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Sonder la conscience après un coma

par Steven Laureys, neurologue, 01/01/2007

À la suite d'une grave lésion cérébrale, l'un récupère la parole après dix-neuf ans d'interruption, l'autre semble inconsciente et pourtant ne l'est pas totalement ! Révélés en 2006, ces deux cas exceptionnels ont pu être évalués grâce à l'imagerie médicale.

EN DEUX MOTS Après un coma, certains patients retrouvent toutes leurs facultés mentales en quelques jours, d'autres sont en état de mort cérébrale si bien qu'on n'essaie plus de maintenir artificiellement leur respiration. Entre ces deux extrêmes, toute la difficulté consiste à déterminer le niveau de conscience du patient et à estimer ses chances de récupération. Deux études en neuro-imagerie publiées en 2006 viennent bouleverser les convictions. L'idée que l'on puisse développer des marqueurs de conscience pour améliorer le diagnostic fait son chemin.

Une jeune Anglaise, a priori privée de toute perception consciente, s'imagine jouer au tennis, un Américain de 39 ans recouvre l'usage de la parole après dix-neuf ans de prostration. En 2006, à quelques mois d'intervalle, ces deux cas ont défrayé la chronique. À juste titre : ils conduisent à revoir certains dogmes sur le niveau de conscience conservé par les patients atteints d'une lésion cérébrale après un accident traumatique.

Lorsqu'un patient sort d'un coma, deux questions cruciales se posent : est-il encore conscient ? Peut-il récupérer, rapidement, dans quelques mois, ou... jamais ? Aujourd'hui, force est de reconnaître que le diagnostic et le pronostic d'évolution restent très difficiles à établir. Dans le meilleur des cas, le patient se rétablit sans séquelles après quelques jours. Mais il peut aussi tomber dans un état dit végétatif. Les yeux ouverts, le sujet semble totalement privé de conscience : il ne réagit pas à son environnement. Seuls des mouvements désordonnés ou réflexes l'agitent de temps en temps. Si l'état végétatif dure moins d'un mois, il se termine souvent par une guérison. Mais certains patients survivent dans cette condition tragique pendant de longues années, sans jamais récupérer le moindre signe de conscience. Parfois, ils évoluent vers un état légèrement meilleur, dit de conscience minimale. Ils réagissent alors de temps en temps à leur environnement avec un sourire, des pleurs, une poursuite visuelle, mais ils demeurent incapables de communiquer au-delà de ces quelques signes.

À lui seul, l'état végétatif pose des problèmes importants. D'abord, il est difficile à diagnostiquer : une fois sur trois le patient considéré comme « végétatif » est, en réalité, conscient. Ensuite, les médecins doivent attendre avant de pouvoir dire avec une certitude statistique qu'il n'y a plus aucun espoir de récupération. Si les causes du coma sont anoxiques - c'est-à-dire que le cerveau a cessé brusquement d'être irrigué, par exemple après une crise cardiaque - les espoirs sont très limités, six mois au maximum. Si les causes sont traumatiques, provoquées par un choc à la tête, la limite est d'un an. Au-delà, le traitement peut être arrêté. Enfin, il n'y a pas de thérapie pour les patients.

Contrairement aux patients dans le coma, ceux qui sont en état végétatif peuvent respirer sans aide de respirateur artificiel. Ils n'ont besoin que de nutrition et d'hydratation artificielles pour survivre. Mais comment les ramener à la conscience ? Nul ne le sait, et l'on tâtonne avec des thérapies sensorielles, des massages, etc.

Risque d'acharnement

Le risque est celui de l'acharnement thérapeutique. Le cas très médiatisé de Terry Schiavo, Américaine restée en état végétatif pendant quinze ans après une anoxie cérébrale, illustre comment la prise en charge et la fin de vie de ces patients peuvent être difficiles. Les parents de Terry voulaient qu'on la maintienne en vie. Son mari n'était pas d'accord, arguant qu'elle-même ne l'aurait pas souhaité. La justice s'en est mêlée. C'est devenu une affaire d'État qui a fini devant la Cour suprême... Jusqu'à ce que Terry succombe après qu'on eut débranché et rebranché quatre fois sa sonde gastrique.

