Une fin de vie digne et apaisée doit-elle passer par une sédation profonde et continue ?
par le Dr Xavier Mirabel et Claire Pellissier, 25/04/2015 (extraits)
... En France, on meurt encore mal nous dit-on. D’inacceptables inégalités d’accès aux soins palliatifs perdurent. La formation des soignants reste insuffisante. La recherche clinique est peu financée et l’effort financier pour développer les soins palliatifs est indigent (en particulier depuis 2012, malgré les promesses). Face à ce bilan, le texte qui arrive en débat au Sénat propose une alternative aux soins palliatifs. La sédation est pratiquée. Prescrite dans le respect des bonnes pratiques médicales formalisées par la Société française d’accompagnement de soins palliatifs (SFAP), elle ne pose pas de problème, ne fait pas débat. Les indications médicales de la sédation sont reconnues et acceptées, pour des souffrances physiques ne pouvant être totalement soulagées, ou en réponse à des angoisses décrites comme "insupportables " en fin de vie. Décision grave, qui n’intervient aujourd’hui qu’en dernier recours, lorsque l’ensemble de l’"arsenal" des traitements anti-douleur s’est révélé insuffisamment efficace et lorsqu’un travail d’accompagnement psychologique a été proposé.
Le médecin mis en demeure de réaliser une sédation pas nécessairement indiquée
Le « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès », c’est donc autre chose. Il s’agit d’aller au-delà (sinon, pas la peine de légiférer). Mais où ? Vers une sédation demandée par une personne malade ou par un proche, par une "personne de confiance". Une sédation que le médecin jugerait médicalement illégitime (sinon, pas besoin de rendre ce droit opposable au médecin) et que le médecin serait pourtant mis en demeure de réaliser. Là où la sédation apparaissait comme la dernière option possible, elle se verrait banalisée, justifiée par le refus d’une « prolongation inutile » ou du « maintien artificiel » de la vie, notions sujettes à de périlleuses interprétations. Là où elle était le fruit du discernement collégial et d’un protocole médical strict, elle pourrait être administrée à la demande de tout patient désireux de ne pas prolonger une vie considérée comme "inutile". Lorsque la mort est inéluctable à terme relativement bref et que l’alimentation ou l’hydratation ne peuvent participer au confort, au bien-être, mais au contraire sont sources de pénibilité voire d’effets indésirables, nul ne revendique qu’ils soient poursuivis. Comme pour la sédation, l’arrêt d’alimentation ou d’hydratation en toute fin de vie ne posent pas question. Mais ce n’est pas non plus cela qui nous est proposé dans le texte en cours de débat parlementaire. Car la sédation terminale assortie d’un arrêt d’alimentation et d’hydratation, est une pratique qui conduit inéluctablement et rapidement à la mort. Un "arrêt de mort" si cette mort n’était pas imminente ni même prochaine.
Bien mourir, cela signifierait-il mourir endormi ? Sédaté ? Est-ce nécessairement cela une mort digne ?
Le risque de réponses expéditives
Les soignants connaissent la complexité, en fin de vie, des phases de grande angoisse, des moments de tristesse, mais aussi ces instants précieux d’épanouissement personnel et de maturation, de transmission et d’échanges familiaux. Présenter la sédation comme un droit, c’est risquer des réponses expéditives aux demandes impulsives de "dormir", liées à des souffrances aigües, physiques ou psychiques. Soulager, écouter en profondeur, accompagner, tout cela demande du temps et une réelle volonté de prise en charge globale. Cette nouvelle « sédation profonde et continue jusqu’au décès » propose en réalité une alternative plus simple, moins coûteuse, une forme de démission collective. Un « droit à une rupture de la vie relationnelle » qui provoquera la mort à très court terme. Une euthanasie qui ne dit pas son nom.
Privés de leur mort
Loin de proposer des mesures ambitieuses en matière palliative, la nouvelle loi ouvre la porte à un drame humain, celui de voir des patients mourir seuls, abandonnés dans un sommeil artificiel, privés de leur vie, privés de leur mort. On nous dit que cette loi va rassurer nos concitoyens. Les députés à l’origine de cette loi affirment qu’elle n’autorise pas l’euthanasie ni le suicide assisté. Au pied de la lettre, c’est vrai. En pratique, il en serait tout autrement. C’est ce qui a conduit des soignants à demander fermement aux sénateurs de clarifier la loi en lançant un appel : http://www.convergence-soins.com/. Ils invitent explicitement tous les soignants à demander une clause de conscience si le texte était voté en l’état.
* Oncologue, chef adjoint d’un département du Centre régional de lutte contre le cancer de Lille, ancien président de l’association Alliance VITA. **psychologue en soins palliatifs, porte-parole du mouvement Soulager mais pas tuer.
Je voudrai rapprocher deux événements qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre mais qui se sont produits au même moment ou plus précisément dans le même mouvement. Il s’agit de la troisième révision de la loi Léonetti en moins de dix ans et de la énième remise en cause de la loi Veil. Il est tout d’abord significatif et important de noter que ces deux lois intéressent : l’une à notre naissance, notre arrivée dans la communauté humaine et l’autre à notre « départ », deux frontières dont nous voudrions avoir toute la maîtrise et réduire ainsi leur insupportable part de mystère.
Le même constat.
A coups de boutoir et de glissements imperceptibles, ces deux lois sont vidées de leurs sens premiers : la réponse à ces drames que la vie sait bien nous servir. Ainsi, nous voyons bien que la loi Léonetti, votée en 2005, avait pour objet de prévenir les risques d’acharnements thérapeutiques avec pour corollaire le développement des soins palliatifs. Elle devient aujourd’hui la loi Claeyes- Léonetti avec pour objet la gestion de la fin de vie avec l’introduction de la sédation profonde continue jusqu’au décès. Même si en première lecture, nous pourrions avoir le sentiment que les choses n’ont pas fondamentalement bougé, nous voyons bien tout de même que le terrain glisse. La loi Veil, en son temps (novembre 1974), voulait faire de l’avortement une réponse très encadrée, exceptionnelle à des situations humaines dramatiques avec une éducation sexuelle en amont, plus proactive de la population jeune en particulier dans une dynamique de médecine préventive. Aujourd’hui, notre société va en faire un moyen contraceptif en supprimant le délai de réflexion d’une semaine.
La même incurie.
Pourquoi dans les deux cas en sommes nous arrivés à ces choix réducteurs pour des réponses simplificatrices même simplistes ? Force est de constater que la loi Veil n’a pas réduit le nombre d’avortements en France. Nous sommes toujours à plus de 200.000 par an. L’éducation sexuelle n’a pas rempli sa mission malgré des dispositions législatives, réglementaires, financières favorables. De la même manière, en dix ans cette loi Léonetti a fait l’objet de trois révisions. Pour une raison simple, la fin de vie n’a pas été anticipée, accompagnée. La prise en charge des derniers temps d’une vie aléatoire et inégale. Les soins palliatifs ne font toujours l’objet que de deux heures de cours en onze ans d’études. Les réseaux de soins palliatifs qui permettraient à beaucoup plus d’entre nous de terminer leurs jours à domicile, se voient leurs financements rognés de façon drastique et arbitraire. Pour ces deux lois la même incurie, la même facilité à se limiter pour répondre au prétexte sans vouloir rechercher les causes premières, plus profondes. Dans les deux cas, nous n’avons pas voulu nous attacher aux pré-requis de ces deux lois à savoir une éducation, une responsabilisation des consciences. Faute d’avoir répondu à ces enjeux, tous ces drames banalisés ne viendront plus nous importuner ! A toute chose malheur est bon ! Oui mais les souffrances générées seront d’autant plus grandes car réduites au silence.
Pourquoi une telle démission ?
Vaste question, les termes de la réponse peuvent être retrouvés dans toutes les composantes de la vie de nos sociétés modernes, communicantes et civilisées.
J’ouvre une piste inspirée par François Cheng dans son livre « Entretiens » aux pages 68 et 69. Il nous rappelle à juste propos que nous sommes constitués de trois éléments qui rentrent en intime dialogue : notre corps qui « fait », notre esprit qui raisonne et notre âme qui résonne, rentre en résonnance. Cette âme aussi qui ne vit, ne trouve sens que dans un mouvement d’altérité, de médiation avec autrui.
La volonté de protocolisation, scientifiquement justifiée et juridiquement opposable, de nos pratiques accompagne comme un catalyseur ce triste mouvement qui ne tiendra plus compte du caractère unique de nos biographies respectives, nous isolant dans nos individualités. Sans cette altérité vivifiante, nos âmes vont se dessécher sur pieds.
Dans une prochaine chronique, l’examen des propositions faites dans la loi de santé de Madame Tourraine nous permettra d’avancer quelques pistes de réflexions supplémentaires.
Etat des lieux de la loi « fin de vie » après le vote par l’assemblée
par le Dr A. J., 25/03/2015
La loi sur la fin de vie vient d’être votée à l’Assemblée ce 17 mars 2015, avec une écrasante majorité. Malgré plus de mille propositions d’amendements, le texte a peu évolué au cours des débats.
Beaucoup nie que cette loi autorise le suicide assisté et l’euthanasie, pourtant Me Touraine parle « d’avancée significative », de « marche pied pour l’euthanasie »…
Notre ministre de la santé l’a décrite d’une façon qui ne peut manquer d’attiser notre volonté d’approfondir l’analyse : « c’est un renversement de la décision médicale ».
Et nous pouvons lire sur le site de l’ADMD ce 17 mars : « L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité donne rendez-vous aux Français en juin, devant le Sénat, pour dire « NON À UNE MORT DE FAIM ET DE SOIF » ».
Alors quelles nouveautés apporte cette loi ? N’est-elle qu’un « prolongement de la loi Leonetti » de 2005 ?
Considérée comme un juste équilibre par la majorité des députés, elle autorise la « sédation profonde et continue » dans certaines conditions que nous développerons plus bas.
Si le patient se trouve dans l’une des conditions citées par la loi, il peut demander cette « sédation profonde et continue » et le médecin a l’OBLIGATION d’y accéder.
En cas d’inconscience du malade, les directives anticipées s’imposent au médecin, sauf si une « décision collégiale » les juge manifestement inappropriées.
Malgré son apparence anodine ce texte ne résiste pas à un examen attentif.
Nous attirons l’attention sur plusieurs points qui constituent, sous l’apparence d’un présent, un véritable cheval de Troie.
-La distinction entre soins et traitements est renforcée par l’ajout (Art1) du mot « traitement » à plusieurs articles du code de santé publique qui évoquaient uniquement les « soins ». Cette distinction est apparue après la rédaction de la loi Leonetti. Elle a peu d’intérêt si ce n’est d’omettre l’hydratation et la nutrition artificielle pour « en finir », sous couvert de la loi, sans jugement de proportionnalité, sur l’argument de l’inefficacité de l’hydratation à guérir la maladie incurable.
-L’alimentation et l’hydratation « deviennent » des traitements (Art2)
-Ils peuvent être arrêtés en cas de maladie grave et incurable :
-sur demande,
-sur directives anticipées en cas d’inconscience,
-arbitrairement en l’absence de conscience et de directives anticipées. Ce sont tous les patients de réanimation, en EPR ou EVC qui sont concernés par cette mesure, les candidats au suicide…sur l’argument que le maintien en vie est artificiel et que la suspension des traitements engage le pronostic à court terme (Art3)
-TOUT traitement doit être supprimé en cas de sédation profonde
-L’argument de la SOUFFRANCE est le critère principal pour juger de l’opportunité d’une sédation profonde et continue. L’ambiguïté du terme, sa subjectivité, permet tous les abus.
-La suppression du deuxième alinéa et suivants de l’article L110-5, ôte de la loi la notion d’accélération de la mort comme « effet indésirable ». La règle du double effet disparait. Implicitement l’effet létal peut être désirable.
-L’introduction d’un « droit à » une fin « digne » et apaisée. Ce nouveau droit constitue donc une obligation pour le médecin. Même s’il juge que son patient est « digne » et apaisé il devra exécuter une sédation profonde et continue. La subjectivité du terme permet, une nouvelle fois, de graves abus
-La création d’un « droit à » la formation aux soins palliatifs pour les étudiants et professionnels de santé, c’est-à-dire sur demande. Ce deuxième alinéa du premier article a été arraché aux rapporteurs, mais ce qu’attendaient les députés était bien plus qu’un « droit », c’était une obligation de formation.
-Toute mesure artificielle de maintien en vie peut être arrêtée, si le patient y consent, s’il est atteint d’une affection grave et incurable. Par exemple, un diabétique, nonobstant son excellent pronostic avec traitement, pourrait obtenir une sédation le jour où il arrête son insuline, et ceci au motif que cet arrêt engagerait le pronostic vital à court terme et que ce produit est un moyen artificiel de maintien en vie.
-L’obligation pour le médecin d’associer à la sédation une analgésie, obligation non pondérée par les circonstances. En bref, sa conduite lui est dictée par la loi, non plus par une sage prudence qui permettrait de conformer ses thérapeutiques à la situation du patient. L’usage conjoint de sédatifs et d’analgésiques est connue pour réduire la marge thérapeutique, accentuer les effets indésirables.
-L’obligation pour le médecin, en cas d’instauration de sédation, d’arrêter l’hydratation artificielle, indépendamment des circonstances, de son caractère efficace, non toxique, en somme proportionné. En sachant que la déshydratation participera à un surdosage du produit sédatif et analgésique, concourant à la létalité.
-L’obligation, en cas de sédation, d’arrêter tous les autres traitements.
-La sédation, analgésie… peut être mise en place par « un membre de l’équipe médicale », à la demande du patient. Le terme s’entendant en un sens restrictif ou large, il n’est pas exclu qu’un infirmier puisse procéder seul, le médecin étant seulement consulté!
-Cette sédation peut avoir lieu à domicile autant qu’en EHPAD. Cependant :
-le niveau de formation du personnel médical et paramédical,
-le niveau du développement des soins palliatifs et
-l’absence d’infirmier la nuit dans ces lieux,
ne permettent pas d’envisager cette possibilité. Sauf si l’on veut exposer volontairement le patient à des pannes de matériel, des risques de surdosages…
-En cas d’inconscience du patient, le médecin se réfère aux directives anticipées qui deviennent contraignantes, sauf en cas d’urgence vitale et le temps d’une évaluation complète de la situation (Art8).
-Seule, une « DÉCISION COLLEGIALE » (non plus médicale, sur l’appui d’un conseil collégial), doit juger du caractère visiblement INAPROPRIÉ des directives (Art8). C’est une grave modification de la loi, entrainant une dissolution de la RESPONSABILITÉ. En effet, le médecin en charge du malade, prenait jusqu’à maintenant des décisions graves en s’appuyant sur une analyse exhaustive de la situation qui permettait de préciser l’état du patient, d’objectiver le regard et ainsi de proposer une option « sur-mesure ». Il ne s’agissait pas d’un processus démocratique de vote, mais vraiment d’un conseil collégial, en vue d’une meilleure décision du médecin. Le terme « décision collégiale » induit que le la décision est collective. Qui portera la responsabilité et les conséquences du vote ?
-Enfin, en imposant une SEDATION PROFONDE ET CONTINUE, comme unique solution à un quelconque inconfort ou souffrance, sans exiger l’emploi préalable de TOUT l’arsenal thérapeutique, sans exiger la qualité de cet usage, on oblige le médecin à l’emploi de solutions manifestement disproportionnées.
Il n’est pas prévu de CLAUSE DE CONSCIENCE, ni pour les médecins, ni pour les infirmiers, encore moins pour les pharmaciens.
Il s’agit donc bien d’un renversement de la décision médicale.
Lors des débats, un élément important est ressorti à plusieurs reprises : les patients sans capacité relationnelle ne sont pas « tout à fait vivant », l’hydratation et l’alimentation relèvent dans ce cas de l’acharnement thérapeutique… Nous vous laissons deviner quelle « avancée » est promise. Et puis demain ce seront les hémiplégiques, après demain les aphasiques, puis ceux qui présentent le gène BRCA1…
FIN DE VIE : Appel des soignants pour une clause de conscience
par Convergence Soignants-Soignés, 19/03/2015
Chers confrères,
La proposition de loi « Fin de vie » doit être amendée pour empêcher toute forme d’euthanasie.
En tant que professionnels de santé, nous exprimons nos plus vives inquiétudes sur les dangers contenus dans la proposition de loi Claeys-Leonetti votée par l’Assemblée nationale en première lecture le 17 mars 2015.
La sédation en phase terminale visant à mettre fin à des douleurs réfractaires constitue un acte médical exceptionnel, mais légitime. Cependant, le « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès », dans certaines des conditions prévues par ce texte, rend possible une euthanasie qui ne veut pas dire son nom, en liant obligatoirement sédation avec décès, alors que la sédation a pour but de soulager et d’apaiser dans un moment difficile. Par nature, elle est réversible, même si elle est susceptible d’accélérer le décès du patient selon le principe du double effet. Pratiquée à la suite de directives anticipées devenues contraignantes, elle deviendrait dans certains cas une réponse obligée à des demandes de suicide assisté.
Nous déclarons solennellement qu’il n’est pas dans la mission des professionnels de santé de « provoquer délibérément la mort » (cf. article 38 du Code de déontologie médicale).
L’interdit de tuer doit rester le fondement de la relation entre soignants et soignés, à la base du contrat de confiance qui nous lie aux personnes malades ou en fin de vie, en particulier les plus vulnérables d’entre elles.
Nous demandons en conséquence : – Que le Sénat améliore le contenu de cette loi, pour lever ses ambiguïtés et réaffirmer le principe d’interdiction de donner intentionnellement la mort ; – Qu’à défaut, une clause de conscience explicite pour l’ensemble des professionnels de santé soit votée.
Merci pour votre soutien.
Professeur Olivier Jonquet, Médecin réanimateur, professeur à la faculté de médecine de Montpellier, et porte-parole de l’association Convergence soignants-soignés.
Docteur François Bertin-Hugault, Médecin des hôpitaux en service de neuro-cardio-gériatrie, et porte-parole de l’association Convergence soignants-soignés.
Sur la Proposition de loi (N° 2512) créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (Séance publique du 10 mars 2015)
Suite aux conclusions du rapport qu’ils ont remis au Chef de l’Etat le 12 décembre dernier, Jean Leonetti, député UMP, et Alain Claeys, député PS, ont déposé une proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, qui sera examinée en séance publique à l’Assemblée nationale le 10 mars prochain.
Le mouvement Soulager mais pas tuer, qui rassemble des citoyens professionnels et usagers de la santé opposés à toute forme d’euthanasie ou de suicide assisté, tient à souligner les ambiguïtés et les dangers de ce texte, et à faire des propositions pour l’améliorer.Cette proposition de loi est dangereuse, elle contient des zones floues sur plusieurs points essentiels.
1. La sédation profonde et continue jusqu’au décès
a) L’article 3 introduit une grande ambiguïté dans l’utilisation de la sédation. Le but classique de la sédation, telle que préconisée par les recommandations de bonnes pratiques, est jusqu’à aujourd’hui la diminution la perception de la douleur, souvent lors de détresse terminale, lorsque tout autre recours a montré ses limites. Le risque d’abréger la vie est accepté, mais non recherché. Ces sédations plus légères et réversibles permettent de maintenir une relation (même intermittente) avec le patient, relation qui est aussi thérapeutique, relation qui est précieuse pour les proches et la famille du patient. Elles peuvent être efficaces et suffire au but recherché : soulager. Leur nécessité est soumise à des réévaluations régulières et elles peuvent ainsi être levées ou prolongées. L’introduction d’une sédation dite « profonde et continue jusqu’au décès » donne un caractère irréversible à la sédation. La mise en place systématique d’une telle sédation enlève des possibilités thérapeutiques pour le patient qui se trouve perdant. En effet, ce traitement ne permet plus l’intervention de professionnels dont l’écoute et l’action fait pleinement parti de la prise en charge palliative (psychologues, kinésithérapeutes, hypnose, etc). Modifier ainsi la loi aboutit à nier l’importance de la parole et de la relation pour le soulagement des patients.
b) La proposition de loi ajoute un élément qui rend plus confus le but poursuivi par la sédation. En effet, les objectifs de cette nouvelle forme de sédation sont « d’éviter toute souffrance » et « de ne pas prolonger inutilement sa vie ». « Eviter toute souffrance », c’est effectivement le but des soins palliatifs, objectif de la sédation utilisée jusqu’à aujourd’hui lors de détresses terminales. Mais « ne pas prolonger inutilement la vie » induit l’idée que l’utilité d’une vie intervient dans la décision médicale : cette expression rend confuse l’intentionnalité de la sédation, engendrant clairement un risque euthanasique.
c) De plus, l’obligation d’engager la sédation quand le patient demande l’arrêt d’un traitement qui le maintient en vie (prévu dans le cas n°2) ouvre clairement la porte à des dérives. Compte tenu du flou de l’expression « maintien artificiel de la vie », des patients qui ne sont pas en fin de vie pourront provoquer leur mort dans un délai rapide, ce qui introduit une forme de suicide assisté dans notre législation.
Nous demandons : * d’affirmer la priorité donnée à la notion de sédation réversible, si aucun autre traitement médicamenteux ou non médicamenteux ne s’est avéré efficace. * d’écrire clairement dans la loi que la sédation est un traitement exceptionnel, qui doit avoir pour but de soulager mais pas de tuer, afin qu’elle ne constitue pas une forme d’euthanasie déguisée. * d’ouvrir un droit à une objection de conscience pour le personnel médical, face à une demande de sédation qu’il considérerait comme une demande indirecte d’euthanasie ou de suicide assisté. Cela afin de permettre au médecin de soigner sans se trouver dans l’obligation de donner la mort.
2. L’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation
Bien qu’en phase terminale cet arrêt soit parfois nécessaire et souhaitable afin de ne pas effectuer de gestes d’obstination déraisonnable irrespectueux, il est injuste de définir l’alimentation et l’hydratation artificielles exclusivement comme des traitements. Elles sont aussi des soins dus aux personnes qui ne sont pas en toute fin de vie, mais qui peuvent être atteints par une affection grave et incurable. Comme l’a déclaré le CCNE, repris par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 24 juin 2014 : « Le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne caractérise pas à soi seul – soulignons, à soi seul – un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable ». Préconiser l’arrêt systématique des traitements en fin de vie n’est en outre pas légitime. Certains traitements, si leur usage n’est pas délétère à l’état du patient, s’ils ne sont pas démesurés, peuvent s’avérer utiles. Leur arrêt peut être sous-tendu par une intentionnalité d’abréger la vie.
Nous demandons : * de clarifier le but de certains arrêts d’alimentation et d’hydratation, en refusant qu’ils puissent avoir comme objectif de provoquer la mort au prétexte qu’ils constitueraient un maintien artificiel de la vie. * d’écrire que l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation ne doit être préconisé que si leur apport se trouve délétère pour le patient, mal supporté. En outre, l’arrêt de l’un ne doit pas systématiquement engendrer l’arrêt de l’autre (une hydratation peut être bien supportée, même si l’alimentation ne l’est plus). * de distinguer dans la loi les cas où le patient est en fin de vie et les cas où il n’est pas en fin de vie.
3. Les directives anticipées
L’article 8 les rend applicables non plus trois ans comme auparavant, mais à vie. Il est bien évidemment essentiel de développer la prise en compte de la demande du patient. Mais une validité permanente entraîne le risque de voir appliquées des directives n’ayant plus aucun lien avec les situations vécues par les patients ; elle nie l’évolution psychique des personnes, la capacité de résilience dont témoignent les soignants et les familles des personnes en fin de vie. Pour l’éviter, il faudrait que chacun pense à réactualiser ses directives. De plus, les directives contraignantes transforment le médecin en simple prestataire de service, alors qu’elles pourraient contenir des demandes illégitimes ou illégales.
Nous demandons : * de préciser dans la loi que ces directives ne peuvent pas contenir des dispositions contraires au Code de déontologie médicale.
Euthanasie, la «bonne mort» qui anesthésie les consciences
par Gilles FREYER, Professeur de cancérologie au CHU de Lyon, 17/02/2013 (extraits)
...Mourir dans la dignité. Comment réfléchir au-delà de cet encombrant poncif ? La dignité serait donc, de façon inacceptable et surtout irrémédiable, altérée par la souffrance physique et psychique, la dégradation du corps, la perte de l’autonomie. Pourtant, chaque jour, le dévouement des équipes formées aux soins palliatifs, l’héroïsme et la solidarité des proches font reculer la souffrance. Dans la mort même, avec ou sans espoir d’éternité, tous retrouvent avec les mourants la dignité de leur condition commune. Il n’est pas sûr que, par l’euthanasie, l’effacement brutal de la mort, devenue obscène pour nos contemporains, préserve cette sérénité si chèrement conquise sur l’injustice. Qui enfin osera parler de la dignité des soignants «convoqués» par la loi, souvent en marge d’une société hédoniste qui les voudrait instruments de son très matérialiste désir d’immortalité ? ... Il faut vingt ans pour former un bon spécialiste de soins palliatifs. Il ne faut que cinq minutes à n’importe qui pour pratiquer une euthanasie. ...
La loi stipulera qu’un praticien pourra refuser de pratiquer une euthanasie ; un autre alors le fera à sa place. Qu’adviendra-t-il donc si tout un service s’y refuse ? Créera-t-on un nouveau corps de soignants spécialistes en euthanasie ? Le propos n’est pas excessif : la création d’unités mobiles, y compris à domicile, a été sérieusement imaginée aux Pays-Bas par l’association Right to Die - Netherlands et des voix commencent à s’élever pour promouvoir l’euthanasie chez des personnes âgées, même éventuellement indemnes de maladies ou tout simplement atteintes d’une démence de type Alzheimer. Après l’eugénisme de triste mémoire, voici l’eubiotie, la vie qui vaut le coup d’être vécue, la vie digne. Mais selon quels critères ?
Une loi n’est pas faite pour traiter des cas particuliers ou exceptionnels. Elle n’a de sens que si son existence procure, au total, davantage de bienfaits que son absence. Consécration de la technoscience médicale au service du libre choix du patient pour les uns, elle devient une dangereuse généralisation de cas extrêmes pour les autres. Les dégâts collatéraux potentiels de ce «progressisme» social sont nombreux : dérive par incompétence du soignant - je ne sais pas soulager la souffrance, donc j’y mets fin -, dérive par conviction personnelle et prosélytisme, en face de malades vulnérables que l’on peut facilement convaincre ; dérive socio-économique, car un mourant qui s’éteint doucement coûte cher et épuise les soignants, accusés de gaspiller les ressources. Bien sûr, la loi garantira la collégialité des décisions et la multiplicité des précautions. Mais aucune collégialité, aucune expertise, aucune procédure administrative, aussi sophistiquée soit-elle, ne préviendra la dérive globale, imperceptible et progressive, d’un système aussi abusivement consensuel. Sans retour en arrière possible pour les victimes de gestes inconsidérés, car la bonne mort (eu-thanasie) sous perfusion anesthésiera aussi les consciences. C’est ainsi qu’une régression sera vécue comme un progrès.
