la société : obliger l'État portugais à investir dans un système national efficace de soins palliatifs ainsi que dans la formation de tous les professionnels de la santé à leur pratique; ensuite, encourager socialement et économiquement le renforcement des liens familiaux et de proximité, afin que les familles et les équipes médicales de soins palliatifs puissent accompagner les patients, éduquant ainsi les générations suivantes à prendre soin des malades et de ceux qui souffrent. Pour que personne ne puisse un jour demander la mort et y accéder en étant seul, pour que personne ne puisse souffrir sans avoir reçu les soins médicaux adaptés à son état, ou même sans se sentir un fardeau pour sa famille et pour la société, après l'avoir servie comme citoyen et enrichie par son travail.
Bruxelles, le 4 juin 2018
"Malaise au sein de la Commission de contrôle de l'euthanasie: un médecin en fin d'année" - RTL Info du 6 Janvier 2018 .
Jean-Louis Vincent: « Maintenons la santé mais pas la vie à tout prix » ; Journal Le Soir du 25 de Février de 2014 .
Au Québec, « les soins de fin de vie ne peuvent se limiter à l'accès à l'aide médicale à mourir »
par Gènéthique, 01/06/2018
« Les soins de fin de vie ne peuvent se limiter à l'accès à l'aide médicale à mourir ». Au Québec, dans une lettre adressée mardi au ministre de la Santé Gaétan Barrette, le Collège des médecins déplore, faute de moyens financiers, que l’accès aux soins palliatifs des Québécois soit limité. « Ou encore que c'est mal organisé dans leur région », affirme Charles Bernard, son président. Lancé en 2015, le Plan de développement des soins palliatifs « donne des résultats inégaux ».
Pour Christiane Martel, présidente de la Société québécoise des médecins en soins palliatifs, « quand notre patient nous dit : "parce que je n'ai pas assez d'aide à domicile, parce que je suis pris à l'hôpital, je vais aller vers une demande d'aide médicale à mourir", les médecins sont mal à l'aise ». Et le Collège des médecins regrette que « des patients, à défaut de bénéficier de ces soins, pourraient n'avoir eu d'autre choix que de demander une aide médicale à mourir pour finir leurs jours dans la dignité ». De même, il dénonce des traitements différents selon les intentions : « Les patients qui demandaient l'aide médicale à mourir devenaient prioritaires quant aux ressources disponibles... au détriment des autres patients en fin de vie ».
Dans les services de soins palliatifs, on constate aussi un manque de relève alors que la loi sur les soins de fin de vie voulait « garantir à chaque Québécois l'accès à des soins palliatifs de qualité ».
Le cabinet du ministre dit « vouloir nuancer les présomptions du Collège des médecins ». Cependant, les disparités existent bien et les soins palliatifs demeurent un vrai défi pour le réseau de la santé.
par le Dr Anne de la Tour, Présidente de la SFAP*, 26/05/2018, extrait
Des philosophies profondément différentes
En effet, les soins palliatifs sont incompatibles avec l’euthanasie et le suicide assisté. Ces deux approches obéissent à deux philosophies radicalement différentes.
Les soins palliatifs préviennent et soulagent les souffrances. L’euthanasie vise à hâter la mort intentionnellement.
Les soins palliatifs sont des traitements, l’euthanasie correspond à un geste létal.
La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté repose sur une éthique d’autonomie. Les soins palliatifs reposent sur une éthique de vulnérabilité et de solidarité collective.
Comment la transgression, même exceptionnelle, de l'interdit de tuer, pourrait-elle être sans effet sur tous ceux dont la mort approche et ceux qui les accompagnent ?
La SFAP considère ainsi que le principe de précaution devrait nous interdire de remettre en cause cet interdit de tuer, fondateur de toutes les civilisations depuis des millénaires et qui fonde le serment d'Hippocrate comme le code de déontologie médicale.
Les soins palliatifs ne sont pas nés d'abord de n'avoir pas su quoi faire devant celui qui meurt. Ils ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort, ils sont d'abord une philosophie du soin et de la vie.
Ils sont nés d'un questionnement sur le sens d'une médecine, qui morcelle et qui divise l'homme. Ils ont lutté contre un système qui voudrait parfois réduire le patient au symptôme, la douleur au protocole et la souffrance à la loi.
Il est essentiel de laisser une place à la complexité, à la diversité des personnes et des situations. Faire se croiser des regards, des cultures et des clés de lecture. Parce que soigner n'est pas seulement l'affaire de la médecine, des médecins encore moins, mais celle de tous les soignants, de toute la société.
Nous vivons en société, nous faisons société. Nous ne sommes pas indépendants ; nous sommes inter-dépendants les uns des autres de notre naissance jusqu'à notre mort. ...
Un contrat de confiance
Les soignants de soins palliatifs veulent continuer à prendre soin de leurs patients, à les écouter et à les soulager, à rester à leur côté jusqu'à la fin de leur vie. Ils refusent, tant du côté de l’acharnement thérapeutique que du côté de l’euthanasie, les tentations de la toute-puissance. Ils essaient de ne jamais oublier que chacune de leurs décisions vient dire à tous l'attention que notre société porte aux plus vulnérables.
Le contrat de confiance qui unit les soignés et les soignants interdit à ces derniers de faire du mal volontairement à autrui et encore moins de faire mourir. Ils ne veulent pas donner la mort car donner la mort, même par compassion, n'est pas un soin.
*Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
En fin de vie, non au droit d’être suicidé par un professionnel de santé!
par les Docteurs Louis Puybasset et Bernard Devalois, 03/03/2018, extraits
Dans la tribune publiée dans Le Monde par un collectif de 156 députés, il s’agit de mettre en œuvre non pas un droit au suicide, mais un droit d’être suicidé par un professionnel de santé. La République ne peut pas se décharger ainsi sur les soignants.
Nous nous réjouissons que la question de la fin de vie mobilise l'attention de nombreux représentants parlementaires. Nous partageons pleinement leur constat initial: on continue à mal mourir en France. Mais nous ne partageons pas la solution proposée pour y remédier. ...
Les bases éthiques et politiques de la position exprimée par ce groupe de parlementaires reposent de fait sur la primauté de la volonté de l'individu sur toute autre considération. Cette approche libertarienne n'est cependant pas poussée au bout de sa logique. En effet, sans le dire explicitement, il s'agit de mettre en œuvre non pas un droit au suicide, mais un droit d'être suicidé par un professionnel de santé. Elle est directement inspirée de l'approche belge dont les dérives mériteraient une véritable enquête non partisane. Le texte n'évoque pas les solutions suisses (bénévolat d'assistance au suicide) ou de certains états américains (Kill-pill, pilule létale mise à disposition de malades incurables et dont seulement la moitié l'utilise in fine).
Bien que fustigeant "une attitude hypocrite", ces parlementaires n'utilisent pas, sciemment, les mots précis permettant de comprendre les véritables enjeux. Ils ont recours à de nombreux euphémismes. Ils renvoient la mise en œuvre de décisions sociétales (assistance au suicide) vers les professionnels de santé. Il n'est pas possible de passer sous silence les conséquences multiples que provoquerait un tel changement de paradigme. Il s'agirait de passer d'un impératif de bientraitance -mettre en œuvre toutes les pratiques nécessaires pour accompagner les malades jusqu'à leur décès dans les meilleures conditions possibles- à la possibilité, voire au devoir de provoquer directement leur mort à leur demande.
L'utilisation habile de l'émotion organisée autour de situations dramatiques comme celle de Mme Bert, ou de sondages d'opinion dont le décryptage reste largement à faire, ne saurait remplacer ni la réflexion ni la discussion. L'amalgame injustifié avec la question de l'IVG est un leurre fallacieux. Aucun médecin ne pratique une IVG de gaieté de cœur. Avant sa mise en œuvre, 15.000 jeunes femmes mourraient par an d'avortements clandestins. C'était une question de santé publique. Cette référence n'a d'autre objectif que de faire faussement croire que la légalisation des injections létales serait une mesure progressiste, alors que ce serait à l'évidence une régression. L'interprétation de l'étude de l'INED ne doit pas non plus être faussée. Il existe en France trois fois moins de situations clandestines (injections létales sans demande explicite du patient) qu'en Flandre, région belge où se pratique la majorité des euthanasies. De même il est facile de démontrer, y compris à partir des chiffres publiés en Oregon, que si la légalisation du suicide assisté est souvent présentée comme une mesure de justice sociale, c'est le contraire qui se produit. Les nantis ont les moyens de s'assurer une fin de vie confortable, tandis que le recours au suicide assisté devient la seule solution pour les plus démunis et les plus fragiles.
Nous appuyant non pas sur une approche idéologique mais sur une approche de terrain rationnelle, nous pensons que l'ouverture d'un droit à la mort médicalement provoquée créerait de fait un "droit créance" qui s'exercera sur le corps soignant médical et paramédical. La clause de conscience est une fausse protection. L'exemple de la Belgique est à ce titre remarquable. Le peu de médecins qui acceptent de les réaliser deviennent de fait des "spécialistes" de l'injection létale sans que ne soit évalué l'impact psychologique de tels gestes. ...
Si l'on veut ouvrir un droit-créance à la mort permettant à chacun de maîtriser l'heure de sa propre mort, il faut que cet acte soit démédicalisé. La médecine ne peut pas en devenir l'instrument et les médecins ne peuvent se transformer en exécuteurs des basses œuvres de la République. Alors, il faudra bien réfléchir aux garde-fous. Comment s'assurer que la personne dispose de toutes ses capacités, qu'elle n'est pas sous influence pour une sordide histoire d'héritage? Comment contrôler la présence d'un "pistolet chimique" à l'intérieur des foyers de nos concitoyens? Est-ce cela, la société de solidarité envers les plus vulnérables à laquelle nous aspirons?
