Pour ses 100 ans, j'ai sorti ma grand-mère mourante de son EHPAD et nous sommes parties en vadrouille en camping-car
"Dis grand-mère, ça te tente un tour du monde en camping-car? On part à l’aventure, voir du pays, et vivre pleinement!"
par Fiona Lauriol, auteure et autoentrepreneure, 04/05/2021, extraits
VOYAGE - J’ai récupéré ma grand-mère, à 100 ans, dans une maison de repos en région parisienne. Les médecins lui prédisaient une mort imminente, à tel point que, d’après eux, elle ne ferait pas le trajet pour arriver à La Faute-sur-mer. Une fois installée dans son loft, préparé par mes soins, le médecin de l’Aiguillon-sur-Mer m’a affirmé qu’entre sa corpulence frêle, le nombre de médicaments qu’elle devait ingurgiter et son carcinome à la tête, elle ne passerait pas la semaine. Autant vous dire que ma grand-mère n’a pas apprécié ce médecin.
Au bout de six mois, à s’apprivoiser, à se comprendre, à éliminer tous les médicaments inutiles pour qu’il ne lui en reste plus que deux pour la tension, à faire disparaître son carcinome (je ne sais pas comment), à la nourrir convenablement, je lui ai proposé une idée folle:
“Dis grand-mère, ça te tente un tour du monde en camping-car? On part à l’aventure, voir du pays, et vivre pleinement!”
“Ma, c’est quoi un camping-car?”
Et nous voilà sur les routes de la découverte, avec un premier essai de 40 jours pour rejoindre Boccolo di Nocce (son village natal dans le nord de l’Italie).
Mes parents vont se joindre à l’équipée sauvage, en nous suivant avec leur véhicule. Mais les voyages sont synonymes d’imprévus, et après une chute qui lui a valu un nez éclaté au lac Salagou, on a décidé de rester en France.
À peine rentrés du premier voyage qu’elle demande à repartir dès son réveil.
Cap sur l’Espagne
Pourquoi pas l’Espagne, et nous voilà sur les routes ibériques à découvrir les cavalcades des rois, à rencontrer José et ses amis, à fêter ses 102 ans dans le parc naturel du Cabo de Gata, à croiser un psychopathe du poème, à chanter dans la rue pour accompagner des musiciens, à voir un homme nu qui s’est trompé de plage, choquant grand-mère, à assister à la célèbre Semaine sainte, à contempler des paysages à couper le souffle, à prendre des pistes pour emmener mémé au plus près des mines d’or de Rodalquilar, à nous faire attaquer en pleine nuit par des citrons volants, à manger des Churros, à faire fuir un voleur qui voulait dérober le fauteuil roulant de grand-mère, et au bout de 4 mois, revenir en France pour mieux repartir avec un nouveau camping-car, l’autre étant trop petit et trop de kilomètres. En plus, mémé ne supporte plus de rester dans sa chambre à admirer les murs blancs.
“101 ans, mémé part en vadrouille”
Place au troisième voyage où on placarde à l’arrière du nouveau camping-car un panneau “101 ans mémé part en vadrouille” pour prévenir les automobilistes de ralentir.
Ce voyage va nous entrainer sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle avec mémé toute fière d’avoir son Crédential qu’on remplit de tampons au fur et à mesure de notre avancée, rencontrer la cinquième dimension avec des chiens guérisseurs et une voyante, avoir affaire à des têtus, ouvrir notre porte et croiser le regard des daims surpris, partager un verre de piquette à la fête de la châtaigne lorsqu’on arrive au nord du Portugal, se relaxer dans des vasques d’eau chaude naturelles, se rendre à Loyola où est natif le fondateur des jésuites, fêter la nouvelle année au bord de l’eau, et se projeter pour les futurs voyages car grand-mère est devenue immortelle.
Retour en Espagne
Retour début janvier et quatrième voyage qui nous ramène en Espagne pour passer l’hiver au chaud en se dirigeant vers le sud, mais on n’aura pas le temps de dépasser Valence que l’Etat d’urgence est déclaré et qu’on se retrouve confinés sur une aire de camping-car à un kilomètre du village de Bellus. J’évite de partager mes peurs et protège grand-mère des infos sur le virus, car elle a connu la grippe espagnole.
La première semaine est difficile, on nous surveille avec des militaires et des Guardian, on est une dizaine de naufragés de la route, anglais, allemands, belges, argentins, taiwanais, certains décideront de quitter l’endroit pour essayer de passer la frontière coûte que coûte, nous, je trouve l’enjeu trop risqué car je ne peux pas me permettre de faire le trajet du retour en un jour avec grand-mère. Et puis, ça ne va durer que 15 jours !
Retour en France pour le dernier confinement
Deux mois plus tard, après que grand-mère soit devenue la mascotte du camp, qu’elle soit passée dans la presse écrite espagnole et à la télé, on trouve un créneau pour revenir en France avant qu’ils n’imposent leur quarantaine.
Mémé veut se rendre en Roumanie pour le cinquième voyage, elle a 103 ans, je me dépêche de régler quelques affaires, on repart sur l’avis favorable du médecin, mais une semaine plus tard son état se dégrade d’un coup. Le vendredi, elle est admise à l’hôpital, le samedi son état se stabilise ce qui me donne de l’espoir, mais le dimanche, je la vois lutter et je lui murmure à l’oreille :
« Va mémé, ne t’en fais pas, ce voyage c’est toi qui le fais seule, je te rejoindrai un jour, dans très, très, très longtemps, mais tu peux y aller, tu m’as beaucoup appris, on s’est bien amusées, tu vas énormément me manquer, mais tu as le droit de rejoindre Dieu pour aller l’ennuyer. Et ma promesse d’écrire et de retracer nos péripéties, je la tiendrai, ton histoire sera gravée à tout jamais. »
Au petit matin du 29 juin 2020, avec un sourire de bien-heureuse, elle s’en est allée, apaisée, à 103 ans, 3 mois et 3 semaines!
Alors, lui ayant donné ma parole, après l’annonce du Président pour le 3ème confinement, je me suis installée avec l’accord de la commune, à Saint-Quentin-sur-Charente qui a énormément de similitudes avec Bellus, là où on a passé notre 1er confinement. Un lac, un barrage, des randonnées, une aire de camping-car à quelques km du village, de quoi me replonger dans toutes nos aventures, avec pour titre :
“101 ans mémé part en vadrouille”
Source : huffingtonpost.fr