Les problèmes sont globalement les mêmes pour l'état de conscience minimale. Mais on manque encore de recul et de données car il n'a été réellement défini qu'en 2002, après de longs débats. En particulier, on n'a pas pu déterminer une durée limite au-delà de laquelle il n'y aurait plus d'espoir.

Pour les deux états, il est donc crucial d'affiner le diagnostic et de trouver des marqueurs de pronostic. Les cas exceptionnels révélés en 2006 soulignent l'aide particulière que peut apporter la neuro-imagerie en la matière. Depuis une dizaine d'années, notre équipe à Liège et celle dirigée à Cambridge par le neuropsychologue Adrian Owen utilisent la tomographie à émission de positons TEP, et plus récemment la résonance magnétique nucléaire fonctionnelle IRMf pour étudier de manière objective le fonctionnement cérébral des patients en état végétatif. Jusqu'à présent, nous avons utilisé des stimulations considérées comme passives car elles génèrent une activité « automatique » du cerveau.

Au début nous avons utilisé de simples sons, puis nous avons enrichi le protocole. Ainsi, nous avons démontré que certains patients en état végétatif présentent une activité électrique du cerveau différente lorsqu'ils entendent leur propre prénom, par rapport à d'autres prénoms. Autrement dit, le cerveau d'un patient en état végétatif peut parfois faire la différence entre son propre prénom et un autre prénom, même si le patient n'est pas conscient. Cette activation est considérée comme automatique, réflexe. Car elle s'observe aussi chez des sujets en bonne santé lorsqu'on prononce leur prénom pendant qu'ils dorment, ou même durant une anesthésie générale, donc sans qu'ils soient conscients.

Si on voulait différencier chez nos patients une activité neuronale automatique d'une activité consciente, il nous fallait donc mettre au point une stimulation active. Nous avons eu l'idée de demander au sujet d'imaginer qu'il réalise mentalement des tâches à différents moments de l'examen en IRM. Mélanie Boly, de l'université de Liège, a recherché des tâches activant chez chacun de nous de manière significative des aires spécifiques du cerveau, par exemple imaginer voir le visage de Marilyn Monroe ou chanter une chanson dans sa tête. Nous avons finalement retenu deux tâches correspondant à des actions motrices parce qu'elles activent des aires vraiment spécifiques : imaginer jouer au tennis, ce qui active les aires motrices supplémentaires, et imaginer se promener dans sa maison, ce qui active le cortex prémoteur, parahippocampique et pariétal.

Suivi du regard

Aucun des soixante patients en état végétatif que nous avons étudiés n'a montré d'activité cérébrale compatible avec une perception consciente jusqu'à ce que nous examinions une jeune Anglaise de 23 ans. Victime en juillet 2005 d'un grave accident de voiture, elle est restée dans le coma plusieurs jours avant d'évoluer vers un état végétatif. La jeune femme était capable d'une fixation visuelle de 3 secondes, une capacité qui est rarement observée en état végétatif. Mais elle ne répondait jamais aux ordres simples et ne présentait aucun autre signe comportemental de conscience. Le diagnostic d'état végétatif fut donc posé sans hésitation par une équipe pluridisciplinaire.

En janvier 2006, elle est étudiée par IRMf avec notre nouveau protocole. Quelques jours plus tard, à notre très grande surprise, les résultats des analyses statistiques des données indiquent une activité normale quand on lui demande de s'imaginer jouer au tennis ou se promener dans sa maison. Ses réponses neurales sont semblables à celles observées chez des témoins en bonne santé. Notre patiente en état végétatif a donc compris la consigne et l'a même exécutée mentalement de manière répétée !

Quelques mois plus tard, elle fixe et suit clairement son visage dans un miroir : elle est passée à un « état de conscience minimale », avec des moments de conscience mais sans possibilité de communiquer ses pensées et ses sentiments.