Ce sont de véritables indicateurs du mal mourir dont ont besoin les pouvoirs législatifs et exécutifs pour proposer des améliorations aux dispositifs en place, pas d'une nouvelle loi. Ce sont des moyens supplémentaires et de meilleures formations des professionnels de santé dont ont besoin les patients en fin de vie pour pouvoir finir leur vie dans la dignité, pas d'une nouvelle loi. Enfin, il s'agit de revoir le mode de financement des hôpitaux, qui en poussant à une course démente à l'activité a multiplié les situations d'acharnement thérapeutique, interdites par la loi. Il est grand temps de faire disparaître cette injonction paradoxale.
Ethique, l’autonomie serait-elle en voie d’être dépassée ?
par Dr Bertand Galichon, 07/05/2018
Le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) a introduit cette nouvelle révision des lois de bioéthique avec cette question: quel monde voulons-nous pour demain ? Voilà du sens, du souffle, nous allons avoir de l’air… Ce comité des sages invite les Français à ne pas perdre de vue lors de ce débat national les implications anthropologiques et sociétales des choix qui vont être faits. Mais, il apparaît clairement qu’un fossé s’est creusé entre cette quête de sens et le niveau général de réflexion du débat limité à la technique, à l’utilité pour une autonomie affirmée. Mais nos lois évoluant, la question est : quel sera « le coup d’après » ? Pierre Le Coz dans son excellent article « Bioéthique et individualisme » publié dans le numéro d’Etudes de ce mois de mai, nous décrit bien toute cette montée en puissance inexorable de l’autonomie.
La PMA et la fin de vie interrogent notre humanité dans son essence. Notre regard sur le début et la fin de vie dit toute notre conception de l’homme. L’autonomie portée par l’individualisme ambiant domine totalement le débat et le change de visage. Lors des révisions des lois bioéthiques précédentes, la notion de responsabilité a cédé peu à peu le pas à l’individualisme. Ne sommes-nous pas passé de la loi régissant la limitation des soins (devoirs des médecins) en 2005 à celle des droits des malades en fin de vie en 2016 ? Aujourd’hui, en mettant en perspective Fin de vie et PMA, nous pressentons que cette autonomie individualiste poussée au bout de sa logique est en voie d’être remplacée par l’utilitarisme, concept d’une glaciale rationalité ? L’enfant à venir est-utile à son ou ses futurs parents ? Quelle est l’utilité sociale d’une fin de vie qui s’éternise ? La réponse est binaire, sans état d’âme, dominée par le « OU ». Utilité sociale de l’individu : oui ou non ?
Le sens doit précéder l’utile. Tant en ce qui concerne le début de la vie que sa fin, les médecins comme les soignants redoutent que la demande sociétale ne prenne le pas sur la demande médicale. La porosité distinguant ces deux requêtes nous impose une grande vigilance, rigueur. L’opposabilité des directives anticipées ne va-t-elle pas réduire l’acte de soin à une simple réparation technique sans valeur éthique. La clause de conscience deviendrait ainsi irrecevable. C’est bien le but poursuivi par le Conseil de l’Europe à propos de l’avortement… La société investie suffisamment dans la formation des médecins pour que ceux-ci répondent à ses demandes, à son service… La symbolique du sorcier, du médecin est réduite à son utilité…
Le bouchon sera demain poussé un peu plus loin et plus sèchement. L’autre jour, un journaliste m’interrogeant en tant que président du CCMF, me pose sa toute première question : quelle est la valeur économique de l’euthanasie ? Voilà la messe est dite. Nous sommes prêts pour la grande messe eugéniste et son « avenir radieux ». Notre société doit être émondée, libérée de l’inutile ! Au moins, nous serons libérés de toute mauvaise conscience éthique !…
Qu’est-ce que l’euthanasie ? Un problème de définition…
par Dr Beatrix Paillot, médecin gériatre, 15/03/2018
Alors que la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié aujourd’hui ses recommandations pour la mise en œuvre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, Béatrix Paillot, médecin gériatre, réagit pour Gènéthique.
Faisant suite à la Loi Leonetti-Clayes sur la sédation profonde, l’HAS vient de publier ses recommandations pour la mise en œuvre pratique de cette nouvelle législation.
A lecture du guide remis aux professionnels de santé, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la définition retenue pour distinguer le mot euthanasie de la sédation profonde. Il y a un risque réel de dérive.
Un problème de définition…
Dans le dictionnaire Larousse, le mot euthanasie est ainsi défini : « Acte d’un médecin qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie ».
Nous voyons que dans cette définition traditionnelle de l’euthanasie, on ne préjuge pas de la manière dont le médecin va s’y prendre pour provoquer la mort du malade. L’euthanasie est le fait de poser des actes qui vont avoir pour effet de provoquer intentionnellement la mort d’un malade. Or, l’acte de tuer peut être réalisé soit par un geste (ex : injection d’un produit à dose mortelle), soit par l’omission d’un geste proportionné et normalement dû au malade (par ex, ne pas lui donner son traitement pour le cœur, ou bien ne pas lui apporter l’hydratation dont il a besoin pour vivre).
Dans l’euthanasie par omission d’un traitement ou d’un soin proportionné à l’état du malade, la mort ne va pas survenir instantanément, mais au bout de quelques jours (il faut environ 6 jours pour faire mourir quelqu’un par déshydratation).
Une manière habile de faire en sorte que cette période soit moins pénible pour le malade que l’on décide de ne plus hydrater, c’est de l’endormir profondément en attendant que la mort survienne. C’est alors une euthanasie déguisée. On dit qu’on l’endort profondément le malade, alors qu’en fait, on provoque la mort par déshydratation.
Tous les cas envisagés par la Loi Leonetti-Clayes ne sont pas de cet ordre-là, mais il y a un risque d’intégrer cette possibilité en affirmant que l’alimentation et l’hydratation artificielles relèvent d’un traitement.
Une vie qui a encore du sens
Imaginons qu’une personne malade qui n’est pas en fin de vie décide de provoquer sa mort en arrêtant l’alimentation et l’hydratation artificielles qui lui sont nécessaires pour vivre, cela signifie qu’elle est tentée par le suicide et qu’elle expérimente une souffrance qu’elle juge intolérable. La manière traditionnelle d’agir pour les soignants est d’essayer de voir pourquoi elle souhaite mourir. Quelle est cette souffrance qu’elle juge intolérable ? N’y a-t-il aucun moyen de la soulager ? Bien souvent, en faisant cette enquête, on trouve un moyen de remédier à ce qui la fait souffrir, et la tentation suicidaire disparait d’elle-même. Au bout de quelques jours, la personne accepte souvent que l’on remette en route l’alimentation et l’hydratation. Bien souvent, le désir de mourir exprimé par la personne n’est en fait qu’un appel au secours qui signifie en creux : « Il y a quelque chose qui ne va pas. J’ai une souffrance non soulagée. Pouvez-vous l’apaiser ? Dites-moi que ma vie vaut encore le coup d’être vécue ».
La sédation profonde signifie que l’on endort profondément un malade. En soi, ce n’est pas un acte de mort. Ce qui peut devenir un acte de mort, c’est de ne pas subvenir à ses besoins élémentaires pendant qu’il dort. Avec la loi Leonetti-Claeys, que risque-t-il de se passer ? Le soignant peut être tenté de répondre : « Puisque vous le demandez de manière répétée et que la loi vous y autorise, c’est d’accord, nous allons arrêter l’hydratation et l’alimentation artificielle. Mais pour que cela ne soit pas trop pénible, nous allons vous endormir profondément jusqu’à votre mort ».
Autrement dit, le soignant, plus ou moins rapidement, peut être tenté de renvoyer le message suivant : « Oui, votre vie ne vaut effectivement plus le coup d’être vécue ». Dire cela, c’est tuer symboliquement le malade avant de poser les gestes qui provoqueront effectivement le décès. L’acte qui peut provoquer la mort, c’est d’endormir profondément la personne malade associé à l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielles.L’endormissement profond et irréversible empêche le malade de revenir éventuellement sur sa décision de ne plus se nourrir et s’hydrater comme son organisme en aurait besoin. Si son espérance de vie est de moins de 6 jours, cela peut éventuellement se concevoir, mais si son espérance de vie est plus longue, l’absence d’hydratation est un moyen suffisant pour provoquer la mort. Autrement dit, le soignant réalise une euthanasie sur la demande d’un malade tenté par le suicide.
Un malade qui n’est pas en fin de vie…
Un autre cas de figure problématique est celui d’un malade qui ne peut exprimer sa volonté et qui n’est pas en fin de vie. Il peut être tentant de décider arbitrairement dans le cadre d’une procédure collégiale d’arrêter l’alimentation et l’hydratation artificielles d’une personne handicapée, dont on ne voit plus le sens de la vie. Si elle ne s’y est pas opposée dans le cadre de directives anticipées ou par l’intermédiaire de sa personne de confiance, l’équipe soignante peut se croire autorisée à réaliser une sédation profonde avec arrêt définitif de l’alimentation et de l’hydratation artificielle, puisque le cadre législatif le rend possible.
Le crime était parfait…
A qui profite le crime ? Il profite surtout aux Pouvoirs Publics car cette législation va drôlement arranger les finances de la sécurité sociale ! C’est formidable, cela résout tous les problèmes. Mais pour que l’opération atteigne parfaitement son but, il reste encore à convaincre les personnes âgées ou lourdement handicapées qu’elles sont un « poids » pour la société. Mais là encore, pas de souci, elles en sont déjà presque toutes convaincues : les médias se sont fait un devoir de diffuser ce message depuis plusieurs années.
«Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s'il rend plus humain ou moins humain», George Orwell
Inlassablement les projets et propositions de loi, les tribunes et les pétitions viennent et reviennent encore réclamer la légalisation du droit à mourir. Inlassablement nous sommes sollicités, interrogés, auditionnés pour donner notre avis et exposer nos arguments.
