«Ce qui est impressionnant, c’est que l’on s'habitue aux petites maltraitances»
Témoignage des mots qui dépassent, des attitudes qui blessent à l'hôpital.
Ce sont mille petits gestes de la maltraitance hospitalière ordinaire. Des mots qui dépassent, des attitudes qui blessent.
Béatrice en a souffert. Elle n’est pas en colère, simplement sidérée. Et préfère ne pas apparaître sous sa véritable identité, simplement parce qu’elle n’est pas encore guérie, et toujours entre les mains de soignants. Elle dit: «Ce qui est impressionnant, c’est que l’on s’habitue aux petites maltraitances, et qu’après on ne s’en étonne même plus».
Béatrice est bordelaise, dentiste, et travaille dans l’humanitaire. Elle a 55 ans. En 2013, elle se casse la figure dans l’escalier, et s’explose le genou. «En soins aigus, on s’en remet complètement au personnel soignant, surtout quand les choses tournent mal». Aprés plusieurs mois d’errances, et d’opérations dans un grand CHU français, voilà que Béatrice attrape un staphylocoque doré, ces bactéries terribles qui résistent à presque tous les antibiotiques. Et arrivent à grignoter les os et cartilages de façon dramatique. C’est ce que l’on appelle une infection hospitalière. Pendant des mois, c’est le martyre. Béatrice se retrouve en service de rééducation, couchée, souffrant fortement. «Et surtout, dépendante», lâche-t-elle. Et c’est là que tout bascule: «On n’y peut rien, et on ne peut rien», nous raconte-t-elle. «Un jour, je fais tomber la télécommande de la télévision, je sonne, l’aide soignante met un certain temps à venir. Ce n’est pas grave. Mais là, elle me dit "Bon ca va cette fois, mais la prochaine fois je la laisse par terre". Je n’en revenais pas, comme si j’étais un enfant, et que je l’avais fait exprès.»
Elle a une foule d’anecdotes de même nature, anodines et terribles, qui mettent toutes en scène cette maltraitance ordinaire. «Allez savoir pourquoi, mais on nous met toujours le pistolet trop loin de nous. Du coup, il faut toujours appeler quelqu’un pour ses simples besoins. C’est terrible, cette dépendance. Le bassin, c’est tellement humiliant.»
Elle continue: «On te réveille à sept heures moins le quart tous les matins, et on t’apporte le petit déjeuner à neuf heures. Pourquoi? Tu n’oses pas leur demander les raisons car on va te répondre qu’ici, on n’est pas à l’hôtel. On le sait bien que l’on n’est pas hôtel, mais c’est ainsi. C’est tout le temps, tous les jours comme ça. Affronter ces petits détails de la vie quotidienne de malade nécessitent beaucoup d’énergie»
Béatrice n’a rien d’une vindicative ou d’une militante. Pendant deux ans, elle est restée clouée sur son lit. «C’est bizarre, ajoute-t-elle, parce que dès j’ai pu marcher, même avec des béquilles, tout a changé. L’attitude du personnel soignant est devenue normale, on me traitait en adulte et non plus comme un enfant».
Source : liberation.fr