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Fin de vie, sédation et euthanasie : un médecin fait objection

posté par Philippe Cappello, Objection !, 21/08/2014

Dans un service de cancérologie, j’ai refusé expressément d’augmenter les doses de sédatifs ou de morphiniques chez des patients en fin de vie par ailleurs bien soulagés par une sédation qui reste malgré tout raisonnable.

J’ai également refusé à une ancienne infirmière de pratiquer un geste d’euthanasie qu’elle me demandait après avoir longuement dialogué avec elle. Cette ancienne infirmière était atteinte de cancer en phase évoluée et elle n’acceptait pas de voir son état se dégrader. Elle avait donc demandé à mes collègues de travail d’abréger ses jours lorsqu’elle le demanderait et ils avaient accepté. Comme je venais d’arriver dans le service, elle m’a fait la même demande en précisant que mes collègues étaient d’accord pour répondre à sa demande… Je lui ai alors clairement dit que je ne m’inscrirai pas dans cette démarche, que je ferai tout pour la soulager mais qu’en aucun cas je n’accélèrerai sa fin… Quelques jours plus tard, un matin, j’ai eu la surprise d’apprendre qu’elle était décédée alors que la veille son état ne s’était pas aggravé. Alors que je manifestais mon étonnement à mon chef de service, il m’informa qu’il avait mis fin à ses jours à sa demande…..

Lorsqu’un malade ou une famille me demande de poser un geste d’euthanasie, je prends le temps de parler et de « faire jaillir » les motifs de cette demande. J’ai le souvenir très net d’un patient qui m’avait demandé « la piqûre » pour mourir. Après avoir longuement parlé avec lui et lui avoir signifié autant que faire se peut que sa vie même limitée, dans un lit, avait encore du sens pour celles et ceux qui l’entouraient et qu’il apportait quelque chose à son entourage, il m’a remercié et m’a dit « Docteur, je ne vous demanderai plus jamais la piqûre. Je vous remercie. Jamais on ne m’avait parlé ainsi ! ». Et je peux dire que chaque fois que cela s’est produit, le résultat a été le même si les formes  différaient : il faut accepter d’échanger parfois pendant près d’une heure…

Inversement, j’ai vécu des périodes de travail avec des collègues qui pratiquaient l’euthanasie et là aucun dialogue n’a pu se faire ! Les chambres des malades en fin de vie m’étaient même plus ou moins refusées et pour ne pas collaborer par mon silence n’ayant pas le moyen de faire évoluer la situation, j’ai demandé ma mutation de l’hôpital où j’exerçais. En fait, j’ai toujours eu un grand respect envers les collègues qui ne partageaient pas mes convictions et « ma clause de conscience » mais malheureusement je me suis entendue dire « je sais que tu n’es pas d’accord mais c’est moi le chef et c’est ainsi »… Aucun dialogue n’ayant pu faire évoluer les choses et dans la mesure où mon silence devenait à mon sens une forme de collaboration aux actes d’euthanasie (je ne pouvais pas en parler car bien entendu les choses se faisaient de façon « déguisées » au motif de soulager les malades et c’était donc ma parole contre la parole de mes collègues sans aucune preuve), j’ai préféré quitter le service et demander ma mutation.

Un mot sur ce poids du silence : lorsqu’on est « témoin » d’actes contraires à sa conscience, même si on n’y participe pas et qu’on ne les approuve pas, il y a malgré tout à mon sens une complicité qui s’installe dans la mesure où l’on n’informe pas les personnes compétentes de ce qui se passe (ici la justice). Comme je le disais, je ne pouvais apporter aucune preuve puisque les décisions étaient prises pour « diminuer les souffrances des malades » ce qui est parfaitement licite quand il s’agit de cette intention. Qui peut affirmer que les intentions n’étaient pas celles indiquées dans les dossiers des malades… Si j’avais informé les autorités adéquates, jamais je n’aurais pu prouver mes propos et je pense que se serait installé dans le service un climat extrêmement délétère qui se serait avéré nuisible même aux patients… En plus, je n’avais plus les informations sur les malades en fin de vie suivis par mes collègues qui savaient pertinemment mon opposition et décidaient entre eux… Je me retrouvais dans l’impasse et ne pouvant faire évoluer les choses, j’ai choisi de quitter ce service car cela était trop douloureux pour moi aussi de savoir ce qui se passait sans que je puisse y mettre obstacle.

Je pense qu’il est très important de bien expliquer aux jeunes ce que signifie « sédater » un malade en fin de vie. Cette sédation n’est pas une « sédation terminale » qui comme on l’entend ou on l’écrit fréquemment cacherait une véritable euthanasie. C’est facile de dire « j’augmente le sédatif ou le morphinique pour que le malade ne souffre pas » alors qu’en réalité ce n’est pas nécessaire et que l’objectif est autre… Bien apprendre aussi aux jeunes que pour une sédation ou un traitement antalgique à mettre en place, cela passe par une « titration » qui permet de trouver le dosage adapté aux besoins du patient de telle sorte qu’on évite de mettre d’emblée des doses si importantes (« pour être sûrs d’être efficaces ») qu’on entraîne le décès du patient (avec en réalité derrière la tête le but d’en finir au plus vite…).

Source : objectiondelaconscience.org