Nous soignants et bénévoles de la Société Française d'Accompagnement de Soins Palliatifs (SFAP) fédérons 10 000 soignants et 6 000 bénévoles, en contact quotidien avec des milliers de personnes en fin de vie et leurs proches, sommes opposés à une telle législation :
Elle viendrait à rebours de la révolution palliative en cours et des progrès sans cesse enregistrés dans le soulagement et l'accompagnement des personnes en fin de vie depuis 30 ans.
D'expérience très peu de patients nous disent souhaiter mourir et bien moins encore nous le redisent lorsqu'ils sont soulagés et accompagnés. Une « liberté de mourir » qui serait motivée par une souffrance non soulagée ne serait pas un choix libre. Alors même que les recommandations pour la mise en œuvre de la Loi Claeys-Leonetti de 2016 ne sont pas encore publiées, il nous semble essentiel de ne pas accroître la vulnérabilité des personnes malades par des évolutions législatives permanentes.
Une telle loi impliquerait de graves changements de notre pratique. Comment la transgression, même exceptionnelle, de l'interdit de tuer, pourrait-elle être sans effet sur ceux dont la mort approche et ceux qui les soignent? Une liberté donnée à un malade qui conduirait un soignant à donner la mort est-elle réellement l'exercice de l'autonomie?
Par ailleurs, nous refusons de nous laisser enfermer dans ce débat binaire qui réduit la question de la prise en charge des patients en fin de vie à celle de l'euthanasie. Nous voulons promouvoir les valeurs qui nous rassemblent et qui sont le cadre de référence des soins palliatifs. Elles donnent du sens à notre travail et sont autant de balises, utiles au quotidien comme en temps de crise dans un monde complexe et en constante évolution.
Les valeurs professionnelles du soin. Des valeurs d'humanité, d’attention et de sollicitude envers les personnes qui souffrent et ceux qui les entourent, de respect du déroulement de la vie en préservant sa qualité jusqu'à la fin. Le contrat de confiance qui unit les soignés et les soignants interdit à ces derniers de faire du mal volontairement à autrui et plus encore de faire mourir.
Ces valeurs du soin et du non-abandon fondent le mouvement des soins palliatifs qui considère la mort comme un processus naturel et non comme le résultat d'un geste volontaire. Donner la mort n'est pas un soin.
Les valeurs humaines de l’accompagnement. Des valeurs partagées par tous les acteurs, soignants ou bénévoles, simplement parce que l’autre, le souffrant, est une personne qui requiert écoute et présence.
Les valeurs personnelles de nos adhérents : pour certains le respect de la vie, pour d’autres le refus de la toute puissance que serait le pouvoir ultime de donner la mort, pour d’autres encore une certaine humanité.
Toutes ces valeurs fondent un choix de société : Non pas une société ultra libérale de l’individu autonome, indépendant de tous, maîtrisant sa vie et sa mort mais une société de la solidarité et de l'interdépendance prête à secourir la fragilité, une société du Care.
Les médecins africains sont opposés à l’euthanasie et au suicide assisté
par Gènéthique, 12/02/2018
Le Président de l’AMM Afrique[1], Ogirima, a déclaré que « l’Afrique rejette le suicide médicalement assisté et l’euthanasie », les décrivant comme « contraires au serment des médecins ». Le serment stipule : «Je n'utiliserai pas mes connaissances médicales pour violer les droits de l'homme et les libertés civiles, même sous la menace», a-t-il déclaré.
Il estime que le renforcement des soins palliatifs pour les patients atteints de maladies en phase terminale est le plus sûr moyen de lutter contre les dérives euthanasiques.
Le secrétaire général de l’AMM, Otmar Kloiber, a quant à lui appelé à plus de sécurité pour les patients en phase terminale, et souhaite notamment une couverture de soins universelle permettant un meilleur accès aux soins palliatifs et aux traitements.
« Nous ne pouvons pas aider les patients souhaitant mettre fin à leurs jours, à cause de la loi du pays et de l’éthique AMM des médecins qui ne nous autorise pas à retirer la vie » conclut le président africain Ogirima.
[1] L'Association médicale mondiale (AMM) (en anglais : World Medical Association (WMA)), est une association internationale de médecins, fondée le 17 septembre 1947. En 2016, l'AMM représente 122 associations médicales nationales et plus de 10 millions de membres.
par Dr Claire Fourcade, Pôle de soins palliatifs.Polyclinique le Languedoc, Narbonne, 25/01/2018
Comme une vague qui incessamment revient sur le rivage, trois nouveaux projets de loi sur l’euthanasie viennent de s’échouer sur les bureaux de l’Assemblée Nationale. L’encre des précédentes discussions sur ce sujet n’est pas sèche. Elles ont duré quatre longues années pour aboutir à une loi dont les recommandations d’application n’ont même pas encore été publiées et déjà l’on nous convoque pour réfléchir à la suivante.
Vendredi matin, un interviewer pugnace, d’aucuns diraient agressif, relançait le sujet : «Vous accompagnez les patients et, s’ils vous demandent d’aller jusqu’au bout, vous n’allez pas les laisser tomber. C’est votre travail de médecin, je ne vois pas où est le problème !» Il l’a répété plusieurs fois, il ne voyait vraiment pas.
Ce monsieur a-t-il déjà essayé de chloroformer ses chatons ?
Car moi je vois bien déjà une partie du problème.
Pour chacun de mes patients parler de sa souffrance, de son angoisse, de sa mort, c’est difficile. Très difficile. La parole vient lentement, durement. Elle se noie de larmes et s’étouffe de sanglots.
Alors j’écoute. Avec les oreilles bien sûr, mais aussi avec les yeux pour mieux entendre ce qui ne peut pas se dire, avec les mains pour toucher du doigt la douleur et le mal, avec ma voix pour relancer d’une question les mots qui s’étranglent, avec mon corps tendu qui jamais ne se relâche pour ne pas renvoyer à la solitude de ma lassitude celui qui me fait face et qui, au prix d’efforts que je ne peux qu’imaginer, exprime ses peurs les plus profondes.
Je dois à celui qui souffre et qui me fait confiance cette attention, cette tension.
De ces consultations je sors toujours épuisée.
Alors, si je devais ensuite en point final de ces conversations, même si on me le demandait, tuer celui qui m’a parlé: préparer la seringue, entrer dans la chambre, dire un mot (lequel d’ailleurs?), injecter les produits, recueillir le dernier soupir, consoler la famille et signer le certificat ; alors je crois que, moi aussi, je mourrais.
Le médecin en moi mourrait.
Car comment ensuite prendre à nouveau le risque d’écouter vraiment ?
Comment ne pas devenir alors un gigantesque cimetière, une nécropole de champs de bataille ? Je ne veux pas devenir un monument aux morts.
J’accompagne des vivants qui n’ont que faire d’un médecin qui serait mort à l’intérieur.
par Francis Martens, Psychologue clinicien, 09/01/2018
Dans la brèche du mot « psychique » se sont engouffrées progressivement des pratiques sauvages et incontrôlées remplaçant de facto la pratique médicale de l'» euthanasie» par celle – non autorisée explicitement - du « suicide assisté » — le tout sous l'égide d'une « Commission de contrôle et d'évaluation » fonctionnant comme juge et partie, formée de militants plutôt que d'experts et laissant le champ libre à tous les excès. En pratique, la loi est constamment transgressée sans que cela porte à conséquence. Ceux qui mettent en cause ces dérives sont facilement renvoyés au statut de « cathos ringards » « , ou de « réactionnaires basiques » — ce qui clôt la discussion à peu de frais. Peu de place pour la pensée donc, encore moins pour une réflexion éthique et politique plus que nécessaire.
Car on n'a pas affaire ici à un débat sur l'euthanasie mais sur la banalisation de pratiques outrepassant le cadre d'une loi dont on oublie le statut d'exception. Il s'agit en effet de la dépénalisation d'un acte qui, dans tout autre contexte (que celui délimité par cette loi) serait qualifié d'assassinat (homicide volontaire avec préméditation). Or, les dérives sont extrêmes. Dans les faits, on voit accordé le droit à l'euthanasie, par exemple, à un père de famille dépressif dans la force de l'âge, ou à une toute jeune femme autonome et bien socialisée, souffrant épisodiquement de quelques idées délirantes, etc.
Mais le plus préoccupant n'est même pas là. Il concerne l'accroissement des euthanasies pour « fatigue de vivre» (levensmoe) chez des personnes âgées qui considèrent - non sans raison - que leur vie n'est plus une vie. Non point tant en raison d'une invalidité insupportable que pour des raisons sociétales de relégation en marge du tissu social — dans des lieux qui ne sont trop souvent que des antichambres de la mort. Quelle place alors pour la décision sereine et pour la liberté de penser ? Comment démentir des vécus d'abandon ? Comment ne pas confirmer le sentiment « d'être de trop» ?
La médiatisation excessive de l'euthanasie camoufle les véritables enjeux de la fin de vie
par IEB, 18/05/2017
Dans un article paru le 25 avril 2017 dans le Medical Journal of Australia, le bioéthicien américain Ezekiel Emanuel exhorte à se concentrer sur l’amélioration de la prise en charge de la douleur des patients plutôt que de voiler la réalité de la fin de vie avec des idées erronées sur l’euthanasie et le suicide assisté.
Selon lui, l’euthanasie et le suicide assisté sont des pratiques marginales. L’euthanasie ne résout pas le problème auquel une majorité des patients en fin de vie sont confrontés : obtenir un soulagement optimal de la douleur tout en restant chez soi - plutôt qu’à l’hôpital. La légalisation de l’euthanasie serait donc une « distraction médiatique » détournant l’attention des véritables enjeux : améliorer les soins des patients en fin de vie.
