Note Argumentaire
(extrait)
Sur la Proposition de loi (N° 2512) créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
(Séance publique du 10 mars 2015)
Suite aux conclusions du rapport qu’ils ont remis au Chef de l’Etat le 12 décembre dernier, Jean Leonetti, député UMP, et Alain Claeys, député PS, ont déposé une proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, qui sera examinée en séance publique à l’Assemblée nationale le 10 mars prochain.
Le mouvement Soulager mais pas tuer, qui rassemble des citoyens professionnels et usagers de la santé opposés à toute forme d’euthanasie ou de suicide assisté, tient à souligner les ambiguïtés et les dangers de ce texte, et à faire des propositions pour l’améliorer.Cette proposition de loi est dangereuse, elle contient des zones floues sur plusieurs points essentiels.
1. La sédation profonde et continue jusqu’au décès
a) L’article 3 introduit une grande ambiguïté dans l’utilisation de la sédation. Le but classique de la sédation, telle que préconisée par les recommandations de bonnes pratiques, est jusqu’à aujourd’hui la diminution la perception de la douleur, souvent lors de détresse terminale, lorsque tout autre recours a montré ses limites. Le risque d’abréger la vie est accepté, mais non recherché.
Ces sédations plus légères et réversibles permettent de maintenir une relation (même intermittente) avec le patient, relation qui est aussi thérapeutique, relation qui est précieuse pour les proches et la famille du patient. Elles peuvent être efficaces et suffire au but recherché : soulager. Leur nécessité est soumise à des réévaluations régulières et elles peuvent ainsi être levées ou prolongées.
L’introduction d’une sédation dite « profonde et continue jusqu’au décès » donne un caractère irréversible à la sédation. La mise en place systématique d’une telle sédation enlève des possibilités thérapeutiques pour le patient qui se trouve perdant. En effet, ce traitement ne permet plus l’intervention de professionnels dont l’écoute et l’action fait pleinement parti de la prise en charge palliative (psychologues, kinésithérapeutes, hypnose, etc). Modifier ainsi la loi aboutit à nier l’importance de la parole et de la relation pour le soulagement des patients.
b) La proposition de loi ajoute un élément qui rend plus confus le but poursuivi par la sédation. En effet, les objectifs de cette nouvelle forme de sédation sont « d’éviter toute souffrance » et « de ne pas prolonger inutilement sa vie ». « Eviter toute souffrance », c’est effectivement le but des soins palliatifs, objectif de la sédation utilisée jusqu’à aujourd’hui lors de détresses terminales. Mais « ne pas prolonger inutilement la vie » induit l’idée que l’utilité d’une vie
intervient dans la décision médicale : cette expression rend confuse l’intentionnalité de la sédation, engendrant clairement un risque euthanasique.
c) De plus, l’obligation d’engager la sédation quand le patient demande l’arrêt d’un traitement qui le maintient en vie (prévu dans le cas n°2) ouvre clairement la porte à des dérives. Compte tenu du flou de l’expression « maintien artificiel de la vie », des patients qui ne sont pas en fin de vie pourront provoquer leur mort dans un délai rapide, ce qui introduit une forme de suicide assisté dans notre législation.
Nous demandons :
* d’affirmer la priorité donnée à la notion de sédation réversible, si aucun autre traitement médicamenteux ou non médicamenteux ne s’est avéré efficace.
* d’écrire clairement dans la loi que la sédation est un traitement exceptionnel, qui doit avoir pour but de soulager mais pas de tuer, afin qu’elle ne constitue pas une forme d’euthanasie déguisée.
* d’ouvrir un droit à une objection de conscience pour le personnel médical, face à une demande de sédation qu’il considérerait comme une demande indirecte d’euthanasie ou de suicide assisté. Cela afin de permettre au médecin de soigner sans se trouver dans l’obligation de donner la mort.
2. L’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation
Bien qu’en phase terminale cet arrêt soit parfois nécessaire et souhaitable afin de ne pas effectuer de gestes d’obstination déraisonnable irrespectueux, il est injuste de définir l’alimentation et l’hydratation artificielles exclusivement comme des traitements. Elles sont aussi des soins dus aux personnes qui ne sont pas en toute fin de vie, mais qui peuvent être atteints par une affection grave et incurable. Comme l’a déclaré le CCNE, repris par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 24 juin 2014 : « Le seul fait de devoir irréversiblement, et sans espoir d’amélioration, dépendre d’une assistance nutritionnelle pour vivre, ne caractérise pas à soi seul – soulignons, à soi seul – un maintien artificiel de la vie et une obstination déraisonnable ».
Préconiser l’arrêt systématique des traitements en fin de vie n’est en outre pas légitime. Certains traitements, si leur usage n’est pas délétère à l’état du patient, s’ils ne sont pas démesurés, peuvent s’avérer utiles. Leur arrêt peut être sous-tendu par une intentionnalité d’abréger la vie.
Nous demandons :
* de clarifier le but de certains arrêts d’alimentation et d’hydratation, en refusant qu’ils puissent avoir comme objectif de provoquer la mort au prétexte qu’ils constitueraient un maintien artificiel de la vie.
* d’écrire que l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation ne doit être préconisé que si leur apport se trouve délétère pour le patient, mal supporté. En outre, l’arrêt de l’un ne doit pas systématiquement engendrer l’arrêt de l’autre (une hydratation peut être bien supportée, même si l’alimentation ne l’est plus).
* de distinguer dans la loi les cas où le patient est en fin de vie et les cas où il n’est pas en fin de vie.
3. Les directives anticipées
L’article 8 les rend applicables non plus trois ans comme auparavant, mais à vie. Il est bien évidemment essentiel de développer la prise en compte de la demande du patient. Mais une validité permanente entraîne le risque de voir appliquées des directives n’ayant plus aucun lien avec les situations vécues par les patients ; elle nie l’évolution psychique des personnes, la capacité de résilience dont témoignent les soignants et les familles des personnes en fin de vie. Pour l’éviter, il faudrait que chacun pense à réactualiser ses directives.
De plus, les directives contraignantes transforment le médecin en simple prestataire de service, alors qu’elles pourraient contenir des demandes illégitimes ou illégales.
Nous demandons :
* de préciser dans la loi que ces directives ne peuvent pas contenir des dispositions contraires au Code de déontologie médicale.
Source : Soulager mais pas tuer