Etats pauci-relationnels : Fin de vie ou grand handicap ?
Les imprécisions de la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie concernant les questions d’hydratation et d’alimentation ont été à l’origine de situations tragiques. Dans l’actualité, la controverse autour de Vincent Lambert a suscité l’emballement alors que son état clinique relève davantage du grand handicap que de la fin de vie. Pour essayer de comprendre, le Professeur Ducrocq, neurologue, revient sur les caractéristiques de ce qu’on appelle l’« état pauci-relationnel ».
Gènéthique : Quand peut-on dire qu’une personne est dans un « état pauci-relationnel » ?
Pr Xavier Ducrocq : L’état pauci-relationnel (EPR) s’installe toujours après une période de coma, il en est un mode de sortie. Le coma a pu être provoqué par un traumatisme crânien grave, un AVC, ou une anoxie cérébrale (par arrêt cardiaque ou noyade, par exemple). Quand elle sort du coma, la personne en EPR va ouvrir spontanément les yeux. Elle va respirer librement et alternera des périodes de veille et de sommeil. Si elle ne parle pas, elle peut parfois émettre des sons. Ses membres sont paralysés (double hémiplégie), mais elle peut faire quelques mouvements, même s’il est difficile de savoir s’ils sont volontaires ou réflexes. Elle peut tourner la tête et les yeux. A des degrés divers, elle présente parfois des troubles de l’audition ou de la vision. Elle semble ne pas réagir à son environnement et aucun code de communication fiable n’a pu être établi. Pourtant en étant attentif, par moment, la personne tourne la tête, les yeux, elle agite un bras, une jambe, sa respiration s’accélère, son regard devient plus expressif… Ces attitudes se remarquent particulièrement, sans être systématiques, en présence d’un proche, d’une musique aimée, ou en cas d’un inconfort qu’il faudra identifier. Si on a alors la conviction que la personne réagit à son environnement, il est impossible d’en donner exactement la raison : que perçoit-elle ? Que ressent-elle ? Que veut-elle dire ? L’incertitude est permanente et difficile à gérer, frustrante. Inquiétante parfois.
G : On parle aussi d’état végétatif chronique (EVC), de quoi s’agit-il ?
XD : Dans l’EVC, plus justement appelé « état d’éveil sans réponse », les réactions ne sont que végétatives, elles ne sont pas volontaires : accélération du cœur, de la respiration, de la coloration du visage, transpiration. Elles ne sont jamais « conscientes ».
Mais une même personne peut, selon les moments, paraitre plus « sans réponse » que pauci-relationnelle. Il y a d’importantes fluctuations. Si bien qu’il est légitime de ne pas les différencier. Les meilleurs experts affirment que le risque d’erreur quand on qualifie une personne d’EVC est de 40% : c’est-à-dire que 4 fois sur 10 on considérera « végétative » une personne qui est « pauci-relationnelle ».
Qu’il s’agisse d’EVC ou d’EPR, il n’y a pas, actuellement, d’espoir raisonnable d’amélioration. On ne connait que quelques cas, exceptionnels, de récupération tardive d’une communication. Ces personnes sorties du coma, ont un niveau de conscience incertain et fluctuant, elles sont porteuses d’un handicap moteur et cognitif sévère, chronique, mais elles ne sont pas en fin de vie. Elles vivent sans pouvoir communiquer, ce qui ne veut pas dire qu’une relation est impossible.
G : Est-ce qu’elles ont conscience de ce qui les entoure ?
XD : Oui, si bien qu’on parle aussi d’« états de conscience minimale ». Depuis quelques années, des études faites par des chercheurs au moyen de l’IRM fonctionnelle, tendent à prouver l’existence, chez des patients en EPR ou en EVC, d’un certain degré de conscience. Si ces résultats corroborent ce que ressentent les proches – soignants, famille – de ces personnes, ils ne permettent pas d’établir un code de communication. Dans tous les cas, la prudence s’impose : l’absence de preuve de conscience ne signifie pas l’absence de conscience. Comment connaître exactement le niveau de perception d’elle-même et de son environnement d’une personne EPR ? Du niveau d’intégration des informations sensorielles qu’elle capte et de sa capacité à élaborer une réponse… qui supposerait de pouvoir recourir à un code de communication. Il est difficile d’interpréter l’existence ou non d’une conscience. En effet, déjà chez une personne normale, une émotion, même forte, peut ne se traduire que par des signes végétatifs : il y a comme une dissociation entre le ‘vécu mental’ et son expression physique.
G : Qu’en est-il de la nutrition ?
XD : La plupart des personnes en EPR sont nourries artificiellement par une gastrostomie (sonde entre l’abdomen et l’estomac) pour pallier une paralysie de la déglutition qui peut se prolonger. Toutefois, près d’un tiers de ces patients peut être nourris par la bouche, au moins partiellement.
G : Est-ce qu’il s’agit de maintenir artificiellement en vie la personne ?
XD : Non. S’il est commode d’utiliser des poches alimentaires de fabrication industrielle, les sondes de gastrostomie permettent de passer des aliments habituels, pourvu que leur texture soit adaptée. La gastrostomie n’est pas un obstacle à la mobilité de la personne : pas de tuyau extérieur, juste une sorte de bouton-pression au niveau du ventre. Habillé, rien ne se voit. De nombreux patients, par exemple en cas de cancer de la gorge, sont ainsi nourris par gastrostomie, justement pour pouvoir mener une vie autonome.
G : Mais vivre dans cet état, est-ce une vie ?
XD : Oui ! Les personnes en EPR vivent ! Et la loi française les protège d’autant plus qu’elles sont en situation d’extrême vulnérabilité. Elle demande de leur proposer un projet de vie, un projet de soins. Qu’elles soient à domicile ou dans des unités spécialisées, elles doivent bénéficier de soins de kinésithérapie, d’orthophonie, des stimulations sensorielles, des massages. Elles doivent aussi être habillées, mises au fauteuil, sorties en promenade ou aller à l’occasion dans leur famille… Ce qui suppose un investissement considérable pour les proches et les soignants, mais n’est-ce pas l’honneur et le devoir d’une société que d’y veiller ?
Source : genethique.org