Le bioéthicien poursuit en affirmant que la douleur est loin d’être la principale raison pour laquelle les patients demandent l’euthanasie ou le suicide assisté. En Oregon, Etat américain qui pratique le suicide assisté depuis 17 ans, les principales motivations exprimées sont la dépression, le désespoir, la fatigue de la vie, la perte d’autonomie et le sentiment de perte de dignité. Toutes ces souffrances sont existentielles. On en arriverait donc, souligne le nord-américain, à une acceptation sociale du suicide par l’intervention du corps médical, bien loin de toute logique palliative. L’idée commune selon laquelle la majorité des personnes qui demandent à être euthanasiées ou assistées dans leur suicide sont des patients perclus de douleur que la morphine ne peut soulager serait donc fausse.
Le Professeur Ezekiel Emanuel dénonce aussi le fait que l’euthanasie soit présentée comme une solution rapide, indolore et exempte de toutes complications.
C’est pourquoi, il en appelle à détourner les projecteurs de l’euthanasie et du suicide assisté pour mettre la lumière sur l’amélioration des soins portés aux personnes en fin de vie, qui ont réellement besoin d’une gestion optimale de la douleur.
La fédération néerlandaise des médecins s'oppose à l'extension de l’aide au suicide
par Gènéthique, 31/03/2017
La Fédération néerlandaise des médecins, représentant 59 000 praticiens et étudiants, a jugé « non souhaitable » le futur projet de loi visant à autoriser l’aide au suicide pour les personnes âgées « qui ont le sentiment d’avoir ‘accompli’ leur vie, même si elles ne sont pas malades ».
Elle considère que ce projet de loi pourrait mener à la « stigmatisation de la vieillesse », mais aussi à « des sentiments d’insécurité auprès des personnes âgées ».
Les médecins néerlandais estiment qu’il faut trouver des solutions pour répondre au sentiment d’inutilité ressenti chez les personnes âgées.
Selon la Société royale néerlandaise pour la promotion de la médecine (KNMG), cette proposition radicale n’est pas souhaitable « pour des raisons pratiques et de principe ».
Afin de former une nouvelle coalition gouvernementale et de peser dans l’élaboration d’un accord de gouvernement sur cette thématique, la KNMG a fait part de ses préoccupations aux quatre partis politiques.
Sources : Sciences et avenir (30/03/2017), genethique.org
Aide médicale à mourir en Ontario : des médecins se retirent
par Gènéthique, 28/02/2017
En Ontario, l’ « aide médicale à mourir » est pratiquée légalement depuis huit mois, mais suscite le malaise chez les médecins. Vingt-quatre d’entre eux ont demandé leur retrait permanent de la liste des professionnels qui la mettent en œuvre[1]. « Une trentaine d’autres ont placé leurs noms en indisponibilité », exprimant le besoin d’une « période de réflexion ».Un nombre suffisamment important pour être remarqué par l’Association Médicale Canadienne. Ces médecins auraient « aidé des patients à mettre fin » à leur vie, et en ont éprouvé « un stress émotionnel » ou la « crainte d’être poursuivis ». Ils « ont trouvé l’expérience trop difficile pour accorder cette assistance à nouveau », « l’acte est trop pénible ».
[1] 137 médecins étaient inscrits sur cette liste le 17 février 2017.
Sources : genethique.org, Le Journal de Montréal (27/02/2017); The National Post, Sharon Kirkey (27/02/2017)
« La mort n’est pas un problème médical à résoudre »
par Gènéthique, 24/05/2016
« Nous, médecins, ne pouvons prescrire une ‘bonne mort’ » titre une publication de Seamus O'Mahony, médecin consultant à l'hôpital universitaire de Cork en Irlande.
Ecœuré par la publication, chaque mois, d’un nouveau rapport « bien intentionné sur les morts et les soins de fin de vie » et marqué par la « laïcité et l’individualisme », il prend la parole et dresse un constat alarmant. Il dénonce le nombre croissant d’organismes gouvernementaux qui se disputent la « propriété de la mort » et qui ont éludé le vrai débat : le suicide assisté et les directives anticipées sont à la fois le symptôme d'un malaise plus profond (l'obsession de l'autonomie personnelle et de contrôle) et une distraction, car les « vrais problèmes sont ailleurs ». Aucun règlement ou rapport ne régénérera la compassion, qui fait aujourd’hui cruellement défaut dans la prise en charge des patients.
La mort est désormais médicalisée : en Grande Bretagne ou en Irlande, la moitié des personnes meurent à l’hôpital. La société a remis la responsabilité des soins de fin de vie et repoussé les « aspects insurmontables » de la fin de vie sur les hôpitaux, qui ne peuvent répondre aux besoins des mourants. En outre, certains patients et leurs familles ont des attentes irréalistes envers la médecine, et leur frustration peut les inciter à prendre des mesures juridiques. La « judiciarisation » de la mort est alors aussi préoccupante que sa « médicalisation ». Les médecins et les infirmières sont devenus les boucs émissaires de notre mauvaise compréhension de la façon dont nous mourrons.
Il y a une « perception », écrit ce médecin, et même « un consensus » établissant que la mort est un problème que la médecine devrait en résoudre, qu'une «bonne mort» est quelque chose que les médecins devraient être en mesure de prescrire, comme on pourrait prescrire une cure d'antibiotiques. Mais « nos besoins sont spirituels, et non médicaux». Nous serions « plus heureux si nous arrêtions de penser nos corps comme des machines, et si nous abandonnions nos fantasmes de contrôle et d’immortalité ».
Source : genethique.org, The Guardian, Seamus O'Mahony (22/05/2016)
FIN de VIE: A domicile, la vie est prolongée – Cancer
par santéblog, 01/04/2016
Cette large étude menée au Japon confirme, ici chez des patients atteints de cancer en phase terminale, que la fin de vie à domicile permet de vivre plus longtemps qu’à l’hôpital.
Ces données, présentée dans Cancer, la revue de l’American Cancer Society, suggèrent à nouveau que les médecins et en particulier les oncologues ne devraient pas hésiter à opter, lorsque cela est possible, pour des soins palliatifs à domicile et ne pas craindre qu’à domicile, les bons soins médicaux ne soient pas apportés.
La plupart des patients déclarent préférer être soignés à la maison même à l’approche de la fin de vie, cependant la question de la qualité des soins est toujours restée un frein. Le Dr Jun Hamano, de l’Université de Tsukuba (Japon), et ses collègues ont suivi 2.069 patients, dont 1.582 recevant des soins palliatifs en milieu hospitalier et 487 à domicile. Leur analyse constate que:
– la survie des patients soignés à la maison est significativement plus longue que celle des patients suivis à l’hôpital, même après ajustement pour les caractéristiques démographiques et cliniques des patients, ainsi que pour les autres facteurs de confusion.
"Le patient atteint de cancer et sa famille ont fréquemment tendance à craindre que la qualité des soins médicaux dispensés à la maison sera moindre et que cela affectera la durée de survie, cependant ces résultats confirment le contraire et suggèrent, a minima, que le patient et sa famille devraient avoir le choix. Les patients, les familles et les cliniciens doivent être rassurés et devraient même privilégier la fin de vie à domicile" , concluent les auteurs.
Source: Cancer March 28, 2016. DOI: 10.1002/cncr.29844 A multicenter cohort study on the survival time of cancer patients dying at home or in hospital: Does place matter (In Press) via Eurekalert AAAS 28-Mar-2016 Choosing to die at home does not hasten death for patients with terminal cancer
Source : blog.santelog.com
FIN de VIE: A domicile, la vie est prolongée – Cancer
Publié le 01/04/2016
SHARE :
Sélectionner une langue▼
Cette large étude menée au Japon confirme, ici chez des patients atteints de cancer en phase terminale, que la fin de vie à domicile permet de vivre plus longtemps qu’à l’hôpital.
Ces données, présentée dans Cancer, la revue de l’American Cancer Society, suggèrent à nouveau que les médecins et en particulier les oncologues ne devraient pas hésiter à opter, lorsque cela est possible, pour des soins palliatifs à domicile et ne pas craindre qu’à domicile, les bons soins médicaux ne soient pas apportés.
La plupart des patients déclarent préférer être soignés à la maison même à l’approche de la fin de vie, cependant la question de la qualité des soins est toujours restée un frein. Le Dr Jun Hamano, de l’Université de Tsukuba (Japon), et ses collègues ont suivi 2.069 patients, dont 1.582 recevant des soins palliatifs en milieu hospitalier et 487 à domicile. Leur analyse constate que:
– la survie des patients soignés à la maison est significativement plus longue que celle des patients suivis à l’hôpital, même après ajustement pour les caractéristiques démographiques et cliniques des patients, ainsi que pour les autres facteurs de confusion.
» Le patient atteint de cancer et sa famille ont fréquemment tendance à craindre que la qualité des soins médicaux dispensés à la maison sera moindre et que cela affectera la durée de survie, cependant ces résultats confirment le contraire et suggèrent, a minima, que le patient et sa famille devraient avoir le choix. Les patients, les familles et les cliniciens doivent être rassurés et devraient même privilégier la fin de vie à domicile « , concluent les auteurs.
Euthanasie : acte de compassion ou toute-puissance ?
par Hubert Tesson, médecin, 06/10/2011
LE PLUS. L'euthanasie fait régulièrement débat, et la mise en examen d'un médecin de Bayonne a récemment soulevé des controverses au sein même de la profession. C'est l'occasion pour Hubert Tesson, médecin, de s'interroger sur la fragile frontière entre la compassion et la prise de pouvoir sur le patient.
Un médecin de l’hôpital de Bayonne est soupçonné d’avoir donné la mort, à plusieurs reprises, à des personnes âgées en fin de vie. Une nouvelle occasion s’offre à nous, médecins, de questionner notre relation à la souffrance et à la vulnérabilité.
Ce questionnement me renvoie personnellement à une étude qui m’a frappé, publiée en février 2011 par le BMJ (british Medical Journal). Cette étude a été réalisée auprès de 65 patients atteints de Locked-in syndrome (syndrome d’enfermement) et concernait leur auto-évaluation de bien être.
