par Marine Lamoureux, La Croix, 19/03/3013 (extraits)
A la Croix-Saint-Simon, les patients sont accompagnés chez eux
Grâce à « l'hospitalisation à domicile » (HAD), des personnes malades en fin de vie peuvent rester chez elles jusqu'au bout, entourées de leurs proches et de professionnels. Les soignants en HAD apprécient de pouvoir passer du temps auprès des malades.
Il est 10 heures, Hélène Bescher gare sa voiture devant un petit pavillon de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ce matin, la jeune infirmière se rend chez un homme de 63 ans atteint d'une tumeur au cerveau qui, désormais en phase palliative, a quitté l'hôpital pour vivre chez lui auprès de son épouse. Hélène s'enquiert de son état, puis se penche doucement au-dessus du malade, endormi dans le lit médicalisé installé dans le salon, entre une grande fenêtre et le piano. Ici, on est loin des rythmes imposés par l'hôpital ou de celui des infirmières libérales, payées à l'acte.
Prendre le temps de soigner et d'écouter
« En libéral, les infirmiers voient en moyenne 30 à 40 patients par jour, certains n'enlèvent même pas leur casque de moto pour effectuer le soin ! Nous, c'est six à sept malades maximum dans la journée, explique Hélène. Certains gestes techniques nous prennent beaucoup de temps, comme les pansements complexes par exemple, d'autres moins. Mais, même dans ces cas-là, on reste un bon moment au domicile pour échanger avec le patient et ses proches, les écouter. Cela fait aussi partie de notre travail. »
Ce temps passé et l'impression d'exercer vraiment le métier de soignant ont convaincu la jeune femme de travailler en HAD, l'hospitalisation à domicile. Depuis quelques mois, après une longue expérience en réanimation, Hélène Bescher a donc rejoint l'HAD Croix-Saint-Simon, l'une des plus importantes d'Île-de-France, avec près de 250 patients suivis à domicile ou en Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes).
Cette prise en charge est une alternative à l'hospitalisation traditionnelle pour des patients de tous âges atteints de pathologies graves, y compris en fin de vie. « Nous suivons beaucoup de personnes atteintes de cancer, qui peuvent ainsi, même en phase avancée, vivre dans leur environnement aux côtés de leurs proches », souligne la jeune femme.
Une prise en charge globale
L'équipe à laquelle elle appartient s'occupe d'une quarantaine de patients dans l'est de Paris et la Seine-Saint-Denis. Elle est composée de 10 infirmières, quatre aides-soignantes, un médecin coordinateur, une psychologue et une assistance sociale. La prise en charge, en étroite collaboration avec le médecin traitant et le médecin hospitalier, est globale : outre les soins proprement dits, l'HAD comporte un volet social et psychologique.
« C'est un véritable défi, il faut déployer une énorme énergie mais c'est aussi tout l'attrait du métier, fait observer Nadine Rosenfeld, cadre de santé de l'HAD Croix-Saint-Simon. C'est gratifiant, car nous sommes au plus près des besoins du malade. »
Lors de la réunion d'équipe, ce jour-là, elle s'inquiète du risque de fuite de gaz chez une patiente de 93 ans, qui oublie parfois de le fermer lorsqu'elle cuisine. « Il faut convaincre sa fille de lui installer une cuisinière électrique », lance le cadre de santé. « Le problème, objecte une infirmière, c'est qu'elle minimise et qu'elle ne veut pas qu'on intervienne là-dessus. » « Je vais voir cela avec le bailleur social », tranche Colette, l'assistante sociale. « Dans ce genre de cas, il faut intervenir, car le danger est réel, mais sans heurter la patiente dans son intimité, décrypte Nadine Rosenfeld. L'équilibre n'est pas toujours simple à trouver. »
Se préoccuper des « aidants »
De fait, à domicile, la dimension psychologique, la personnalité du patient, les relations familiales sont, plus encore qu'à l'hôpital, des données incontournables. Comment parler de soins palliatifs à quelqu'un qui se trouve dans le déni de la gravité de sa maladie ? Comment respecter la volonté du patient lorsque ses choix semblent déraisonnables du point de vue médical ? Ou bien lorsque l'aidant est sur le point de « craquer » ? Au cours de la réunion, l'équipe évoque régulièrement la situation des proches. (...)
« On est ensemble, c'est ce qui compte »
À Rosny-sous-Bois, l'épouse du malade atteint d'une tumeur au cerveau fait face pour le moment. Cette femme douce et cordiale a dû suspendre son activité professionnelle pour être auprès de son mari, mais elle se dit avant tout soulagée qu'il ait pu rentrer à la maison. « Il y a des moments difficiles mais on est ensemble, c'est ce qui compte, confie-t-elle. Nous partageons beaucoup de choses, nous écoutons de la musique, nous discutons un peu lorsqu'il n'est pas trop fatigué et je lui fais des massages. Nos deux filles viennent aussi nous rendre visite. »
Grâce à l'HAD, Monique se sent entourée et dans un cadre sécurisant. « Je suis très reconnaissante vis-à-vis du personnel. C'est l'HAD qui a tout organisé, loué le matériel médical, mis en place un planning de visite et de surveillance. Je sais aussi que, si mon mari souffre ou s'il y a une urgence, je peux appeler le service 24 heures sur 24, c'est très rassurant », insiste-t-elle, en désignant un classeur bleu sur lequel le numéro est inscrit en gros.
Avant la maladie de son mari, elle ignorait jusqu'à l'existence de l'HAD. Elle avait même commencé à organiser seule la prise en charge en libéral, dans la perspective de son retour à domicile. « Mais je me sentais assez démunie, se souvient-elle. Quel matériel fallait-il ? Comment allais-je le financer ? Comment gérer seule certaines situations délicates ? » L'intervention de la fondation Œuvre de la Croix-Saint-Simon fut « d'un grand soutien », explique-t-elle en posant son regard bleu sur le corps frêle de son mari, recouvert d'une grosse couette.
« Changer les habitudes et les mentalités »
De nombreux freins demeurent, cependant. « La marge de progression est très grande mais cela implique de changer les habitudes et les mentalités, analyse Nadine Rosenfeld, le cadre de santé de l'HAD. C'est aussi à nous de nous faire mieux connaître des services hospitaliers, pour qu'ils pensent à orienter leurs patients vers nous. » Un enjeu de taille puisque, d'après une étude de l'Ifop, en 2010, 81 % des Français souhaiteraient « passer leurs derniers instants chez eux » (Enquête Ifop réalisée auprès d'un échantillon représentatif de 1 500 personnes du 26 juillet au 4 août 2010, via un questionnaire auto-administré en ligne).
Source : La Croix