Face à la détresse des mourants : soins palliatifs ou euthanasie ?
Publié le 19 juin 2013, par François de Laboulaye
Dans cet essai qui traite d'un sujet douloureux et complexe, la psychologue Marie de Hennezel, qui a beaucoup œuvré pour le développement des soins palliatifs, explique son inquiétude face à un éventuel projet de légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté. S'interrogeant sur le sens d'une mort « digne » et sur la meilleure manière de répondre à cette exigence, l'auteure tente de comprendre ce glissement, à ses yeux funeste, par lequel notre société est venue à envisager la remise en cause de l'interdit de « donner la mort ». Son ouvrage alimente les arguments des opposants à l'euthanasie, à l'heure où la question divise l'opinion.
Le sens de la mort « digne »
A l'origine de sa réflexion, Marie de Hennezel s'interroge sur le sens de l'expression de « mort digne », récupérée, selon elle, par les associations militant en faveur de l'euthanasie. Une telle mort est, aux yeux de ces mouvements, aseptisée, rapide et décidée par soi-même. L'auteur s'insurge contre une telle vision qui est pour elle une « préférence pour la mort » qui va de paire avec une vision d'une société divisée fondée sur le « chacun pour soi ».
Contre le rapport Sicard
Selon la psychologue, cette vision est largement reflétée par le rapport Sicard sur la fin de vie remis au Président de la République. Même s'il n'est pas favorable à l'euthanasie mais au suicide assisté, le rapport encouragerait implicitement à faire le lien entre « mort digne » et euthanasie adoptant ainsi le point de vue des associations militant en faveur de sa légalisation.
L'auteure retient comme exemple, pour le dénoncer, le biais des enquêtes d'opinion. Elles auraient tout simplement négligé d'interroger les personnes âgées. En effet, le panel n'est composé que d'adultes entre 35 et 65 ans. La part des mourants et des seniors dans le rapport serait donc trop faible.
En réaction, Marie de Hennezel développe dans son ouvrage une vision différente de la dignité de la fin de vie basée sur son expérience concrète.
Répondre à la détresse des malades
Pour la psychologue, la dignité commence par l'accueil. L'agonisant doit être écouté, traité avec « tact et douceur ». L'auteur concède cependant que, malgré l'attention qui peut lui être portée, il arrive que le malade réclame sa mort avec force.
Pourtant, dans ce cas aussi, l'euthanasie et le suicide assisté offriraient selon elle une mauvaise réponse. Ils généreraient l'angoisse des mourants au lieu de les soulager. Ces derniers ont besoin d'avoir confiance dans leur médecin et non de craindre qu'il leur administre « la piqûre ».
Des effets délétères pour la pratique de la médecine
En rompant le lien de confiance qui doit exister entre le patient et son médecin, Marie de Hennezel explique que la légalisation de l'euthanasie mettrait en danger l'avenir de la profession médicale elle-même. Quant au suicide assisté proposé par le rapport Sicard, il constituerait une aberration aux yeux de la psychologue car il ne s'agit pas à proprement parler d'un acte médical. A ce titre, elle dénonce l'hypocrisie du rapport qui, pour ne pas faire reposer la responsabilité d'un tel acte sur les médecins, demanderait à l'État de fournir cette « aide au suicide ».
D'éventuelles dérives
On l'aura compris : pour l'auteure, une telle mesure ouvre la porte à de nombreuses dérives. Si l'euthanasie était légalisée, l'écoute et la compassion qui font naturellement partie de la médecine passeraient définitivement au second plan. Des considérations d'ordre économiques pourraient venir se greffer à ce besoin d'administrer la mort alimenté par un « racisme antivieux » déjà présent.
Défense des soins palliatifs
La psychologue explique qu'il existe aujourd'hui une réponse adaptée à la détresse des mourants. Il s'agit des soins palliatifs, qui consistent à soigner non en vue de guérir mais de soulager et d'accompagner.
