Affaire Lambert : le rappel à l'ordre de l'Académie de Médecine
par Delphine de Mallevoüe, Le Figaro, 15/05/2014
Désignée par le Conseil d'État pour l'éclairer sur le cas de Vincent Lambert, l'Académie de médecine a remis un rapport ferme et sans langue de bois, rappelant des principes fondamentaux en faveur des patients en état végétatif chronique ou en état de conscience minimal.
Le rapport sonne comme un rappel à l'ordre des médecins. Saisie par le Conseil d'État le 18 février dernier pour apporter des éclairages au cas Lambert, ce jeune tétraplégique dont le maintien en vie dépend de la justice et divise la famille depuis un an, l'Académie nationale de médecine (ANM) vient de livrer son expertise sur l'approche déontologique et médicale à observer chez les patients en état végétatif chronique (EVC), en état de conscience minimal (ECM) et pauci-relationnels. Ferme et direct, il rappelle des fondamentaux qui tranchent avec les interprétations passionnelles sur la «fin de vie» de ces patients non mourants mais lourdement handicapés.
Un médecin a «mission de soigner»
Sans ambiguïté, l'Académie rappelle sa position: «L'arrêt de vie, en réponse à une demande volontaire à mourir alors que la vie en elle-même n'est ni irrémédiablement parvenue à son terme, ni immédiatement menacée ne peut être assimilée à un acte médical. Sans équivoque, quand bien même il s'agirait «seulement» d'une aide au suicide, il n'est pas dans la mission du médecin de provoquer délibérément la mort». Rappelons que Vincent Lambert, comme beaucoup de patients dans son état, ne peut pas communiquer sa volonté, qu'il ne l'a ni préalablement écrite dans des «directives anticipées», ni désigné une personne de confiance pour la faire valoir.
Tout aussi fermement, le rapport de 9 pages réaffirme que «le droit de la personne à l'alimentation et aux mesures appropriées à la qualité de vie», comme la kinésithérapie, l'hygiène et la prévention des escarres, ne peut être «subordonné à sa capacité relationnelle», qu'«aucun médecin ne peut l'accepter». Pourtant, Vincent Lambert, depuis fin 2012, ne bénéficie plus de kiné ni d'orthophonie.
En d'autres termes, peu importe le degré de conscience ou de communication, un médecin «a mission de soigner», dit l'Académie en précisant ne pouvoir «souscrire» à une «distinction entre état végétatif chronique et état de conscience minimal». Dans sa demande d'expertise, le Conseil d'État avait demandé que les neurologues définissent le degré de conscience de Vincent Lambert et l'irréversibilité ou non de ses lésions…
Maintien en vie artificiel ou personnes en vie ?
Des observations qu'avaient déjà mis en exergue les trois experts chargés par le Conseil d'État d'un nouveau diagnostic de Vincent Lambert. Le 5 mai, ils concluaient leur prérapport, très sombre d'un point de vue médical, en disant: «dans une telle situation - et en l'absence de directives anticipées et de personne de confiance - le degré de l'atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant de la mise en route d'une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement».
L'Académie se refuse en outre à considérer que «les personnes qui n'ont pas retrouvé une capacité relationnelle, si minime soit-elle, ne sont «pas en vie», ni même «en survie», mais «maintenues artificiellement en vie». Une réponse sans détour au Conseil d'État qui, le 14 février, avait estimé que Vincent Lambert était maintenu artificiellement en vie du fait d'une sonde alimentaire (gastrostomie), caractérisant ainsi ce soin vital comme un traitement et ouvrant la voie à l'interprétation de l'obstination déraisonnable. «Il apparaît (…) difficile de porter chez ce type de patient un diagnostic de «maintien artificiel de la vie» fondé sur une évaluation aléatoire de la conscience subjective».
Structures inadaptées
Autre point fort du rapport, le rappel de la circulaire ministérielle de 2002. Tandis que ce texte a institué tout un réseau national de structures d'accueil spécifiquement dédiées aux patients comme Vincent Lambert, s'interroger aujourd'hui sur le bien fondé du maintien en vie de ces mêmes patients est pour le moins paradoxal, relève l'Académie. L'existence de ces unités de soin adaptées suffit à démontrer que «ces personnes, jeunes pour la majorité d'entre elles (car le plus souvent accidentées, NDLR), désormais en état végétatif chronique ou état de conscience minimal n'ont pas - a priori - vocation à se voir privées de soins».
Les pontes de l'Académie enfoncent le clou: «on peut comprendre que des interrogations sur le bien fondé de la poursuite des soins (…) ont plus de risque de surgir (…) lorsque ces personnes demeurent dans des structures inadaptées à l'intensité des soins qu'ils requièrent». «Y a-t-il encore des personnes en EVC ou ECM dans des structures inadaptées, telles que les indiquait la circulaire de 2002 ?», interroge l'ANM qui demande que soit achevée «sans retard» l'évaluation d'«un authentique maillage du territoire» en Établissement de soins prolongés (ESP). Des structures où «l'approche des modalités d'accueil et de suivi des personnes cérébro-lésées n'y est à aucun moment conditionnée par une réflexion portant sur la fin de leur vie (…), dit l'ANM en faisant sienne la réflexion d'Emmanuel Hirsch. L'existence de ces personnes se poursuit sans le recours aux moyens qui «apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie» que réprouve la loi du 22 avril 2005».
Enfin, en faisant une allusion franche au Dr Kariger, médecin de Vincent Lambert à l'origine de son «processus de fin de vie» au CHU de Reims, l'ANM insiste à plusieurs reprises sur «l'exigence d'une concertation vraiment collégiale» dès lors que se poserait la question de l'obstination déraisonnable à poursuivre un traitement. Lorsque le premier processus avait été enclenché, le Dr Kariger n'avait pas informé les parents de Vincent Lambert, qui l'avaient appris «par hasard» 17 jours après l'arrêt de l'alimentation.
Source : lefigaro.fr