Le Dr Bernard Jeanblanc a rédigé un rapport après avoir rencontré Vincent Lambert, le 9 décembre. Chef de service d'une unité pour polyhandicapés et d'une unité de vie spécialisée pour les « pauci-relationnels », comme Vincent Lambert, il est depuis vingt ans un des spécialistes en France de ce type de patient.
LE FIGARO. - Vous ne cachez pas votre «perplexité» dans ce dossier. Qu'est-ce qui vous interpelle?
Dr JEANBLANC. - On recense en France 1500 patients en état végétatif ou «pauci-relationnels». Ce ne sont pas des gens dans le coma, ils perçoivent leur environnement extérieur mais sans pouvoir communiquer. Leur prise en charge s'inscrit toujours dans un projet de vie, et pour cause: ils ne sont pas en fin de vie. Dans mon service, ces patients sont levés tous les jours, ils reçoivent des soins de kiné, de confort, de stimulation. À l'opposé de l'approche palliative. C'est pourquoi, dès le départ, l'hospitalisation de Vincent Lambert dans un service de soins palliatifs est une inadéquation totale, il n'a rien à faire là.
Ce cas est selon vous «une interprétation abusive de la loi Leonetti», pourquoi ?
Si on euthanasie un patient comme Vincent, quid des 1500 autres qui sont comme lui? On les élimine? Sur quels critères? Parce qu'ils sont handicapés? Qu'ils ne servent à rien? Je crains beaucoup ces dérives utilitaristes, voire économiques. Cela voudrait aussi dire que la pratique des professionnels avec ces patients-là, depuis tant d'années, est inutile? Mes équipes sont outrées de voir l'approche réservée à Vincent Lambert.
L'équipe du Dr Kariger dit avoir perçu une résistance aux soins, signe qu'il voulait en finir.
Comment le Dr Kariger, qui reconnaît l'incapacité objective de Vincent à communiquer, peut-il soutenir avec une telle force de conviction qu'il a exprimé un refus de vivre? Nous sommes là dans l'interprétation pure et simple. Or on ne peut baser un arrêt de mort sur des suppositions, c'est très grave! À plus forte raison quand il s'agit de «faire mourir» et non de «laisser mourir». Car il faut rappeler qu'il n'y a pas de pathologie dans ce cas, ni même de détérioration de l'état de santé.
La prudence a-t-elle manqué?
À l'évidence. Or c'est une des vertus du soin. Pour tout dire, c'est ce qui m'étonne le plus dans l'attitude du Dr Kariger: le fait qu'il ne doute pas. Avec mon équipe, après vingt ans d'expérience, nous ne sommes jamais dans la certitude, c'est impossible. Par ailleurs, un principe élémentaire n'a pas été respecté: quand il n'y a pas de consensus familial, c'est le droit à la vie qui prime. C'est le professeur Didier Sicard qui l'a rappelé (ancien président du Comité consultatif national d'éthique, auteur d'un rapport sur la fin de vie, NDLR).
Source : lefigaro.fr