Faut-il, à un prix sociologique et humain aussi élevé, vouloir à tout prix qu’une loi s’insinue à ce point dans les méandres du particulier, de l’intime ? Le choix du personnage des Invasions barbares, le beau plaidoyer de Denys Arcand, n’est-il pas finalement de mourir sans les médecins, mais avec les siens ? L’unanimité du moment porte en elle-même son incongruité démocratique. En vingt ans de pratique cancérologique, je n’ai jamais reçu une seule demande d’euthanasie ferme, réitérée, irrévocable. Mais j’ai passé beaucoup de temps au chevet des mourants, ce qui n’a rien rapporté à mon hôpital, soumis à la «tarification à l’activité». Demain, quelle que soit la loi, nul ne périra simultanément de ma main et par ma volonté. Ne laissons pas l’ignorance faussement civilisatrice gagner le cœur des hommes.
Gilles FREYER Professeur de cancérologie au CHU de Lyon
RESPONSABILITÉ LIBÉRATRICE OU LIBERTÉ IRRESPONSABLE
par le Docteur Bertrand Galichon, 28/01/2015
Voilà la tension dans laquelle se situe notre société française aujourd’hui. Laissons de coté la liberté d’avoir ou de faire, il ne s’agit que de mirages, réduits à une simple liberté de choix dans un contexte prédéfini. Je choisis là où on me dit de choisir. Notre seule source fondamentale, spirituelle est notre liberté d’être. Cette liberté ontologique fonde notre humanité, notre dignité. Relisons la Genèse !
Liberté
La liberté de faire sans la liberté d’être est une illusion, une perte d’humanité surtout dans une société libérale qui n’entend que notre utilité consommatrice. « Etre libre » ne se limite pas à un choix mais se dit dans une résolution inaliénable, vitale et responsable. Et comme il ne peut y avoir de responsabilité sans liberté, il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité. Je ne pense pas comme certains auteurs qu’il faille en faire des synonymes. Nous devons au contraire rester dans cette tension qui dit tout notre humanité. Où plaçons-nous le curseur pour faire en sorte que notre liberté commence avec celle de l’autre. « Je me dois à toi », Levinas avait fondamentalement raison. Nous aurions tendance à l’enterrer une deuxième fois !
Responsabilité
Les événements terroristes de ce mois de janvier et la troisième révision de la loi Léonetti nous invitent à reconsidérer notre responsabilité, notre liberté et par là même notre dignité. Est-ce que je me dois à l’exclus ? Est-ce que je me dois au plus faible en fin de vie ? La signification essentielle de nos vies est dans la réponse que nous apportons à ces interrogations avec un grand risque de déni d’humanité.
La question est donc aujourd’hui : sommes-nous capables d’une raison honnête en mesure de répondre à la charge émotionnelle manifestée par la France à telle ou telle occasion? Avec ces attentats, notre indifférence ontologique que nous voulons masquer sous couvert d’égalité libérale ou libertaire nous pète aujourd’hui à la gueule. Et nous sommes loin d’une réponse ajustée. Retournez la dernière « une » de Charlie Hebdo et vous verrez que « c’est pas gagné »… De la même manière ne voulant pas voir en face l’humanité de la fin de la vie, allons-nous la nier par l’euthanasie ou de façon plus soft, plus silencieuse par la sédation continue terminale ? Ne vous inquiétez pas nous allons doucement glisser de la sédation en phase terminale à la sédation terminale. Vous n’allez rien sentir !
Laïcité
La laïcité n’est pas là pour nier, pour étouffer la dimension spirituelle de l’Homme dans une sphère privée réduite au silence. Elle doit s’engager pour que cette spiritualité puisse se dire en toute liberté et responsabilité. Ma liberté est d’être moi-même pour l’autre. Que puis-je apporter à l’autre si je suis cet autre ? Que puis-je lui apporter si je me fonds avec lui dans une émotion « correctement sociétale et cathodique». Ainsi, je ne suis pas Charlie mais avec. Et ce d’autant plus que j’ai pu accueillir aux urgences des blessés de cet attentat et toucher du doigt qu’entre eux et nous soignants un indicible nous séparait. Ils arrivaient d’un ailleurs qui fait que je ne pouvais qu’être respectueusement avec. Je soutiens d’autant plus Charlie Hebdo que je ne suis pas Charlie. Je considère qu’entre humour et satire il y a une intention séparant ces deux mots comme un curseur. Nous ne pouvons pas même dans un souci d’égalité libertaire gommer cette différence. Les dessins de Charlie Hebdo sont-ils la pointe de l’expression d’une laïcité libérée?
Il ne faut pas que nous fassions de la laïcité une valeur d’égalité mais au contraire et avant tout une valeur de liberté. Nous avons trop tendance à vouloir être égalitaires et ne voir qu’une seule tête bien normée. L’équité n’est pas le fort de cette laïcité à la française ajustée au plus petit dénominateur commun ! Faisons donc de l’écologie en préservant notre humaine diversité ! Cultivons plus encore la subtile intelligence qui doit faire dialoguer liberté, égalité et fraternité !
Spiritualité
La spiritualité est le cœur vivant de tout homme, la source de cette intelligence nécessaire. Ce souffle vital en est la marque exclusive. Elle exprime toute notre dignité. Il est soulageant, émondant d’en rire. Mais, il est méchant d’en faire la satire. Faisons attention, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de glisser d’un mot sur l’autre et de masquer ainsi nos intentions premières. Préservons cet essentiel qui fait sens.
Euthanasie: témoignage d'une psychologue sur la fin de vie
par Claire Pellissier, 21/01/2015
FIGAROVOX/TRIBUNE - La fin de vie est aussi une période de développement personnel accéléré et de renforcement des liens constate la psychologue Claire Pellissier. Elle alerte donc sur le risque d'escamotage de cette partie de l'existence.
Claire Pellissierest psychologue clinicienne, présidente de l'Association pour la Protection des Soins Palliatifs contre l'Euthanasie et porte-parole du collectif «Soulager mais pas tuer».
Le mercredi 21 janvier, nos députés se réunissent dans le cadre d'un débat déterminant pour l'avenir de la loi sur la «fin de vin». Seront discutées les récentes propositions du rapport Claeys-Leonetti, remis en décembre 2014 au Président de la République. La question d'une généralisation de l'usage de la sédation sera abordée. Il est probable que le sujet d'une légalisation claire de l'euthanasie et/ou du suicide assisté soit également discuté.
Mon activité de psychologue en soins palliatifs me confère une mission d'écoute et d'accompagnement des patients et de leurs familles. Dans ce cadre j'ai découvert, avec une certaine surprise, que la période de fin de vie, qu'elle soit longue ou courte, n'est jamais uniforme. Elle est un chemin, un processus que l'on ne peut prévoir. Je me souviens de l'entrée d'une femme en unité de soins palliatifs. Son fils, attentif à la situation de sa mère, disait aux soignants: «je vous préviens, elle ne va pas supporter la perte d'autonomie, la perte de la marche, la douleur, elle a toujours eu peur d'avoir mal.» Il demandait une sédation rapide, insistant pour que «les choses ne durent pas». Sa maladie évoluant, cette femme a effectivement souffert, en rencontrant les premières pertes décrites par son fils. Mais peu à peu, grâce notamment au travail d'écoute et d'accompagnement renforcé de l'équipe soignante, cette personne s'est révélée, elle a pu exprimer ses fortes angoisses liées à la dépendance physique, leur donner du sens, s'en trouvant ainsi apaisée, réconfortée. Sa personnalité s'est épanouie en peu de temps, soignants et proches en ont été les témoins. «Je ne l'ai jamais vu aussi vivante» nous disait son fils, quelques jours avant sa mort.
Cet exemple est représentatif d'une réalité trop souvent passée sous silence. Oui, la fin de vie est une période difficile, souvent traumatisante pour le malade, ses proches et pour les soignants. Mon expérience de psychologue me montre que les derniers instants sont aussi une «belle période», un temps de développement personnel accéléré, intense, permettant souvent une maturation personnelle et un renforcement des liens familiaux. Encore faut-il qu'un accompagnement bienveillant et professionnel soit proposé, ce qui milite en faveur d'un développement massif des soins palliatifs dans notre pays. Encore faut-il qu'on laisse le temps au temps, qu'on laisse aux personnes une chance de vraiment vivre jusqu'au bout.
Beaucoup de soignants, dont je fais partie, s'inquiètent en entendant que le rapport Claeys-Leonetti souhaite faire de la sédation une pratique de routine, administrable au patient, à sa propre demande. On passerait ainsi d'une solution de dernier recours, administrée après décision collégiale, comme le prévoient les textes actuels, à une pratique comme une autre, soit disant destinée à soulager des angoisses, inévitables en fin de vie. Proposer à une personne vulnérable, vivant ce temps d'épreuve, un sommeil rapide revient à lui indiquer une «ornière» dans laquelle elle risque fort de s'engouffrer, acceptant un soulagement immédiat. Il s'agit d'une «paresse professionnelle», comme l'exprimait un médecin en soins palliatifs, voire d'une attitude d'abandon médical et humain. Plus grave, il me semble en temps que psychologue que «faire taire» des gens fragiles en généralisant la sédation, nous fait courir le risque de les priver de la chance de vivre jusqu'au bout, d'escamoter cette période si précieuse dans la vie de l'Homme.
Concernant la question de la légalisation, sous une forme ou sous une autre, de l'euthanasie et du «suicide assisté», je partage l'avis de la majorité de mes collègues soignants qui chaque jour prennent soin des patients concernés par ces propositions. Comme eux, j'ai constaté au cours de mes années de pratique que l'immense majorité des patients ayant initialement demandé «à ce que cela ne dure pas trop longtemps», voire ayant demandé à mourir, revenait sur leur décision lorsqu'ils bénéficiaient d'un accompagnement bienveillant et de qualité.
Au lieu de banaliser la sédation, au lieu de tomber dans le piège de la légalisation de l'euthanasie et du «suicide assisté», développons de façon volontariste les soins palliatifs et la formation aux traitements contre la douleur. Qu'aucun de nos concitoyens ne meurt abandonné, dans l'angoisse. Que chacun puisse bénéficier d'un accompagnement attentif. C'est ainsi que notre République montrera qu'elle honore vraiment le troisième mot de sa devise, que la fraternité est toujours bien vivante dans notre pays.
Refuser le raccourci mensonger d’une euthanasie par sédation profonde
par Jean Fontant, Interne, président de l’association Soigner dans la dignité, 09/12/2014
Nous sommes plus de 500 étudiants en médecine de toute la France, regroupés au sein de l’association Soigner dans la dignité pour encourager la réflexion et la formation sur la fin de vie.
Nous voulons lutter contre les peurs entourant la fin de vie, la défiance entretenue par certains contre le corps médical, et contre un préjugé destructeur : non, on ne meurt pas en France dans d’atroces souffrances, les solutions existent mais manquent de moyens et de visibilité.
Les lois sur la fin de vie ne sont pas assez connues et appliquées. Ce constat unanime motive certains pour demander un nouveau texte. Nous refusons cette démarche. Le cadre actuel de 2005, reconnu et estimé à l’étranger, ouvre une troisième voie raisonnable entre acharnement thérapeutique et euthanasie. La priorité est de faire connaitre cette loi, et non d’en écrire une nouvelle.
Alors que le rapport que vont rendre prochainement Jean Leonetti et Alain Claeys à l’Assemblée Nationale devrait proposer des changements importants dans ce domaine, il nous semble important de revenir sur le cas de la sédation en phase terminaled’une maladie.
Ce procédé consiste à faire baisser la vigilance du maladede manière réversible dans les situations extrêmes desouffrances liées à une angoisse forte, de détresse respiratoire ou de très rares douleurs réfractaires au traitement antalgique. Ce protocole n’intervient qu’en dernier recours, il concerne une très faible proportion des personnes accompagnées en soins palliatifs. En effet, les médicaments utilisés sont néfastes pour l’organisme, et peuvent abréger la vie du patient par ailleurs.
La loi encadre l’utilisation de tels produits. S’applique alors le principe du double effet : un tel acte médical n’est possible que si l’intention et la volonté du médecin sont d’apaiser les souffrances de la personne, et non d’abréger sa vie. Le critère d’intentionnalité introduit ici ne se réduit pas à un concept moral, au contraire. L’intention qui préside à la mise en place d’un traitement régi par le double effet est visible dans les doses mises en place. Les médecins recherchent en effet la plus faible dose efficace, pour minimiser les effets secondaires du produit.
Nous sommes alertés par certains propos tenus actuellement à propos de la sédation. On nous parle notamment d’un « droit à la sédation profonde et terminale », évacuant le principe du double effet. On autoriserait alors très clairement le médecin à donner la mort à son patient, en conscience. Il pourrait ainsi utiliser un sédatif à forte dose, sans que la loi ne prenne en compte son intention. Nous refusons le raccourci mensonger et malheureux d’une euthanasie par sédation profonde, hypocritement déguisée sous ce nom de sédation terminale. Cette mesure n’est pas un ajustement. Elle franchit une limite dangereuse : nous entrons dans la logique euthanasique.
Nous payons aujourd’hui le lourd tribu du manque critique de praticiens formés et disposant des moyens nécessaires à accompagner le mourant dans le respect de sa dignité d’homme. Nous, soignants de la France de demain, voulons être une force de proposition au service d’une médecine à visage humain. Nous constatons l’urgence d’informer nos concitoyens sur la loi. Nous désirons être formés à l’accompagnement et refusons toute mesure qui donne au médecin le pouvoir de mettre fin à la vie de son patient. Notre vocation de médecins reçue d’Hippocrate est de « guérir parfois, soulager souvent, réconforter toujours ». Nous sommes au service de nos patients, nous ne voulons pas d’une médecine qui distille la vie ou la mort à volonté.
Pourquoi vous resservir la question de la dignité au risque de vous en lasser ?
Première raison : l’actualité nationale.
Le rapport de la « Commission Léonetti – Claeys » qui va proposer de nouvelles réflexions pour orienter la troisième révision de la loi d’avril 2005. Inévitablement la dignité va se trouver au centre des débats, tiraillée dans un sens ou dans un autre ou un troisième.
Deuxième raison : l’actualité associative.
Le hasard fait bien les choses à quelques jours de la publication de ce rapport, en plusieurs endroits des hommes et des femmes, chrétiens pour la plupart, se sont interrogés sur notre fin de vie. Le groupe « Questions de médecine» aux Bernardins a consacré sa troisième soirée du trimestre au « mourant parfait », après avoir envisagé le bébé parfait et le malade parfait. La dignité était au centre des réflexions. Jacques Ricot, par son regard philosophique, a permis de définir les contours de notre débat en décrivant ceux de la dignité. Ce week-end, l’association « Confrontations », a consacré deux journées sur les relations humaines en fin de vie. Là aussi nous avons tourné autour de cet essentiel tronqué.
Pourquoi tronqué ? Car il reste un « OND », un objet non défini. J’emploie aussi ce mot tronqué pour vous renvoyer au très bon livre écrit par Louis Puybasset et Marine Lamoureux « Ethique, le débat tronqué ».
« Tronqué » car l’objet du débat est insaisissable. Ainsi ce haut dignitaire reçoit des mains de la société les marques de sa dignité car il a su se montrer digne de la mission confiée. Mais s’il devait un jour en devenir indigne, je l’affirme avec dignité et assurance : il n’en perdra pas pour autant sa dignité. Ainsi, l’indigne dignitaire garde sa dignité.
Vous avez parfaitement reconnu les différents déplacements infligés au mot dignité sans pouvoir pour autant le définir. Voici cette pointe insaisissable qui donne toute sa gravité à notre humanité et nous sommes incapables de la définir, chacun voyant midi à sa porte. Dans une soif d’instrumentalisation, nous la réduisons à des concepts opérationnels obligatoirement simplistes. Ainsi, notre dignité s’en trouve amputée, vidée de son sens. Elle ne peut plus dire sa complexité, ni son mystère si essentiel pour notre liberté.
Jean-Guilhem Xerri, dans son dernier livre « A quoi sert un chrétien » (Editions du Cerf) nous dit à juste titre que l’homme moderne est confronté à une « crise d’intériorité » (p. 234). Mais j’irai plus loin, il traverse une « crise de dignité ». L’homme moderne est convaincu que sa dignité fonde son humanité, et inversement. Il ne peut plus ou ne veut plus en nommer la source… Le voilà tournant en rond sur lui-même. Aussi l’homme moderne se trompe de combat en voulant reconnaître sa dignité dans plus de performances brillantes au risque d’éliminer le plus faible. Il se doit au contraire d’approcher sa dignité en explorant plus avant son humanité. Mais cela suffit-il, comme nous le rappelle Rémi Brague?
Troisième raison : l’actualité liturgique.
À défaut de pouvoir préciser notre dignité, cherchons en la source qui la rend inaltérable, inconditionnelle. Quel est le pourquoi de cette dignité ontologique ? Clin d’œil du Ciel, ce débat sur la dignité s’invite en plein temps de l’Avent. Cette fête de Noël nous dit certes l’Emmanuel. Mais aussi, elle nous invite à méditer le mystère de l’Incarnation. Dieu se fait homme, pas par coquetterie ou soif d’aventures, mais pour nous dire que l’homme porte en lui une part de divin. Le Christ, chemin de vie, est pour nous humains chemin de divinité. Notre unité est le fruit de notre humanité et de notre divinité. Notre dignité ontologique est justifiée par cette unité unique, irremplaçable. Notre divinité justifie notre dignité. Notre humanité n’en est que l’expression tronquée, inachevée. Médecins chrétiens (du CCMF ou non !), nous devons rester vigilants et toujours considérer que le souffle spirituel est essentiel à la vie.
Louis Puybasset et Marine Lamoureux, Ethique le débat tronqué, Calmann Levy,Paris 2012.
Jean-Guilhem Xerri, A quoi sert un chrétien, les Editions du Cerf, Paris 2014.
La vie et non la mort: pourquoi l'euthanasie et le suicide assisté doivent être interdits
par Coalition des médecins pour la justice sociale, 21/11/2014
Le 6 novembre 2014, un souper avec conférence éducative intitulée "La vie est belle" a été parrainé par la Coalition des médecins pour la justice sociale. Plusieurs orateurs de renommée internationale ont décrit les dangers et les abus de l'euthanasie pour les personnes parvenue en fin de vie.
Dr Balfour Mount, fondateur des soins palliatifs en Amérique du Nord, et un chirurgien oncologue McGill a survécu à deux cancers potentiellement mortels (testiculaire et de l'oesophage) avec un pronostic du plus récent de moins de 5%. Il a contesté la terminologie ambiguë utilisée par les promoteurs de l'euthanasie qui empruntent le terme «aide médicale à mourir» comme une «distorsion lâche de la langue sans jamais mentionner l'euthanasie. L'objectif des soins palliatifs est la vie et non la mort, comme dans le cas de l'euthanasie et du suicide assisté.»
Dre Margaret Somerville qui est professeure et directrice fondatrice du Centre de médecine, d'éthique et de droit à l'Université McGill, a décrit l'euthanasie comme la violation d'une tradition de 2500 ans par lequel les médecins ne tuent pas leurs patients et un "changement radical dans les valeurs fondamentales de la société .» Elle a souligné que : « l'euthanasie n'est pas un traitement médical. » Selon le Dr Somerville, «les deux institutions qui portent la valeur du respect de la vie sont le droit et la médecine. La loi dit que vous ne devez pas tuer. La médecine dit nous nous soignons toujours, nous guérissons souvent, mais nous ne tuons jamais ».
Danielle Robert a décrit comment la paralysie de son père (un pilote) causé par un accident d'hélicoptère, l'a motivée à devenir une musicothérapeute. " Nous n'avons pas demandé quand la vie serait belle à nouveau, mais nous avons dit comment pouvons-nous rendre la vie belle maintenant, "
Dre Sylvia Baribeau, un médecin de famille a décrit la guérison des relations rompues qui seraient court-circuitées par l'euthanasie.
Dr Ron Olivenstein, directeur médical de l'Institut thoracique de Montréal affirmait que ceux avec des troubles neurodégénératifs cherchaient rarement cette option si ils sont bien soignés.
Le psychologue clinicien Pierre Faubert a décrit l'importance de vivre jusqu'à la fin avec l'amour et que le véritable amour ne terminait pas une vie.
Nathalie Massé qui prenait soin de sa mère décédée en Janvier 2014 d'un cancer terminal, a décrit comment cette expérience les a rapprochées avec un amour intense.
Le 5 juin 2014, le Québec a adopté la loi sur «l'aide médicale à mourir»". La partie de la loi sur l'euthanasie ressemble à la loi belge. Au départ l'euthanasie (qui est l'injection d'une substance létale pour mettre fin prématurément à la vie d'une personne) devait être pratiquée sur les adultes avec une maladie en phase terminale. Présentement, elle a été étendue aux personnes dépressives et fatiguées de la vie. Depuis le 13 février 2014, la Belgique a autorisé l'euthanasie chez les enfants. De la même façon, en septembre 2013, au Québec la Commission des droits de la personne et de la jeunesse a recommandé d'étendre l'euthanasie pour certains enfants. À ce moment précis, il faut rappeler que l'euthanasie (1) n'est pas un traitement médical, (2) ne fait pas partie des soins palliatifs, (3) est contraire au code de l'éthique du Québec, (4) est contraire aux normes et conventions internationales de santé, y compris pour l'Association médicale mondiale, (5) est dangereuse comme forme de pratique médicale à cause des erreurs de diagnostic jusqu'à 20% et des erreurs de pronostic jusqu'à 50% et (6) ne peut pas suivre de balises sécuritaires. Par exemple en Belgique, 32% des personnes euthanasiées subissent cette procédure sans le consentement du patient ou de sa famille. Pour ces raisons, les soins palliatifs doivent être adoptés pour les soins en fin de vie. L'euthanasie et le suicide assisté doivent être interdits.
Pour plus d'informations:
Organisation: Coalition des médecins pour la justice sociale Adresse: 1212, rue Panet Montréal, Québec Canada, H2L 2Y7 coalitionmd.org
Interview Doubs : «Je suis opposé à l’euthanasie pour des raisons médicales, philosophiques et juridiques»
par José GONZALVEZ, 24/10/2014
Montbéliard. Eminent spécialiste de la question de la fin de vie, le Dr Bernard-Marie Dupont était invité par le comité d’éthique de la maison Blanche, à Beaucourt, à donner une conférence devant les personnels soignants de l’Aire urbaine.
L’Est Républicain : Un sondage BVA nous apprend que neuf Français sur dix se disent favorables à l’euthanasie. Qu’en pensez-vous ?
Dr Bernard-Marie Dupont : D’abord, je me méfie des sondages. Ainsi, un autre sondage réalisé la semaine dernière par trois organes de presse sur les progrès de la médecine a produit des résultats qui laissent perplexes. Un sondé sur deux dit en substance que les progrès de la médecine doivent servir à lutter contre la mort ! Donc, d’un côté, les gens sont favorables à l’euthanasie et, de l’autre, ils disent qu’il faut lutter contre la mort. Vous voyez que cette question de fin de vie est quelque chose d’extrêmement confus, le vocabulaire employé est lui-même complexe, puisqu’on parle tantôt d’euthanasie, tantôt d’arrêt des soins, de sédation, de soins palliatifs et j’en passe. Pour revenir aux sondages, tout dépend de la manière dont la question est posée.
Vous êtes vous-même catégoriquement opposé à la légalisation de l’euthanasie. Pourquoi ?
Je suis opposé à l’euthanasie pour des raisons médicales, philosophiques et juridiques. Pas du tout pour des motifs religieux et encore moins idéologiques. Je n’ai rien à voir avec ceux qui manifestent contre l’avortement par exemple. En réalité, l’euthanasie est une question extrêmement complexe et terrible.
L’affaire Vincent Lambert, d’un côté, et le procès du Dr Nicolas Bonnemaison, de l’autre, donnent une image brouillée de la problématique de la fin de vie en France. Où en sommes-nous clairement aujourd’hui ?
Justement, ce n’est pas clair du tout ! C’est le gros brouillard au contraire. Mais je dirais qu’il s’agit de deux affaires différentes. Le Dr Bonnemaison a agi sans en parler ni aux patients, ni au personnel de son service, ni aux familles. Il a mis fin à la vie de sept patients sans avoir recueilli leur consentement. D’un point de vue juridique, c’est un crime et je comprends l’avocat général qui fait appel du verdict d’acquittement, car il ne peut pas faire autrement.
L’affaire Lambert est extrêmement complexe médicalement. S’ajoutent des problèmes familiaux terribles. Mais cela dit, si Vincent Lambert est en vie, c’est le résultat des progrès de la médecine. La question ne se serait pas posée il y a cinquante ans. Il n’y aurait pas eu d’affaire Lambert. C’est important de considérer le fait qu’on va avoir de plus en plus de gens dans cette situation. La question posée est donc celle de la notion de progrès de la médecine et celle aussi de l’attitude de la société face à ces gens-là. Est-elle en état de les accepter, ces gens qui sont jeunes, en bonne santé, mais qui coûtent cher ? Ça va faire exploser les références ! Mais une chose est sûre : ce n’est là que le résultat des progrès de la médecine !
Et vous êtes convaincu que la société n’est pas prête à les accepter ?
Je pense qu’on a fait le choix, pour des raisons économiques, d’éliminer ceux qui coûtent plus cher qu’ils ne rapportent. On a inventé le 4e âge, c’est quelque chose d’effarant, de jamais vu. Aujourd’hui, l’espérance de vie est de 86 ans pour une femme. Une femme sur deux qui naît aujourd’hui a toutes les chances de devenir centenaire ! Mais forcément, on va découvrir des pathologies liées au grand âge et créant de la dépendance. Or personne ne maîtrise le financement de tout ça. Ce qui fait que les enfants auront la responsabilité de deux générations : leurs parents et leurs grands-parents. On a calculé le coût pour la société de chaque année de vie gagnée : il est de 211.000 €. Qui va payer ? Donc, pour des raisons évidentes d’économie de santé, on pratiquerait massivement si l’euthanasie était légalisée ! On voit bien l’exemple de la Belgique : la loi autorise l’euthanasie et elle était censée tout verrouiller. Or, au vu des questionnements qui agitent la société belge, on est en droit de s’interroger si l’euthanasie ne va pas être le moyen de vider les prisons de tous les délinquants sexuels ?
