« Non Madame Jencquel, dépendre de l'autre n'est pas être indigne ! »
Publié
FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que Jacqueline Jencquel multiplie les apparitions médiatiques pour faire état de son souhait d'avoir recours au suicide assisté, trois personnes en situation de handicap, et donc de dépendance, se refusent à considérer la perte d'autonomie comme un manque de dignité.
Philippe Aubert, Marc-Henri d'Ales, Cécile Gandon et Marie-Caroline Schürr sont tous les quatre en situation de handicap. Philippe Aubert est l'auteur de Rage d'exister (éd. Ateliers Henry Dougier, 2018) et Marie-Caroline Schürr d' Out of the box(éd. du Jubilé, 2016).
Ces dernières semaines, Madame Jacqueline Jencquel a exprimé à de nombreuses reprises son intention de mettre fin à ses jours en 2020. Cette dame âgée de 74 ans ne souffre aujourd'hui d'aucune maladie grave, mais elle préfère le suicide assisté aux aléas d'une vieillesse incertaine. Elle s'en explique ainsi devant Hugo Clément, journaliste pour la chaîne Konbini. «La perte d'autonomie, pour moi, c'est la fin de la vie» affirme-t-elle sans sourciller.
S'ensuivent des propos dégradants sur les personnes dépendantes, mais aussi sur celles et ceux qui œuvrent chaque jour pour leur porter les soins et l'attention dont elles ont besoin pour vivre. Quelques jours plus tard, c'est au tour de BFM de relayer ces propos humiliants lors d'une émission matinale.
Si le discours de Madame Jencquel est violent pour nous, personnes handicapées, le fait qu'il soit puissamment relayé par les médias nous blesse profondément et atteint notre dignité.
Nous, personnes handicapées, disons et redisons que notre vie vaut la peine d'être vécue, dans sa dépendance et sa fragilité. Oui, nous assumons notre dépendance. Car nous savons qu'être dépendant n'est pas être dégradé. Quand nous avons besoin d'aide, c'est ce que nous avons de plus précieux que nous offrons: notre corps et notre cœur blessés. Madame Jencquel, nous voulons vous dire que votre vie a du prix, quel que soit votre état de santé. Vous êtes unique et importante, et vous le seriez encore quand bien même vous seriez dans la plus profonde dépendance.
Nous, personnes handicapées, nous offrons la possibilité à d'autres de donner le meilleur d'eux-mêmes pour nous aider à vivre. Nous voulons construire une société dans laquelle nous pouvons prendre soin les uns des autres. Être interdépendants, cela veut dire tisser des liens et devenir passeurs de vie.
Nous, personnes handicapées, nous voulons remercier tous les soignants et les aidants qui consacrent du temps, de l'énergie et de l'inventivité pour nous rendre la vie un peu plus confortable. Pour certains d'entre nous, l'environnement familial se retrouve également en première ligne au moment de nous porter des soins. Nous ne nions pas qu'il est dur de souffrir, parfois même à la limite du supportable. Mais ce qui est difficile n'est pas forcément indigne. Ce qui nous rend digne, c'est peut-être justement cette capacité que nous avons à croire en la vie au-delà de tout. À croire en la force du lien alors même que toutes les apparences pourraient nous faire douter. La peur de la souffrance est mortifère. La souffrance elle-même, quand elle est accompagnée, se traverse.
Notre voix n'est peut-être pas passée sur BFM à une heure de grande écoute, mais elle est pourtant force de témoignage. Elle porte la douleur de notre chair blessée. C'est celle qui tisse des liens. Et qui, dans l'invisible du quotidien, trace une route de vie. Avec force et courage.
Philippe Aubert, Marc-Henri d'Ales, Cécile Gandon et Marie-Caroline Schürr
Source : lefigaro.fr