Certes, nous ignorons ce que cette jeune Anglaise a ressenti lors des tests, et on ne peut généraliser son cas à l'ensemble des patients en état végétatif, dont beaucoup sont certainement plus atteints qu'elle. Mais cette étude remet en question la définition d'un état végétatif totalement privé de conscience, établie en 1972 par le neurochirurgien britannique Bryan Jennett et le neurologue américain Fred Plum. Ce travail plaide donc pour que, dans la phase aiguë de l'état végétatif, on puisse mener des examens complémentaires en IRMf afin d'affiner le diagnostic.

En 2006, une autre publication exceptionnelle a également surpris l'ensemble de la communauté médicale et scientifique. Elle relate le cas d'un Américain âgé de 39 ans en 2003, Terry Wallis. Comme la jeune Anglaise, il a été victime d'un accident de voiture. Mais l'événement s'est produit il y a bien plus longtemps, le 13 juillet 1984 dans l'Arkansas.

Terry a alors 20 ans. Après une dizaine de jours dans le coma, il tombe dans un état végétatif. Quelques mois plus tard, il manifeste quelques signes de conscience et évolue vers ce qu'on connaît maintenant comme l'état de conscience minimale.

Les médecins donnent peu d'espoir à Terry. Ses parents s'accrochent. Ils le prennent chez eux à chaque fête. Il leur sourit lors de ces occasions, mais on ne sait jamais ce qu'il pense, voire s'il pense quelque chose. Or en 2003, après dix-neuf ans de silence, il émet soudain un mot « Mom » maman, puis « Pam » le nom de son infirmière de longue date, puis « Pepsi ». Ensuite, tout va très vite. Terry recommence à parler, réussit à communiquer ce qu'il ressent. Pour lui, Reagan est toujours président. L'équipe du neurologue Nicholas Schiff décide de l'examiner. À New York, les chercheurs vont essayer de comprendre ce qui s'est passé dans le cerveau de Terry qui puisse expliquer cette étonnante récupération tardive.Ils effectuent plusieurs examens à un mois d'intervalle avec l'IRM de tenseur de diffusion qui permet de voir les connexions entre les aires cérébrales. En comparant avec des examens réalisés chez des volontaires sains et un autre patient en état de conscience minimale depuis six ans, ils découvrent avec stupeur que de nouvelles connexions sont apparues dans la matière blanche des régions postérieures médianes du cerveau de Terry, le précuneus et le cortex cingulaire postérieur. Les axones ont repoussé dix-neuf ans après l'accident : un vieux dogme est brisé ! Jusqu'à présent, on pensait la plasticité neuronale réservée à la phase « aiguë », en sortie du coma.

Or, la région du précuneus et du cortex cingulaire postérieur a déjà été identifiée comme critique pour la conscience humaine. Tout d'abord, son activité baisse pendant le sommeil ou sous anesthésie. Et, en 1999, des études en TEP ont montré que c'était l'aire la plus atteinte dans l'état végétatif. Enfin, les rares patients qui récupèrent leur conscience recouvrent une activité métabolique proche de la normale dans cette région. En état végétatif, on suppose qu'elle est déconnectée des autres aires corticales et du thalamus. Le fait que chez Terry Wallis la création de nouvelles connexions coïncide avec un retour de la conscience semble confirmer cette hypothèse.

Les deux cas exceptionnels de 2006 ne doivent pas susciter un espoir exagéré. Ils encouragent cependant à multiplier les moyens de suivre ces patients avec l'imagerie pour tenter de détecter au plus tôt l'état de leur conscience. Et éventuellement à développer de nouveaux traitements. Ainsi, une interface cerveau-machine, véritable traducteur de pensées, pourrait être proposée à des patients comme la jeune Anglaise. Un jour prochain, qui sait, peut-être pourra-t-elle apprendre à piloter un ordinateur ?

Par Steven Laureys

Source : larecherche.fr