La loi Leonetti est-elle suffisante ? Peut-elle et doit-elle évoluer ? Si oui, dans quel sens à votre avis ?
J’ai dit, et cela en présence de Jean Leonetti, que cette loi était mal écrite. Si j’étais député, je demanderais son abrogation, car on peut en faire deux lectures contradictoires. Cette loi est confuse, écrite dans la précipitation, surtout destinée à protéger le corps médical. Personnellement, je ne vois que cette évolution-là : l’abrogation.
A partir de quel stade peut-on parler d’acharnement thérapeutique ?
J’ai lu récemment que 100 % des Français sont contre l’acharnement thérapeutique. Mais, qu’est-ce que l’acharnement thérapeutique ? Une forme de prise en charge qui irait au-delà de l’intérêt du patient ? Mais qu’est-ce que l’intérêt du patient ? Dans le cas de Vincent Lambert, par exemple, c’est quoi l’acharnement thérapeutique ? C’est une question difficile.
Quel est le plus important pour la médecine : le maintien en vie ou le bien-être du patient ?
Pour moi, c’est d’abord la vérité du patient qui est la plus intéressante. Son avis évolue d’un jour sur l’autre, mais il doit être la vérité première, l’Alpha et l’Omega. Il a besoin d’être éclairé. Alors bien évidemment, le bien-être du patient prime. Il faut toutefois accepter l’idée qu’en médecine, on a créé des monstres, qui posent des questions sans réponses.
par Bernard Pradines, médecin gérontologue formateur, 22/12/2013
La caractéristique commune de nombreuses lois nouvelles est de se préoccuper de notre vie privée : IVG, contraception, violences familiales faites aux vieux, aux femmes et aux enfants, mariage pour tous, euthanasie, suicide assisté, relations sexuelles tarifées, etc.
Il s'agit d'un phénomène relativement nouveau qui tend à régir notre vie quotidienne. Il convient donc d'essayer de comprendre si, sous des aspects de protection et de respect de la volonté des personnes, ne se cachent pas des motivations moins honorables telles que des soucis d'économie envers les plus vulnérables d'entre nous.
C'est donc à une mise en garde qu'il me semble urgent de procéder dans le domaine de l'euthanasie et du suicide assisté, tant l'humeur actuelle me semble dangereuse. Pour résumer : "si vous vous sentez inutile, coûteux, à charge, de trop, vous pourrez vous effacer vous-même. On vous y aidera si nécessaire."
Discours terrible quand on a entendu plus de mille personnes venues finir leur vie en soins de longue durée. Discours appuyé par exemple par des films qui oublient la dimension de l'accompagnement au profit d'un individu condamné à gérer sa mort.
A mon sens, certains cas exceptionnels, très délicats, ne justifient pas une modification de la loi qui sera toujours incapable de régler ces situations. Par contre, nous savons à quel point une autorisation peut être perçue comme une approbation voire un encouragement.
“Avec le recul”, l’universitaire néerlandais Theo Boer revient sur son soutien à l’euthanasie légale
Pr Theo Boer, traduction de Jeanne Smits, 17/07/2014
En 2001, les Pays-Bas sont devenus le premier pays au monde à légaliser l’euthanasie, en même temps
que le suicide assisté. Plusieurs garde-fous ont été mis en place afin de définir qui pourrait en bénéficier, les médecins respectant ces garde-fous ne feraient pas l’objet de poursuites. Parce que chaque cas est unique, cinq commissions régionales de contrôle ont été mis en place afin d’évaluer chaque cas et pour déterminer s’il s’était déroulé dans le respect de la loi. Pendant les cinq ans qui ont suivi la promulgation de la loi, ces morts provoquées par les médecins sont restées à un niveau stable – leur nombre a même chuté certaines années. En 2007 j’écrivais qu’il n’y a « pas nécessairement une pente glissante en matière d’euthanasie. Une bonne loi d’euthanasie, combinée avec la procédure de contrôle de l’euthanasie, fournit la garantie d’un nombre stable et relativement peu important d’euthanasies. » La plupart de mes collègues arrivèrent à la même conclusion.
Mais nous avions tort, terriblement tort même. Avec le recul, la stabilisation des nombres n’a constitué qu’une pause temporaire. Au début de 2008, le nombre de ces morts affiche une croissance de 15 % par an, année après année. Le rapport annuel des commissions pour 2012 répertorie 4.188 cas cette année-là (à comparer avec les 1.882 cas en 2002). La tendance s’est maintenue en 2013 et j’estime que la barre des 6.000 sera franchie cette année ou l’année prochaine. L’euthanasie est en voie de devenir une manière de mourir « par défaut » pour les malades du cancer.
Outre cette escalade, d’autres évolutions ont eu lieu. Sous le nom « clinique de fin de vie », l’association néerlandaise pour le droit de mourir (NVVE) a fondé un réseau de médecins euthanasieurs itinérants. Alors que la loi présuppose (mais n’exige pas) une relation durable entre médecin et patient, où la mort peut constituer la fin d’une période de soins et d’interaction, les médecins de la clinique de fin de vie n’ont que deux options : administrer des drogues létales ou renvoyer le patient. En moyenne, ces médecins voient le patient trois fois avant de leur administrer les drogues qui vont mettre fin à leur vie. La clinique de fin de vie s’est occupée de centaines de cas. La NVVE ne fait pas montre de vouloir se satisfaire de cette situation. Elle ne connaîtra pas le repos avant qu’une pilule létale soit rendue accessible à toute personne de plus de 70 ans qui souhaite mourir. Certaines pentes sont réellement glissantes.
D’autres évolutions concernent un glissement dans le type de patient qui reçoit ce type de traitement. Alors qu’aux premières années après 2002 on ne trouve guère de personnes ayant des affections psychiatriques ou souffrant de démence dans les rapports, leur nombre est aujourd’hui en très forte augmentation. On a répertorié des cas où une grande partie de la souffrance de ceux qui ont été euthanasiés ou qui ont reçu une assistance au suicide résidait dans le fait d’être vieux, seuls ou venant de perdre un proche. Certains de ces patients auraient pu vivre pendant des décennies.
Alors que la loi voit l’euthanasie ou le suicide assisté comme l’exception, l’opinion publique en vient – autre glissement – à les considérer comme des droits, avec un devoir correspondant obligeant le médecin à agir. Une loi en cours d’adoption oblige les médecins qui refusent d’administrer l’euthanasie à renvoyer leurs patients vers un collègue « volontaire ». La pression exercée sur les médecins pour qu’ils se conforment à la volonté des patients (ou dans certains cas à celle de leur famille) peut être intense. La pression exercée par les proches parents, conjointe au souci du patient quant au bien-être de ceux qu’il aime, joue dans certains cas un rôle important dans la demande d’euthanasie. Les commissions de contrôle elles-mêmes, malgré leur travail important et consciencieux, n’ont pas pu mettre une halte à ces évolutions.
J’étais autrefois favorable à la législation. Mais aujourd’hui, avec douze ans d’expérience, mon point de vue est autre. A tout le moins, qu’on attende une analyse honnête et intellectuellement satisfaisante des raisons qui ont provoque l’augmentation explosive des statistiques. Est-ce parce que la loi devrait avoir de meilleurs garde-fous ? Ou est-ce parce que la simple existence d’une telle loi est une invitation à considérer le suicide assisté et l’euthanasie comme une normalité plutôt qu’une solution de dernier recours ? Avant que ces questions aient reçu une réponse, n’y allez pas. Une fois le génie sorti de sa bouteille, il y a peu de chance qu’il y retourne jamais.
Theo Boer est professeur d’éthique à l’Université théologique protestante de Groningue. Il a fait partie pendant neuf ans d’une commission régionale de contrôle. Au nom du gouvernement néerlandais, cinq commissions de ce type déterminent si une euthanasie a été réalisée conformément à la loi. Les opinions qu’il exprime ici sont les siennes en tant qu’éthicien professionnel, et non pas celle d’une quelconque institution.
Lien vers l’article original sur le blog d’Alex Schadenberg : ici.
À la suite d'une grave lésion cérébrale, l'un récupère la parole après dix-neuf ans d'interruption, l'autre semble inconsciente et pourtant ne l'est pas totalement ! Révélés en 2006, ces deux cas exceptionnels ont pu être évalués grâce à l'imagerie médicale.
EN DEUX MOTS Après un coma, certains patients retrouvent toutes leurs facultés mentales en quelques jours, d'autres sont en état de mort cérébrale si bien qu'on n'essaie plus de maintenir artificiellement leur respiration. Entre ces deux extrêmes, toute la difficulté consiste à déterminer le niveau de conscience du patient et à estimer ses chances de récupération. Deux études en neuro-imagerie publiées en 2006 viennent bouleverser les convictions. L'idée que l'on puisse développer des marqueurs de conscience pour améliorer le diagnostic fait son chemin.
Une jeune Anglaise, a priori privée de toute perception consciente, s'imagine jouer au tennis, un Américain de 39 ans recouvre l'usage de la parole après dix-neuf ans de prostration. En 2006, à quelques mois d'intervalle, ces deux cas ont défrayé la chronique. À juste titre : ils conduisent à revoir certains dogmes sur le niveau de conscience conservé par les patients atteints d'une lésion cérébrale après un accident traumatique.
Lorsqu'un patient sort d'un coma, deux questions cruciales se posent : est-il encore conscient ? Peut-il récupérer, rapidement, dans quelques mois, ou... jamais ? Aujourd'hui, force est de reconnaître que le diagnostic et le pronostic d'évolution restent très difficiles à établir. Dans le meilleur des cas, le patient se rétablit sans séquelles après quelques jours. Mais il peut aussi tomber dans un état dit végétatif. Les yeux ouverts, le sujet semble totalement privé de conscience : il ne réagit pas à son environnement. Seuls des mouvements désordonnés ou réflexes l'agitent de temps en temps. Si l'état végétatif dure moins d'un mois, il se termine souvent par une guérison. Mais certains patients survivent dans cette condition tragique pendant de longues années, sans jamais récupérer le moindre signe de conscience. Parfois, ils évoluent vers un état légèrement meilleur, dit de conscience minimale. Ils réagissent alors de temps en temps à leur environnement avec un sourire, des pleurs, une poursuite visuelle, mais ils demeurent incapables de communiquer au-delà de ces quelques signes.
À lui seul, l'état végétatif pose des problèmes importants. D'abord, il est difficile à diagnostiquer : une fois sur trois le patient considéré comme « végétatif » est, en réalité, conscient. Ensuite, les médecins doivent attendre avant de pouvoir dire avec une certitude statistique qu'il n'y a plus aucun espoir de récupération. Si les causes du coma sont anoxiques - c'est-à-dire que le cerveau a cessé brusquement d'être irrigué, par exemple après une crise cardiaque - les espoirs sont très limités, six mois au maximum. Si les causes sont traumatiques, provoquées par un choc à la tête, la limite est d'un an. Au-delà, le traitement peut être arrêté. Enfin, il n'y a pas de thérapie pour les patients.
Contrairement aux patients dans le coma, ceux qui sont en état végétatif peuvent respirer sans aide de respirateur artificiel. Ils n'ont besoin que de nutrition et d'hydratation artificielles pour survivre. Mais comment les ramener à la conscience ? Nul ne le sait, et l'on tâtonne avec des thérapies sensorielles, des massages, etc.
Risque d'acharnement
Le risque est celui de l'acharnement thérapeutique. Le cas très médiatisé de Terry Schiavo, Américaine restée en état végétatif pendant quinze ans après une anoxie cérébrale, illustre comment la prise en charge et la fin de vie de ces patients peuvent être difficiles. Les parents de Terry voulaient qu'on la maintienne en vie. Son mari n'était pas d'accord, arguant qu'elle-même ne l'aurait pas souhaité. La justice s'en est mêlée. C'est devenu une affaire d'État qui a fini devant la Cour suprême... Jusqu'à ce que Terry succombe après qu'on eut débranché et rebranché quatre fois sa sonde gastrique.
Les problèmes sont globalement les mêmes pour l'état de conscience minimale. Mais on manque encore de recul et de données car il n'a été réellement défini qu'en 2002, après de longs débats. En particulier, on n'a pas pu déterminer une durée limite au-delà de laquelle il n'y aurait plus d'espoir.
Pour les deux états, il est donc crucial d'affiner le diagnostic et de trouver des marqueurs de pronostic. Les cas exceptionnels révélés en 2006 soulignent l'aide particulière que peut apporter la neuro-imagerie en la matière. Depuis une dizaine d'années, notre équipe à Liège et celle dirigée à Cambridge par le neuropsychologue Adrian Owen utilisent la tomographie à émission de positons TEP, et plus récemment la résonance magnétique nucléaire fonctionnelle IRMf pour étudier de manière objective le fonctionnement cérébral des patients en état végétatif. Jusqu'à présent, nous avons utilisé des stimulations considérées comme passives car elles génèrent une activité « automatique » du cerveau.
Au début nous avons utilisé de simples sons, puis nous avons enrichi le protocole. Ainsi, nous avons démontré que certains patients en état végétatif présentent une activité électrique du cerveau différente lorsqu'ils entendent leur propre prénom, par rapport à d'autres prénoms. Autrement dit, le cerveau d'un patient en état végétatif peut parfois faire la différence entre son propre prénom et un autre prénom, même si le patient n'est pas conscient. Cette activation est considérée comme automatique, réflexe. Car elle s'observe aussi chez des sujets en bonne santé lorsqu'on prononce leur prénom pendant qu'ils dorment, ou même durant une anesthésie générale, donc sans qu'ils soient conscients.
Si on voulait différencier chez nos patients une activité neuronale automatique d'une activité consciente, il nous fallait donc mettre au point une stimulation active. Nous avons eu l'idée de demander au sujet d'imaginer qu'il réalise mentalement des tâches à différents moments de l'examen en IRM. Mélanie Boly, de l'université de Liège, a recherché des tâches activant chez chacun de nous de manière significative des aires spécifiques du cerveau, par exemple imaginer voir le visage de Marilyn Monroe ou chanter une chanson dans sa tête. Nous avons finalement retenu deux tâches correspondant à des actions motrices parce qu'elles activent des aires vraiment spécifiques : imaginer jouer au tennis, ce qui active les aires motrices supplémentaires, et imaginer se promener dans sa maison, ce qui active le cortex prémoteur, parahippocampique et pariétal.
Suivi du regard
Aucun des soixante patients en état végétatif que nous avons étudiés n'a montré d'activité cérébrale compatible avec une perception consciente jusqu'à ce que nous examinions une jeune Anglaise de 23 ans. Victime en juillet 2005 d'un grave accident de voiture, elle est restée dans le coma plusieurs jours avant d'évoluer vers un état végétatif. La jeune femme était capable d'une fixation visuelle de 3 secondes, une capacité qui est rarement observée en état végétatif. Mais elle ne répondait jamais aux ordres simples et ne présentait aucun autre signe comportemental de conscience. Le diagnostic d'état végétatif fut donc posé sans hésitation par une équipe pluridisciplinaire.
En janvier 2006, elle est étudiée par IRMf avec notre nouveau protocole. Quelques jours plus tard, à notre très grande surprise, les résultats des analyses statistiques des données indiquent une activité normale quand on lui demande de s'imaginer jouer au tennis ou se promener dans sa maison. Ses réponses neurales sont semblables à celles observées chez des témoins en bonne santé. Notre patiente en état végétatif a donc compris la consigne et l'a même exécutée mentalement de manière répétée !
Quelques mois plus tard, elle fixe et suit clairement son visage dans un miroir : elle est passée à un « état de conscience minimale », avec des moments de conscience mais sans possibilité de communiquer ses pensées et ses sentiments.
Certes, nous ignorons ce que cette jeune Anglaise a ressenti lors des tests, et on ne peut généraliser son cas à l'ensemble des patients en état végétatif, dont beaucoup sont certainement plus atteints qu'elle. Mais cette étude remet en question la définition d'un état végétatif totalement privé de conscience, établie en 1972 par le neurochirurgien britannique Bryan Jennett et le neurologue américain Fred Plum. Ce travail plaide donc pour que, dans la phase aiguë de l'état végétatif, on puisse mener des examens complémentaires en IRMf afin d'affiner le diagnostic.
En 2006, une autre publication exceptionnelle a également surpris l'ensemble de la communauté médicale et scientifique. Elle relate le cas d'un Américain âgé de 39 ans en 2003, Terry Wallis. Comme la jeune Anglaise, il a été victime d'un accident de voiture. Mais l'événement s'est produit il y a bien plus longtemps, le 13 juillet 1984 dans l'Arkansas.
Terry a alors 20 ans. Après une dizaine de jours dans le coma, il tombe dans un état végétatif. Quelques mois plus tard, il manifeste quelques signes de conscience et évolue vers ce qu'on connaît maintenant comme l'état de conscience minimale.
Les médecins donnent peu d'espoir à Terry. Ses parents s'accrochent. Ils le prennent chez eux à chaque fête. Il leur sourit lors de ces occasions, mais on ne sait jamais ce qu'il pense, voire s'il pense quelque chose. Or en 2003, après dix-neuf ans de silence, il émet soudain un mot « Mom » maman, puis « Pam » le nom de son infirmière de longue date, puis « Pepsi ». Ensuite, tout va très vite. Terry recommence à parler, réussit à communiquer ce qu'il ressent. Pour lui, Reagan est toujours président. L'équipe du neurologue Nicholas Schiff décide de l'examiner. À New York, les chercheurs vont essayer de comprendre ce qui s'est passé dans le cerveau de Terry qui puisse expliquer cette étonnante récupération tardive.Ils effectuent plusieurs examens à un mois d'intervalle avec l'IRM de tenseur de diffusion qui permet de voir les connexions entre les aires cérébrales. En comparant avec des examens réalisés chez des volontaires sains et un autre patient en état de conscience minimale depuis six ans, ils découvrent avec stupeur que de nouvelles connexions sont apparues dans la matière blanche des régions postérieures médianes du cerveau de Terry, le précuneus et le cortex cingulaire postérieur. Les axones ont repoussé dix-neuf ans après l'accident : un vieux dogme est brisé ! Jusqu'à présent, on pensait la plasticité neuronale réservée à la phase « aiguë », en sortie du coma.
Or, la région du précuneus et du cortex cingulaire postérieur a déjà été identifiée comme critique pour la conscience humaine. Tout d'abord, son activité baisse pendant le sommeil ou sous anesthésie. Et, en 1999, des études en TEP ont montré que c'était l'aire la plus atteinte dans l'état végétatif. Enfin, les rares patients qui récupèrent leur conscience recouvrent une activité métabolique proche de la normale dans cette région. En état végétatif, on suppose qu'elle est déconnectée des autres aires corticales et du thalamus. Le fait que chez Terry Wallis la création de nouvelles connexions coïncide avec un retour de la conscience semble confirmer cette hypothèse.
Les deux cas exceptionnels de 2006 ne doivent pas susciter un espoir exagéré. Ils encouragent cependant à multiplier les moyens de suivre ces patients avec l'imagerie pour tenter de détecter au plus tôt l'état de leur conscience. Et éventuellement à développer de nouveaux traitements. Ainsi, une interface cerveau-machine, véritable traducteur de pensées, pourrait être proposée à des patients comme la jeune Anglaise. Un jour prochain, qui sait, peut-être pourra-t-elle apprendre à piloter un ordinateur ?
Pourquoi il faut réapprendre à parler de la mort à nos enfants
Par Marie-Frédérique Bacqué, professeur de psychopathologie à l’université de Strasbourg, présidente de la Société de thanatologie, Le Monde, 04/04/2011, extraits
Avec les récents à-coups provoqués par la tentative de passage au Sénat de la proposition de loi sur une "assistance médicalisée permettant une mort rapide et sans souffrance", l’urgence d’un débat autour de la mort s’est à nouveau fait sentir. L’impression d’une opposition nette entre partisans des soins palliatifs adoucissant la fin de la vie jusqu’à la mort et ceux de la mort choisie demandant une euthanasie avec une assistance médicalisée ne doit pas faire écran devant le véritable débat. Il s’agit bien du débat sur la mort. ...
Or, notre époque postmoderne voit chaque société humaine, qui avait confié aux religieux la tâche de construire les représentations d’un au-delà, les vider petit à petit de leur sens. La mort est dorénavant sans âme. Elle n’est plus qu’un grand vide. Au mieux une absence, au pire, une injection létale. ...
L’espoir porté par la plupart des croyances est dorénavant construit autour de la médecine. Or, la mort ne peut être déplacée dans le champ médical. Elle devrait revenir dans le champ social et spirituel. L’idée que la mort soit contrôlable ou maîtrisable par chaque individu est une demande récurrente qui ne se heurte plus qu’à la barrière de la loi.
Or, avant d’entamer un débat sur la légitimité d’anticiper la mort de celui qui le demande, nous pourrions nous questionner sur notre peur de la mort, crispée sur l’idée de perdre du temps, de ne pas contrôler notre vie et d’être actifs toujours et en tout lieu. Le monde va de plus en plus vite, et l’euthanasie n’est qu’une fuite en avant devant la mort. L’euthanasie fait taire les souffrances, toutes les souffrances. Car après qu’elle aura été proposée aux personnes présentant des souffrances physiques insurmontables, comment jugera-t-on les souffrances morales ? Et les souffrances sociales ? L’euthanasie ne sera-t-elle pas la voie sûre pour y échapper ?
L’euthanasie est l’illustration typique de la mort rationnelle. Une mort choisie, rapide, propre, sans dieu et sans souffrance. Le manque de spiritualité autour de la mort est aujourd’hui pathétique.
Le pragmatisme ambiant, pour ne pas dire le matérialisme, conduit à négliger les moments de spiritualité, ce qui rend nos vies bien pâles. Or, la spiritualité immanente à l’art sous toutes ses formes, résulte du fait que toutes les créations humaines luttent contre la disparition de l’individu, l’art étant pérenne, au contraire de la vie organique, fragile et vouée à la destruction.
Il est frappant, en lisant les blogs de personnes malades, de constater que la "découverte" de leur mortalité les conduit à accomplir un voyage initiatique du côté de leur condition évidente de finitude. Ainsi, des patients atteints de cancer, mais aussi de maladie de Parkinson ou de sclérose en plaques, font un chemin rapide vers une nouvelle façon d’envisager leur existence. Renonçant parfois à reprendre des habitudes de consommation, des amitiés hypocrites ou un travail peu épanouissant. La maladie grave joue un rôle de révélateur. Elle permet de chercher de nouvelles façons de vivre, tout en acceptant la mortalité physique. La maladie est une expérience nouvelle, comme pouvait l’être jadis l’épreuve de la guerre ou de l’exil.
Le débat sur la mort qui prend corps sur Internet ou dans les "romans de la maladie" publiés comme autant de témoignages des limites de la vie humaine est un exemple de quête de spiritualité moderne et laïque. Ce qui surprend est que la démarche réflexive ne prenne corps qu’à l’occasion d’une maladie, d’un deuil ou d’un traumatisme. Mais pour une personne qui aura eu le temps de se préparer à l’ineffable, combien seront convaincues que, face à la mort qui approche, le travail psychique nécessaire à une telle élaboration est bien trop lourd ?
Une mort judiciarisée tend à remplacer le questionnement existentiel de la finitude. La mort inacceptable devient alors une formalité juridique : j’ai déposé un testament de vie, c’est mon droit. Outre que l’euthanasie implique un soignant ou un médecin, pour lequel la contradiction avec le serment d’Hippocrate est évidente, il faut observer que la mise en oeuvre d’une mort médicalisée transgresse également les valeurs du pacte de soin établi implicitement entre soignants et soignés : celui qui mettra tout en oeuvre pour aider son patient du côté de la vie va basculer et accélérer sa mort. Cette question de valeurs n’est pas artificielle, mais elle perturbe les médecins français qui n’ont pas été formés juridiquement, éthiquement ni moralement pour rester, au fond, décideurs et surtout acteurs d’un tel choix.
La question de l’euthanasie est donc à la fois culturelle, historique et politique. Elle est sociale également. Regardons nos voisins, en Allemagne par exemple, où la question de l’euthanasie éveille les mauvais souvenirs du nazisme. On trouve plus de structures pour accueillir les handicapés de toutes sortes, qu’ils soient enfants ou adultes. Aux Pays-Bas, où la loi autorise, dans des conditions très particulières l’euthanasie de certains patients, cette décision conduit les familles et les soignants à s’entretenir longuement avec le patient souffrant et à préparer sa fin dans de multiples échanges. Il semble même paradoxal que de tels efforts soient faits lorsque la mort doit être donnée par un soignant, alors que toute mort naturelle mériterait une telle réflexion sur la mort.
Mais parler de la mort ne peut pas se réduire à l’affronter avec les mots en phase terminale. La mort peut être parlée dès le plus jeune âge. Ainsi, en classe maternelle, les enfants peuvent élever de petits animaux et échanger avec leur famille, leurs enseignants et leurs amis au sujet du cycle de vie de ces compagnons. Les enfants peuvent aussi visiter un cimetière, réfléchir en groupe aux âges de la vie, commenter des contes de fées.
Une meilleure compréhension du monde en résultera. Dès cet âge en effet, leurs parents, qui souvent poussent des cris d’orfraie lorsqu’on leur fait de telles propositions, n’hésitent pourtant pas à abandonner leur progéniture devant les informations télévisées, pourvoyeuses de nombreux documents filmés mettant en scène la mort d’un individu. La mort ne fait plus partie de notre monde domestique, elle a été mise à distance par l’augmentation de la durée de vie, par la médicalisation de la plupart des fins de vie, qui ont lieu à l’hôpital et dans les autres structures sanitaires, enfin, elle a été rejetée de la sphère familiale et sociale, du fait de l’éloignement et de l’éclatement des filiations.