Pour rappel, le locked-in syndrome décrit une situation dans laquelle une personne est pleinement consciente, mais est incapable de se déplacer ou de communiquer, sauf par le biais de mouvements oculaires ou de clignements d’œil. Le syndrome est causé par une lésion du tronc cérébral, et les personnes touchées peuvent survivre pendant des décennies.
Dans cette étude du BMJ, les trois quarts des patients enfermés par ce "locked-in syndrome" déclarent qu'ils sont heureux et un certain nombre de facteurs signalés par ceux qui déclarent être malheureux pourraient être bien améliorés.
Les commentateurs incitaient à la prudence dans l'interprétation de ces résultats, mais soulignaient la divergence avec les études qui avaient été réalisées jusque là par hétéro-évaluation (à partir de la perception des soignants et non celles des personnes touchées par ce handicap majeur). Les résultats de ces hétéro évaluations faites par les soignants étaient beaucoup plus catastrophiques que ceux de cette étude basée sur l'auto évaluation.
Mon propos n'est pas de nier la souffrance liée à des situations comme le locked-in syndrome ou l’agonie. Mais je voudrais relever que ces situations « extrêmes » nous ramènent aux exigences qui fondent ce que l’on peut nommer la relation de proximité à autrui. La proximité est une relation paradoxale où le lien est d’autant plus intense qu’il se fonde sur le maintien de la séparation entre l’autre et moi (différent en cela de la relation fusionnelle). Cette expérience de l'altérité, nous la vivons tout particulièrement lorsque nous acceptons ne pas pas tout connaître de lui (je ne connais pas sa souffrance dans cette situation qui, à priori, m’apparaîtrait comme insupportable).
A contrario, cette expérience de l'altérité ne peut s’éprouver pas dans l'exercice du pouvoir sur autrui (notamment, dans le cas présent, par l’usage de produits létaux administrés pour accélérer la fin de sa vie). Pour un médecin, la relation de proximité relève d’une difficile exigence envers autrui et envers lui-même… Oui, difficile exigence, car la rencontre entre le médecin et le malade est parfois (toujours?) rencontre entre deux vulnérabilités. La vulnérabilité du malade est dévoilée, évidente. Celle du médecin, même si elle est bien réelle, est au contraire cachée, recouverte par son savoir et son pouvoir (indispensables à l'exercice de sa profession).
L’exigence du questionnement éthique médical s’inscrit dans la prise de conscience de cette réalité. Cette exigence ouvre sur une visée éthique qui passera, entre autres, par le travail en équipe.
Theo Boer, spécialiste d’éthique médicale aux Pays-Bas, plaide pour davantage de suicides et moins d’euthanasies
par Jeanne Smits, 03/03/2016
En tant qu’ancien membre de la commission régionale de contrôle de l’euthanasie aux Pays-Bas, Theo Boer a assisté aux premières loges à la réalité de la mise à mort de ceux qui souffrent. Le spécialiste d’éthique médicale a d’ailleurs quitté ce poste en raison de ses interrogations croissantes à propos d’une pratique de plus en plus banalisée. Aujourd’hui, il estime que le recours à l’euthanasie devrait céder la place au suicide assisté : avec davantage de gestes mortels assumés par les patients eux-mêmes, il y aurait moins de pression sur les médecins, estime-t-il.
A l’heure actuelle, aux Pays-Bas, aussi bien le suicide assisté que l’euthanasie sont autorisés par la loi sous réserve du respect de conditions posées par la loi ; mais c’est l’euthanasie – l’administration d’une injection létale par le médecin – qui est de très loin la plus fréquente parmi les personnes qui demandent (ou ont demandé) à mourir : pas moins de 96 %.
Le suicide assisté, où le patient ingère lui-même un « médicament », ou plutôt un poison mortel, devrait remplacer une bonne part de ces euthanasies, hormis les cas où le candidat serait incapable de boire lui-même la potion.
Le premier avantage de ce basculement vers davantage de suicides assistés et moins d’euthanasies serait, selon Theo Boer, de permettre une meilleure certitude quant à la volonté réelle du patient : du moins est-on sûr que le patient qui avale lui-même la boisson mortelle désire vraiment arrêter de vivre. En outre, on éviterait ainsi nombre de gestes qui ne seraient pas « nécessaires » : le patient qui procède ainsi serait plus conscient de la portée de son acte.
Mais on devine que l’autre avantage mis en avant par Theo Boer est à son sens le plus important. Il assure que de nombreux médecins préfèrent la procédure du suicide assisté. Des médecins s’en sont ouverts auprès de lui : « Le fait que le patient fait la chose lui-même me soulage car dans ce cas de figure ce n’est pas moi qui tue quelqu’un », disent-ils selon Boer. Et ce même si le médecin est censé rester avec le patient « jusqu’à la fin » ; même si la boisson létale met plusieurs heures à agir.
Boire une potion létale en présence du médecin est considéré légalement comme un « suicide assisté » ; mais en cas de problème ou de contestation, le régime légal est plus léger. La peine encourue est trois fois moins lourde que pour une euthanasie. En prenant les choses entre leurs propres mains, les malades contribuent ainsi à ne pas faire porter le poids de leur décision au médecin – et ils le font davantage encore lorsqu’ils choisissent ce que Boer appelle la « voie autonome ». Le patient organise dans ce cas son propre décès, soit en cessant délibérément de boire et de manger en vue de mourir, soit en thésaurisant des médicaments pour obtenir une dose létale.
Theo Boer faisait ces remarques mercredi soir devant la « ChristenUnie », une organisation protestante.
Il s’est ému à cette occasion de l’augmentation régulière du nombre d’euthanasiés (quelque 15 % d’année en année) et de l’élargissement continuel des justifications de l’euthanasie. Aujourd’hui on fait campagne aux Pays-Bas pour le droit à l’euthanasie pour ceux qui estiment leur vie « accomplie ». La chose est inquiétante, estime Boer.
« Parlons-en : il faut réfléchir au fait de savoir s’il ne faut pas savoir accepter la vieillesse, avec se vulnérabilité », affirme aujourd’hui Theo Boer.
Pays-Bas : Un rapport s'oppose à l’euthanasie des personnes « fatiguées de vivre »
par Gènéthique, 11/02/2016
Alors que le débat aux Pays-Bas porte sur la question de l’extension de l’euthanasie aux personnes « fatiguées de vivre », un rapport défavorable vient d’être remis au gouvernement.
Pour rendre son rapport, la Commission mise en place en juillet 2014, s’est penchée sur les résumés de soixante-six cas psychiatriques de suicide assisté qui ont eu lieu entre 2011 et 2014. Les experts ont alerté le gouvernement sur l’aspect délicat de cette question, ainsi que sur les dérives possibles.
Pour le Dr Paul Applebaum, de l’Institut de psychiatrie de New York et du Département de psychiatrie de l’université de Columbia, les résultats étudiés « soulèvent de graves préoccupations » : « par exemple, plus de la moitié des patients souffraient de troubles de la personnalité, ce qui interroge sur la ‘stabilité du souhait exprimé de mourir’ ».
Le Dr Aaron Kheriaty, psychiatre et directeur du Programme d’éthique médicale à l’Université de Californie, affirme que « cela est très inquiétant » : les critères subjectifs qui sont employés pour déterminer si une personne qui juge « sa vie terminée » peut demander l’euthanasie, expliquent le large éventail d’âges et de diagnostiques psychiatriques des cas effectifs. Il ajoute que certains cas sont même potentiellement traitables, et que, selon lui, élargir les possibilités d’euthanasie pour les patients psychiatriques mène au risque « d’abandonner les patients quand il peut y avoir de l’espoir ».
Dans son rapport, la commission estime plus raisonnable de proposer des solutions pour éviter que des personnes ne jugent « leur vie terminée » quand elle ne l’est objectivement pas.
Opinions Médecin catholique pratiquante, je souhaite rester proche de celui qui souffre, habitée d’espérance malgré ce que cela coûte et malgré la tentation de l’euthanasie, de cette maîtrise à tout prix. Une opinion de Catherine Dopchie, oncologue et responsable d'une unité hospitalière de soins intensifs.
Celui qui souffre et n’en peut plus malgré l’expertise de nos interventions et la qualité sincère de notre accompagnement m’interpelle très profondément. La souffrance psycho-spirituelle du "non-sens", désormais à l’origine de la plupart des demandes d’euthanasie, ne s’adresse pas à l’art médical au sens strict. Pourtant ce cri m’atteint, la compassion douloureuse me saisit souvent. L’impuissance me convoque à demeurer, à chercher à m’améliorer, mais ne me contraint pas à trouver une réponse dans la maîtrise à tout prix. Rester proche, habitée d’espérance malgré ce que cela coûte et malgré la tentation de l’euthanasie, voilà ma position.
Invitation au lâcher prise
La souffrance et la mort gardent leur part de mystère et m’invitent au lâcher prise pour laisser place à plus grand que moi. C’est un choix que je pose dans la confiance, comme Jacob dont la hanche douloureuse lui rappelle de s’appuyer sur Dieu. Etre à l’écoute, entendre avec le cœur, partager les émotions, ne veut pas dire avoir réponse à tout. Ne pas avoir de réponse ne veut pas dire que l’on n’écoute pas la supplique. La fraternité permet parfois au souffrant de voir éclore en lui une lumière nouvelle, car dans ces détresses, la solution naît de l’intérieur, elle ne s’impose pas de l’extérieur. Caroline Valentiny, sortie d’une pathologie psychiatrique grave, en témoigne : "L’expérience de quelque chose au-delà de moi qui m’a réveillée à la vie." La paix de la "bonne mort" judéo-chrétienne est fruit d’une unité intérieure, d’une harmonie entre le cœur profond et le plan de Dieu, même si la mort est violente comme celle du Crucifié. Elle ne peut devenir un cliché vidé de sens, mort "douce" provoquée de celui qui souffre. Les réalités vécues nous apprennent la solidarité avec le plus fragile, et nous recréent, plus aiguisés pour l’Amour. Si avec patience, malgré les combats, nous ne laissons plus la force de vie qui nous anime nous faire cadeau de ces "miracles" qui forgent notre espérance, nous deviendrons de plus en plus désorientés face à la souffrance, notre seuil de tolérance sera de plus en plus bas.
