Vie et mort de Vincent Lambert
par Sami RICHA, Comité Consultatif National Libanais d'Ethique, 25/07/2019
La récente mort dans des conditions tragiques de Vincent Lambert, après un feuilleton insolite et inédit que le monde entier a vu et entendu avec une stupéfaction qui n’avait d’égale que l’horreur à laquelle on assistait, nous interroge sur le sens contemporain de la vie et de la mort.
Fallait-il tant d’instances juridiques, médiatiques et médicales pour rappeler qu’alimenter et hydrater un patient en état de conscience limitée, quel qu’en soit le degré et quelle que soit la capacité de communication de l’intéressé, est une obligation de soins qui s’impose à tout médecin ?
Malgré cela, les traitements par hydratation et nutrition artificiels ont été arrêtés à la demande de la Cour de cassation en France.
Quel gâchis et surtout quelle souffrance cela devait-il générer chez un patient même aux capacités pauci-relationnelles !
Que le juridique s’immisce dans le débat quand il y a un tel litige, on peut le comprendre. Que les parents et l’épouse se disputent par médias interposés sur la valeur ou non de la vie de leur fils, on peut l’admettre. Mais qu’à aucun moment l’autorité médicale, principale concernée, ne puisse se prévaloir de son rôle et s’acquitter de sa mission de décision, voilà une première dans le monde médical, pourtant si enclin à défendre constamment son territoire.
Par ailleurs, on peut comprendre le malaise qu’on ait devant la mort, cette interminable suite de la vie.
La mort qu’on abhorre, qu’on craint et qu’on maudit. La mort que personne ne pourra jamais vaincre et qui triomphe toujours. La mort, seul cours que même les médecins ont toujours occulté de donner dans une faculté de médecine ! C’est cette mort-là, avec tout ce qu’elle charrie de passion et de flamme de vie, qui nous interroge.
La mort de Vincent Lambert aura au moins rendu un seul service, celui de désacraliser le débat sur la mort. Ce n’est plus désormais l’Église et les religions qui s’insurgent contre la mort donnée cette fois-ci, mais bel et bien le Français moyen, la personne lambda, même les anticléricaux et tant d’autres qui n’acceptent pas cette mise à mort finalement décidée par les autorités de l’État !
Car à partir de ce moment, l’on peut raisonnablement craindre de mettre à mort tous les cas de grand handicap.
Enfin, il est indéniable de penser de rappeler la valeur du mot « dignité humaine », trop souvent reprise dans le débat. Que n’a-t-on entendu « vie indigne d’être vécue », « vie amputée de sa dignité » ?
Toutes ces considérations sont fausses et surannées. Aucune vie, de quelque nature qu’elle soit et quelle qu’en soit l’issue, n’est indigne d’être vécue. Il est temps de se rendre compte qu’à partir du moment où on utilise la valeur du mot dignité pour le relativiser, l’on va tomber dans la tourmente du seuil à partir duquel on chiffrera vulgairement cette dignité. Et là, toutes les dérives seront possibles. La vie humaine, de son début à sa fin, ne peut faire l’objet de classification.
Malheureusement, il aura fallu encore la mort d’un homme pour nous rappeler ces vérités sur la vie pourtant si sages à être admises.
Dr Sami Richa
Membre du Comité consultatif national libanais d’éthique
Source : lorientlejour.com