Au Sacré-Cœur
Poésie de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus
écrite au Carmel de Lisieux
Auprès du Tombeau, sainte Madeleine,
Cherchant son Jésus, se baissait en pleurs.
Les Anges voulaient adoucir sa peine,
Mais rien ne pouvait calmer ses douleurs.
Votre doux éclat, lumineux Archanges,
Ne suffisait pas à la contenter ;
Elle voulait voir le Seigneur des Anges,
Le prendre en ses bras, bien loin l'emporter.
Au Sépulcre Saint, restant la dernière,
Marie était là, bien avant le jour ;
Son Dieu vint aussi, voilant sa lumière.
Elle ne pouvait le vaincre en amour...
Lui montrant alors sa Face bénie,
Bientôt un seul mot jaillit de son Coeur ;
Murmurant le nom si doux de « Marie »,
Jésus lui rendit la paix, le bonheur.
Un jour, ô mon Dieu, comme Madeleine,
J'ai voulu te voir, m'approcher de toi ;
Mon regard plongeait dans l'immense plaine
Dont je recherchais le Maître et le Roi.
Et je m'écriais, voyant l'onde pure,
L'azur étoilé, la fleur et l'oiseau
Si je ne vois Dieu, brillante nature,
Tu n'es rien pour moi qu'un vaste tombeau.
J'ai besoin d'un coeur brûlant de tendresse,
Restant mon appui sans aucun retour ;
Aimant tout en moi, même ma faiblesse,
Ne me quittant pas la nuit et le jour.
Je n'ai pu trouver nulle créature
Qui m'aimât toujours sans jamais mourir ;
Il me faut un Dieu prenant ma nature,
Devenant mon frère et pouvant souffrir.
Tu m'as entendue, oh ! l'Epoux que j'aime...
Pour ravir mon coeur, te faisant mortel,
Tu versas ton sang, mystère suprême !
Et tu vis encor pour moi sur l'Autel.
Si je ne puis voir l'éclat de ta Face,
Entendre ta voix pleine de douceur,
Je puis, ô mon Dieu, vivre de ta grâce,
Je puis reposer sur ton Sacré-Coeur !
O Cœur de Jésus, trésor de tendresse,
C'est toi mon bonheur, mon unique espoir !
Toi qui sus bénir, charmer ma jeunesse,
Reste auprès de moi jusqu'au dernier soir.
Seigneur, à toi seul j'ai donné ma vie,
Et tous mes désirs te sont bien connus.
C'est en ta bonté toujours infinie
Que je veux me perdre, ô Cœur de Jésus !
Ah ! je le sais bien, toutes nos justices
N'ont, devant tes yeux, aucune valeur ;
Pour donner du prix à mes sacrifices,
Je veux les jeter en ton divin Coeur.
Tu n'as pas trouvé tes Anges sans tache ;
Au sein des éclairs tu donnas ta loi ;
En ton Cœur Sacré, Jésus, je me cache,
Je ne tremble pas : ma vertu c'est toi !
Afin de pouvoir contempler ta gloire,
Il faut, je le sais, passer par le feu.
Et moi, je choisis pour mon purgatoire
Ton amour brûlant, ô Cœur de mon Dieu !
Mon âme exilée, en quittant la vie,
Voudrait faire un acte de pur amour,
Et puis, s'envolant au ciel, sa patrie,
Entrer dans ton Coeur, sans aucun détour !...
Octobre 1895.