L’homicide par compassion.
Le "tu ne tueras point" concerne aussi l’homicide par compassion. La compassion, par définition, me fait souffrir. Tuer mon frère en ce nom revient à le considérer comme mon ennemi, celui qui me dérange par la souffrance qu’il fait naître en moi, par communion à la confrontation aux limites. L’euthanasie n’est pas qu’un "geste lourd qui provoque la mort du corps" (Corinne Van Oost), mais un geste qui tue une personne qui souffre. Dans ce monde moderne qui idolâtre autonomie et bien-être, je refuse d’être réduite à un instrument au service d’une volonté désincarnée. L’Homme est plus grand qu’une machine. Si une seule fois je transgressais cet interdit fondamental, je tenterais ensuite d’en réduire la violence, je répéterais l’acte pour me convaincre qu’il est bon, je chercherais à le ritualiser pour l’humaniser. Cela tuerait néanmoins à petit feu la soignante et l’être humain que je suis. Faire ce double choix de mort ne me paraît pas juste. Je préfère rester déstabilisée, bousculée par mon frère qui souffre et me pousse à devenir meilleure. Croire en sa capacité à être, quelles que soient les circonstances.
La dépénalisation de l’euthanasie fait croire à un droit à mourir de la main du médecin quand la vie semble trop pénible telle qu’elle est. Cette fausse croyance introduit rapport de forces et méfiance au cœur de l’alliance thérapeutique. Mon seul et grand devoir est de toujours optimiser mon implication professionnelle et humaine, dans le respect de l’autre. Je n’échoue que si je ne réponds pas à cette exigence, quel que soit le succès de mes efforts.
Et que dire de la sédation ?
La sédation peut être considérée dans des circonstances exceptionnelles de souffrances intolérables, inapaisables, réfractaires. Ce n’est pas une réponse adéquate à la souffrance psycho-spirituelle, même si elle interfère avec le vécu d’autres symptômes, car son caractère inapaisable reste incertain. Induire le sommeil prive plus ou moins complètement la personne de relation, partie importante de son être-au-monde. La profondeur de l’endormissement est donc ajustée au soulagement du symptôme réfractaire que l’on combat ainsi. Si la sédation intervient en urgence pendant une hémorragie massive ou un étouffement aigu, elle est alors temporaire et non polémique. Si elle est prolongée jusqu’au décès, soulageant par exemple une confusion agitée par angoisse de mort ou une détresse respiratoire majeure permanente, elle ne peut s’indiquer qu’en situation préterminale, où la non mise en route d’une hydratation artificielle ne précipite pas significativement le décès d’un patient qui déjà ne boit quasi plus.
Où est l’hypocrisie dans la pratique d’une telle sédation ? L’intention et les actes sont clairs pour l’intelligence éveillée. Le traitement aux doses titrées vise à soulager un symptôme réfractaire sans abréger la vie. Que le mourir soit encadré de traitements n’empêche pas de faire la distinction entre mort naturelle et mort provoquée. Laisser le corps aller jusqu’au bout de ses forces respecte la personne car elle est aussi son corps. Ame, esprit et corps ne font qu’un.
La sédation doit être bien préparée, car cette pratique est difficile pour les soignants et pour les proches. Prolongée, son vécu se rapproche de celui de l’agonie.
Eviter l’agonie ?
Le sens à donner à l’agonie reste un mystère, temps précieux pour les proches ou temps d’épreuve.
Autant que possible, patient et entourage sont prévenus du projet de sédation, l’adieu rendu possible. L’équipe soignante se tient prête à intensifier sa disponibilité.
Les pressions pour accélérer cette période peuvent être fortes. Céder à cette tentation de hâter la mort est une euthanasie déguisée et illégale, hypocrisie qui n’a rien à voir avec la sédation.
De plus en plus, les médecins qui refusent de pratiquer l’euthanasie sont perçus comme des "sans-cœur". Etant au chevet du patient sans provoquer sa mort, nous ne le contraignons pas à vivre. Il vit, simplement, et nous appelle à être, humblement, à ses côtés : médecin frère de son frère, avec compétences et limites.
(1) Oncologue, formée à Lille aux soins palliatifs (SP), pionnière de leur développement en Hainaut occidental, responsable d’une unité hospitalière de 6 lits SP, je continue à adhérer à la philosophie de Cicely Saunders refusant l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie.
La loi ne peut dire que ce qui lui semble légal et illégal. Cette semaine deux événements nous ont montré les limites de la loi: d'une part le vote en deuxième lecture de la loi Claeyes-Léonetti à l'Assemblée Nationale et d'autre part les conclusions données par le Tribunal Administratif de Chalon sur Marne à propos de la procédure engagée par le neveu de Vincent Lambert.
Les premiers commentaires de la presse après ce vote à mains levées mettent en avant toute l'insatisfaction des pro et anti euthanasie. Et il ne pouvait pas en être autrement. Le texte des députés nous laisse dans un entre deux avec la création de situations de sédation profonde humainement intenables. Des euthanasies qui refusent de dire leur nom. Des équipes de soins palliatifs qui vont se vivre comme des exécuteurs....Des familles qui ne sauront plus où elles sont, quel rôle leur demande t-on de jouer ou de ne pas jouer. Nous voilà devant une proposition de texte qui se veut tactiquement comme une transition vers l'avenir radieux de la fin de vie sous contrôle...Ce texte ne dit rien de notre humanité. Notre dignité est instrumentalisée au profit d'une éthique de l'autonomie. Nous avons abandonné la loi Léonetti car nous n'avons pas pris les moyens d'accompagner la vie jusqu'à son accomplissement. Nous en sommes là par démission. Avons-nous considéré avec Tanguy Chatel tous ces "vivants jusqu'à la mort"?
Il nous faut lire les considérants de l'arrêt rendu par le Tribunal Administratif de Chalon sur Marne. Les décisions prises en conscience par un premier médecin ne s'imposent pas de façon automatique aux suivants. Le tribunal nous donne par là la preuve que toute décision médicale est le fruit d'une rencontre faite d'humanité avec ses faiblesses et sa profondeur.
Pour faire sens, nous devons dépasser le légal non pour trouver le bien et éviter le mal mais dire ce qui fait notre "bien commun". Notre responsabilité de chrétiens est d'interroger notre monde à ce niveau. Par quoi notre fraternité tant évoquée est-elle fondée? En quoi la vie des malades qui nous sont confiée reste en cohérence avec cette source? Regardons-nous nos malades sous cet éclairage? Et nous ne devons pas avoir peur d'affirmer que le spirituel et la philosophie viennent révéler notre démocratie à elle-même. La justice seule à cet égard ne nous dit rien.
Euthanasie : pourquoi exiger d'un soignant un tel acte de mort est une forme de "prise d'otage" fondée sur un présupposé discutable
Face à la fin de vie d’un proche, nous sommes souvent démunis et déstabilisés. Au choc émotionnel s’ajoutent des questions angoissantes. Faut-il continuer les traitements au risque d’une obstination déraisonnable ? Convient-il de privilégier la qualité de vie à la quantité de survie ? Extrait de "Face à la fin de vie d'un proche", de Bernard-Marie Dupont, François Bourin éditeur (2/2).
Bernard-Marie Dupont est médecin spécialiste et docteur en droit. Il est vice-président national de l’Association d’entraide aux malades traumatisés crâniens et autres cérébrolésés, et aux Familles (AEMTC). Il enseigne également la philosophie à l’Université de Paris Sud XI (Orsay).
par Bernard-Marie Dupont,
... Le soignant, à qui l’on demande d’être le bras armé de l’acte d’euthanasie, n’est-il que cela ? Ne peut-il être que cela, un simple instrument ? C’est la question de la liberté individuelle et de la conscience, tant personnelle que professionnelle, du soignant.
Comment être absolument certain de l’objectivité de la demande du patient ? Cette question terriblement angoissante est au coeur de toute relation thérapeutique. Si l’individu montre, visuellement, des éléments de la pathologie dont il souffre (et la médecine contemporaine est ce spectacle télévisuel que nous connaissons), tout n’est pas nécessairement visible. Si Michel Foucault, dans Naissance de la clinique, a bien établi le lien automatique qui s’instaure trop rapidement entre le voir et le savoir, peut-on pour autant affirmer qu’il est possible de dissocier les éléments objectifs d’une demande (de soin, de mort) de ses déterminants subjectifs qui la contaminent ?
Si nous employons à dessein ce mot de contamination, c’est pour rappeler que celle-ci se propage et se transmet bien souvent sans bruit, et qu’elle passe alors inaperçue. Nous sommes en effet plongés, que nous le voulions ou non, dans les différents bains de couleur de la vie, ou, pour reprendre l’expression de Paul Ricoeur, nous prenons toujours un train en marche, qui nous a précédés et qui nous survivra. Et puisque nous sommes plongés dans un bain de couleur, notre décision est donc toujours teintée, marquée par la couleur du moment, qu’elle soit culturelle, sociale, historique ou géographique. Le soignant, même s’il le veut, aura donc bien du mal à n’être que le bras armé de la demande de mort formulée par un patient.
Il faut se faire à cette idée : nous n’aurons jamais la certitude d’atteindre l’objectivité de la connaissance ou la certitude de savoir si la décision du patient, ou celle du médecin, est réellement prise sous l’influence de la raison, du bon sens, et si elle procède d’une démarche authentiquement libre de toute influence.
