Trouvé dans notre courrier le 11 février 2013 :
« Ma fille et mon gendre commentent l'actualité, qu'est-ce que vous voulez ! C'est normal. Mais pourquoi parle-t-ils autant de l'euthanasie ? Du coût de notre vie à nous et la chèreté de leur vie à eux. Du coup, j'ai rendu en cachette mes vitamines à la pharmacie. Et aussi tout ce que je prends pour mes arthroses. Puis j'ai rajouté le prix à leurs étrennes. Je supprime le beurre et l'huile de foie de morue que j'ai dû prendre pour mes os.
Pourquoi prendre tant de précautions pour ne pas tomber malade ? De toute façon, s'il y a un problème, il n'y a qu'à « sortir ». On m'a parlé de ces « directives anticipées ». comme quoi, si j'ai besoin de soins trop coûteux, ou même simplement coûteux, bref un peu coûteux, voire de soins tout court (c'est plus simple à formuler), je peux toujours demander ce fameux cocktail, vous savez, celui qui vous fait mourir. En douceur, paraît-il. Je ne sais pas si c'est vraiment si doux. Mais bon, je n'ai pas le choix.
Evidemment, si j'avais le choix, j'irais plutôt dans un endroit où on en finirait plus vite qu'avec cette fameuse « sédation terminale ». Ça a l'air terrible. Vu ce qu'ils utilisent dedans. Un psy de mes amis (aujourd'hui mort de sa belle mort), m'a dit qu'en fait ces psychotropes, ça n'empêche pas les angoisses (au contraire, ça en donne souvent) et même que ça peut donner des délires et des choses terrifiantes à vivre. Des terreurs qui vont en augmentant jusqu'à la mort, et on meurt dans des visions d'horreur. Mais ces drogues empêchent qu'on les exprime. En fait, c'est pour ne pas faire de peine à nos petits chéris d'enfants, en finir plus vite pour qu'ils n'aient pas besoin de nous visiter. Vous comprenez, si on ne peut plus exprimer nos angoisses, ils n'y aura plus besoin qu'ils en parlent avec nous. Evidemment, nous, on reste enfermés dedans. Jusqu'à la mort. Puis ce sera leur tour. Parce que tous les hommes (et femmes) vieillissent.
Maintenant, j'ai peur. Je ne veux plus voir de médecin ni d'infirmière. Je préfèrerais encore m'enfermer à clé chez moi, vous comprenez. Mais ma fille et mon gendre ne le laisseraient pas. Ils prennent soin de moi. A leur façon.
En y réfléchissant - parce qu'évidemment les journaux en parlent de plus en plus, de ce que nous coûtons à la société - j'aimerais bien mieux qu'on m'achève avec une balle en plein cœur. Avec un silencieux, pour pas faire peur aux autres. Le coup de grâce. Il n'y aurait pas besoin que ce soit des médecins. Des gens compatissants formés tout exprès, ça suffirait. Au moins là on n'aurait ni angoisse ni souffrance, vous comprenez. Puis ça irait plus vite aussi. Une balle, on n'a pas le temps de s'en apercevoir.
Mais cauchemarder, devenir fou de soif (il paraît qu'on nous coupe l'hydratation pendant cette « sédation terminale ») c'est terrible. On ne ferait pas ça à des animaux. La SPA protesterait. L'homme n'est vraiment cruel qu'avec l'homme.
Savoir qu'on me met un truc dans la perfusion, et que je vais agoniser pendant des jours et des jours !
J'ai peur. Peur d'aller à l'hôpital, même pour une broutille, parce que, vous comprenez, maintenant je me méfie de l'infirmière qui arrive avec sa seringue, on ne sait jamais ce qu'ils peuvent mettre dedans de nos jours.
S'il vous plaît.... achevez-moi d'une balle en plein cœur !
Le coup de grâce !
De grâce !
Faites-nous grâce !»
La grand-mère fut euthanasiée par sédation terminale.
Sa fille a trouvé ce texte dans son journal. Sous forme de lettre, jamais envoyée.
Elle en est devenue folle. Un an après, elle s'est suicidée. En se jetant dans le vide.
Elle n'a laissé qu'une phrase sur un papier : « Que ça aille plus vite pour moi que pour maman. »