Euthanasie : le « modèle » belge à la dérive
par Claire-Marie Le Huu-Etchecopar
Infirmière, Bruxelles
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2. Cas pratique à l’hôpital
Pour ma part, je peux exposer le cas concret d’une des dernières euthanasies à laquelle j’ai assisté. Cette histoire fait apparaître à la fois :
- le manque de solidarité de toute une société ;
- la pression exercée sur les soignants ;
- des médecins devenus plus militants que thérapeute.
Il s’agit d’une dame d’une soixantaine d’année dont les facultés cognitives et la capacité à se mouvoir se sont dégradées à cause des effets de la chimiothérapie. Elle est par ailleurs en rémission de son cancer. Elle dit avoir fait une demande anticipée d’euthanasie et renouvelle sa demande au vu de la dégradation de son autonomie et de ses pertes de mémoires importantes.
Face à cette demande d’euthanasie, la difficulté pour les soignants était triple, du fait de :
1. Ses pertes cognitives. Un jour, elle me demande : « mais dans le fond vous me l’avez faite cette euthanasie ou non ? », comme s’il s’agit d’un traitement quelconque. Elle ne semble pas vraiment se rappeler de quoi il s’agit. Mais pour les médecins, c’est une bonne chose, elle a enfin prononcé le mot « euthanasie » ! C’est la première fois depuis longtemps, qu’elle en parle spontanément. Pour relancer la demande, le défi est de lui faire dire « je veux une euthanasie » sans avoir l’air de lui proposer, car dans la loi, la demande doit être volontaire et réitérée.
2. De la nature floue de sa souffrance (pas de douleurs ou de symptômes réfractaires au traitement). Au niveau physique elle n’a aucune douleur et est en rémission de son cancer. Donc, pas de maladie incurable, pas de décès à brève échéance. La seule solution est de trouver à quel point sa souffrance morale était insupportable. Lorsque les soignants s’assoient à côté d’elle pour discuter, elle retrouve le sourire et réclame que l’on reste davantage auprès d’elle. Pendant des semaines elle ne demande plus l’euthanasie. Cependant, dès qu’elle se sent seule, elle en reparle de manière assez vague.
3. De son entourage à l’influence inquiétante. L’entourage, constitué d’amis et peu de famille en raison de conflits, parait totalement inadapté. Il harcèle sans cesse les soignants en réclamant l’euthanasie de la dame. Les soignants se sentent mal à l’aise car ils comprennent bien que sous la demande de la patiente il y a une autre réalité : celle du sentiment d’abandon à cause du manque de solidarité. Les accompagnants sont sans doute sincères, cherchant pour la malade son bien-être. Mais leur bienveillance est dénuée d’empathie, ce recul nécessaire à une vraie solidarité. La patiente leur demande tout le long de l’hospitalisation une brosse à dents. Au lieu de brosse à dent, ils lui apportent ce qu’ils croient être bons selon eux : du vin, des gâteaux, mais ne satisfont jamais la demande de la dame.
De plus, la majorité des soignants éprouvent de la frustration car de nombreux dispositifs auraient pu être mis en place pour améliorer son confort et son désir d’être davantage entourée. Au départ, elle a accepté des structures adaptées à ses besoins, puis, sous l’influence de son environnement, elle y renonce. Ses proches sont enfermés dans l’émotion de voir leur amie handicapée. Ils ne supportent pas la voir différente. Toute autre solution que l’euthanasie leur parait inimaginable. Sur le petit carnet où ils lui laissent des messages lorsqu’elle dort, il est question d’euthanasie à chaque page. On peut y lire des mots tels que : « N’oublie pas ton euthanasie, c’est ton droit, il faut que tu demandes aux médecins sinon ils ne te la feront jamais… ».
C’est dans ce contexte, que les médecins favorables à la pratique de cette euthanasie, ont dû trouvé des arguments. Afin de contourner chacune de ces difficultés, et répondre légalement à la demande d’euthanasie, des « solutions » ont été trouvées :
1. Pour l’impossibilité d’évaluer correctement sa demande d’euthanasie à cause des pertes cognitives, il a été décidé de favoriser les convictions et demandes antérieures aux pertes de mémoire, (appuyés par la lettre anticipée d’euthanasie), plutôt qu’un changement d’avis qui pourrait être dû à ses pertes de mémoire.
2. D’autre part il fallait déterminer la nature de la souffrance morale. La diminution de son autonomie étant irréversible, c’est celle-ci qui crée une souffrance morale insupportable.
3. Enfin, en ce qui concerne la défaillance de solidarité influençant ses choix, l’argument en faveur de l’euthanasie a été : son entourage fait partie de son bien-être, même si l’influence sur sa personnalité et sur ses décisions sont néfastes, ce n’est pas à nous d’en juger. De même, ce n’est pas aux soignants de pallier le manque de solidarité.
Source : plusdignelavie.com