« L’acte d’un tiers », qui qualifie l’euthanasie, pose la question de la réelle intention de celui ou de celle qui en fait la demande : la volonté du patient était-elle réellement d’en finir avec la vie ?
Il est demandé à un tiers de pratiquer un acte sans retour, une décision sans procédure d’appel possible et qui ferme la porte du temps. Or, les soignants savent bien que la décision, le projet thérapeutique, s’élaborent dans la durée, avec des contradictions, des renoncements, des refus, des acquiescements plus ou moins explicites, plus ou moins implicites. C’est que la médecine fait la part belle au non-dit : il s’agit bien plus de deviner, de discerner, que de voir.
Comment, dans ces conditions, être certain que la question posée par le malade est la bonne ? Désire-t-il réellement mourir ? Ou éviter un état, une situation qu’il juge intolérable ? Veut-il échapper de manière radicale aux douleurs ? Ne plus être une gêne pour la société ou ses proches ? Ou bien la mort est-elle réellement envisagée pour ce qu’elle est, ce point final ? L’abandon, la solitude, la douleur physique, la détresse psychologique, l’uniformité artificielle des plateaux techniques hospitaliers, l’impossible retour chez soi, sont autant de raisons qui peuvent induire ou encourager la demande de mort, autant de bonnes et de mauvaises raisons.
Enfin, cet « acte commis par un tiers », pose la question du bras armé qu’est le soignant. Ne pas être en mesure de se donner soi-même la mort est une chose ; demander à quelqu’un de pratiquer un acte d’euthanasie en est une autre. Est-il possible en effet de ne considérer le soignant que comme un simple instrument de la volonté du patient ? Passer du gouvernement de soi au gouvernement de soi par un autre, c’est faire peu de cas de l’identité et de la liberté de ce soignant à qui la demande d’euthanasie est adressée. Exiger du soignant un tel acte de mort, c’est une forme de ‘prise d’otage’, fondée sur un présupposé discutable : puisque l’autre est un soignant, c’est à ce titre que, de fait, et idéalement pour certains, en droit, il devrait se soumettre à la demande du malade et la mettre en oeuvre. Comment le médecin pourra-t-il vivre des exigences contraires à la déontologie et à la définition même de l’acte de soin ?
L’euthanasie est définie comme l’acte d’un tiers, « qui met délibérément fin à la vie d’une personne ». C’est le deuxième point de la définition de l’euthanasie donnée par le CCNE.
Ce deuxième élément de la définition ajoute au premier l’idée que le geste d’euthanasie est bien réalisé, non par accident ou comme un effet secondaire d’un traitement, mais avec la volonté manifeste d’abréger la vie du patient. L’euthanasie est donc un geste direct de mort, un acte dont la seule finalité est la mort. Cette précision a une grande importance, car l’évolution récente des traitements dans la prise en charge de la douleur et de la souffrance des patients, en dépit de la connaissance des effets secondaires de certains protocoles thérapeutiques, peut aboutir au décès du patient, mais cela reste exceptionnel, et surtout non intentionnel. Il ne s’agit pas pour autant d’un acte d’euthanasie, mais de ce que les anglophones nomment le principe du double effet : l’intention première du soignant est de combattre la douleur, ce qui passe par l’administration d’un médicament à des doses élevées, qui peuvent, éventuellement, être à l’origine du décès du patient. Mais rien n’est jamais certain en médecine, personne ne peut dire si l’excès de ce médicament va réellement abréger la vie du patient.
La différence entre le geste d’euthanasie et le principe du double effet qui peut conduire à la mort, réside dans l’intention première qui oriente le choix du praticien.
Enfin, le dernier moment de la définition de l’euthanasie précise que l’acte doit être commis pour « mettre un terme à une situation jugée insupportable », et ce n’est pas la moindre des difficultés que cette appréciation. Qu’est-ce, en effet, qu’une situation insupportable, et pour qui ? S’agit-il du constat de l’échec d’une thérapeutique médicale ? S’agit-il de l’aveu d’une impossible ou improbable guérison ? Est-ce un problème de nature ou de degré, de seuil ? Est-ce un moment dans la vie du malade, à partir duquel un niveau serait atteint, par le haut ou par le bas ? Et qui va décider de ce qui est devenu insupportable ? Le malade ? Le soignant ? Les deux ?
S’il convient, par exemple, d’établir un seuil au-delà duquel la douleur d’un patient serait devenue à ce point insupportable qu’elle autoriserait l’euthanasie, alors il faut admettre que les seuils sont très relatifs, culturels, influencés, voire différents d’un jour à l’autre pour un même malade. Le jugement appelle la mouvance, l’estimation, le pour et le contre, c’est-à-dire l’incertain, qui est le quotidien de toute relation thérapeutique. Or, l’euthanasie, elle, est un acte définitif, un aller simple. Dans ces conditions, si elle était appliquée chaque fois qu’une situation devait être considérée comme insupportable, la relation soigné-soignant se résumerait alors au jeu de la roulette russe, et rien ne limiterait plus les possibles abus.
Extrait de "Face à la fin de vie d'un proche", de Bernard-Marie Dupont, François Bourin éditeur, 2015.
Etats pauci-relationnels : Fin de vie ou grand handicap ?
par Dr Xavier Ducrocq , 14/10/2015
Les imprécisions de la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie concernant les questions d’hydratation et d’alimentation ont été à l’origine de situations tragiques. Dans l’actualité, la controverse autour de Vincent Lambert a suscité l’emballement alors que son état clinique relève davantage du grand handicap que de la fin de vie. Pour essayer de comprendre, le Professeur Ducrocq, neurologue, revient sur les caractéristiques de ce qu’on appelle l’« état pauci-relationnel ».
Gènéthique : Quand peut-on dire qu’une personne est dans un « état pauci-relationnel » ?
Pr Xavier Ducrocq : L’état pauci-relationnel (EPR) s’installe toujours après une période de coma, il en est un mode de sortie. Le coma a pu être provoqué par un traumatisme crânien grave, un AVC, ou une anoxie cérébrale (par arrêt cardiaque ou noyade, par exemple). Quand elle sort du coma, la personne en EPR va ouvrir spontanément les yeux. Elle va respirer librement et alternera des périodes de veille et de sommeil. Si elle ne parle pas, elle peut parfois émettre des sons. Ses membres sont paralysés (double hémiplégie), mais elle peut faire quelques mouvements, même s’il est difficile de savoir s’ils sont volontaires ou réflexes. Elle peut tourner la tête et les yeux. A des degrés divers, elle présente parfois des troubles de l’audition ou de la vision. Elle semble ne pas réagir à son environnement et aucun code de communication fiable n’a pu être établi. Pourtant en étant attentif, par moment, la personne tourne la tête, les yeux, elle agite un bras, une jambe, sa respiration s’accélère, son regard devient plus expressif… Ces attitudes se remarquent particulièrement, sans être systématiques, en présence d’un proche, d’une musique aimée, ou en cas d’un inconfort qu’il faudra identifier. Si on a alors la conviction que la personne réagit à son environnement, il est impossible d’en donner exactement la raison : que perçoit-elle ? Que ressent-elle ? Que veut-elle dire ? L’incertitude est permanente et difficile à gérer, frustrante. Inquiétante parfois.
G : On parle aussi d’état végétatif chronique (EVC), de quoi s’agit-il ?
XD : Dans l’EVC, plus justement appelé « état d’éveil sans réponse », les réactions ne sont que végétatives, elles ne sont pas volontaires : accélération du cœur, de la respiration, de la coloration du visage, transpiration. Elles ne sont jamais « conscientes ».
Mais une même personne peut, selon les moments, paraitre plus « sans réponse » que pauci-relationnelle. Il y a d’importantes fluctuations. Si bien qu’il est légitime de ne pas les différencier. Les meilleurs experts affirment que le risque d’erreur quand on qualifie une personne d’EVC est de 40% : c’est-à-dire que 4 fois sur 10 on considérera « végétative » une personne qui est « pauci-relationnelle ».
Qu’il s’agisse d’EVC ou d’EPR, il n’y a pas, actuellement, d’espoir raisonnable d’amélioration. On ne connait que quelques cas, exceptionnels, de récupération tardive d’une communication. Ces personnes sorties du coma, ont un niveau de conscience incertain et fluctuant, elles sont porteuses d’un handicap moteur et cognitif sévère, chronique, mais elles ne sont pas en fin de vie. Elles vivent sans pouvoir communiquer, ce qui ne veut pas dire qu’une relation est impossible.
G : Est-ce qu’elles ont conscience de ce qui les entoure ?
XD : Oui, si bien qu’on parle aussi d’« états de conscience minimale ». Depuis quelques années, des études faites par des chercheurs au moyen de l’IRM fonctionnelle, tendent à prouver l’existence, chez des patients en EPR ou en EVC, d’un certain degré de conscience. Si ces résultats corroborent ce que ressentent les proches – soignants, famille – de ces personnes, ils ne permettent pas d’établir un code de communication. Dans tous les cas, la prudence s’impose : l’absence de preuve de conscience ne signifie pas l’absence de conscience. Comment connaître exactement le niveau de perception d’elle-même et de son environnement d’une personne EPR ? Du niveau d’intégration des informations sensorielles qu’elle capte et de sa capacité à élaborer une réponse… qui supposerait de pouvoir recourir à un code de communication. Il est difficile d’interpréter l’existence ou non d’une conscience. En effet, déjà chez une personne normale, une émotion, même forte, peut ne se traduire que par des signes végétatifs : il y a comme une dissociation entre le ‘vécu mental’ et son expression physique.
G : Qu’en est-il de la nutrition ?
XD : La plupart des personnes en EPR sont nourries artificiellement par une gastrostomie (sonde entre l’abdomen et l’estomac) pour pallier une paralysie de la déglutition qui peut se prolonger. Toutefois, près d’un tiers de ces patients peut être nourris par la bouche, au moins partiellement.