Si le recours à ces soins ont été considérablement renforcés par la Loi Leonetti de 2005, dont Marie de Hennezel fut une des promotrices, la psychologue remarque que cette pratique fait encore l'objet de débat. Ainsi, le sociologue Philippe Bataille, voit dans le développement des soins palliatifs le risque d'un cloisonnement entre une médecine du « cure » active et efficace et une médecine du « care » attentiste et passive.
Selon l'auteur, une telle accusation repose sur une vision erronée de l'acte médical. La médecine n'est pas seulement à ses yeux une pratique curative mais également une affaire d'hommes soumis à leur condition mortelle. Le soulagement de la souffrance par les soins palliatifs y a donc toute sa place.
La résistance du monde médical face aux pratiques palliatives s'expliquerait par la fascination de la profession pour le progrès et la technique médicale. La croyance que, à terme, la mort sera vaincue par la médecine justifierait, souvent, l'acharnement thérapeutique, aujourd'hui illégal. C'est face à ces excès, d'ailleurs, que les associations militant pour l'euthanasie se sont dressées à juste titre.
Le président Hollande pris à partie
Marie de Hennezel redoute que le chef de l'Etat apporte trop rapidement son soutien à la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Sa saisine du Comité d'éthique sur la question de l'euthanasie sans même lire le rapport Sicard en serait un signe inquiétant. Un tel empressement s'expliquerait peut-être par l'effet conjugué des résistances du monde médical au développement des soins palliatifs et du refus de respecter les droits élémentaires du mourant.
Et la détresse des médecins ?
L'ouvrage porte une attention inédite aux difficultés qu'éprouve le corps médical lors du traitement d'un patient en fin de vie. La mort met le médecin en face de son impuissance et l'insistance avec laquelle le mourant réclame sa mort peut en déconcerter beaucoup. Pourtant, selon Marie de Hennezel, il ne faut pas interpréter cet appel parfois désespéré comme une invitation à passer à l'acte mais comme une besoin légitime d'être écouté et pourquoi pas compris.
Les droits du malade
Plus loin, l'auteur développe des arguments de nature philosophique, que l'on pourra (ou non) trouver discutables sur les droits du malade en fin de vie.
Si la fragilité du mourant exige qu'il soit « traité comme une personne à part entière », elle ne lui donnerait pas pour autant tous les droits et notamment celui de réclamer sa mort, ni d'en faire porter la responsabilité sur autrui.
Selon l'auteur, céder sur ce point serait une façon de soulager notre culpabilité de ne pas apporter aux personnes en fin de vie la véritable attention, le véritable soulagement dont ils ont besoin.
En définitive, l'euthanasie relèverait d'une attitude d'évitement des responsabilités de la part du malade mais aussi de son entourage qui finirait par coûter chère à la société toute entière.
« Bien commun » contre liberté individuelle
Au fil cet essai, il apparaît, aux yeux de la psychologue, que la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté créerait plus de division que d'unité dans la société.
Si l'on peut la rejoindre sur un point, c'est que, en tant que membres les plus fragiles de la communauté humaine, les mourants méritent, plus que les autres, notre solidarité.
Comment doit se traduire cette solidarité ? Quelle est la manière la plus juste d'aider les mourants ? Faut-il les aider à mourir ou les accompagner vers la mort ?
Cette question douloureuse a une portée philosophique et morale essentielle. Un strict respect du consentement du mourant et de celui qui l'aide à mourir, devrait ouvrir la possibilité de l'euthanasie. Pour autant, comment prouver que ce consentement est « éclairé » ? Par ailleurs, la liberté reposant sur le consentement individuel est-elle sans limites ou doit-elle respecter les décrets d'un bien commun et supérieur ?
S'il est difficile d'apporter une réponse définitive à des interrogations si complexes, il est indubitable qu'elles doivent être débattues. Aussi, que l'on partage les arguments de l'auteur ou qu'on s'y oppose, cet essai a le mérite d'appeler à une réflexion indispensable en préparation des réformes sociétales qui s'annoncent.
François de Laboulaye