Les dialogues autour de la fin de vie sont parfois riches d’authenticité et de réflexions philosophiques, mais, de plus en plus, ils échappent à la mise en sens du mourant et de son groupe. "Je vais mourir, j’aimerais te parler…" est souvent coupé par "Mais qu’est-ce que tu racontes !" Installer un échange en fin de vie est possible si certaines questions peuvent être posées en amont d’une situation terminale pas toujours sereine. Quelles sont mes peurs, que vais-je perdre ? Qu’ai-je accompli et qu’est-ce qui m’a procuré les plus grandes joies. Mes peines, ce qui me reste à faire. Ce que j’aimerais transmettre, ce que j’espère pour mes proches, mes contemporains…
S’il peut sembler bien artificiel de proposer les jalons d’un entretien avec un proche qui va mourir, soulignons que les plus élémentaires de ces questions sont souvent tuées dans l’oeuf par le refus des proches, des soignants, d’aborder la fin de la vie.
L’absence de sens de sa vie pour celui qui va mourir est justement l’une des raisons de hâter la mort. On voit bien l’intérêt de réintroduire la mort "domestique" dans le discours public, celle de la majorité de notre population qui s’éteint, vieillissante, dans son lit. C’est ainsi que la fuite en avant vers l’euthanasie sera déjouée, et que le temps et l’échange reprendront leurs vertus, au moment le plus important de notre existence et de celle de nos proches.
par le Docteur Olivier Yaccarini - Québec, 05/11/2013
Je suis médecin d’urgence depuis 14 ans. Comme beaucoup de gens, j’ai suivi le débat sur l’euthanasie. Je crois que le projet a été mal expliqué et mal compris. Je crois aussi que, s’il en avait été autrement, la majorité des gens serait aujourd’hui en désaccord avec ce projet.
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur le sujet. Je me contenterai ici d’apporter une réponse toute personnelle à certaines de ces affirmations en m’appuyant sur mon expérience de médecin d’urgence qui côtoie quotidiennement des gens aux prises avec de grandes souffrances, et en espérant au passage clarifier certaines choses au sujet de l’euthanasie.
Tout d’abord, j’ai entendu et lu que s’opposer au libre choix d’un patient qui désirerait devancer et choisir le moment de sa mort était une forme de paternalisme, parce que c’était vouloir choisir à la place du patient ce qui est le mieux pour lui. Or, je crois être bien placé pour savoir qu’en matière de soins de fin de vie, c’est presque toujours le médecin qui amorce les discussions et qui propose les solutions. Et que c’est presque toujours l’opinion du médecin, lorsqu’il en exprime une, qui influe le plus sur le choix du patient.
Il ne faut pas croire que les choses sont différentes quand le sujet de la discussion est l’euthanasie, car ce choix est souvent d’abord proposé par le personnel traitant. Et ce geste représente à mon avis un raccourci qui, à la longue, prendra de plus en plus de place dans la pratique médicale, toujours confrontée au manque de temps et de ressources financières et humaines.
Des médecins hollandais avouent eux-mêmes que l’euthanasie est souvent pratiquée pour des raisons avant tout financières.
Le nombre d’euthanasies pratiquées augmente rapidement dans tous les pays où elle est légale, et les balises sont toujours, par effet de glissement, transgressées progressivement, peu importe leur nombre et leur clarté dans la loi. Les exemples sont nombreux. De plus, le sens commun nous dit que là où on pratique l’euthanasie, l’intérêt à développer les soins palliatifs diminue. Malheureusement, cette intuition est confirmée par ce qui se passe ailleurs, notamment en Belgique.
On invoque aussi la compassion envers les patients pour accepter de pratiquer l’euthanasie. Et si on abordait la question sous un autre angle, celui de la très grande majorité des patients atteints de maladies terminales ou dégénératives ? Ceux qui n’ont jamais, du moins jusqu’à présent, considéré l’option de l’euthanasie ? Cela permettrait peut-être de comprendre quel genre de pression on leur fait subir quand l’euthanasie fait partie intégrante des choix thérapeutiques.
Comme urgentologue, je suis témoin quotidiennement du fait que les grands malades craignent très souvent d’être un poids pour leur entourage, pour le personnel soignant, et pour la société en général. Je suis convaincu que ce phénomène très fort et omniprésent en mènera plusieurs à choisir l’euthanasie, non pas parce qu’ils auraient voulu spontanément y avoir recours, mais parce qu’ils sentent que c’est le seul choix « responsable ». N’est-ce pas triste d’en arriver là ? Je me sens mal à l’aise à l’idée que ce soit cela, être progressiste et agir par compassion.
La loi sur l’euthanasie, en voulant accéder à la demande d’une infime minorité de patients, menace à mon avis un bien plus grand nombre de malades, qui voudraient finir leur vie autrement qu’en y ayant recours. Ceux-ci se voient placés devant le dilemme suivant : continuer à consommer des ressources de temps, de personnel, d’argent, continuer à représenter un « poids » pour leur entourage, ou recourir à l’euthanasie.
Je suis intimement convaincu que le choix, dans ces circonstances, ne relève plus du simple libre arbitre de chacun, car il est influencé par une pression sociale qui, si elle est subtile, n’en est pas moins extrêmement puissante, surtout dans une situation de fin de vie où l’on se sent déjà très vulnérable.
C’est pour ces raisons que, si un jour l’on me demande d’euthanasier mon patient, je refuserai de le faire.
En terminant nous retenons 9 arguments pour lesquels l’euthanasie et le suicide assisté ne devraient jamais être dépénalisés au Canada
1. Les demandes d'euthanasie disparaissent lorsque la famille et le patient reçoivent le support ou les soins qui leurs sont dus. La pratique de la médecine nous enseigne que les patients qui expriment le désir de mourir le font le plus souvent parce qu’ils ont besoin de réconfort, qu’ils sont déprimés, ou que leur douleurs et leurs symptômes ne sont pas bien contrôlés. Pour la très grande majorité, les bons soins médicaux, le traitement de la dépression ou l’approche palliative sont les solutions à leur demande. Les patients qui demandent à mourir changent aussi souvent d’idée avec le temps. Souvent la demande origine non pas des malades, mais plutôt des familles qui sont épuisées, alors que le malade, lui, n’a pas demandé qu’on hâte sa mort : le plus souvent, lorsque la famille est mieux épaulée, la demande disparaît. Quand il y a de la souffrance, il vaut mieux chercher de trouver un sens à la vie qui reste, développer des stratégies pour faire face aux questionnements existentiels et travailler pour les soins optimaux, que de trouver un raccourci vers la mort.
2. Le médecin à tout à sa disposition pour soulager n'importe quelle souffrance physique. Faire mourir le patient n’est pas une solution humaine pour soulager les situations dramatiques de douleur ou de souffrance terminales : le médecin a toujours le devoir de faire mourir la douleur, et non pas de faire mourir le patient. La proposition d’euthanasie marque un refus de confiance à l’égard des progrès de la science médicale. Il n’y a pas de limites imposées au médecin lorsqu’il met en œuvre les moyens pour soulager la douleur. Ces moyens sont larges, accessibles, de plus en plus élaborés et progressent sans cesse. Dans les cas extrêmes, la sédation profonde qui fait dormir le malade peut même être une solution ultime pour le soustraire aux souffrances jusqu’à ce qu’il meure de causes naturelles. En présence d’états terminaux il n’y a pas d’obstacles à l’arrêt des traitements jugés futiles ou disproportionnés par le patient ou par le médecin. Il existe toujours des issues, même pour les cas plus complexes. Il n’y a pas de questions taboues sur la mort au sein de la profession médicale. Le questionnement sur l’acharnement thérapeutique et l’interruption des traitements futiles ou disproportionnés, les refus de traitement par les patients autonomes, sont au cœur de la clinique et sont abordés ouvertement et sereinement par les médecins en pratique et dans le cadre des programmes de formation. Les médecins connaissent bien la frontière qui existe entre le soulagement de la douleur et l’euthanasie.
3. Une modification de nos lois pour satisfaire à un petit nombre mettra en péril la vie d'un beaucoup plus grand nombre. Il y a néanmoins des personnes qui revendiquent sérieusement ou avec insistance l’euthanasie ou le suicide assisté. Elles sont très peu nombreuses. Les demandes sont généralement liées à la personnalité de l’individu et au besoin qu’il ressent de contrôler sa vie… et sa mort. La très grande majorité des personnes dans une situation similaire à la leur ne demandent pas qu’on intervienne pour abréger leurs jours. La liberté et l’autonomie de la personne s’arrêtent là où elles empiètent sur celles des autres membres de la société. Une modification de nos lois pour satisfaire la demande de ce petit nombre de personnes mettra en péril la vie d’un beaucoup plus grand nombre, qui n’étaient même pas initialement visées. L’expérience des quelques pays qui se sont aventurés dans la voie de l’euthanasie et du suicide assisté démontre que les pratiques deviennent vite ingérables malgré la mise en place de contrôles et de balises : les protocoles ne sont pas respectés, les consentements non obtenus, les pressions des familles se font fortes et difficiles à gérer. Des personnes qui ne le demandaient pas sont mises à mort.
4. La dépénalisation de l’euthanasie est une « pente » qui mène inévitablement vers un glissement plus large, difficile à contrôler. Les médecins dans les pays où l’euthanasie est légale en ont l’expérience. Dès qu’on accepte de faire mourir les patients dans un état terminal et qui le demandent, on devient confronté à la demande des malades avec des handicaps et des atteintes chroniques qui les minent, puis à celle des patients avec des atteintes psychologiques, puis à s’interroger sur le sort des nouveaux-nés fortement handicapés…qui ne demandent pas à mourir. Des personnes même jeunes et atteintes de maladies chroniques invoqueront les chartes pour qu’on ne discrimine pas envers elles dans leur demande de suicide assisté, et qu’on les aide donc à mettre fin à leurs jours. Accepter que donner la mort peut être une solution pour un problème ouvre la porte à donner la mort pour cent autres. L’euthanasie deviendra une « issue thérapeutique » vers laquelle des personnes se tourneront pour soulager leurs souffrances, alors qu’il y a beaucoup d’autres options.
5. La dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté engendrerait des pressions indues sur les personnes avec des atteintes chroniques, des handicaps sévères, ou les personnes qui doivent recevoir beaucoup d’aide ou des traitements coûteux: ces personnes en viendraient à avoir le sentiment qu’elles sont un fardeau indu pour les proches ou la société, et qu’elles devraient considérer l’euthanasie ou le suicide assisté. L’euthanasie aura des retentissements défavorables sur les attitudes sociales envers les personnes gravement malades, avec des handicaps, ou d’un âge avancé.
6. Ni la maladie, ni la déchéance physique ou psychologique, ni la douleur, ni la souffrance, ni la perte d’autonomie ne diminuent la dignité fondamentale de la personne. La personne n’est pas indigne du fait qu’elle dépend des autres chroniquement ou lorsqu’elle se meurt. La solution pour assurer le « mourir dans la dignité » demeure avant tout dans l’approche palliative compétente, le respect, l’accompagnement et la tendresse envers ces personnes.
7. Pour donner une "droit à la mort" au patient on doit donner un "droit de tuer" au médecin. La dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté repose entièrement sur une participation de la profession médicale ; ultimement c’est le médecin qui est appelé à porter un jugement sur l’utilité de préserver la vie ou d’y mettre fin : il se voit imposé un rôle d’arbitre. Il en résulte une perte de l’autonomie des patients, au profit d’un accroissement de pouvoir de la profession médicale sur les personnes. Pour donner un « droit à la mort » au patient on doit donner un « droit de tuer » au médecin. Il s’ensuit une érosion de la relation médecin-patient, le médecin n’étant plus seulement celui qui guérit, soulage ou réconforte, mais aussi celui qui donne la mort. La mise à mort devient alors une « option thérapeutique » de la profession médicale au même titre que les autres traitements médicaux ou chirurgicaux, ce qui érode le lien de confiance envers toute la profession médicale.
8. Le médecin qui participe au suicide encouragera par son geste le suicide au niveau de la société. Bien que le suicide soit parfois revendiqué comme une liberté, il demeure avant tout un drame personnel fondamentalement contraire à la nature humaine et un échec de la société. Le suicide n’est jamais sans retentissement sur les autres personnes et sur toute la société. La réponse médicale face aux tentatives de suicide a toujours été de venir en aide à la personne : elle doit le demeurer. Le médecin qui participe au suicide encouragera par son geste le suicide au niveau de la société.
9. L’interdit de l’euthanasie et du suicide assisté de la tradition hippocratique est plus que millénaire. Il a été une valeur forte de générations de médecins qui y ont adhéré. Il demeure empreint de sagesse et de compassion et mérite d’être défendu avec fermeté.
Non à l'euthanasie et au suicide assisté : Aucune condition particulière ne les justifie (1/2)
Ce qui suit s'agit d'une version abrégée d’un mémoire présenté au Collège des médecins du Québec le 30 août 2009 par Joseph Ayoub, m.d. André Bourque, m.d, Catherine Ferrier, m.d., François Lehmann m.d., et José Morais,m.d.. Le mémoire a aussi reçu l’appui d’un nombre significatif de médecins de la province de Québec.
Le débat sur la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne cesse de ressurgir au Canada et au Québec depuis les derniers vingt ans. Le mouvement en faveur de l’euthanasie motive son instauration sur la nécessité de respecter l’autonomie et la « dignité » de la personne. Nos tribunaux ont été interpellés sur quelques cas particuliers au cours des dernières années et la Cour Suprême du Canada a réaffirmé la valeur intrinsèque de la vie humaine et les limites imposées à l’autonomie de la personne qui souhaite mettre fin à ses jours. Le mouvement en faveur de l’euthanasie s’est donc retourné vers la seule issue légale possible: le parlement du Canada et l’amendement du droit criminel. Le Projet de loi C-384, présenté par Mme Francine Lalonde, députée du Bloc Québécois, en est la plus récente manifestation.
L’adoption du projet de loi C-384 rendrait légal l’euthanasie et le suicide assisté au Canada. Puisque nous allons tous un jour connaître la mort, la question soulevée est au cœur de ce que nous pouvons avoir comme conception de la personne. Elle interpelle toute la société. Les enquêtes d’opinion sur l’euthanasie sont difficiles à interpréter mais une constante demeure: celle du désir des personnes de se voir entourées et soutenues, et épargnées de la douleur et des souffrances terminales. Certes, lorsqu’on demande aux personnes si elles sont favorables à l’euthanasie dans le cas où une personne n’est pas soulagée de douleurs atroces, il est prévisible que la majorité des individus vont répondre que oui. Cela place les individus devant le choix entre l’euthanasie et une absence de soins appropriés pour le soulagement de la douleur, et donc de choisir l’euthanasie comme modalité de soulagement de la douleur. Pendant que le débat des dernières années sur l’euthanasie s’est poursuivi, des milliers de patients sont décédés de diverses maladies terminales sous les soins de personnels compétents, et avec l’entourage de la famille et de bénévoles. Nos hôpitaux et autres établissements de santé ont au cours des 30 dernières années développé des services de soins palliatifs tels qu’il n’y en avait jamais eu auparavant. Il reste encore beaucoup à faire, particulièrement pour la catégorie des patients atteints de maladies chroniques et qui n’ont que quelques mois ou quelques années de vie devant eux. Les questions éthiques entourant les soins proportionnés, l’acharnement thérapeutique, l’interruption de traitement et le soulagement de la douleur sont quotidiennement au cœur des discussions dans les milieux d’enseignement et de pratique de la médecine.
La très grande majorité des malades qui terminent leur vie dans un état de diminution physique et psychologique arrivent à la fin naturelle de leur vie dans un environnement de soutien et de palliation bien supérieurs à tout ce qu’on avait connu auparavant. Nous sommes encore loin des limites de ce que peuvent offrir les soins palliatifs. Les avancées pharmacologiques et les moyens thérapeutiques de la radio-oncologie et de la chirurgie oncologique permettent de soulager les malades de beaucoup de malaises pour lesquels on n’avait auparavant que peu de solutions. La maîtrise de la douleur est certes parfois incomplète dans les états terminaux et il arrive qu’on ne puisse l’obtenir sans des effets secondaires de sédation, que le malade ne souhaite pas. Il est considéré une bonne pratique médicale et même une obligation d’utiliser les opiacés et tout l’arsenal analgésique disponible dans l’intention d’apaiser le plus possible la douleur du malade, même si c’est au prix d’abréger ses jours par les effets secondaires de la médication (ce qui est très rarement le cas). Depuis les dernières années, des pratiques d’induction du sommeil sont venues compléter l’arsenal thérapeutique pour les plus rares cas de douleur très mal maîtrisée.
Pour reprendre les mots de l’éthicienne Margaret Somerville, c’est la douleur qu’il faut tuer, pas le malade. La pharmacologie et les autres modalités de la médecine et de la chirurgie feront encore des avancées dans le soulagement de la douleur, mais la souffrance existentielle du malade atteint d’une maladie terminale demeurera toujours un phénomène lié à notre humanité, à notre quête de sens pour nos tourments immédiats, à nos croyances sur l’au-delà: souffrance et humiliation de se voir diminué physiquement et mentalement, de se voir dépendant et de se considérer un poids pour les autres, humiliation de devoir se plier à recevoir de l’aide pour les besoins de l’hygiène, peine de devoir quitter ceux que l’on aime, peine d’être témoin des souffrances des proches. Plus que les douleurs « incoercibles », c’est cette souffrance qui peut amener le malade dont les jours sont comptés à sombrer dans le découragement ou la dépression et à demander que l’on abrège ses jours. La grande majorité de ces malades trouveront un réconfort dans leur souffrance par la sollicitude de l’entourage ou parfois par la médication antidépressive. La pratique démontre aussi que la demande à mourir est une sorte de cri du cœur qui est le plus souvent un appel à la sympathie et ne représente pas une demande concrète d’euthanasie.
Il demeure qu’il y aura toujours dans nos sociétés le problème des personnes atteintes de maladies terminales et dégénératives sévères, qui voient venir les complications de leur maladie, qui ne sont pas nécessairement déprimées, qui bénéficient de beaucoup de support et de soins mais qui voudraient mettre fin à leurs jours en un temps et un lieu, et qui ne sont pas capables de le faire seules. Ces personnes ne voient plus de sens à ce qui leur reste à vivre naturellement, et l’échéance naturelle avant leur mort est parfois longue. Les personnes qui demandent l’euthanasie dans ces circonstances ne sont pas nombreuses dans notre société et la majorité de ceux et celles qui ont une condition physique semblable à la leur ne souhaitent nullement mettre fin à leurs jours. Il ne sera jamais possible de discriminer en fonction de l’âge et de la sévérité de l’atteinte ou de l’espérance de vie dans ce groupe de personnes car ce qui est véritablement en jeu est le droit au suicide. Or notre société a choisi pour de très bonnes raisons, que la personne suicidaire et qui est capable de poser un geste de suicide, peut être retenue de passer à l’acte.
C’est le sort de ces personnes, que la souffrance mène à demander qu’on les aide à abréger leurs jours, qui motive le mouvement en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté. Nous ne devons pas nier que ces situations existent ni affirmer que ces personnes sont toutes déprimées ou inaptes à donner un consentement éclairé à leur demande. Ces personnes doivent être entendues et aidées le plus possible, mais leur demande demeure pour nous absolument irrecevable.
Il y a aussi un autre groupe de patients dont le sort nous interpelle: celui des malades en voie de mourir et dont l’agonie n’en finit plus. Les derniers mois et les dernières semaines de la vie sont pour certains malades un lent atterrissage où les organes fléchissent les uns après les autres, où la peau se détériore, où il vient un temps que l’esprit n’y est plus, et où les fonctions vitales ne tiennent qu’à un fil. Les soins sont toujours exigeants pour le personnel et les familles s’épuisent de veiller le malade, ne demandent qu’à voir arriver la fin et demandent parfois au médecin d’intervenir. La tentation en pareilles circonstances serait d’autoriser le médecin à mettre un terme à l’agonie. La frontière entre la palliation et l’euthanasie peut sembler ténue pour certains puisque la distinction entre l’une et l’autre sera dans l’intention du geste et non pas dans ce qu’il comporte. L’interdit total de l’euthanasie doit cependant demeurer même dans ces situations.
On ne peut imposer ça à personne. Handicap du nourrisson et euthanasie, Laurence Henry, Paris, Salvator
par Sébastien Klam
La naissance a toujours été, dans la majeure partie des situations, un temps précieux de bonheur et de joie à partager entre de nouveaux parents, parfois une fratrie, souvent une famille. Laurence Henry, infirmière anesthésiste et doctorante en philosophie, évoque quant à elle dans cet ouvrage ces autres situations aux limites de la vie. A partir de son expérience et de sa recherche, elle fait état de ces nouveau-nés qui, loin de voir leur avenir s’ouvrir devant eux comme un grand boulevard, consiste davantage en une impasse dont la mort apparaît comme l’ultime étape possible… et quelle mort !
Ces fins de vie mettent en scène des enfants souvent autonomes au niveau respiratoire mais atteints de lésions cérébrales risquant d’être plus ou moins invalidantes. Or, peut-on imposer à cet enfant, à ses parents, sa famille voire la société cette vie qui, pour beaucoup, n’en sera pas une ? Quand l’imprévisible d’une naissance fragile côtoie la nécessite d’une décision de vie ou de mort, il est fort probable que certaines de ces situations dramatiques aient tendance à s’achever par des euthanasies qui ne disent pas leur nom. C’est là que le bât blesse.
En présentant la situation médicale avant et après la loi Leonetti du 22 avril 2005, Laurence Henry évoque très justement le sens du traitement et du soin, tout en se demandant si l’arrêt ou la limitation de traitement concerne aussi l’alimentation et l’hydratation artificielle. L’ensemble de son argumentation tourne autour de ces notions, peut-être mal définies par la loi, mais qui demeurent tout de même essentielles dans une prise en charge digne de ces enfants que guette déjà la mort. Hostile à toute forme de légalisation de l’euthanasie, elle rappelle que « ces enfants nous poussent à aller plus loin que les simples apparences auxquelles nous nous arrêtons pour les ʺnormauxʺ et nous donnent le ʺmode d’emploiʺ de la rencontre avec l’être de chacun qu’il soit porteur de handicap ou non » (p. 212). Sans doute est-ce là un appel très fort adressé aux sciences soignantes de ne jamais désespérer de leur sens créatif, gage de responsabilité et d’engagement envers les plus fragiles d’entre nous !
Source : metz-catholique.fr
Laurence Henry : après l’objection, la réflexion
par Philippe Cappello, 14/07/2014
Infirmière anesthésiste à l’Hôpital St Joseph de Paris, elle ne tenait pas à participer aux Interruptions Médicales de Grossesse (IMG). Elle a fait jouer sa clause de conscience. Par ailleurs, elle a suivi des cours de bioéthique à l’Institut politique Léon Harmel (IPLH) et obtenu un master 1, renforçant ainsi sa réflexion sur l’exercice juste et éthique de son métier d’infirmière au service de la personne. Or la maternité Bon Secours a rejoint l’Hôpital Saint Joseph. C’est une maternité de niveau 2+ avec un service de soins intensifs néonataux et … l’on y pratique environ deux IMG (interruption médicale de grossesse) par mois.
Laurence a d’ores et déjà prévenu sa surveillante qu’elle exercerait sa clause de conscience pour ne pas participer aux IMG. Elle avait par le passé démissionné de son précédent emploi, une clinique qui pratiquait l’euthanasie. Pour le moment, et à sa connaissance, elle est la seule parmi le personnel hospitalier de Saint Joseph concerné à avoir exprimé sa réserve sur la pratique de l’IMG. Laurence ne fait pas mystère de sa foi mais ne s’autorise aucun prosélytisme, soucieuse de ne pas blesser les personnes de son entourage sur ces sujets sensibles que sont les sujets d’actualité en bioéthique (diagnostic préimplantatoire, bébé-médicament etc…). Cependant, ses collègues viennent régulièrement lui demander son avis sur ces mêmes sujets, attirés sans doute par le charisme discret et volontaire de cette grande jeune femme brune.
Source : catholique78.fr
Depuis cet événement, Laurence Henry s’est lancé dans la préparation d’un doctorat de philosophie pratique à Paris-Est Marne-la-Vallée. Elle a écrit son premier livre (On ne peut imposer ça à personne – Handicap du nourrisson et euthanasie, Salvator, 2013) dans lequel en s’appuyant sur les témoignages des familles et sur des enquêtes publiées dans des revues de médecine, elle met en lumière les pratiques de certains services s’occupant de prématurés et dénonce des cas d’euthanasie. Les questions posées par ce livre sont très importantes. Face à un nouveau-né atteint d’un grave handicap, à sa difficulté de vivre une existence normale, les soignants doivent-ils prolonger la vie à tout prix ? Peut-on imposer à cet enfant, à la famille qui l’accueille, un tel poids de souffrance ? Pour autant, la question est-elle toujours aussi simple ? Telle est l’interrogation tout à la fois médicale et éthique que pose ici Laurence Henry. Votée en 2005, la loi Leonetti autorise en effet les limitations et arrêts de traitements sur proposition médicale, à la demande du patient ou quand celui-ci est mineur à la demande de ses parents. Pour certains actes, il est difficile de déterminer s’ils sont des soins ou bien des traitements comme c’est le cas de l’alimentation qualifiée d’artificielle. Au moment où plusieurs affaires volontairement médiatisées aboutissent à une mise en question de la loi Leonetti, ce livre revient sur la qualification de l’alimentation administrée artificiellement et aux raisons qui peuvent en motiver l’arrêt dans le cas de la réanimation néonatale. Le handicap semble être la raison principale de ses choix. Mais que faut-il en penser vraiment ? N’est-ce pas céder là discrètement à la tentation de l’euthanasie ou de l’eugénisme ? Les implications de ces décisions pour notre société sont donc déterminantes pour le visage que nous voulons donner à notre civilisation et sur le rôle dévolu à la médecine.
Canada : les médecins majoritairement opposés à l'euthanasie
par Alex Schadenberg, 30/07/2014, lifenews.com
L'Association médicale canadienne (AMC), porte-parole national des médecins au Canada vient de rendre publique les résultats d'un sondage réalisé en ligne sur l'euthanasie, le suicide assisté et les soins de fin de vie. Il en résulte que 71,5% sont d'accord avec la position de l'AMC, opposée à la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. 25,8% désapprouvent cette position, et 2,6% ne se prononcent pas.
Les principales raisons avancées pour justifier leur opposition à toute légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté sont les suivantes:
- "légaliser l'aide médicale à mourir affecterait profondément la confiance que les patients ont dans les médecins et compromettrait la relation médecin-patient". - "le rôle des médecins est de guérir, pas de mettre fin à la vie". - "la légalisation est une 'pente glissante' et conduirait à un élargissement des conditions et des populations de patients pour qui la mort médicalement assistée peut être appliquée, particulièrement concernant les populations les plus vulnérables" - "la légalisation de l'aide médicale à mourir pourrait être utilisée afin de faire des économies au sein du système de santé".