G : Est-ce qu’il s’agit de maintenir artificiellement en vie la personne ?
XD : Non. S’il est commode d’utiliser des poches alimentaires de fabrication industrielle, les sondes de gastrostomie permettent de passer des aliments habituels, pourvu que leur texture soit adaptée. La gastrostomie n’est pas un obstacle à la mobilité de la personne : pas de tuyau extérieur, juste une sorte de bouton-pression au niveau du ventre. Habillé, rien ne se voit. De nombreux patients, par exemple en cas de cancer de la gorge, sont ainsi nourris par gastrostomie, justement pour pouvoir mener une vie autonome.
G : Mais vivre dans cet état, est-ce une vie ?
XD : Oui ! Les personnes en EPR vivent ! Et la loi française les protège d’autant plus qu’elles sont en situation d’extrême vulnérabilité. Elle demande de leur proposer un projet de vie, un projet de soins. Qu’elles soient à domicile ou dans des unités spécialisées, elles doivent bénéficier de soins de kinésithérapie, d’orthophonie, des stimulations sensorielles, des massages. Elles doivent aussi être habillées, mises au fauteuil, sorties en promenade ou aller à l’occasion dans leur famille… Ce qui suppose un investissement considérable pour les proches et les soignants, mais n’est-ce pas l’honneur et le devoir d’une société que d’y veiller ?
«Les listes d'attente sont longues... Des personnes en douleur constante ne vont-elles pas, par lassitude, demander l'euthanasie?
Dans un contexte de manque de soins, est-il raisonnable de permettre l'euthanasie » ?...
Les soins aux patients doivent être améliorés avant de permettre l'aide médicale à mourir. «Je demande de la physiothérapie pour améliorer mes douleurs. Mais on me la refuse. On a besoin d'aide pour vivre, pas pour mourir».
Le Dr Saba (Canada) mentionne plusieurs pays, comme la France et l'Écosse, qui refusent l'euthanasie et le suicide assisté.
« Seulement 1% de la population mondiale vit dans des pays où c'est permis.
Pourquoi préfère-t-on investir dans l'euthanasie [plutôt] que dans les soins ?
Je vais continuer de me battre contre ça, dit-il.
Car tant que les soins ne seront pas mieux offerts, il y a des risques que l'euthanasie soit choisie pour les mauvaises raisons.»
Par quel que bout que l'on prenne le problème, l'euthanasie est et reste un homicide volontaire avec préméditation, commis sur une personne en situation de faiblesse.
Ce n'est jamais le rôle d'un médecin de donner la mort, même (et surtout) s'il en a évidemment la capacité technique. Tuer n'est pas bien compliqué et n'importe quel citoyen un peu entraîné le ferait très bien. Soigner n'est pas tuer, tuer n'est pas soigner.
Dans ma longue carrière j'ai accompagné un certain nombre de dépressifs dont certains voulaient se suicider. Deux ont effectivement réussi à mettre fin à leurs jours. Je l'ai vécu comme un échec, comme une insuffisance de ma part. Tous les autres ont pu retrouver une confiance suffisante en eux-même et dans la vie pour reconstruire leur vie autrement. Il m'apparaît comme une trahison que d'encourager et plus encore d'aider quelqu'un à se suicider. (Suicide assisté)
Au-delà des choix éthiques et philosophiques de chaque médecin, se pose effectivement la question de la collaboration, volontaire ou obligatoire, à une mise à mort.
Si l'on refuse de considérer le désir de mort comme autre chose qu'une pathologie mentale grave, n'est-ce pas enfermer un patient dans sa désespérance que de lui laisser croire que ce serait la solution?
Et référer un dépressif à un « confrère » dont on sait pertinemment bien qu'il passera à l'acte mortel, n'est-ce pas encore être complice du meurtre, envoyer quelqu'un délibérément dans un mortel traquenard ?
La seule solution honnête et déontologiquement correcte n'est-elle pas de dire : « je ne le ferai pas, je ne puis vous empêcher de le faire, mais vous feriez la plus grosse bêtise de votre vie. Je puis adoucir vos souffrances et vous soutenir dans ces moments difficiles que vous vivez » ?
Et si un tribunal s'égare à ordonner des choses criminelles quand bien même conformes à un quelconque texte de loi, la seule attitude possible moralement n'est-elle pas de refuser encore l'injonction insensée ?
Et de même, une institution n'a-t-elle pas aussi parfois un devoir de désobéissance ?
La route de la mort : priver les personnes d’hydratation, d’alimentation et de soins
par Jean-Pierre Dickès, 16/08/2015
Au Royaume Uni, il est désormais absolument interdit de priver les personnes en fin de vie d’hydratation, d’alimentation et de soins ; ceci dans le cadre d’une décision du Service national de santé (NHS). Bref tout ce qui est envisagé en France pour faire mourir Vincent Lambert. Les autorités sanitaires demandent que les proches soient encouragés à hydrater les mourants et les vieillards quand c’est possible et demande au personnel de santé d’anticiper les difficultés quotidiennes, tels les problèmes de déglutition. Un guide a été mis au point pour le personnel hospitalier afin de détecter les signes indiquant qu’une personne est proche de la mort ; mais aussi ceux qui indiquent une amélioration ou une détérioration de leur état. En pratique ce sont les soins palliatifs concernant 350.000 personnes en Grande-Bretagne.
Chez les Anglais, le fait de laisser se déshydrater et priver de nourriture les personnes en fin de vie se nomme depuis longtemps la « route de la mort » dont étaient chaque année les victimes 92.000 vieillards et moribonds. L’Institut national pour l’excellence de la santé et des soins est furieux de voir qu’un tel processus ait pu se pérenniser depuis des années. « Il est choquant que de telles précisions s’imposent ! ».
Cette pratique controversée a été développée depuis les années 1990 au Royal Liverpool University Hospital et à l’hospice Marie Curie de cette ville. Elle est donc considérée comme un protocole d’euthanasie. Elle avait été progressivement été éliminée, mais persistait dans quelques centres hospitaliers notamment pour les cancéreux. En désuétude depuis un an, elle est définitivement abolie.
Or c’est tout bonnement un tel protocole de mort qui est prévu par les deux lois successives dites Léonetti. Ainsi la France ouvre la « route de la mort » alors que les Britanniques viennent de la refermer. Les Anglo-saxons nous donnent ainsi une magnifique leçon d’humanité.
L’Institut CSA a fait un sondage auprès de 1000 Français. Il leur a été demandé quelle était pour eux la profession idéale. L’orientation vers la médecine arrive en tête pour 13% des Français parmi les 17 choix proposés ; puis suit celle de vétérinaire à 10 %. Être policier n’intéressera que 1% des sondés. Apparemment les femmes (15 %) sont plus intéressées que les hommes (11 %). En 2013, 58 % des nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre des Médecins étaient des femmes. Les temps ont bien changé : mon grand-père maternel, le Dr Mahieu, maire de Wimereux, était intervenu auprès de la faculté de médecine de La Catho de Lille car il était refusé à sa fille (ma mère) le droit de passer le concours de l’internat car elle était une femme. Quand elle fût diplômée, le plus prestigieux des chirurgiens du Nord de la France disait : « Les femmes-médecins sont des dangers publics ».
Cependant l’exercice de la profession, même si il est assez bien payé, est extrêmement dur. Très peu de femmes deviennent généralistes. Elles s’orientent souvent vers des spécialités calmes comme la phlébologie, la dermatologie ou la médecine du travail. Ceci pour une raison très simple : elles tiennent à s’occuper de leurs enfants quand elles en ont ; ce qui est un réel problème quand on est anesthésiste, chirurgien ou médecin généraliste.
Une autre étude diligentée par l’Union Française pour une médecine libre établit qu’un médecin sur deux est en situation d’épuisement (burn out). Le taux de suicides parmi mes confrères est de 2,37 fois plus élevé que dans le reste de la population.
La loi de santé Juppé de 1996 a restreint drastiquement à 4000 étudiants le nombre de reçus au concours d’entrée. La pénurie dix ans plus tard a commencé à apparaître. Nous ne nous en sommes jamais remis. En effet, les jeunes médecins sont de plus en plus conscients et sensibilisés aux difficultés de leur mission. La profession est de moins en moins respectée, les agressions se multiplient, le travail est de plus en plus prenant, la responsabilité a augmentée et se traduit par des plaintes en justice ; laquelle devenue idéologique donne le souvent tort au plaignant supposé moins riche ; enfin la technicité est en train de remplacer par des machines la démarche psychologique du rapport humain entre le médecin et son patient. Chaque spécialité a désormais son appareil informatisé qui remplace le tête-à-tête avec le patient. Allez faire une radio ! vous ne verrez probablement pas le bout du nez du radiologue. De même depuis dix ans les électrocardiogrammes numériques proposent des diagnostics et des traitements. Basée sur les algorithmes l’appareil est devenu plus fiable que le praticien lui-même.
Il n’est bien sûr plus question dans ce contexte de parler de « vocation médicale » comparée à celle du prêtre.
Mais les jeunes médecins ayant terminé leurs études avec de telles perspectives que se passe-t-il ensuite ? La grande illusion se transforme en grande désillusion. Entre 2004 et 2011, près de 20.000 diplômes de médecine générale ont été attribués. Or seulement 5.000 jeunes médecins se sont installés. Il en aurait fallu quatre fois plus. Qu’ont fait les autres ? Ils se sont orientés vers le salariat ou des spécialités tranquilles. Le plus étonnant est que l’on a perdu la trace de plus de 6000 d’entre eux.
Ne nous faisons pas l’illusion. La désertification médicale de certaines régions va s’accroître. La médecine de proximité disparaîtra. Le nombre de généralistes continuera à chuter. Même en faisant venir des praticiens de Roumanie ou du Bénin.