Euthanasie : acte de compassion ou toute-puissance ?
par Hubert Tesson, médecin, 06/10/2011
LE PLUS. L'euthanasie fait régulièrement débat, et la mise en examen d'un médecin de Bayonne a récemment soulevé des controverses au sein même de la profession. C'est l'occasion pour Hubert Tesson, médecin, de s'interroger sur la fragile frontière entre la compassion et la prise de pouvoir sur le patient.
Un médecin de l’hôpital de Bayonne est soupçonné d’avoir donné la mort, à plusieurs reprises, à des personnes âgées en fin de vie. Une nouvelle occasion s’offre à nous, médecins, de questionner notre relation à la souffrance et à la vulnérabilité.
Ce questionnement me renvoie personnellement à une étude qui m’a frappé, publiée en février 2011 par le BMJ (british Medical Journal). Cette étude a été réalisée auprès de 65 patients atteints de Locked-in syndrome (syndrome d’enfermement) et concernait leur auto-évaluation de bien être.
Pour rappel, le locked-in syndrome décrit une situation dans laquelle une personne est pleinement consciente, mais est incapable de se déplacer ou de communiquer, sauf par le biais de mouvements oculaires ou de clignements d’œil. Le syndrome est causé par une lésion du tronc cérébral, et les personnes touchées peuvent survivre pendant des décennies.
Dans cette étude du BMJ, les trois quarts des patients enfermés par ce "locked-in syndrome" déclarent qu'ils sont heureux et un certain nombre de facteurs signalés par ceux qui déclarent être malheureux pourraient être bien améliorés.
Les commentateurs incitaient à la prudence dans l'interprétation de ces résultats, mais soulignaient la divergence avec les études qui avaient été réalisées jusque là par hétéro-évaluation (à partir de la perception des soignants et non celles des personnes touchées par ce handicap majeur). Les résultats de ces hétéro évaluations faites par les soignants étaient beaucoup plus catastrophiques que ceux de cette étude basée sur l'auto évaluation.
Mon propos n'est pas de nier la souffrance liée à des situations comme le locked-in syndrome ou l’agonie. Mais je voudrais relever que ces situations « extrêmes » nous ramènent aux exigences qui fondent ce que l’on peut nommer la relation de proximité à autrui. La proximité est une relation paradoxale où le lien est d’autant plus intense qu’il se fonde sur le maintien de la séparation entre l’autre et moi (différent en cela de la relation fusionnelle). Cette expérience de l'altérité, nous la vivons tout particulièrement lorsque nous acceptons ne pas pas tout connaître de lui (je ne connais pas sa souffrance dans cette situation qui, à priori, m’apparaîtrait comme insupportable).
A contrario, cette expérience de l'altérité ne peut s’éprouver pas dans l'exercice du pouvoir sur autrui (notamment, dans le cas présent, par l’usage de produits létaux administrés pour accélérer la fin de sa vie). Pour un médecin, la relation de proximité relève d’une difficile exigence envers autrui et envers lui-même… Oui, difficile exigence, car la rencontre entre le médecin et le malade est parfois (toujours?) rencontre entre deux vulnérabilités. La vulnérabilité du malade est dévoilée, évidente. Celle du médecin, même si elle est bien réelle, est au contraire cachée, recouverte par son savoir et son pouvoir (indispensables à l'exercice de sa profession).
L’exigence du questionnement éthique médical s’inscrit dans la prise de conscience de cette réalité. Cette exigence ouvre sur une visée éthique qui passera, entre autres, par le travail en équipe.
Source : nouvelobs.com