Selon le rapport de l'AMC, si la société en arrivait un jour à une légalisation de l'euthanasie, les médecins devraient être exclus de toute procédure visant à réaliser un tel acte.
TEXTE COSIGNE EN LOIRE ATLANTIQUE PAR 69 MEDECINS DE LOIRE-ATLANTIQUE
12/03/2014
Médecins, soignant depuis parfois longtemps nos patients dans une relation de confiance réciproque, nous déplorons qu’une ixième tentative de légaliser l’euthanasie et l’aide au suicide soit à nouveau avancée malgré des avis répétés de différents comités (Commission Sicart, comité national consultatif d’éthique, etc...). ...
Devant la constatation criante de l’isolement des malades âgés et en fin de vie, nous sommes choqués de constater que la voie envisagée soit de vouloir accélérer leur disparition.Or nous assistons à un appauvrissement, matériel et social, des personnes âgées, souvent de plus en plus seules, victimes de l’affaiblissement de la solidarité familiale. Elles désirent avant tout être reconnues comme des personnes à part entière et non comme des fardeaux inutiles et coûteux.
L’expérience malheureuse des pays ayant légalisé l’euthanasie, comme la Belgique, tend à montrer que la relation de confiance soignant-soigné est profondément modifiée. Nous, médecins de proximité, désirons garder toute la confiance des personnes qui nous confient leur vie et leur bien-être.
Pour nous, donner la mort est toujours un acte d’une grande violence. Pour nous la fin de la vie est un moment important de la vie où la personne mérite des soins attentifs, couvrant les besoins tant physiques, avec en particulier le soulagement de la douleur, que les besoins psychologiques, affectifs et spirituels.
Pour nous, médecins, notre devoir n’est pas d’aider à mourir mais d’aider à vivre, jusqu’à la fin de la vie. Le vrai progrès n’est pas l’euthanasie ou le suicide assisté mais un développement des soins palliatifs avec un effort vigoureux de formation de tous les soignants et intervenants auprès des personnes en fin de vie.
par Louis Puybasset, directeur de l'unité de neuro-réanimation chirurgicale du groupe hospitalier Pitié-Salpétrière. et Claude Evin, ancien ministre des affaires sociales et de la santé, 09/03/2012
Aujourd'hui, on décède de plus en plus rarement sans qu'une intervention médicale n'interfère avec la mort dans les mois ou les jours qui la précèdent. Ce sont les conséquences d'une médecine qui est de plus en plus efficace àguérir ou à stabiliser les maladies. De fait, la mort et la médecine ont de plus en plus maille à partir et c'est un phénomène qui n'ira qu'en augmentant. Il n'est donc pas surprenant qu'on s'interroge aujourd'hui de nouveau à l'occasion de la campagne présidentielle sur la place de la médecine face à la mort et sur l'opportunité de légaliser l'euthanasie.
Pourtant, cette question a été largement débattue en commission parlementaire pendant des mois, en 2004 puis en 2008. La loi française a été adaptée par deux fois pour mieux accompagner la fin de vie. Un juste équilibre a été trouvé. La loi permet aujourd'hui de traiter toutes les douleurs, d'apaiser toutes les souffrances. Les médecins sont désormais tenus de renoncer à toutes formes de traitements devenus vains. Arrêter l'acharnement thérapeutique relève dorénavant du juste soin. Soyons clairs : la fin de vie n'est plus aujourd'hui en France un problème d'ordre législatif. C'est un problème culturel qui concerne aussi bien les soignants que les soignés.
Nommons les choses par leur nom. Se prononcer en faveur de l'euthanasie consiste désormais à vouloirlégaliser l'injection létale de barbituriques et de curares. Il s'agit en pratique d'exiger du personnel soignant qu'il donne activement la mort, c'est-à-dire qu'il arrête le cœur du malade pour traiter sa souffrance. Si les Français demandent légitimement et majoritairement à mourir dans la dignité, peut-on pour autant imaginer qu'ils adhèrent en masse à cette démarche ? Contrairement à l'idée largement répandue, l'euthanasie ne renforce pas le droit des malades mais augmente encore, paradoxalement, le pouvoir des médecins. C'est en réalité un geste d'une grande violence qui n'apaise pas la fin de vie des patients et de leurs proches mais qui, au contraire, multiplie les deuils pathologiques et génère une division des équipes soignantes. Ce que l'on présente comme une idée progressiste, qui pouvait encore faire illusion dans les années 1970, lorsque les moyens de lutte contre la douleur étaient limités et les médecins souvent enfermés dans la toute-puissance, est un concept devenu archaïque.
Quant à la Belgique et aux Pays-Bas souvent érigés en modèles sur le sujet, il est faux de prétendre que leur système ne connait aucune dérive. La légalisation de l'euthanasie remet en cause dans ces pays les interdits, fondements de toute civilisation, qui s'effacent peu à peu au profit des habitudes prises. Ainsi la proportion des euthanasies non voulues y est-elle élevée. Les médecins hollandais avouent eux-mêmes que les traitements sont arrêtés parfois très rapidement dans leur pays pour des raisons purement économiques. Les euthanasies pratiquées sont d'ailleurs souvent suivies de prélèvements multi-organes en Belgique flamande. De plus, la tombée d'un tabou génère toujours une nouvelle revendication. L'ordre des médecins hollandais défend ainsi à présent l'euthanasie des patients âgés "souffrant de la vie" ou victimes de démences.
On le voit, l'euthanasie légalisée entraîne un changement complet de la culture du soin et du rôle social de la médecine. Voici ce qui arrive quand on a la naïveté d'autoriser par la loi un acte qui doit rester une transgression. D'ailleurs, depuis 2002, seul le Luxembourg a suivi la voie ouverte par la Hollande et la Belgique. L'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne et la Suède ont adopté des textes proches de la loi française de 2005. Le Conseil de l'Europe s'est prononcé le 25 janvier dernier contre l'euthanasie et a souhaité que l'on renforce le droit des malades par la promotion des "directives anticipées".
La question du mal-mourir demeure en France comme partout ailleurs une question politique. La régulation économique du soin, qui indexe la plus grande partie du financement des hôpitaux à leur activité, doit être revue. Comme le Royaume-Uni, nous devons favoriser la démarche palliative et donner à cette spécialité l'autorité et le crédit nécessaires pour lutter contre certains groupes de pression, notamment médicaux et pharmaceutiques, qui poussent à l'acharnement, leur fonds de commerce. Il faut aussi instaurer le "droit à voir sa souffrance soulager en fin de vie", comme l'a fait le gouvernement Zapattero dans son projet de loi de juin 2011.
Il est aujourd'hui inadmissible que les patients souffrent. La culture du soin doit connaître aujourd'hui une révolution comparable à celle qu'elle a connue lorsque la loi du 4 mars 2002 (relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé) a donné aux patients accès à leur dossier médical. Cette mesure, d'abord mal vécue par les médecins, a de fait apporté plus de transparence à la relation soignés-soignants. Notre société doit impérativement mieux anticiper la fin de vie, en favorisant la rédaction des "directives anticipées", rédigées par le patient lorsqu'il est en possession de ses moyens mentaux et applicables lorsqu'il n'est plus en mesure d'exprimer sa volonté. Ces directives doivent êtres enregistrées dans la carte vitale de chacun afin que nul soignant ne puisse les ignorer. Cela peut se faire par décret. Ce serait enfin une façon d'affronter le tabou de la mort, de prévenir les situations de conflits et de renforcer les droits des patients.
Conclusion : l’interprétation de la loi sans réelles limites se refuse à toute réflexion éthique
La médiatisation de ces « belles morts » semblent induire l’idée que l’euthanasie représente la mort la plus digne, la plus humaine. Elle devient un modèle du bien-mourir selon des critères de beauté et de dignité. En ce sens, il peut s’instaurer chez les malades, une culpabilité à continuer à vivre. L’acte d’euthanasie deviendrait un acte humain exemplaire. La dichotomie mentale qui en résulte entre « bonne » et « mauvaise » mort, dénature les liens de solidarité dans une communauté et rend la mort définitivement taboue.
D’autre part, l’interprétation de la « souffrance morale » est si large qu’il ne semble pas y avoir de limites légales à la pratique de l’euthanasie (baisse de l’autonomie due à la vieillesse, peur d’être seul, peur d’une souffrance future, lassitude de vivre, etc.).
Il en est de même pour le critère de « maladie incurable ». La loi autorise l’euthanasie pour des diagnostics de maladies dont le décès n’est pas prévu à brève échéance : Alzheimer, asthme, diabète, arthroses, arthrites, cécité, etc..
Enfin, la non-nécessité d’être en phase terminale d’une maladie, donne la possibilité d’anticiper une souffrance future, qui n’est donc pas une réalité, mais qui génère une peur toujours plus grande de la mort.
Ces complaisances de la loi ne dissimulent-elles pas une réalité d’abandon des plus fragiles ? Cet état des lieux n’est-il pas symptomatique d’une société en proie à la solitude, à la peur d’être mal accompagné, et à une carence de confiance envers les soignants ?
L’ouverture désormais de l’euthanasie aux mineurs n’est que la résultante d’une banalisation progressive de l’euthanasie dans les mentalités et révèle de plus en plus la fracture entre les militants et les médecins de terrain. Cent-soixante pédiatres ont adressé une lettre ouverte aux députés disant qu’il n’y avait ni urgence, ni utilité à l’extension aux mineurs. Les pédiatres argumentaient, exprimant leur avis en tant que spécialistes de terrain. Ils n’ont pourtant pas été intégrés au débat. Celui-ci a bien eu lieu, mais, semble-t-il, entre militants uniquement.
La question de l’accompagnement de la fin de vie apparaît dès lors, comme relevant d’un choix de société significatif des valeurs qu’elle porte : quelle place donnons-nous aux malades ? Quelle image avons-nous d’eux ? Qu’est-ce qu’accompagner humainement une personne ? Ces questions sont d’autant plus primordiales que les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation.
Il paraît aujourd’hui urgent pour les soignants, de se réapproprier une vision du bien-commun, ne serait-ce que pour assurer à la personne malade une sollicitude et une dignité jusqu’au terme de leur existence.
Pour ma part, je peux exposer le cas concret d’une des dernières euthanasies à laquelle j’ai assisté. Cette histoire fait apparaître à la fois :
- le manque de solidarité de toute une société ;
- la pression exercée sur les soignants ;
- des médecins devenus plus militants que thérapeute.
Il s’agit d’une dame d’une soixantaine d’année dont les facultés cognitives et la capacité à se mouvoir se sont dégradées à cause des effets de la chimiothérapie. Elle est par ailleurs en rémission de son cancer. Elle dit avoir fait une demande anticipée d’euthanasie et renouvelle sa demande au vu de la dégradation de son autonomie et de ses pertes de mémoires importantes.
Face à cette demande d’euthanasie, la difficulté pour les soignants était triple, du fait de :
1. Ses pertes cognitives. Un jour, elle me demande : « mais dans le fond vous me l’avez faite cette euthanasie ou non ? », comme s’il s’agit d’un traitement quelconque. Elle ne semble pas vraiment se rappeler de quoi il s’agit. Mais pour les médecins, c’est une bonne chose, elle a enfin prononcé le mot « euthanasie » ! C’est la première fois depuis longtemps, qu’elle en parle spontanément. Pour relancer la demande, le défi est de lui faire dire « je veux une euthanasie » sans avoir l’air de lui proposer, car dans la loi, la demande doit être volontaire et réitérée.
2. De la nature floue de sa souffrance (pas de douleurs ou de symptômes réfractaires au traitement). Au niveau physique elle n’a aucune douleur et est en rémission de son cancer. Donc, pas de maladie incurable, pas de décès à brève échéance. La seule solution est de trouver à quel point sa souffrance morale était insupportable. Lorsque les soignants s’assoient à côté d’elle pour discuter, elle retrouve le sourire et réclame que l’on reste davantage auprès d’elle. Pendant des semaines elle ne demande plus l’euthanasie. Cependant, dès qu’elle se sent seule, elle en reparle de manière assez vague.
3. De son entourage à l’influence inquiétante. L’entourage, constitué d’amis et peu de famille en raison de conflits, parait totalement inadapté. Il harcèle sans cesse les soignants en réclamant l’euthanasie de la dame. Les soignants se sentent mal à l’aise car ils comprennent bien que sous la demande de la patiente il y a une autre réalité : celle du sentiment d’abandon à cause du manque de solidarité. Les accompagnants sont sans doute sincères, cherchant pour la malade son bien-être. Mais leur bienveillance est dénuée d’empathie, ce recul nécessaire à une vraie solidarité. La patiente leur demande tout le long de l’hospitalisation une brosse à dents. Au lieu de brosse à dent, ils lui apportent ce qu’ils croient être bons selon eux : du vin, des gâteaux, mais ne satisfont jamais la demande de la dame.
De plus, la majorité des soignants éprouvent de la frustration car de nombreux dispositifs auraient pu être mis en place pour améliorer son confort et son désir d’être davantage entourée. Au départ, elle a accepté des structures adaptées à ses besoins, puis, sous l’influence de son environnement, elle y renonce. Ses proches sont enfermés dans l’émotion de voir leur amie handicapée. Ils ne supportent pas la voir différente. Toute autre solution que l’euthanasie leur parait inimaginable. Sur le petit carnet où ils lui laissent des messages lorsqu’elle dort, il est question d’euthanasie à chaque page. On peut y lire des mots tels que : « N’oublie pas ton euthanasie, c’est ton droit, il faut que tu demandes aux médecins sinon ils ne te la feront jamais… ».
C’est dans ce contexte, que les médecins favorables à la pratique de cette euthanasie, ont dû trouvé des arguments. Afin de contourner chacune de ces difficultés, et répondre légalement à la demande d’euthanasie, des « solutions » ont été trouvées :
1. Pour l’impossibilité d’évaluer correctement sa demande d’euthanasie à cause des pertes cognitives, il a été décidé de favoriser les convictions et demandes antérieures aux pertes de mémoire, (appuyés par la lettre anticipée d’euthanasie), plutôt qu’un changement d’avis qui pourrait être dû à ses pertes de mémoire.
2. D’autre part il fallait déterminer la nature de la souffrance morale. La diminution de son autonomie étant irréversible, c’est celle-ci qui crée une souffrance morale insupportable.
3. Enfin, en ce qui concerne la défaillance de solidarité influençant ses choix, l’argument en faveur de l’euthanasie a été : son entourage fait partie de son bien-être, même si l’influence sur sa personnalité et sur ses décisions sont néfastes, ce n’est pas à nous d’en juger. De même, ce n’est pas aux soignants de pallier le manque de solidarité.
« Un couple âgé du Brabant flamand a demandé et obtenu une double euthanasie. C’est une première en Belgique. L’homme, âgé de 83 ans, souffrait d’un cancer en phase terminale. Son épouse, âgée de 78 ans, qui présentait des maladies liées à la vieillesse, incurables et douloureuses, n’imaginait pas la vie sans son mari. Le couple n’avait pas d’enfant et était relativement isolé. Ils sont morts à leur domicile mardi[11]. »
Le Dr Marc Englert (professeur honoraire ULB, rapporteur à la Commission euthanasie) avance les arguments du Dr Marc Cosyns (généraliste à Gand), en faveur de cette euthanasie :
Objectif : minimiser les risques de souffrance due à un suicide raté (l’euthanasie étant une mort douce…) : « Je considère très important que ces personnes aient montré qu’on peut mourir ainsi et qu’un survivant désespéré ne doit pas nécessairement se procurer une corde ou un revolver mais qu’une solution légale est possible lorsque, comme cette femme, on souffre de maux incurables qui peuvent être démontrés. »[12]
Répondre à la solitude des personnes âgées : « On sait que le nombre de suicides de gens âgés de plus de 80 ans est particulièrement élevé. Il en est certainement parmi eux qui sont restés seuls et qui souhaitent mourir pour cette raison. Ce n’est pas incompréhensible. Il y a des gens qui ont vécu une union fusionnelle avec leur partenaire, comme l’a si bien exprimé Jacques Brel dans “La chanson des vieux amants”. […] Mais en même temps, nous devons faire savoir à ceux dont les souffrances ne peuvent vraiment pas être soulagées que l’euthanasie est possible … »[13]
Le militantisme du couple leur donne tous les droits : « Bien que le fait soit rare, il ne serait pas unique. Le Dr Cosyns déclare connaître cinq cas récents similaires, dont deux qu’il a pratiqués lui-même. Il considère néanmoins que l’histoire de ce couple est particulière parce que les patients ont fait savoir dans leur nécrologie qu’ils sont morts le même jour et qu’ils remerciaient le médecin qui les avait aidés. Il estime qu’ils ont brisé un tabou et déclare qu’il les admire pour l’avoir fait[14]. »
L’épouse donc, qui « n’imaginait pas la vie sans son mari »[15], a été euthanasiée au motif de maladies liées à la vieillesse comme l’arthrite rhumatoïde. Rappelons que selon la loi belge, il n’est pas nécessaire d’être en phase terminale pour obtenir le droit à l’euthanasie et que le motif de souffrance insupportable est suffisant. Est-ce que la dégradation de la qualité de vie et la baisse de l’autonomie dues à la vieillesse peuvent justifier la pratique de l’euthanasie ? Du fait du nombre d’affections incurables (diabète, arthrose, ostéoporose, surdité, Alzheimer, etc..), les restrictions de la loi sur l’euthanasie sont une fiction.
[11]D’après « La Libre » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120, juin 2011, p.11.
[12]D’après « De Morgen » du 28.03.2011, Englert M., « Mourir ensemble par euthanasie : une première ? », in Bulletin de l’ADMD Belgique, n° 120,juin 2011, p.11.
Les soignants commencent à être préoccupés par le nombre croissant d’euthanasies de personnes profondément seules. Il s’agit du cas médiatique de Nathan, la personne transsexuelle dont on pressent le désespoir de ne pas être entouré. Rejeté et maltraité par sa famille, sa mère aura ces mots avant de lire la lettre de Nathan écrite avant sa mort : « Sa mort ne me fait rien. Je ne ressens aucune douleur, aucun doute, aucun remords. »[9]
« Nathan est né Nancy dans une famille qui comptait trois garçons, et avait été rejeté par ses parents, qui souhaitaient un nouveau garçon, selon le quotidien, qui l’a interrogé la veille de sa mort. Rêvant depuis son adolescence de devenir un homme, il avait successivement, entre 2009 et juin 2012, subi un traitement et deux opérations : une cure d’hormones, une ablation des seins, et un changement de sexe. Des opérations dont il n’était pas satisfait : sa poitrine restait trop forte et le pénis qu’on lui avait placé était « raté ». « J’avais préparé des dragées pour fêter ma nouvelle naissance, mais la première fois que je me suis vu dans le miroir, j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps, avait raconté Nathan. J’ai eu des moments heureux, mais au final la balance penchait du mauvais côté », avait-il résumé, estimant être « resté quarante-quatre ans de trop sur cette terre ». »[10]
La maladie mentale, une dépression, ont-elles été diagnostiqué ? A-t-il déjà été suivi par un psychiatre, un psychologue ? Officiellement, il ne s’agit pas de dépression, ce critère n’entrant pas dans le cadre de la loi. Pour accepter la demande d’euthanasie, il a donc été conclu que Nathan est dans une détresse morale insupportable à cause d’un corps qu’il n’a jamais accepté.
[9]Rebillat C., « Un transsexuel euthanasié après avoir changé de sexe », Paris Match, 02 octobre 2013.
[10]Le Monde.fr, « Après un changement de sexe raté, un Belge obtient le droit à l’euthanasie », Le Monde, 02 octobre 2013.
Christian de Duve, Prix Nobel de médecine en 1974, est décédé par euthanasie le 4 mai 2013 à l’âge de 95 ans. En lui rendant hommage la présidente de l’ADMD ne parvient pas à démontrer que le professeur entrait dans les critères de la loi : « Doit-on encore se justifier lorsque l’on choisit l’euthanasie ? »[6] Pour quelle raison choisir la mort à 95 ans, dans un état physique et mental encore bon ? Le professeur se rendait tous les jours à la piscine et participait régulièrement à des émissions de télévision. Le premier signe de faiblesse (une chute) lui a fait comprendre la vulnérabilité naturelle due à la vieillesse.
Peu importe que Christian de Duve ne souffrait d’aucune maladie incurable, la vieillesse peut être considérée comme une souffrance. Le Premier ministre Elio di Rupo a lui-même salué « l’engagement de citoyen dont a fait preuve Christian de Duve tout au long de son existence »[7]. Cet hommage rendu nous révèle une idée centrale : l’euthanasie est un « geste citoyen », un modèle de société. L’exemple de sagesse du Prix Nobel a eu les honneurs de la presse : tous ont applaudi sa lucidité et sa force. Une journaliste du quotidien Le Soir nous raconte sa dernière entrevue avec le vieil homme :« Je suis beaucoup plus proche de la mort que ça, je dois organiser ma disparition », m’a-t-il dit. Il avait eu un malaise et il est resté par terre, sans pouvoir se relever. Il a reconnu que ça a été le signal. C’est un homme extrêmement digne, heureux et satisfait de sa vie […] mais de fait, affaibli. »[8]
Son euthanasie apparaît comme un choix évident, même, un acte de générosité, d’avoir décidé de mourir avant de coûter à la société. La valeur de la vie dépendrait donc de sa capacité à produire de bon et d’utile dans une société (mobilité, vitalité, prouesse), jusque dans la maîtrise de sa mort. Peut-on demander l’euthanasie en prévision d’un état de déclin dû à l’âge ? Quelle image relayée à travers les médias cela donne-t-il à la personne âgée ?
[6]Herremans J., « Christian de Duve, merci ! » in Bulletin de l’ADMD, n° 128, juin 2013, p.8.
[7]de Decker C., Colart L., « Décès de Christian de Duve : Une personnalité scientifique exceptionnelle», Le Soir, 6 mai 2013.
[8]Propos recueillis par Delvaux B., « Si on continue comme cela, ce sera l’apocalypse, la fin », Le Soir, 10 avril 2013.
III. La souffrance morale : le nouvel éden de la « bonne mort »
À travers des exemples de mise en scène médiatique de morts jugées « exemplaires » ; puis à travers une euthanasie vécue récemment, je voudrai montrer comment l’euthanasie s’érige comme une idéologie. Onze ans après la dépénalisation de l’euthanasie, de plus en plus de demandes ont trait à la souffrance morale. Au niveau éthique, ces demandes posent de nombreuses questions, elles font souvent l’objet de discussions et de désaccords entre soignants, tant elles sont à la frontière du légal.
Les médias, eux, n’émettent aucune contradiction ou sollicitation à la prudence. Les euthanasies qu’ils exposent peuvent ainsi apparaître comme une étape logique d’extension naturelle de la loi.
1. Cas médiatiques qui façonnent le dogme de la « bonne mort »
Anticipation d’une souffrance future
Il s’agit de personnes qui ne souffrent pas dans le présent mais qui anticipent de probables souffrances liées, par exemple, à la perte d’autonomie.
« Marc et Eddy Verbessem, des jumeaux monozygotes (vrais jumeaux) nés sourds. Tous deux cordonniers dans la région anversoise, les frères – inséparables – ont toujours vécu sous le même toit. C’est l’annonce d’un diagnostic d’une maladie oculaire dégénérative, un glaucome avec perte progressive de la vision pouvant mener à la cécité, qui fut l’élément déclencheur de l’issue fatale, révélée ce week-end dans la presse néerlandophone. Car si pour ces deux hommes de 45 ans, nés avec ce handicap, le fait d’être privés de l’ouïe n’était pas un réel problème, l’idée de ne plus pouvoir se voir et de perdre toute autonomie leur est apparue littéralement insupportable. Une longue réflexion les a amenés à prendre peut-être la plus lourde des décisions : demander l’euthanasie. Voici un an, donc, que les deux frères ont entamé les démarches nécessaires. Le 14 décembre dernier, réunissant apparemment toutes les conditions légales requises, ils se sont rendus à l’UZ Brussel de Jette. »[3]
Nous pressentons le danger éthique sous-entendu : peut-on euthanasier des personnes qui ne relèvent pas des critères de la loi, au nom d’une souffrance potentielle future ? Dans cette situation particulière, la demande d’euthanasie est justifiée en fonction de critères légaux et non éthiques. Une journaliste a demandé à Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), et membre de la Commission de Contrôle des euthanasies, si « La demande d’euthanasie répondait aux conditions légales »[4], soulevant-là qu’il s’agissait exclusivement d’une « souffrance psychique ». La présidente a répondu : « En effet, ils ne souffraient pas de réelles douleurs physiques. Cela dit, si l’on s’en réfère aux trois conditions essentielles de la loi, ils répondent aux critères. Cela faisait un an qu’ils étaient en demande. Pour ce type de cas, pour lequel le décès n’est pas prévisible à brève échéance, il faut à tout le moins deux médecins consultants, le second s’attachant plus particulièrement à la qualité de la demande. Il faut voir s’il s’agit bien d’une demande volontaire, réitérée et réfléchie et si l’on a aussi bien examiné toutes les pistes possibles avant d’en arriver à cette décision. La deuxième condition est la souffrance, qui peut être d’ordre physique ou psychique, ce qui était en l’occurrence le cas. La troisième condition est que la souffrance est causée par une affection grave et incurable, ce qui est le cas aussi. Actuellement du moins, même si à l’avenir, on peut espérer trouver des solutions. »[5]
Les conditions de la loi sont donc réunies. En revanche, remettre en question le regard de la société face à la détresse de ces malades, ou bien soulever le manque de créativité dans les relations humaines, ou enfin, envisager d’accompagner les jumeaux à s’adapter à leur handicap, de tout ceci il n’en est pas question.
[3]Dardenne L., La Libre.be, « Euthanasie: unis, à la vie. Et à la mort. », 14 janvier 2013.
C’est à partir de ces situations vécues que je me suis rendue compte que les soignants étaient délibérément maintenus dans l’ignorance ou contraints au silence.
La méconnaissance de la loi sur l’euthanasie et la fin de vie
Dans un des services où j’ai travaillé, certains patients sont accueillis le matin dans une chambre et en sortent deux heures après en direction de la morgue, après l’euthanasie programmée par l’oncologue. Les infirmiers ne sont pas mis au courant. On peut aisément se figurer le choc émotionnel que ce manque délibéré d’information et de communication, peut provoquer. Même s’ils sont ébranlés, les soignants ne se révoltent pas car ils connaissent peu ou mal la loi. Aucune formation ne leur est proposée.
