“ Mettre fin à une vie ne pourra jamais être une pratique comme une autre ”
Par le Professeur Lucien Israël, de l’Institut.
Le “ consensus ” n'a aucun sens
Le Comité national d'éthique vient de se prononcer en faveur d'une “ euthanasie d’exception ”, et déclare dans le même texte que “ arrêter une vie ne pourra jamais être une pratique comme une autre ”, on le remercie de cette précision. Il fut déjà, dans notre histoire récente, indiqué que l'avortement ne serait pratiqué dans nos hôpitaux qu'à fin de
répondre à une situation exceptionnelle. Il remplace aujourd'hui avec l'agrément de la Sécurité sociale, la contraception dans un nombre de plus en plus élevé de cas.
Une telle dérive ne saurait épargner la pratique de l'euthanasie, dans une société au sein de laquelle la longévité s'accroît régulièrement, et avec elle hélas les diverses dépendances, ce qui pèsera de plus en plus sur le budget de la santé, d'où certaines tentations... Mais avant de discuter le principe d'une telle mesure, exceptionnelle ou non, on souhaite présenter ici quelques réflexions nées d'une longue pratique de la cancérologie médicale.
Si, en premier lieu, la demande d'euthanasie est parfois présentée par le patient, apprenant le diagnostic d'une maladie grave, elle n'est pas renouvelée quand la situation vient à se détériorer. Du moins dans le cas où l'intéressé a perçu clairement que toutes ses chances lui ont été données; et plus encore qu'il a compté en tant qu'être humain pour l'ensemble de l'équipe soignante, qu'il a été réconforté, respecté et entouré.
Ce qu'il demande alors c'est de ne pas souffrir, ce qui peut toujours être obtenu par une combinaison de soins locaux et généraux, auxquels il faut ajouter des mesures antidépressives. Il demande à ne pas être négligé du point de vue de l'hygiène, ni du point de vue relationnel ni du point de vue des symptômes non douloureux mais gênants. Et en outre, chose étonnante pour certains, il demande à être prolongé, tout en sachant la fin inéluctable et proche. Et ce répit est mis à profit pour régler divers problèmes, pour instaurer avec ses proches une relation parfois nouvelle, pour revenir s’il y a lieu à une spiritualité négligée et même pour témoigner sa reconnaissance à l'équipe soignante tout entière. Les patients qui n'ont pas été désespérés par des médecins indifférents et peu compatissants ne demandent pas qu'on les tue. Il leur reste d’ailleurs jusqu'à la fin un mince espoir, qu’on n’a pas le droit de détruire sèchement. Et c’est pourquoi le terme de consensus utilisé par le comité d’éthique sonne faux. La demande d'euthanasie par le patient n'est faite et alors parfois réitérée qu'en réaction à la négligence, ou à l'indifférence, ou à l'incapacité des médecins, à leur manque de compassion agissante et de formation. Dans la situation dont il est ici question, la maladie cancéreuse terminale, bientôt responsable d'un décès sur deux chez les gens âgés, la demande d'euthanasie faite par le patient n'est que la condamnation de pratiques inadéquates.
Pourquoi y a-t-il parfois une telle pratique inadéquate ? La réponse qui a le plus de chance d'être la bonne est que la nature même de la vie humaine est occultée, banalisée dans la culture moderne. Le corps est instrumentalisé. L'esprit est assimilé au fonctionnement d'un ordinateur. Le fait que, compte tenu de la diversité conjuguée des génomes et des vécus, il n'y aura jamais deux humains identiques sur cette planète est méconnu. Le fait qu'il n'y ait pas de modèle plausible de l'émergence de la vie, et a fortiori d'une vie consciente d'elle-même, capable de comprendre et de modifier son environnement, de se savoir mortelle, de déléguer à la science qu'elle construit ainsi qu'à la solidarité de ses semblables, le soin de reculer l'échéance, ce fait est tenu pour contingent.
Si pourtant on en venait à lever l'interdiction d'arrêt volontairement cette vie, la médecine d'abord, mais bientôt la civilisation humaine tout entière, en seraient définitivement altérées dans leur finalité. Les représentants de notre espèce aujourd'hui présents sur cette terre devraient en prendre conscience et mesurer leurs responsabilités.
Lucien ISRAEL, de l’Institut,
Professeur émérite de cancérologie
Source : 1000questions.net