L´URGENCE PALLIATIVE
Bioethics
Engager des soins palliatifs aux urgences. Quel drôle d'idée ! Voilà deux cultures, deux médecines qui tout oppose. Pourtant ça marche ! Et il faut que ça marche !! Voici les fruits de tranches de vies aux urgences de "Larib".
Les urgences adoptent dans un souci d'efficience une démarche rondement menée du curatif de plus en plus « protocolisé » alors que les soins palliatifs s'inscrivent dans un rapport au temps radicalement différent avec des objectifs d'accompagnement et non de curatif avec une quête de sens autre. De son côté, l'institution hospitalière estime aussi que « les soins palliatifs » n'ont rien à faire aux urgences. Ce n'est pas la mission des urgences. Il n'y a pas de lits étiquetés « soins palliatifs » aux urgences. Gros sous quand vous nous tenez ! Et pour finir les services d'aval abondent dans le même sens, le plus grand nombre ne se sentent pas « outillés » pour prodiguer des soins dans une dimension autre que curative. Bref, « Messieurs les soins palliatifs » soyez les bienvenus, vous n'êtes pas attendus !
Il y a 4 ans à peine, l'arrivée aux urgences de Lariboisière d'un patient pour le quel nous nous voyions dans l'obligation de nous prononcer collégialement pour une limitation des soins et devoir lui proposer des soins palliatifs, était exceptionnelle. Et une telle situation mettait tout le personnel mal à l'aise, générait des tensions de fond. Pour être caricatural et donc faux, le patient était classé comme « non réanimatoire » et la messe était dite !
Et pourtant, ils continuent d'arriver tous ces patients « au bout du rouleau » pour les quels tout geste se voulant curatif plus ou moins lourd est déraisonnable. Aujourd'hui, plusieurs par mois franchissent le seuil du service. N'allez pas incriminer l'aval des urgences, la médecine de ville, les maisons de retraite, les familles, le gouvernement, la crise... Nous sommes tous sous la loi des grands nombres avec une démographie de plus en plus âgée, dépendante et porteuse de pathologies chroniques dans une société qui a perdu du lien social. Aux urgences viennent se cristalliser tous les manquements de notre société. Toute fois, aucun malade suivi à domicile par son médecin et un réseau de soins palliatifs n'arrive aux urgences. Tout est anticipé, et fait sur place. Les gouvernements successifs se refusent de soutenir ce symbole fort de l'ultime lien d'humanité. Mais ne faisons pas d'exégèse ! Ces patients sont là, ils viennent frapper avec leur famille à la porte de l'institution hospitalière. Nous devons répondre à leur demande dans l'entropie des urgences.
Qu'avons-nous fait ? Tout d'abord nous avons évalué les connaissances et le ressenti de tous les membres de l'équipe du service à propos de la loi de limitation des soins dite loi Léonetti et les soins palliatifs. Surprise, la presse et les détracteurs de la loi ont tort, la loi est largement connue de tous les membres du service! Les soins palliatifs sont connus surtout des aides soignants. Nous avons ainsi affiné et multiplié les « formations maison » avec des groupes de parole pour répondre aux questions de tous. L'équipe mobile de soins palliatifs de Lariboisière nous a aidé pour mettre en place une façon de faire pour aller au devant de ces situations humaines graves, être toujours dans l'anticipation. Ainsi, l'urgence palliative nous est apparue comme une évidence. Chaque jour, l'ensemble de l'état du patient est évalué pour une réponse ajustée. L'équipe toute entière avec cohérence précède la question qui va se poser. Le patient et sa famille sont plus préoccupés par le lendemain que par le moment présent. Nous permettons ainsi au patient à sa famille de passer de l'espoir à l'espérance.
Si en 2009, la porte de la chambre des patients dits « non réanimatoires » à l'époque était volontiers et pudiquement fermée, aujourd'hui cette même porte reste ouverte H24 pour la famille et les soignants. Cette chambre devient un lieu de dialogue grave où vient être reconnue la valeur spirituelle du patient sans que cela soit explicitement dit. Le « vide médian » présent entre les acteurs est habité par un pudique indicible respectant la liberté, la responsabilité de chacun.
Quelle est la leçon ? Je pense qu'il est urgent que nous abandonnions cette notion de soins palliatifs pour celle de médecine palliative ajustée avant tout à la demande d'un homme dans toute sa dignité. Mettons de la chaleur dans nos froides techniques ! Et elles resteront à leur place !
Dr. Bertran Galichon (Président du CCMF, membre de la FIAMC)