La peur des représailles
Dans ce même service, la direction (médecins, directrice des soins, cadres de santé) place les soignants dans la peur des représailles. Beaucoup d’entre eux expriment régulièrement la peur de perdre leur emploi s’ils venaient à remettre en question le système. Cette peur est fondée : certains soignants désireux de quitter le service ont été menacés d’exclusion de l’ensemble du réseau dont la structure hospitalière fait partie, la direction pouvant exercer des pressions pour qu’ils ne retrouvent pas de travail.
La parole des infirmiers tue
Lors des réunions d’équipe pluridisciplinaire, créées à l’origine pour échanger nos points de vue sur la prise en charge des patients, la parole des infirmiers est complètement tue. Personne n’ose parler des euthanasies vécues difficilement ou des questionnements par rapport à certaines décisions médicales. Lorsqu’un infirmier remet en question une euthanasie, la conversation portant sur le fond et les faits est détournée. Les médecins et cadres de santé y répondent systématiquement par la même antienne : « l’acte était choisi, humain ».
Aucune voie de recours
N’ayant pas été entendue par mes responsables directs, je me suis rendue auprès de la direction pour dénoncer ces actes illégaux. La directrice des soins ne m’a pas écoutée. Elle m’a enjoint de me taire. Aussi, les recours en justice paraissent impossibles, il faut pour cela des preuves, des témoignages de familles qui souhaitent s’engager et dénoncer, et le courage des soignants d’affronter tout un système de santé qui protège les médecins.
Depuis onze ans, la Commission de contrôle et d’évaluation des euthanasies n’a jamais, pas une seule fois, transmis de dossier à la justice[2], ni retenue de pratique inquiétante parmi les dossiers pour lesquels il a été demandé des précisions. Cela montrait-il que la loi n’est pas si restrictive et que les conditions réunies peuvent être facilement manipulées ?
S’ajoutent à ce contexte, des demandes de plus en plus importantes d’euthanasie pour cause d’une souffrance morale insupportable lorsque la personne est lasse de vivre dans son état de vie, même lorsqu’elle ne souffre pas de maladie incurable ou de souffrance physique.
[2]Rapport aux chambres législatives de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, tous les deux ans depuis 2004.
Après onze ans de pratique légale d’euthanasie en Belgique, les mentalités autour de l’image de la mort changent profondément. De plus en plus, contrairement à l’euthanasie,la sédation palliative en fin de vie est considérée comme une mort sans aucun sens, dénuée d’humanité et décourageante. Certains médecins la considèrent même comme hypocrite si on l’assimile à une mort naturelle : « Assimiler sédation et mort naturelle est en fait une construction qui permet d’évacuer un sentiment de culpabilité et de considérer l’acte comme moralement bon, supérieur aux autres interventions médicales possibles. »[1]
Il est certes difficile pour les proches d’accompagner une personne en fin de vie. Cependant, j’ai remarqué au fil de mes différentes expériences (en unité de soins palliatifs en France puis en oncologie et unité de soins de supports en Belgique), combien les idées et les choix d’une famille sont influencés par l’image que l’équipe soignante leur renvoie du patient, d’eux-mêmes et de leur situation. La difficulté pour une famille de vivre l’agonie de proche, est en grande partie liée à la perception que l’environnement (soignants, institution, société) a de l’agonie.
Lorsqu’une équipe soignante est au clair sur un projet commun d’accompagnement des personnes en vie, mais également sur sa représentation de la mort et sur l’intention qu’elle met derrière la sédation palliative (elle n’est pas « faire mourir la personne » mais « soulager les souffrances »), l’accompagnement de la famille est beaucoup plus serein. Au contraire, lorsqu’il existe la possibilité d’euthanasie, peut s’ancrer dans les esprits l’idée d’une mort plus « rapide, indolore, propre, nette ». Le temps de l’agonie ne possède alors plus de valeur, plus d’existence, c’est un morceau de vie qui est considérée comme superflu. Cette confusion tient au fait que la loi belge, contrairement à la loi Léonetti, n’encadre pas la pratique de la sédation, ne la définit pas et ne l’intègre pas dans la pratique des soins.
[1] Lossignol D., Damas, F., « Sédations continue : considérations pratiques et éthiques », Rev. Med Brux., 2013,p.27.
Monsieur R. n’a jamais demandé l’euthanasie : il a été libéré par « compassion »
C’est la parole d’un oncologue juste après l’euthanasie de Monsieur R. Quelques jours plus tôt, le médecin vient annoncer à l’épouse du malade que son mari est en phase terminale d’un cancer pulmonaire. Le médecin ajoute que le patient « souffrira énormément, bien qu’actuellement il ne présente aucun signe de douleur ni de tristesse ». L’épouse demande au spécialiste de ne dire mot à son mari « pour ne pas qu’il souffre davantage » et sollicite par la même occasion qu’on l’euthanasie pour lui épargner « l’horreur de la fin de vie ». Monsieur R. mourra par euthanasie sans jamais avoir eu connaissance de l’existence de sa maladie et sans avoir décidé ou même évoqué une seule fois le souhait d’avoir recours à l’euthanasie.
Suite à cette euthanasie, je demande des explications à mes supérieurs au cours de la réunion interdisciplinaire. En chœur, le psychologue, le chef d’unité, le chef infirmier et les oncologues, m’expliquent combien cette mort a été « douce, paisible et sans douleur », « une fin de vie digne » en somme. Sur un ton infantilisant, ils me rappellent qu’« en tant que soignant, il faut être compatissant », que « le pronostic vital de Monsieur R. était compromis à brève échéance » et qu’« il aurait certainement souffert de manière atroce ». L’aplomb du discours, la logique, en apparence, implacable du raisonnement, réduisent au silence les soignants.
Monsieur L. a « bénéficié » d’une euthanasie dans l’urgence, pour pallier des douleurs aiguës non suffisamment soulagées
Monsieur L. souffre d’un ostéosarcome du fémur droit. Hospitalisé, il a évoqué l’euthanasie au cas où son état se dégraderait. Un jour, alors qu’il est pris d’une crise de douleur foudroyante, sa femme, désespérée, appelle au secours le personnel médical : selon elle, il faut impérativement répondre à la demande d’euthanasie de son mari. Les infirmiers, paniqués, appellent d’urgence l’oncologue. Ils proposent d’augmenter les doses de morphine et de mettre en place un protocole de sédation provisoire, afin d’apaiser les symptômes et l’état de détresse. Mais l’oncologue refuse. Au milieu de l’angoisse et de l’agitation, le médecin ordonne aux soignants une préparation létale qu’il administre aussitôt à monsieur L. Un an après, l’épouse revenait dans le service et accusait les soignants d’avoir « assassiné son mari ».
L’oncologue est réticent à employer des traitements morphiniques. Aujourd’hui encore, malgré l’usage fréquent et bien maîtrisé de la morphine, certains médecins en ont encore peur. De nombreux patients subissant des souffrances terribles ne sont pas suffisamment soulagés. Dans ce contexte, nous pouvons aisément imaginer combien le désespoir peut être à l’origine d’une demande d’euthanasie. D’autre part, le contexte d’urgence dans lequel a été pratiqué cette euthanasie a conduit à une mort brutale, inhumaine et profondément choquante, aussi bien pour l’épouse que pour les soignants. Pourtant, rappelons-le, le patient entre dans les critères de la loi : demande réitérée/souffrance insupportable/maladie incurable, etc.
Madame G., « délivrée » d’une agonie trop longue
Une sédation palliative a été administrée à Madame G. : elle est dans le coma depuis cinq jours. Sa famille, angoissée, guette le moindre signe de fin de vie. L’équipe soignante, continuellement sollicitée, est éprouvée par l’agitation incessante. C’est alors que le médecin, manifestement lassé par l’agonie, décide d’« abréger les jours » de Madame G., pour la « délivrer de la déchéance ». Personne ne dénonce ce geste, qui, dans l’imaginaire de la famille et des soignants, témoigne de l’altruisme et de l’humanité du médecin. Un geste pourtant brutal qui règle de manière radicale le « problème de l’agonie ».
Comme nombre de professionnels de santé en Belgique, Claire-Marie Le Huu-Etchecopar dénonce, sur la base d’une observation de terrain, les dérives dans l’application de la loi relative à l’euthanasie du 28 mai 2002. Son témoignage est important, il contribue à la réflexion.
Naturellement, « Plus digne la vie » se fera un devoir de publier, comme il l’a fait par le passé, tout autre document présentant selon des points de vue différents les pratiques dans les pays qui ont dépénalisé l’euthanasie.
Lors de sa conférence de presse le 14 janvier 2014 François Hollande a énuméré les termes de la loi belge sur l’euthanasie sans jamais évoqué le mot. En Belgique, on se targue d’une loi sans dérives, contrôlée de manière absolue par une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. À ce jour, selon cette Commission, absolument toutes les euthanasies recensées ont été effectuées selon les conditions et la procédure prévues par la loi du 28 mai 2002.
Infirmière à Bruxelles, j’ai d’abord travaillé dans un service d’oncologie puis dans une unité de soins de support. De la sorte, j’ai rapidement été confrontée aux demandes et à la pratique d’euthanasies. Depuis six ans, j’ai observé combien cette loi ébranle considérablement les liens de solidarité que nous avons envers les malades. Plus que la mise en lumière de procédures bancales, nous assistons aujourd’hui à un changement radical des mentalités concernant la mort et l’accompagnement des mourants.
I. Euthanasies légales, éthiquement bancales
Depuis mon arrivée en Belgique en 2008, j’ai été le témoin direct de nombreuses euthanasies. Toutes ont été reconnues légales et inscrites de manière officielle dans les dossiers médicaux des patients. Dès ma prise de fonction et malgré des connaissances au départ limitées, j’ai détecté de graves défaillances d’ordre éthiques et déontologiques. À travers mon expérience personnelle dans des services de soins pratiquant l’euthanasie en Belgique, je souhaite montrer qu’il est possible, dans une chambre d’hôpital comme sur un plateau de télévision, de manipuler les opinions et les consciences, pour métamorphoser l’euthanasie en une idéologie du « mourir dignement ».
par le Dr Bertrand Galichon, urgentiste, 25/04/2014
Pour pouvoir répondre à cette question posée en fin de notre dernière chronique, il nous faut partir du début, de l’incarné, de notre humanité: de quoi sont faites nos personnes respectives et uniques ? Il est intéressant de constater que les grandes traditions humaines ont de tous les temps considéré que nous étions faits de trois éléments différents : corps, esprit et âme. Cette trinité (certes avec un petit t !), prévient notre tentation de nous enfermer dans une confrontation binaire corps contre esprit, manuel contre intellectuel, comme un garde-fou pour ne pas « perdre notre âme ». Comme si un essentiel, un liant, une cohérence était ailleurs, insaisissable. Pour ce qui est du corps et de l’esprit, tout le monde voit de quoi il s’agit et peut en donner une définition claire.
Quid de l’âme.
Mais pour ce qui de l’âme, il en va tout autrement. Voilà une notion non opérante en voie de passer par les oubliettes de nos sociétés dites libérales. Par exemple, est-ce que le mot âme a été évoqué dans les derniers débats éthiques ?
Amusez vous, comme je l’ai fait de demander autour de vous la définition de l’âme. Comme pour la dignité, chacun a sa petite idée ou bien souvent très floue. Les plus cultivés vous parleront de « l’anima », du principe de la vie, de la pensée sans aller plus loin (on reste dans l’intellectuel, le doctus cum libro), les autres vous diront « ah oui ?! ». Deux de mes enfants à qui je posai la question m’ont étonné. L’un m’a répondu : « ce que jamais je ne pourrai te prendre ». L’autre : « ce qui me différencie radicalement de toi ». Le premier renvoie à ce qui fait l’essentiel, la colonne vertébrale comme l’âme d’une corde ou d’un tronc. Le deuxième met en avant l’unique. Ainsi, les brancards brinquebalants évoqués dans notre chronique précédente, jouissent aussi de la même âme (blessée certes) que vous et moi et à ce seul titre donc de la même dignité. Bartolomeo de Las Cases ne nous contredira pas.
Réalité relationnelle.
A ce stade de notre réflexion, je ne peux pas m’empêcher de faire appel à François Cheng dans « Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie », chez Albin Michel, en page 71 : « en Occident comme dans bien d’autres cultures, une tradition presque immédiate a décelé en chaque être humain quelque chose que l’esprit seul ne recouvre pas, quelque chose d’intime, de secret, qui lui est propre ; qui comporte son étonnante capacité à ressentir, à s’émouvoir, mais également sa part inconsciente, jamais tout à fait élucidée ; qui, enfoui au plus profond de son être, indivisible, constitue la marque même de son unicité. » Ainsi pour poursuivre cette idée chère à François Cheng, l’âme vient habiter, donner vie à ce vide médian qui me sépare de l‘autre ou qui me lie à lui. L’altérité convoque notre dignité, la fait vivre ou la blesse. Ainsi, ma dignité n’est pas une entité rationnelle mais vérité relationnelle ouverte qui ne m’appartient pas exclusivement. Elle donne toute sa marque à notre altérité.
Ouverture spirituelle.
Notre ouverture au spirituel, forme accomplie d’altérité, mobilise en premier lieu notre âme, mais qu’en est-il en particulier de notre corps ? Doit-il être considéré que comme un objet biologique stricto sensu ? Non, je croie fondamentalement que notre personne entière, de par son unité, participe de notre dignité. Ainsi notre corps a une valeur spirituelle. Pourquoi, la semaine dernière à l’enterrement d’un de mes oncles, nous nous sommes signés à l’entrée de ses cendres dans l’église ? Pourquoi sommes-nous venus bénir son corps à la fin de la cérémonie? Il y va bien plus que du respect, qu’une marque d’affection ou qu’un signe d’adieu. Nous reconnaissons la valeur spirituelle de tout l’être disparu.
Les faits sur l'euthanasie: un tour d'horizon remarquable du Dr François Primeau
par Sophie Brouillet, Refus médical de l'euthanasie, 22/04/2014
La dépression en phase terminale est fréquente et peu prise en charge, et les patients qui en souffrent sont de quatre à cinq fois plus nombreux à demander l'euthanasie.
C'est l'un des faits saillants d'un exposé remarquable qu'a livré tout récemment le Dr François Primeau, psychiatre et chef du service de gérontopsychiatrie au CSSS Alphonse-Desjardins, dans le cadre des téléconférences de l'Association des médecins psychiatres du Québec. Nous vous invitons à écouter cette téléconférence, que nous rendons accessible ici avec l'autorisation du Dr Primeau et de l'AMPQ.
Comme psychiatre, Dr Primeau y souligne que la dépression touche de 20 à 50% des patients en phase terminale et que seulement 3% d'entre eux sont traités pour ce trouble. Il cite aussi des données selon lesquelles 44% des patients en soins palliatifs demandent la mort, mais la moitié d'entre eux changent d'idée à l'intérieur de deux semaines. Des chiffres particulièrement troublants, poursuit-il, quand on pense qu'aux Pays-Bas, les demandes d'euthanasie acceptées mènent à la mort en moins de deux semaines. Outre le problème des dépressions non traitées, Dr Primeau rappelle le fait bien établi que seulement 30% des patients en fin de vie ont actuellement accès aux soins palliatifs, essentiels à leur confort physique et psychique.
Ces données l'inquiètent d'autant plus que le dernier budget provincial prévoyait des compressions de 400 millions dans les services de santé, alors que l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux avait fait valoir la nécessité d'une injection de 1,2 milliards pour seulement maintenir les services actuels dans le contexte du vieillissement de la population.
«Est-ce que l'euthanasie pourrait devenir le régulateur démographique du fardeau économique à venir?» demande-t-il en faisant valoir qu'en 2010, la commission de planification économique de l'Australie a évoqué l'euthanasie à titre de mesure de contrôle des coûts en santé, qui sont également en pleine croissance en raison des changements démographiques.
Voici d'autres faits et points présentés par le conférencier:
La loi canadienne commande un accès universel aux soins de santé. Si l'euthanasie est légalisée en tant que «soin», il sera très difficile de maintenir des balises, car ces dernières pourront être considérées discriminatoires. Par exemple, aux Pays-Bas, la dépression majeure est acceptée depuis 1994 comme un critère d'admissibilité à l'euthanasie à la suite d'un cas de demande de ce type. Le projet de loi 52 ouvre déjà la voie à ce scénario en considérant la souffrance «psychique» comme un critère d'admissibilité.
Le supposé «consensus» au Québec sur la légalisation de l'euthanasie est trompeur: 59% des mémoires et interventions à la commission consultative itinérante étaient des prises de position contre l'euthanasie contre 35% en sa faveur. Quant aux sondages, ils démontrent une grande confusion sur le sujet. Seulement 33% des répondants à un sondage Ipsos Reid mené en septembre 2013 comprenaient que le terme «aide médicale à mourir» signifie l'injection d'une substance létale à un patient, 29% croyant que l'on désigne par là les soins palliatifs et 22%, la cessation de l'acharnement thérapeutique. Le sondage mené auprès des médecins spécialistes en août 2010 donnait 75% de médecins favorables, mais les réponses montrent aussi que 48% des répondants confondaient sédation palliative et euthanasie.
À l'échelle mondiale, l'euthanasie demeure une pratique marginale: elle est légale seulement dans trois pays représentant 0,45% de la population mondiale, soit les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, ainsi que dans deux États américains, l'Oregon et l'État de Washington. L'Association médicale mondiale, qui regroupe 9 millions de médecins dans 106 pays, s'est prononcée contre l'euthanasie en 2013.
Pour Dr Primeau, les dérives ne sont pas une hypothèse mais des faits qui surviennent. Aux Pays-Bas, les statistiques montrent une augmentation de 117% des cas d'euthanasie entre 2006 et 2012, faisant passer leur nombre d'un peu plus de 1900 à environ 4000. En 2013, 45 patients souffrant de pathologies psychiatriques y ont été euthanasiés. La dépression majeure est un critère d'admissibilité depuis 1994. L'euthanasie des enfants y est permise. Et 23 % des euthanasies ne seraient pas rapportées. L'ONU s'est élevé contre le nombre élevé d'euthanasies aux Pays-Bas, s'inquiétant de la «toute-puissance» des médecins, souverains quant au pronostic, à l'admissibilité à l'euthanasie et à son exécution.
La conférence a été suivie d'une période de questions et d'échanges intéressants avec d'autres médecins.
Philippe Juvin, médecin réanimateur et Député européen, Valeurs Actuelles, 25/10/2012
Le débat sur la légalisation de l’euthanasie est donc relancé. Le sujet est complexe et riche. Un des aspects du débat porte sur les limites qui seraient inscrites dans la loi pour autoriser la réalisation d’une euthanasie. Autrement dit, des critères pourraient-ils être imaginés pour encadrer strictement la pratique d’une euthanasie afin qu’elle reste réservée à quelques cas exceptionnels de souffrance incurable ? Certains le pensent. D’autres répondent que le respect de tels critères est illusoire. Une façon de départager les deux avis est d’étudier les exemples étrangers, dans les pays où l’euthanasie a été autorisée.
Le premier garde-fou habituellement rencontré dans les lois existantes est, heureusement, l’obligation de recueillir l’accord explicite du patient. Or en 2007, une étude financée par le ministre hollandais de la Santé et publiée dans le très honorable New England Journal of Medicine a montré que plus de 500 personnes étaient euthanasiées chaque année aux Pays-Bas sans leur accord explicite… En Belgique, la situation semble encore plus préoccupante puisque, dans un travail publié en 2009 dans le même journal, la moitié des morts par injection létale avaient été réalisées sans consentement explicite du patient.
Autre garde-fou souvent rencontré dans les législations d’euthanasie : l’obligation d’obtenir un second avis médical avant d’autoriser la mort du patient. Le rôle de ce second avis étant double : vérifier que le patient avait bien compris ce qu’on lui proposait et qu’il souffrait effectivement d’une maladie grave, invalidante et incurable.
Or l’étude hollandaise déjà citée montrait que ce second avis médical n’était retrouvé que dans 35 % des dossiers d’euthanasie réalisée sans accord explicite du patient. Une étude canadienne de 2011 et citée dans Current Oncology montrait que dans l’Oregon, sur 62 euthanasies consécutives, 58 avaient bien reçu le second avis favorable, mais que celui-ci avait été donné par un seul médecin, militant pro-euthanasie notoire.
Le dernier garde-fou habituellement prévu dans les lois légalisant l’euthanasie est l’obligation d’obtenir l’accord d’un psychiatre pour s’assurer que le patient qui a demandé l’euthanasie ne souffre pas de démence ni de dépression susceptibles d’altérer son libre arbitre. La dépression est en effet fréquente au cours des phases terminales de cancer : jusqu’à 59 % des cas dans un travail de l’American Journal of Psychiatry en 1995. Or en 2011 dans l’Oregon, un seul patient sur 71 euthanasies avait bénéficié de l’avis d’un psychiatre alors que la majorité de ces patients avait un cancer en phase terminale.
Autrement dit, il n’est pas exagéré d’affirmer que de nombreux authentiques dépressifs, peut-être incapables de donner un consentement éclairé, ont été euthanasiés. Cette observation rappelle cette polémique qui avait impliqué l’association suisse Dignitas, qui organisa l’euthanasie d’un frère et d’une soeur schizophrènes dont la capacité de jugement fut mise en doute.
Ces études scientifiques ont été publiées dans des revues reconnues, à comité de lecture, c’est-à-dire que leur méthodologie a été validée par des lecteurs indépendants. Elles démontrent donc que, dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, celle-ci est assez souvent réalisée sans l’accord du patient ni l’obtention d’un second avis médical, alors que ces deux points sont légalement obligatoires. Finissons donc avec une illusion : celle d’une loi propre, qui permettrait des euthanasies sans risque de bavure.
L’expérience de nos voisins est sans appel : les “conditions strictes” qui encadreront la légalisation de l’euthanasie ne seront pas plus respectées en France qu’elles ne le sont aujourd’hui en Belgique, aux Pays-Bas ou dans l’Oregon. Or en ne respectant pas ces critères, nous ouvrirons une voie incertaine où des comateux, des déments ou des dépressifs et même des handicapés incapables de crier non seront euthanasiés en silence sans avoir donné leur accord.
On trouvera toujours de bonnes raisons de glisser d’une euthanasie librement demandée par le malade à une euthanasie d’opportunité pour le vieillard qui encombre un lit de réanimation, économique pour des patients affectés d’une maladie longue et coûteuse, ou même familiale en cas d’appétissants héritages trop longs à venir.
Une des difficultés du débat se situe dans la part d’idéologie qui nourrit parfois la revendication du droit à l’euthanasie. Cette part d’idéologie est par définition la plus insensible au raisonnement et à la démonstration tels que nous venons de les faire. Elle rapproche paradoxalement les avocats de l’euthanasie des ayatollahs de l’acharnement thérapeutique. Volonté commune de toute-puissance. Illusion partagée d’une maîtrise totale de la mort que les uns veulent choisir et les autres reculer contre toute raison.
Le professeur Philippe Juvin est chef du service des urgences de l’Hôpital européen Georges-Pompidou et député européen (UMP).
“ Mettre fin à une vie ne pourra jamais être une pratique comme une autre ”
Par le Professeur Lucien Israël, de l’Institut.
Le “ consensus ” n'a aucun sens
Le Comité national d'éthique vient de se prononcer en faveur d'une “ euthanasie d’exception ”, et déclare dans le même texte que “ arrêter une vie ne pourra jamais être une pratique comme une autre ”, on le remercie de cette précision. Il fut déjà, dans notre histoire récente, indiqué que l'avortement ne serait pratiqué dans nos hôpitaux qu'à fin de répondre à une situation exceptionnelle. Il remplace aujourd'hui avec l'agrément de la Sécurité sociale, la contraception dans un nombre de plus en plus élevé de cas.
Une telle dérive ne saurait épargner la pratique de l'euthanasie, dans une société au sein de laquelle la longévité s'accroît régulièrement, et avec elle hélas les diverses dépendances, ce qui pèsera de plus en plus sur le budget de la santé, d'où certaines tentations... Mais avant de discuter le principe d'une telle mesure, exceptionnelle ou non, on souhaite présenter ici quelques réflexions nées d'une longue pratique de la cancérologie médicale.
Si, en premier lieu, la demande d'euthanasie est parfois présentée par le patient, apprenant le diagnostic d'une maladie grave, elle n'est pas renouvelée quand la situation vient à se détériorer. Du moins dans le cas où l'intéressé a perçu clairement que toutes ses chances lui ont été données; et plus encore qu'il a compté en tant qu'être humain pour l'ensemble de l'équipe soignante, qu'il a été réconforté, respecté et entouré.
Ce qu'il demande alors c'est de ne pas souffrir, ce qui peut toujours être obtenu par une combinaison de soins locaux et généraux, auxquels il faut ajouter des mesures antidépressives. Il demande à ne pas être négligé du point de vue de l'hygiène, ni du point de vue relationnel ni du point de vue des symptômes non douloureux mais gênants. Et en outre, chose étonnante pour certains, il demande à être prolongé, tout en sachant la fin inéluctable et proche. Et ce répit est mis à profit pour régler divers problèmes, pour instaurer avec ses proches une relation parfois nouvelle, pour revenir s’il y a lieu à une spiritualité négligée et même pour témoigner sa reconnaissance à l'équipe soignante tout entière. Les patients qui n'ont pas été désespérés par des médecins indifférents et peu compatissants ne demandent pas qu'on les tue. Il leur reste d’ailleurs jusqu'à la fin un mince espoir, qu’on n’a pas le droit de détruire sèchement. Et c’est pourquoi le terme de consensus utilisé par le comité d’éthique sonne faux. La demande d'euthanasie par le patient n'est faite et alors parfois réitérée qu'en réaction à la négligence, ou à l'indifférence, ou à l'incapacité des médecins, à leur manque de compassion agissante et de formation. Dans la situation dont il est ici question, la maladie cancéreuse terminale, bientôt responsable d'un décès sur deux chez les gens âgés, la demande d'euthanasie faite par le patient n'est que la condamnation de pratiques inadéquates.
Pourquoi y a-t-il parfois une telle pratique inadéquate ? La réponse qui a le plus de chance d'être la bonne est que la nature même de la vie humaine est occultée, banalisée dans la culture moderne. Le corps est instrumentalisé. L'esprit est assimilé au fonctionnement d'un ordinateur. Le fait que, compte tenu de la diversité conjuguée des génomes et des vécus, il n'y aura jamais deux humains identiques sur cette planète est méconnu. Le fait qu'il n'y ait pas de modèle plausible de l'émergence de la vie, et a fortiori d'une vie consciente d'elle-même, capable de comprendre et de modifier son environnement, de se savoir mortelle, de déléguer à la science qu'elle construit ainsi qu'à la solidarité de ses semblables, le soin de reculer l'échéance, ce fait est tenu pour contingent.
Si pourtant on en venait à lever l'interdiction d'arrêt volontairement cette vie, la médecine d'abord, mais bientôt la civilisation humaine tout entière, en seraient définitivement altérées dans leur finalité. Les représentants de notre espèce aujourd'hui présents sur cette terre devraient en prendre conscience et mesurer leurs responsabilités.
Lucien ISRAEL, de l’Institut, Professeur émérite de cancérologie
L'euthanasie va-t-elle être légalisée ? Certains le souhaitent et l'annoncent. D'autres le redoutent. J'en fais partie. C'est un sujet d'éthique très important qui, depuis des années, est abordé, sans jamais qu'aucune réponse y soit apportée de façon satisfaisante.
Ceux qui sont pour une loi sur l'euthanasie active savent souvent mettre en avant des arguments émouvants et réels : - Ayons pitié de ces hommes, de ces femmes, voire de ces enfants dont les maladies physiques ou psychologiques sont telles que, pour eux, la vie est devenue un supplice. - Hâtons la mort de ceux qui, proches de la fin, ne veulent pas se voir " glisser " d'abord dans une déchéance physique puis vers la mort. - Aidons les handicapés mentaux ou psychiques à " partir " dignement, eux qui ne supportent plus leur état dégradant. - La vie vaut-elle d'être vécue pour le tétraplégique cloué irrémédiablement dans un lit et qui ne peut plus communiquer avec le reste du monde ?
Les réponses aux questions sont difficiles, parfois ambiguës. Mais elles ne doivent pas se résumer en une formule lapidaire issue d'une loi.
L'euthanasie active, la mise à mort, n'est pourtant pas la bonne réponse. Elle est trop simpliste. N'est-elle pas plutôt une réponse que nous nous faisons à nous-mêmes, en bonne santé, pour nous éviter de regarder en face le spectacle de la mort des autres, tout en nous donnant bonne conscience ?
Notre société est hypocrite et lâche ; nous voulons tous la beauté, la jouissance et le bonheur ; nous refusons de regarder la proximité de la mort et de la souffrance. Nous refusons le regard de celui qui sait qu'il va partir.
Si nous tolérons encore la famine au Soudan, c'est que nous pouvons éteindre la télévision ou regarder un match de football. Mais nous ne tolérons plus ni la mort ni la déchéance de nos amis, de nos parents ; ils sont trop près de nous.
Alors nous réclamons pour nous le droit de leur administrer une mort propre. Cette loi, réclamée au nom de ceux qui veulent mourir dans la dignité, est souvent une excuse pour ne pas être dérangés par nos proches qui s'en vont trop lentement.
Si nous acceptons une loi sur l'euthanasie, pourquoi garder en vie les arriérés mentaux, les vieillards atteints de la maladie d'Alzheimer ? Et d'ailleurs, à partir de quand un handicap devient-il inacceptable ?
La voici cette rencontre entre " le cœur et la raison " que je redoute tellement. Côté cœur, ce vieillard qui, petit à petit, s'isole du monde, s'enfonce dans la folie et qui fait pitié ; côté raison, l'économie bien sûr ! Soigner ce vieillard incurable et qui va mourir coûte cher. A une époque où il nous est répété chaque jour que la santé coûte trop cher - les économistes nous le disent - les dépenses de santé sont les plus élevées dans les derniers mois de la vie. Supprimons ces derniers mois, les économies seront énormes.
Rendre service au malade tout en rendant service à la société, quelle belle conjonction ! Quelle terrifiante conjonction ! D'ailleurs, pourquoi ne pas prévenir au lieu de guérir ? Dans peu d'années, la science va permettre de trier les embryons ; la société va ainsi pouvoir " éviter " la naissance d'individus qui auraient été programmés génétiquement pour " faire " un cancer actuellement incurable, ou pour développer une maladie physique ou psychique inacceptable. Ce triage pourrait être proposé au nom d'une " pitié " préventive. Le voici, ce monde propre, réservé aux forts et aux puissants, à ceux qui gagnent.
Refuser, comme je le fais, l'euthanasie active légalisée n'est pas, comme certains pourraient le prétendre, refuser d'aborder la réalité de la souffrance et de la fin de vie.
Il faut d'abord lutter contre la souffrance. Il est intolérable aujourd'hui, de laisser souffrir un patient. Que cette souffrance soit due à une maladie passagère et douloureuse, à un traitement chirurgical ou à une maladie irrémédiable. La souffrance n'est pas le prix à payer pour je ne sais quelle rédemption. L'ambiguïté vient de ce que certaines drogues, tout en atténuant la douleur, peuvent, chez des personnes en fin de vie, hâter la mort. Mais la finalité de ces drogues, qu'il convient cependant d'administrer, reste avant tout antalgique. Acceptons-les. C'est cette barrière invisible entre la lutte contre la souffrance et ce risque de hâter la mort qui fait la grandeur et la complexité de l'acte médical. Il est impossible de le confier à la loi.
Il faut ensuite lutter contre la solitude de la fin de vie. La mort chez soi, entouré par les siens, a disparu au profit d'une mort médicalisée, dans la solitude de l'hôpital ou d'une maison de retraite. Il faut multiplier les unités de soins palliatifs encore trop peu nombreuses. Elles sont l'une des réponses les plus dignes à notre égoïsme.
Il faut enfin, bien entendu, refuser certaines formes d'acharnement thérapeutique. Il est indécent de pratiquer l'acharnement thérapeutique vis-à-vis de certains malades ou de vieillards, que l'on maintient artificiellement en vie. Evitons cependant d'être trop simplistes. Combien de personnes, ayant fait un infarctus ou après un coma traumatique, ont été sauvées par la réanimation et ont repris une vie normale, alors qu'ils étaient jugés perdus.
Il ne faut pas de loi autorisant l'euthanasie. La loi est manichéenne. Or la médecine refuse la règle du tout ou rien, d'une loi fût-elle dictée par de bonnes intentions.
Soigner, c'est être présent à côté d'un malade au début comme à la fin. Soigner, c'est aussi empêcher de souffrir et ne pas s'acharner sur un corps qui s'éteint.
Il ne faut pas de loi, car légiférer, c'est avant tout maintenir certaines valeurs fondamentales qui façonnent une nation. La modernité d'une nation, c'est aussi accepter de prendre en charge les handicapés et les vieillards. Ce n'est pas éliminer ceux qui pourraient gêner et qui coûtent cher.
Nous entrons dans un monde qui va offrir à l'homme un pouvoir gigantesque sur sa propre destinée, comme sur celle de l'Univers. C'est aujourd'hui qu'il faut impérativement un rappel à l'éthique et à la morale. Peut-être aussi, devant tant de pouvoir prochain, faut-il un peu de spiritualité ; sinon, sans cette étincelle, l'homme ne serait plus qu'une machine conjoncturelle. Il serait alors possible de tout faire.
Le Québec est tenté de nouveau par le séparatisme et le souverainisme. Par exemple la décision du Premier Ministre du Québec, Mme Pauline Marois de remplacer le drapeau canadien par celui du Québec a entraîné de vives réactions notamment chez les anciens combattants. Très contestée, après 18 mois de mandat, elle est obligée de dissoudre la chambre ; ce qu’elle a fait le 4 mars. Les nouvelles élections auront lieu le 7 avril. Ce qui a pour effet d’annuler le projet d’euthanasie et de le reporter à deux ans. Pendant ce temps les opposants pro-vie se regrouperont afin de peser sur le scrutin.
Le projet tel qu’il était proposé, permettait d’euthanasier « toute personne atteinte d’une maladie grave et incurable ». Comme la vie elle-même est la seule maladie incurable connue, cela pourrait concerner tout le monde. Etaient exclus du projet la maladie d’Alzheimer et la souffrance. En revanche les enfants pouvaient être euthanasiés. Le plus incroyable était qu’explicitement l’euthanasie était considérée comme un « traitement ». On ne sait s’il faut rire ou plutôt pleurer. Il était évident que le projet était incohérent. Apparemment les médecins l’auraient anticipé en pratiquant des euthanasies illégales dans le cadre de la législation actuelle. Air connu.
Il était joint à ce projet une « charte des valeurs » visant à supprimer toute référence religieuse du cadre de la sphère publique, dans ce pays qui fut jadis un des plus catholiques au monde. Le prétexte est de lutter contre la menace islamique. C’est sans doute le raisonnement des socialistes français. Or on ne lutte pas contre une religion en imposant une absence de religion.
Si les opposants se réjouissent du report du projet de loi sur l’euthanasie, ils savent parfaitement que c’est partie remise. Ils s’apprêtent donc à peser sur les élections.
Jean Vanier. Balfour Mount, Marc Beauchamp, Geneviève Dechêne, Caroline Girouard, Michel Racicot et Nicolas Steenhout s'expriment sur les risques causés par le Projet de loi 52 qui vise à légaliser l'euthanasie, sous le nom "aide médicale à mourir".
Version intégrale – Face au Projet de loi 52, Jean Vanier et Balfour Mount lancent un appel à la conscience
Cette vidéo présente les témoignages de Jean Vanier et de Balfour Mount contre l'euthanasie et le Projet de loi 52, ainsi que ceux de Marc Beauchamp, Geneviève Dechêne, Caroline Girouard, Michel Racicot et Nicolas Steenhout.
Alors que les députés québécois s'apprêtent à voter d'ici quelques jours sur le Projet de loi 52, qui vise à légaliser l'euthanasie en l'appelant « aide médicale à mourir », les vrais experts en humanité lancent une sérieuse mise en garde : offrir et donner la mort intentionnellement à une personne en lui injectant un poison ne sera jamais un soin médical, mais une trahison très grave des malades et des personnes en fin de vie
Jean Vanier, fondateur de l'Arche – avec ses 150 communautés qui, dans 40 pays, accueillent les personnes vivant avec un handicap – dénonce clairement l'euthanasie comme un crime. Il fait appel à notre humanité pour refuser toute légalisation de l'euthanasie; il faut, soutient-il, réapprendre à accompagner les personnes vulnérables pour que notre société soit vraiment humaine.
Le docteur Balfour Mount, fondateur des soins palliatifs en Amérique du Nord et expert mondial dans l'accompagnement des personnes mourantes, qualifie de grave erreur une éventuelle légalisation de l'euthanasie. Il insiste : les soins palliatifs peuvent prendre en charge toutes les douleurs et souffrances du patient, tandis que la légalisation de l'euthanasie mettrait réellement en danger toutes les personnes affaiblies et vulnérables. La sécurité et la protection de tous les citoyens est primordiale, elle a toujours eu préséance sur le droit individuel en santé publique.
L'euthanasie est à nos portes, mais nous avons encore le pouvoir – par souci d'humanité – de lui interdire d'entrer.
Transcription - Version intégrale
Marc Beauchamp
Les députés qui vont voter dans quelques semaines pour adopter ou non le Projet de loi 52 vont probablement prendre la décision la plus lourde de toute leur carrière. Parce qu'au bout de leur décision, ils vont faire partie d'une chaîne qui va aboutir à des homicides.
Geneviève Dechêne
Je suis médecin de famille depuis 32 ans à Verdun, dans le sud-ouest de Montréal. Je fais des soins palliatifs à domicile depuis plus de 20 ans. Je refuse de voir la loi, le Projet de loi 52, je refuse ce projet de loi. Il m'indigne et il me surprend, puisqu'il reprend, en fait, en plus court l'essentiel de l'excellente politique de soins de fin de vie de 2004. Le ministère s'est déjà doté d'une superbe politique de 94 pages qui détaille très bien les services médicaux, infirmiers, et autres aux patients en fin de vie au Québec. Depuis 10 ans cette politique elle est signée, mais elle est tablettée, et les Québécois n'ont pas vu l'ombre d'un changement pour ce qui est de la première ligne en fin de vie. Et voilà qu'on propose une nouvelle loi qui répète pour les soins palliatifs ce qui a déjà été très bien fait. Je ne comprends pas pourquoi. Et qu'on y accole l'euthanasie.
Balfour Mount
Je suis reconnaissant de pouvoir contribuer à cette discussion cruciale. Je m'adresse à vous en tant que médecin qui a été au chevet de personnes mourantes à l'hôpital Royal Victoria de McGill pendant 40 ans. Mais je parle aussi en tant que patient atteint de cancer, ayant une trachéostomie, d'où ces bruits de respiration. Désolé pour cela.
Premièrement , tuer intentionnellement le patient n'a jamais été accepté comme un acte médical depuis l'époque d'Hippocrate, il y a 2400 ans. . Deuxièmement, la légalisation de l'euthanasie met en danger les personnes les plus vulnérables parmi nous : les personnes âgées, les personnes handicapées, celles qui ne peuvent parler pour elles-mêmes, celles qui craignent d'être un fardeau pour leurs proches; les plus vulnérables sont mis en danger lorsque l'euthanasie est légalisée.
Nicolas Steenhout
À cause de ça, c'est facile de se décourager. Tout le monde se décourage un moment donné ou un autre, et on peut se décourager beaucoup. Et quand on devient découragé, on devient vulnérable. Moi, de ma propre expérience, je sais qu'il y a cinq ans, si on m'avait dit « écoute, l'euthanasie est disponible », je l'aurais probablement fait.
Jean Vanier
Depuis 50 ans maintenant, je vis avec des gens très faibles, fragiles, avec des handicaps parfois très sérieux. Certains ne peuvent pas marcher ni parler. Et je crois que je peux dire que ce sont des personnes qui nous apprennent ce que c'est aimer. Que la vie est quelque chose de précieux. Et dans ma communauté depuis de longues années, vous pouvez vous imaginer, il y a beaucoup de gens qui sont morts. Nous voulons les accompagner, être avec eux jusqu'à la dernière minute. Nous sommes par le fait même... Pas question de l'euthanasie. C'est comme une sorte de forme de blessure, de crime.
Balfour Mount
Troisièmement, ce n'est pas nécessaire car nous sommes en mesure de contrôler la douleur, et grâce aux soins palliatifs et à une équipe qualifiée, nous sommes capables de minimiser la souffrance physique, psychologique, sociale, spirituelle, et existentielle. Et s'il y a une exception, la sédation palliative est légale, elle fait partie des soins palliatifs, ça ne nécessite aucun changement législatif.
Caroline Girouard
Si, dès le diagnostic, ou au fil de la maladie métastatique, on introduit l'option de mort sur demande, ces patients-là qui ont eu initialement l'idée de s'enlever la vie, ou de vouloir qu'on leur enlève la vie, ces patients-là ne vont pas revenir à la clinique externe. Ces patients-là n'auront pas la chance de rencontrer l'équipe des soins palliatifs, n'auront pas la possibilité de changer d'idée parce qu'ils auront trouvé la mort plus tôt. Je suis inquiète pour mes patients.
Balfour Mount
Et quatrièmement, il y a toute la question de notre désir de contrôle -- l'idée qu'au moins je pourrais contrôler quand je mourrai, et le sentiment que ceci réduirait mon anxiété, parce que l'inconnu augmente l'anxiété qui inhibe nos mécanismes d'adaptation. Alors je me sentirais plus en contrôle. Je tiens à souligner, qu'au fil du temps, il y a eu un consensus général quant au fait que les droits de la société l'emportent sur les droits de l'individu. Ainsi, quand un individu est atteint d'une maladie contagieuse, il est mis en quarantaine parce que les droits de la société l'emportent sur les droits de l'individu. Il en est de même avec ceci (l'euthanasie et la protection nécessaire des personnes vulnérables) Je crois que ce serait une erreur catastrophique de légaliser l'euthanasie au Québec, et au Canada.
Geneviève Dechêne
Je trouve indécent que l'on propose aux patients en fin de vie québécois de les tuer au lieu de les soigner. Je demande aux députés qui vont voter sur cette loi, je vous demande de voter en faveur des soins aux patients en fin de vie, et non pas de l'euthanasie. Le fait de tuer un patient qui va mourir n'est pas un soin. C'est un meurtre.
Caroline Girouard
Comme médecin, je refuse de participer de quelque façon que ce soit en proposant ou en donnant la mort à un seul de ces malades.
Jean Vanier
Et surtout, il s'agit à tout prix d'éviter des législations pour tuer des gens, finalement des législations de l'euthanasie. Mais pour cela, il faut que notre société change. Qu'on découvre davantage l'accompagnement de la faiblesse. Être avec les faibles, pour découvrir qu'une société n'est humaine, vraiment humaine que si les plus faibles ont leur place. Et les plus faibles, oui, sont ceux qui ont un handicap sérieux, mais c'est aussi tous ceux qui cheminent vers la fin de leur vie dans une forme naturelle.
Michel Racicot
Un suicide est une tragédie, et pourtant, il y a environ 1000 suicides par année au Québec. « Tu es important pour nous. Le suicide n'est pas une option », voilà le message que nous livre le gouvernement du Québec dans sa campagne contre le suicide. Mais les messages qui nous sont livrés sont contradictoires.
Le rapport Ménard, rédigé pour mettre en œuvre les recommandations pour l'adoption de l'aide médicale à mourir, nous le dit bien : « L'intérêt de l'État à préserver la vie diminue en fin de vie... » Voilà le vrai message aux aînés. Voilà le vrai message aux personnes souffrantes : « Tu ne nous profites plus. Tu nous coûtes cher. Alors on va t'aider à partir. »
Marc Beauchamp
On veut empêcher les députés de faire cette erreur-là. Laissez les soins palliatifs se construire comme il faut. Laissez la médecine vraiment traiter les gens. Et arrêtons d'appeler « soin médical » ce qui est en fait une injection pour tuer quelqu'un. Les Québécois méritent vraiment plus que de se faire proposer par leur gouvernement qu'on leur fournisse un médecin pour les tuer. Les Québécois méritent toute la protection, ils méritent vraiment d'être protégés jusqu'à la fin de leur vie, même s'ils sont très âgés, même s'ils sont très malades. Parce que chaque personne est importante au Québec. Jusqu'à la fin de sa vie.
Le Collège des pédiatres américains dénonce violemment la légalisation de l’euthanasie des enfants
par Jean-Pierre Dickès, Médias-Presse-Info 23/02/2014
Les réactions contre la loi belge permettant d’euthanasier des enfants se multiplient. Ainsi 58 membres du Conseil de l’Europe ont signé une déclaration affirmant que la nouvelle législation « trahit certains des enfants les plus vulnérables en Belgique » et « favorise la croyance inacceptable que la vie peut être indigne d’être vécue ce qui met en cause le fondement même de société civilisée. » Il en est de même de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dont 61 membres ont signé une déclaration de protestation. Dans le pays même, un certain nombre de manifestations ont eu lieu, hélas après coup. Deux cents pédiatres belges et le Réseau International des enfants en Soins palliatifs (ICPCN) lors de sa conférence internationale à Bombay ont fait de claires déclarations : « l’euthanasie ne fait pas partie des soins palliatifs et n’est pas une alternative aux soins palliatifs ».
Une des réactions les plus violentes est venue du Collège américain des Pédiatres. Celui-ci a déclaré que si le nombre des euthanasies d’adultes a doublé en un an du côté flamand du pays, c’est un scandale de vouloir les étendre aux enfants sans défense. « C’est le rôle de chaque professionnel de la santé de fournir des soins de patients en difficulté avec compassion, toujours en s’efforçant de préserver la vie et la dignité du patient. » Il s’est dit absolument consterné. « Le concept de l’euthanasie est basé sur une vision d’un monde utilitariste qui définit la valeur de l’individu en fonction de la contribution de cette personne à la société ». Les pédiatres ont mis en garde les Etats-Unis contre une telle manière de voir la vie humaine qui ne saurait être ramenée qu’à un intérêt économique pour la collectivité. Les médecins sont faits pour guérir et non tuer, ont-ils ajouté.
Le texte se termine en rappelant que « le meurtre des nouveau-nés et des enfants ne peut jamais être approuvé par le Collège américains des pédiatres et ne doit jamais être approuvé par une autre entité médicale sociale ou éthique ».
Le Dr Bernard Jeanblanc a rédigé un rapport après avoir rencontré Vincent Lambert, le 9 décembre. Chef de service d'une unité pour polyhandicapés et d'une unité de vie spécialisée pour les « pauci-relationnels », comme Vincent Lambert, il est depuis vingt ans un des spécialistes en France de ce type de patient.
LE FIGARO. - Vous ne cachez pas votre «perplexité» dans ce dossier. Qu'est-ce qui vous interpelle?
Dr JEANBLANC. - On recense en France 1500 patients en état végétatif ou «pauci-relationnels». Ce ne sont pas des gens dans le coma, ils perçoivent leur environnement extérieur mais sans pouvoir communiquer. Leur prise en charge s'inscrit toujours dans un projet de vie, et pour cause: ils ne sont pas en fin de vie. Dans mon service, ces patients sont levés tous les jours, ils reçoivent des soins de kiné, de confort, de stimulation. À l'opposé de l'approche palliative. C'est pourquoi, dès le départ, l'hospitalisation de Vincent Lambert dans un service de soins palliatifs est une inadéquation totale, il n'a rien à faire là.
Ce cas est selon vous «une interprétation abusive de la loi Leonetti», pourquoi ?
Si on euthanasie un patient comme Vincent, quid des 1500 autres qui sont comme lui? On les élimine? Sur quels critères? Parce qu'ils sont handicapés? Qu'ils ne servent à rien? Je crains beaucoup ces dérives utilitaristes, voire économiques. Cela voudrait aussi dire que la pratique des professionnels avec ces patients-là, depuis tant d'années, est inutile? Mes équipes sont outrées de voir l'approche réservée à Vincent Lambert.
L'équipe du Dr Kariger dit avoir perçu une résistance aux soins, signe qu'il voulait en finir.
Comment le Dr Kariger, qui reconnaît l'incapacité objective de Vincent à communiquer, peut-il soutenir avec une telle force de conviction qu'il a exprimé un refus de vivre? Nous sommes là dans l'interprétation pure et simple. Or on ne peut baser un arrêt de mort sur des suppositions, c'est très grave! À plus forte raison quand il s'agit de «faire mourir» et non de «laisser mourir». Car il faut rappeler qu'il n'y a pas de pathologie dans ce cas, ni même de détérioration de l'état de santé.
La prudence a-t-elle manqué?
À l'évidence. Or c'est une des vertus du soin. Pour tout dire, c'est ce qui m'étonne le plus dans l'attitude du Dr Kariger: le fait qu'il ne doute pas. Avec mon équipe, après vingt ans d'expérience, nous ne sommes jamais dans la certitude, c'est impossible. Par ailleurs, un principe élémentaire n'a pas été respecté: quand il n'y a pas de consensus familial, c'est le droit à la vie qui prime. C'est le professeur Didier Sicard qui l'a rappelé (ancien président du Comité consultatif national d'éthique, auteur d'un rapport sur la fin de vie, NDLR).
De la limitation des soins à la fin de vie ou comment noyer le poisson en eaux troubles !
par le Dr. Bertrand GALICHON, 13/11/2013
A une heure où il aurait été beaucoup plus urgent et difficile de faire œuvre d’éducation citoyenne en précisant tous les termes utilisés dans la loi Léonetti et dans les exégèses qui ont suivi comme le rapport Sicard, la France sous prétexte de modernité, d’ouverture d’esprit, de sentimentalisme va saper une loi de liberté fondamentale votée en 2005 et à l’origine de la majorité des lois européennes votée 5 à 6 ans plus tard sur cette question difficile de la prise en charge des patients en fin de vie.
Directive anticipée, sédation terminale, sédation létale, personne de référence, euthanasie passive et active, …. Tous ces termes précis renvoient à des réalités bien circonscrites répondant à des questionnements éthiques, humains, spirituels bien définis. Le flou qui les entoure ne peut que favoriser la remise en question de la loi Léonetti. Alors que cette loi est une injonction faite aux soignants, aux familles et aux patients de prendre leurs responsabilités ajustées ; injonction qui nous met face à notre liberté fondamentale avec pour objet le respect de notre humanité telle que l’entend le philosophe Rémi Brague. Aurions-nous peur d’affronter la gravité de notre humanité ? Ou alors voulons nous la mettre totalement sous contrôle ?
Débat volé.
Cette loi Léonetti comme les autres lois de bioéthiques ont fait l’objet de débats approfondis, élargis, citoyens comme le veut la loi. Ici et ailleurs, de nombreux débats citoyens ont pu se tenir dans un esprit laïc responsable. Les conclusions ont été riches, responsables et accessibles à tous. Aujourd’hui, on nous propose une « conférence citoyenne » limitée à quelques « happy few », des experts sûrement, pleins de leur savoir. Mais qui sont-ils ? Qui les a choisis et selon quels critères ? Où vont-ils se réunir ? Nous savons deux choses. D’une part, ils vont régler la question en trois week-ends dont un seul durant lequel ils pourront recevoir des témoins de leur choix. D’autre part, le 16 décembre les conclusions devront être rendues. Quelle rapidité, on n’arrête pas le progrès ! C’est du vite fait, bien fait ! Et après quid ? Quelle confiscation de la parole citoyenne a été prévue ?
Les moyens d’un autre débat.
On nous a garanti que ces experts constituent un échantillon représentatif, mais de qui, de quoi. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) inspire le CCNE : sonder un « échantillon représentatif ». Je vous renvoie à mon blog publié le 20 février dernier. Choisissez votre échantillon représentatif et vous obtiendrez le résultat escompté. Le CNOM en est arrivé à faire une proposition favorable à l’euthanasie alors que bon nombre des éléments de cet échantillon n’étaient pas concernés au jour le jour par cette question et dont les termes n’ont pas été précisés. Cette notion d’échantillon représentatif renvoie à celle du consommateur dont on évalue les besoins, les indices de satisfaction dans une optique de marketing. On devrait envoyer les éthiciens faire des stages dans de bonnes écoles de commerce ! Pourquoi seul le nom de M. Romero est-il connu ? Que sait un expert de plus que vous et moi devant la mort?
La Commission Sicard, sans grands moyens ni facilités, a pu organiser des grands débats citoyens à travers toute la France. Les conclusions rendues ont permis en particulier de clarifier tous ces termes, ces notions difficiles évoqués plus haut. A quoi a servi tout ce travail, si le CCNE doit le balayer du revers de la manche d’un obscur « échantillon représentatif » ? Confiscation du débat, méthode antidémocratique qui considère que l’expert a besoin d’être protégé pour donner la quintessence de sa substantifique moelle !
Cette prise de pouvoir dans une atmosphère de secret est source de suspicion. Le CCNE risque de jeter le discrédit sur son action. Il eut été plus sain que le CCNE prenne à bras le corps le Rapport Sicard pour faire des propositions de loi.
Enfin ne pensez pas que cette volonté appuyée, répétée de réviser la Loi Léonetti soit l’œuvre de quelque lobby tenace. Non je considère la question comme beaucoup plus profonde et grave.
La question n’est plus la même.
Nous assistons à un glissement des termes comme évoqué dans mon précédent blog. Nous partons de la limitation des soins pour éviter l’acharnement thérapeutique à la gestion de la fin de vie. Ces deux choses sont totalement différentes. Notre expérience de tous les jours dans mon service nous apporte la preuve. Laisser croire que ces deux notions recouvrent la même réalité laisse à penser que la fin de vie ne peut être évitée que par l’action de l’homme. Autrement dit, à partir du moment où les traitements curatifs s’avèrent impuissants la mort est inéluctable. C’est extrêmement présomptueux de notre part. La loi Léonetti au contraire nous invite à accompagner, à nous ajuster à cet autre possible qui nous échappe. En passant de la limitation des soins à l’euthanasie, on nous assure de ce contrôle (illusion de liberté) de la vie jusqu’au dernier instant refusant que toute transcendance puisse s’inviter. Soyons heureux la « Procédure » nous borde bien, de façon carrée, de notre conception à notre mise en boîte ! Pas de crise de conscience ! L’homme n’a cessé que de vouloir grappiller des parcelles de pouvoir supplémentaire, celle sur la fin de vie est essentielle car elle donne tout son sens au reste.
Le radio-oncologue Kenneth Stevens, qui a plus de 40 ans d'expérience, a affirmé que la loi permettant aux médecins de l'Oregon, où il travaille, d'aider un malade à mourir lance le message suivant aux patients: «les médecins peuvent faire un meilleur travail en vous tuant qu'en tentant de vous guérir».
À quelques jours du vote sur la Loi concernant les soins de fin de vie (projet de loi 52) à l'Assemblée nationale, le coprésident de la coalition, Dr Paul Saba, a invité le spécialiste américain pour qu'il donne un bilan de son expérience de travail en Oregon où le suicide assisté est officiellement permis par la loi depuis 15 ans. Les deux médecins espèrent influencer Québec à abandonner le projet de loi.
Le texte du projet québécois stipule qu'une personne atteinte d'une maladie grave, incurable, qui éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes et insupportables, a le droit de recevoir de l'aide médicale pour mourir.
Pour le Dr Stevens, donner le choix de pouvoir mettre fin à ses jours à un patient revient à une incitation au suicide. En entrevue avec l'Agence QMI, il a raconté qu'il avait rencontré au cours de sa carrière de nombreux patients qui se croyaient condamnés, mais qui, après le traitement, avaient vécu pendant de nombreuses années.
Une de ses patientes de 68 ans, Janette Hall, qui était à ses côtés dimanche, a affirmé qu'elle était prête à mourir il y a 13 ans lorsqu'elle a appris qu'elle était atteinte d'un cancer foudroyant et avait besoin d'un traitement agressif de radiothérapie pour survivre.
«Je ne voulais pas être un fardeau pour ma famille, a-t-elle dit en entrevue. J'ai demandé au Dr Stevens de me donner la pilule (du suicide).»
Le Dr Stevens l'a convaincue de suivre le traitement. «C'est bon d'être en vie aujourd'hui», a-t-elle affirmé. (...)
extraits de : Fin de vie: aider au suicide est une redoutable régression éthique et Euthanasie: «sédation qui tue» est un oxymore, par le Docteur François Goldwasser, cancérologue
(...) Toutes les questions inhérentes à la détresse, à la vulnérabilité sont intimement liées à celles de la solidarité. Que voyons-nous? Ce rapport est remis au président de la République en pleine crise économique. Au même moment, le gouvernement annonce que l'augmentation du salaire horaire minimum ne pourra être que de trois centimes. L'argent manque dans les hôpitaux publics qui doivent impérativement réduire leurs déficits. Et on nous explique déjà que l'année qui vient sera pire que celle qui s'achève.
Nous assistons au même moment à deux phénomènes. D'une part une rétraction des solidarités. De l'autre à ce qui est présenté comme une avancée et qui consiste en une autorisation donnée d'achever les mourants. Jusqu'où faudra-t-il être aveugle pour ne pas faire le lien? Moins de moyens en aides-soignants et en infirmières, moins de remboursements de soins dits «de confort» c'est nécessairement davantage de demandes désespérées.
La France sera donc le premier pays au monde à proposer d'autoriser dans sa loi le corps soignant à accélérer la fin de vie de personnes les plus fragiles dans un contexte de crise économique. On peut le redouter. (...)
Prêter attention au contexte dans lequel s'inscrit cette question
Avant d'accepter la demande de mort d'une personne, il faut pouvoir distinguer un désespoir induit par l'environnement et une position librement assumée. Afin d'être sûr que le désespoir d'une personne est réellement irréductible, n'est-il pas prudent de commencer par offrir le B.A-ba de la solidarité? Des gardes malades pour que les patients puissent rester au domicile s'ils le souhaitent, des couches gratuites pour les incontinents urinaires (une couche trois fois par jour pendant 1 mois revient à 75 euros), un devoir opposable d'accès à un lit en chambre seule pour les personnes en fin de vie qui se présentent aux urgences...
Ce n'est pas difficile, c'est peu coûteux, curieusement, personne ne se bat pour cela. Que signifie cet acharnement à vouloir accélérer le décès des plus faibles avant d'avoir épuisé les ressources élémentaires de la solidarité à leur égard?
En 2013, les patients en fin de vie qui se présenteront dans un établissement de santé devront donc compter avec:
- Une diminution des moyens de prise en charge du confort, une diminution du nombre de lits par établissement, une diminution d'aides-soignantes et d'infirmières par lit. - La possible rencontre avec un médecin qui jugerait que sa situation n'est pas digne d'être vécue, du moins dans son service, et s'autoriserait, conforté par la loi, à faire une sédation terminale sans l'expliquer à l'équipe soignante du fait de l'ambiguïté des mots «sédation terminale» à l'insu du patient et de sa famille. - La possibilité d'exprimer si cela leur est insupportable qu'ils peuvent demander à en finir. Dans ce cas, le malade jusqu'à lors négligé deviendra une urgence éthique. Qui oserait ne pas répondre à son désespoir alors que la loi le permet? Le risque pour les patients qu'amplifiera la loi ne sera pas de ne pas avoir accès à une mort douce, mais d'y avoir accès sans l'avoir demandé.
Mieux rembourser ce qui doit l'être, garantir les conditions d'accueil et d'accompagnement, et restreindre le pouvoir médical, qui souvent devient de l'abus de pouvoir, former les médecins à l'éthique et aux soins palliatifs, est une démarche préalable qui ferait honneur à notre pays. Le refus d'examiner ce contexte témoigne d'une démarche égoïste et individualiste, totalement indifférente aux conséquences pour les plus fragiles et en particulier les plus pauvres. Une telle loi hypervaloriserait l'individualisme aux dépens de la conscience collective, de la solidarité, bref, de ce qui fait que nous avons un avenir commun.
La mort n'est plus à notre époque un événement communautaire et familial. Il y a, dans notre société un déni de la mort, synonyme de souffrance non seulement physique mais également spirituelle.
Pourtant, la souffrance des derniers jours peut être adoucie aussi bien pour le malade que pour la famille ; les soins palliatifs témoignent de l'idée suivante : lorsque la douleur est maîtrisée, la fin de vie peut être riche de sens pour le malade qui doit continuer à vivre jusqu'au bout et à être présent à lui-même et à ses proches.
Les soins palliatifs rejettent toute idée d'acharnement thérapeutique et, bien conduits, annulent le plus souvent les demandes d'euthanasie. Ils revêtent deux aspects : un aspect médical, le traitement de la douleur et de tous les autres symptômes, accompli avec un grand dévouement par le monde soignant, et un aspect psychosocial et spirituel, l'accompagnement du malade et de ses proches."
Les ASP (Associations pour l'accompagnement et le développement des Soins Palliatifs), associations non confessionnelles et apolitiques, interviennent auprès des malades atteints d'une affection menaçant leur vie, à l'occasion d'une phase critique ou au moment de la phase terminale. Elles mettent à la disposition des malades leurs accompagnants bénévoles pour les aider, ainsi que leurs familles, à vivre jusqu'à la fin, entourés de tout le respect dû à tout être humain.
Face à la détresse des mourants : soins palliatifs ou euthanasie ?
Publié le 19 juin 2013, par François de Laboulaye
Dans cet essai qui traite d'un sujet douloureux et complexe, la psychologue Marie de Hennezel, qui a beaucoup œuvré pour le développement des soins palliatifs, explique son inquiétude face à un éventuel projet de légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté. S'interrogeant sur le sens d'une mort « digne » et sur la meilleure manière de répondre à cette exigence, l'auteure tente de comprendre ce glissement, à ses yeux funeste, par lequel notre société est venue à envisager la remise en cause de l'interdit de « donner la mort ». Son ouvrage alimente les arguments des opposants à l'euthanasie, à l'heure où la question divise l'opinion.
Le sens de la mort « digne »
A l'origine de sa réflexion, Marie de Hennezel s'interroge sur le sens de l'expression de « mort digne », récupérée, selon elle, par les associations militant en faveur de l'euthanasie. Une telle mort est, aux yeux de ces mouvements, aseptisée, rapide et décidée par soi-même. L'auteur s'insurge contre une telle vision qui est pour elle une « préférence pour la mort » qui va de paire avec une vision d'une société divisée fondée sur le « chacun pour soi ».
Contre le rapport Sicard
Selon la psychologue, cette vision est largement reflétée par le rapport Sicard sur la fin de vie remis au Président de la République. Même s'il n'est pas favorable à l'euthanasie mais au suicide assisté, le rapport encouragerait implicitement à faire le lien entre « mort digne » et euthanasie adoptant ainsi le point de vue des associations militant en faveur de sa légalisation.
L'auteure retient comme exemple, pour le dénoncer, le biais des enquêtes d'opinion. Elles auraient tout simplement négligé d'interroger les personnes âgées. En effet, le panel n'est composé que d'adultes entre 35 et 65 ans. La part des mourants et des seniors dans le rapport serait donc trop faible.
En réaction, Marie de Hennezel développe dans son ouvrage une vision différente de la dignité de la fin de vie basée sur son expérience concrète.
Répondre à la détresse des malades
Pour la psychologue, la dignité commence par l'accueil. L'agonisant doit être écouté, traité avec « tact et douceur ». L'auteur concède cependant que, malgré l'attention qui peut lui être portée, il arrive que le malade réclame sa mort avec force.
Pourtant, dans ce cas aussi, l'euthanasie et le suicide assisté offriraient selon elle une mauvaise réponse. Ils généreraient l'angoisse des mourants au lieu de les soulager. Ces derniers ont besoin d'avoir confiance dans leur médecin et non de craindre qu'il leur administre « la piqûre ».
Des effets délétères pour la pratique de la médecine
En rompant le lien de confiance qui doit exister entre le patient et son médecin, Marie de Hennezel explique que la légalisation de l'euthanasie mettrait en danger l'avenir de la profession médicale elle-même. Quant au suicide assisté proposé par le rapport Sicard, il constituerait une aberration aux yeux de la psychologue car il ne s'agit pas à proprement parler d'un acte médical. A ce titre, elle dénonce l'hypocrisie du rapport qui, pour ne pas faire reposer la responsabilité d'un tel acte sur les médecins, demanderait à l'État de fournir cette « aide au suicide ».
D'éventuelles dérives
On l'aura compris : pour l'auteure, une telle mesure ouvre la porte à de nombreuses dérives. Si l'euthanasie était légalisée, l'écoute et la compassion qui font naturellement partie de la médecine passeraient définitivement au second plan. Des considérations d'ordre économiques pourraient venir se greffer à ce besoin d'administrer la mort alimenté par un « racisme antivieux » déjà présent.
Défense des soins palliatifs
La psychologue explique qu'il existe aujourd'hui une réponse adaptée à la détresse des mourants. Il s'agit des soins palliatifs, qui consistent à soigner non en vue de guérir mais de soulager et d'accompagner.
Si le recours à ces soins ont été considérablement renforcés par la Loi Leonetti de 2005, dont Marie de Hennezel fut une des promotrices, la psychologue remarque que cette pratique fait encore l'objet de débat. Ainsi, le sociologue Philippe Bataille, voit dans le développement des soins palliatifs le risque d'un cloisonnement entre une médecine du « cure » active et efficace et une médecine du « care » attentiste et passive.
Selon l'auteur, une telle accusation repose sur une vision erronée de l'acte médical. La médecine n'est pas seulement à ses yeux une pratique curative mais également une affaire d'hommes soumis à leur condition mortelle. Le soulagement de la souffrance par les soins palliatifs y a donc toute sa place.
La résistance du monde médical face aux pratiques palliatives s'expliquerait par la fascination de la profession pour le progrès et la technique médicale. La croyance que, à terme, la mort sera vaincue par la médecine justifierait, souvent, l'acharnement thérapeutique, aujourd'hui illégal. C'est face à ces excès, d'ailleurs, que les associations militant pour l'euthanasie se sont dressées à juste titre.
Le président Hollande pris à partie
Marie de Hennezel redoute que le chef de l'Etat apporte trop rapidement son soutien à la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Sa saisine du Comité d'éthique sur la question de l'euthanasie sans même lire le rapport Sicard en serait un signe inquiétant. Un tel empressement s'expliquerait peut-être par l'effet conjugué des résistances du monde médical au développement des soins palliatifs et du refus de respecter les droits élémentaires du mourant.
Et la détresse des médecins ?
L'ouvrage porte une attention inédite aux difficultés qu'éprouve le corps médical lors du traitement d'un patient en fin de vie. La mort met le médecin en face de son impuissance et l'insistance avec laquelle le mourant réclame sa mort peut en déconcerter beaucoup. Pourtant, selon Marie de Hennezel, il ne faut pas interpréter cet appel parfois désespéré comme une invitation à passer à l'acte mais comme une besoin légitime d'être écouté et pourquoi pas compris.
Les droits du malade
Plus loin, l'auteur développe des arguments de nature philosophique, que l'on pourra (ou non) trouver discutables sur les droits du malade en fin de vie.
Si la fragilité du mourant exige qu'il soit « traité comme une personne à part entière », elle ne lui donnerait pas pour autant tous les droits et notamment celui de réclamer sa mort, ni d'en faire porter la responsabilité sur autrui.
Selon l'auteur, céder sur ce point serait une façon de soulager notre culpabilité de ne pas apporter aux personnes en fin de vie la véritable attention, le véritable soulagement dont ils ont besoin.
En définitive, l'euthanasie relèverait d'une attitude d'évitement des responsabilités de la part du malade mais aussi de son entourage qui finirait par coûter chère à la société toute entière.
« Bien commun » contre liberté individuelle
Au fil cet essai, il apparaît, aux yeux de la psychologue, que la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté créerait plus de division que d'unité dans la société.
Si l'on peut la rejoindre sur un point, c'est que, en tant que membres les plus fragiles de la communauté humaine, les mourants méritent, plus que les autres, notre solidarité.
Comment doit se traduire cette solidarité ? Quelle est la manière la plus juste d'aider les mourants ? Faut-il les aider à mourir ou les accompagner vers la mort ?
Cette question douloureuse a une portée philosophique et morale essentielle. Un strict respect du consentement du mourant et de celui qui l'aide à mourir, devrait ouvrir la possibilité de l'euthanasie. Pour autant, comment prouver que ce consentement est « éclairé » ? Par ailleurs, la liberté reposant sur le consentement individuel est-elle sans limites ou doit-elle respecter les décrets d'un bien commun et supérieur ?
S'il est difficile d'apporter une réponse définitive à des interrogations si complexes, il est indubitable qu'elles doivent être débattues. Aussi, que l'on partage les arguments de l'auteur ou qu'on s'y oppose, cet essai a le mérite d'appeler à une réflexion indispensable en préparation des réformes sociétales qui s'annoncent.
Lettre ouverte à la première ministre Madame Pauline Marois :
Faire la promotion de la vie et non de la mort
Mme Marois,
Tant que la totalité de nos patients en fin de vie n'aura pas accès aux soins palliatifs dont ils ont grand besoin, il est tout à fait absurde et mal venu pour le gouvernement de leur proposer l'euthanasie comme solution "palliative" à proprement parler.
C'est sauter une étape cruciale que de parler de l'euthanasie avant même que les soins palliatifs ne soient disponibles à tous ceux dont l'état de santé l'exige.
Il faut également tenir compte du fait que, dans la grande majorité des cas, nos patients en fin de vie préfèrent vivre leurs derniers jours, chez eux, entourés de leur famille, ce qui sous-entend qu'ils puissent avoir accès à des services adéquats sans risquer de devenir un fardeau pour leurs proches.
À l'heure actuelle, seulement 20 pour cent des patients québécois en fin de vie ont accès à de tels soins palliatifs. Autrement dit, les 80 pour cent restants - qui ont tout autant besoin de soins que la minorité chanceuse - se trouvent quant à eux pris en otage. Ils se verront choisir la mort précoce plutôt que de vivre leurs derniers jours dans la souffrance à domicile ou à l'hôpital, sans soutien et sans contrôle adéquat de leur douleur.
À maintes reprises par le passé, le vérificateur général a soulevé l'insuffisance des soins à domicile et, en dépit de cela, des années de promesses vides (par l'un ou l'autre gouvernement en place) se sont succédées. Préoccupé par la réduction du déficit à tout crin, notre gouvernement va-t-il réellement dépenser les ressources suffisantes afin de s'assurer que les patients en phase terminale disposent des soins nécessaires?
Chose certaine, nous trépasserons tous un jour ou l'autre. Faisons en sorte de traiter nos patients en toute dignité avec le respect de la vie comme guide et de la façon dont nous aimerions quitter ce monde.
Laissons de côté l'euthanasie, qui n'est pas une panacée, au profit de la mise en place de vrais soins palliatifs pour nos concitoyens qui en ont besoin.
Ainsi, nous vous demandons de ne pas proposer ce projet de loi.
Nous souhaitons que vous soyez reconnue comme la première ministre ayant eu la sagesse de faire la promotion de la vie et non de la mort.
SOURCE : COALITION DES MEDECINS POUR LA JUSTICE SOCIALE
Engager des soins palliatifs aux urgences. Quel drôle d'idée ! Voilà deux cultures, deux médecines qui tout oppose. Pourtant ça marche ! Et il faut que ça marche !! Voici les fruits de tranches de vies aux urgences de "Larib".
Les urgences adoptent dans un souci d'efficience une démarche rondement menée du curatif de plus en plus « protocolisé » alors que les soins palliatifs s'inscrivent dans un rapport au temps radicalement différent avec des objectifs d'accompagnement et non de curatif avec une quête de sens autre. De son côté, l'institution hospitalière estime aussi que « les soins palliatifs » n'ont rien à faire aux urgences. Ce n'est pas la mission des urgences. Il n'y a pas de lits étiquetés « soins palliatifs » aux urgences. Gros sous quand vous nous tenez ! Et pour finir les services d'aval abondent dans le même sens, le plus grand nombre ne se sentent pas « outillés » pour prodiguer des soins dans une dimension autre que curative. Bref, « Messieurs les soins palliatifs » soyez les bienvenus, vous n'êtes pas attendus !
Il y a 4 ans à peine, l'arrivée aux urgences de Lariboisière d'un patient pour le quel nous nous voyions dans l'obligation de nous prononcer collégialement pour une limitation des soins et devoir lui proposer des soins palliatifs, était exceptionnelle. Et une telle situation mettait tout le personnel mal à l'aise, générait des tensions de fond. Pour être caricatural et donc faux, le patient était classé comme « non réanimatoire » et la messe était dite !
Et pourtant, ils continuent d'arriver tous ces patients « au bout du rouleau » pour les quels tout geste se voulant curatif plus ou moins lourd est déraisonnable. Aujourd'hui, plusieurs par mois franchissent le seuil du service. N'allez pas incriminer l'aval des urgences, la médecine de ville, les maisons de retraite, les familles, le gouvernement, la crise... Nous sommes tous sous la loi des grands nombres avec une démographie de plus en plus âgée, dépendante et porteuse de pathologies chroniques dans une société qui a perdu du lien social. Aux urgences viennent se cristalliser tous les manquements de notre société. Toute fois, aucun malade suivi à domicile par son médecin et un réseau de soins palliatifs n'arrive aux urgences. Tout est anticipé, et fait sur place. Les gouvernements successifs se refusent de soutenir ce symbole fort de l'ultime lien d'humanité. Mais ne faisons pas d'exégèse ! Ces patients sont là, ils viennent frapper avec leur famille à la porte de l'institution hospitalière. Nous devons répondre à leur demande dans l'entropie des urgences.
Qu'avons-nous fait ? Tout d'abord nous avons évalué les connaissances et le ressenti de tous les membres de l'équipe du service à propos de la loi de limitation des soins dite loi Léonetti et les soins palliatifs. Surprise, la presse et les détracteurs de la loi ont tort, la loi est largement connue de tous les membres du service! Les soins palliatifs sont connus surtout des aides soignants. Nous avons ainsi affiné et multiplié les « formations maison » avec des groupes de parole pour répondre aux questions de tous. L'équipe mobile de soins palliatifs de Lariboisière nous a aidé pour mettre en place une façon de faire pour aller au devant de ces situations humaines graves, être toujours dans l'anticipation. Ainsi, l'urgence palliative nous est apparue comme une évidence. Chaque jour, l'ensemble de l'état du patient est évalué pour une réponse ajustée. L'équipe toute entière avec cohérence précède la question qui va se poser. Le patient et sa famille sont plus préoccupés par le lendemain que par le moment présent. Nous permettons ainsi au patient à sa famille de passer de l'espoir à l'espérance.
Si en 2009, la porte de la chambre des patients dits « non réanimatoires » à l'époque était volontiers et pudiquement fermée, aujourd'hui cette même porte reste ouverte H24 pour la famille et les soignants. Cette chambre devient un lieu de dialogue grave où vient être reconnue la valeur spirituelle du patient sans que cela soit explicitement dit. Le « vide médian » présent entre les acteurs est habité par un pudique indicible respectant la liberté, la responsabilité de chacun.
Quelle est la leçon ? Je pense qu'il est urgent que nous abandonnions cette notion de soins palliatifs pour celle de médecine palliative ajustée avant tout à la demande d'un homme dans toute sa dignité. Mettons de la chaleur dans nos froides techniques ! Et elles resteront à leur place !
Dr. Bertran Galichon (Président du CCMF, membre de la FIAMC)
C'est avec consternation que je prends connaissance de l'avis du Conseil National de l'Ordre des Médecins, sur l'évolution de la législation sur la fin de vie souhaitée par le gouvernement.
Comment, sur une matière aussi grave que l'ouverture à l'euthanasie, l'assemblée des présidents et secrétaires des conseils départementaux et régionaux du 9 février 2013, s'est-elle crue légitime pour adopter une position officielle de l'Ordre ?
Pourquoi a-t-elle cru bon d'appuyer sa décision sur un sondage téléphonique (Ipsos) auprès de 605 médecins, qui n'a aucune valeur juridique au sein de l'Ordre des médecins ?
Enfin, pourquoi ces délégués de l'ordre ont-ils voulu, au mépris de leur liberté déontologique, s'aligner sur la position de campagne du Président de la République, citée dans le texte adopté ?
Un sujet aussi difficile et remettant en cause toute la déontologie médicale ne saurait être tranchée ni par le Président de la République, ni par aucun Comité National d'Ethique, ni, encore moins, par je ne sais quel institut de sondage, puisque c'est à la conscience des médecins que s'adresse la demande de mise à mort du souffrant. S'il eut été plus juste de consulter toute la profession, pour approfondir la réflexion, cela n'aurait pu même contredire nos serments et aboutir à cette allégeance au politique.
Je récuse la légitimité du Conseil National de l'Ordre des Médecins d'adopter de cette manière une position d'ouverture à l'euthanasie même pour des cas exceptionnels, devenus trop vite courants, même avec des précautions extrêmes, devenues trop vite de simples formalités, même en octroyant au médecin une clause de conscience, divisant le corps médical et instaurant un individualisme éthique destructeur de la confraternité.
Je récuse le texte pour sa contradiction flagrante, réaffirmant, d'une part le principe éthique de « ne pas donner délibérément la mort » au malade tout en mentionnant un peu plus loin, que « cet interdit ne saurait être transgressé par un médecin agissant seul » ! La complicité atténue-t-elle le délit ?
Je récuse l'hypocrisie de la phraséologie employée pour masquer la crudité des faits préconisés : « Assistance à mourir », « sédation adaptée, profonde et terminale [1] », « dans le respect de la dignité et par devoir d'humanité »... La dignité d'une personne réside-t-elle dans l'absence de souffrance ? Est-il indigne de souffrir ? Peut-on ériger en devoir d'humanité le meurtre d'un malade ?
Je récuse le mouvement actuel d'entraîner les médecins et tout le corps médical à commettre des actes hors de leur déontologie et de devoir répondre à tous les désirs de bien-être ou de mieux-être de nos contemporains hors de l'objectif de les guérir de leurs pathologies ou de les prévenir ou d'en atténuer les effets.
Pour ma part, cette obsession de croire effacer par la mort, les « échecs » de la médecine, et les difficultés extrêmes de la vie, est révélé par le texte même : pourquoi précipiter le recours à l'euthanasie, alors que la loi Léonetti n'est pas encore connue (ch.1), alors que les unités de soins palliatifs sont cruellement insuffisants (ch. 1) ?
Pourquoi ne pas prioritairement, annoncer un plan national de la médecine et de la recherche sur la douleur et la souffrance. Pourquoi le CNOM ne l'a-t-il pas proposé avant de penser à bousculer notre déontologie ?
Oui ! Pourquoi ?
Confraternellement et provisoirement vôtre,
Dr Léonard Tandeau de Marsac
12 190 ESTAING
[1] La sédation en phase terminale, réversible, pour stopper la douleur (qui éventuellement peut entraîner la mort) est volontairement confondue avec la sédation terminale, irréversible, dont le but est de donner la mort...