La Vie jusqu'à la Fin
par Bernadette Fabregas, 21/10/2016
La photographe Sylvie Legoupi montre, une fois encore, ce qui nous est rarement donné à voir avec autant de justesse, de dignité et force de détails : la confrontation à la mort de l'autre et l'engagement des équipes soignantes de soins palliatifs à l'accompagner. Sans pathos ni voyeurisme ses diaporamas audio-photographiques nous touchent au plus profond.
Sylvie Legoupi est une photographe engagée. Riche de son éthique humaniste, elle valorise et sacralise des moments de vie professionnelle dans des services de soins « sensibles ». La douleur, les soins palliatifs, la fin de vie, la relation soignant/soigné… sont autant de sujets intimistes qui retiennent son attention et qu'elle traite d'une façon que l'on pourrait qualifier de « militante ». Nous l'avions rencontré en 2012 à l'occasion de la présentation de son travail photographique aux CHU de Rennes, de Nantes ou de Saint-Malo dans les services de néonatologie, soins palliatifs et hématologie ; des endroits où la vie et la mort se côtoient, ou naître et mourir s'entrecroisent dans le respect de la continuité de la vie.
Prendre le temps de faire les choses, l'attention, la douceur, l'écoute… Le plus difficile c'est la souffrance, la souffrance dans le regard de ce patient qui veut dire plein de choses mais que l'on ne traduit pas : une forme d'impuissance à ne pas comprendre mais être là…
En mai 2016, elle a poursuivi cette recherche en réalisant un reportage « audio photographique » sur la fin de vie dans le service de pneumologie du CHU de Rennes. Pour Sylvie Legoupi, la finalité de ce travail intitulé « La Vie jusqu'à la fin » était claire, approfondir cette réflexion sur la fin de vie en associant deux regards professionnels, le mien en tant que photographe et celui des soignants. Il s'agissait donc de recueillir sous forme d’entretiens leurs ressentis et tenter ensuite de m’en imprégner et de photographier au plus juste afin de les mettre en images.
Quatre diaporamas de 6 à 7 minutes en découlent. C'est très beau, investi, engagé et bien évidemment l'humanité qui s'en détache touche au plus profond celui qui les regarde.
Dans les soins palliatifs, il n'y a plus le thérapeutique, il ne reste que le presque rien, mais qui est le presque tout du prendre soin.
Sylvie Legoupi le souligne, dans la chaîne des soins continus, après les soins curatifs, les soins palliatifs exigent une approche particulière où l’écoute et la présence attentive de chacun requièrent une forme de disponibilité qui ne saurait exclure la compassion. C’est une tâche difficile mais où la part retrouvée de l’Humain enrichit celle ou celui qui l’apporte. Aujourd’hui, une évolution des mentalités s’impose encore dans notre pays pour faire admettre l’idée que la mort est un passage inéluctable et qu’elle doit être entourée de soins spécifiques comme l’est la naissance.
Même quand on un cancer on a le droit de vivre, d'autant quand on a une maladie grave qui engage le pronostic vital.
Les diaporamas audio-photographiques de la photographe en témoignent. Ils témoignent de la vie, de la vie qui continue encore et toujours, quelles que soient les circonstances de dureté imposées par la maladie. Les images défilent, montrant des soignants qui s'agitent, qui s'interpellent, qui discutent, sérieux ou souriants, ancrés dans la vie d'un service de soins actif et dynamique, même s'il s'agit de traiter des patients en souffrance et /ou en fin de vie. Le son, bien présent, atteste de cette vie, car rien ne s'arrête. La journée est ponctuée de soins, parfois techniques, parfois de confort, mais toujours riches d'un relationnel qui fait toute la différence. Je suis là pour soigner les gens, nous dit un médecin pneumologue, les soigner et le plus souvent ne pas les guérir. La culture des soins palliatifs est présente dès le début. Médecin, soignant, je suis un être humain confronté à la souffrance de son semblable. Cela passe par l'attention, l'écoute, la prise en compte de ses besoins, même ceux qui nous paraissent les plus futiles… Même quand on un cancer on a le droit de vivre, d'autant quand on a une maladie grave qui engage le pronostic vital. Mon état d'esprit n'est pas de soigner une maladie mais une personne malade
. Et une infirmière de renchérir pour bien saisir les petits détails, tout ce qui rattache le patient à la vie, il faut que le soignant soit très disponible et qu'il vive vraiment dans un moment de partage et d'abandon le moment présent. Cette intensité du moment réinjecte de la vie, de la vie jusqu'à la fin.
On prend du temps quand on est auprès du patient, on se pose avec lui, on profite du temps qui nous est donné...
Le travail de Sylvie Legoupi montre ce qui nous est rarement donné à voir avec autant de justesse, et force de détails, la confrontation à la mort de l'autre, cet autre qui nous ressemble, cet autre qui vit ses derniers moments avec ses propres ressources, apaisé ou angoissé, accompagné des siens ou isolé socialement. Le soignant, inexorablement ramené à sa propre finitude, nourrit sa pratique de ses valeurs soignantes, ses valeurs d'empathie et d'humanisme, explore avec les patients en fin de vie de nouveaux chemins, des chemins de traverse où chaque seconde à de l'importance, où le plaisir de la rencontre et du partage domine. Dans les moments difficiles, quand la douleur physique et morale est là, quand la petite flamme vacille, soignants, patients, familles, bénévoles peuvent s'appuyer les uns les autres, dans une culture commune qu'ils ont travaillé au fil du temps. L'improvisation - car oui, il faut savoir « improviser » quand les événements se précipitent et ils ne sont jamais identiques - reste maîtrisée car la formation des soignants et leur culture palliative enrichie sans cesse de leur quotidien l'autorise.
Au fil des images et des témoignages, l'intimité avec la mort se précise. Les gestes, les paroles et les attentions bienveillantes de chacun, l'engagement des équipes soignantes, témoignent de l'accompagnement fait au plus près et au plus juste des patients en fin de vie. Jusqu'au bout accompagner la vie, avec dignité, oui c'est bien ce que la photographe a voulu restituer et son travail, sans pathos ni voyeurisme, est en ce sens particulièrement réussi et convaincant.
Regardez l'un des diaporamas audio-photographiques de Sylvie Legoupi et accédez aux trois autres
La Vie jusqu'à la fin from Sylvie Legoupi on Vimeo.
Reportage audio photographique sur la fin de vie dans le service pneumologie au CHU de Rennes. Mai 2016.L'objectif de ce travail photographique était d ‘approfondir cette réflexion en associant deux regards professionnels : Mon regard de photographe et celui des soignants, recueillir sous forme d’entretiens leurs ressentis face à la fin de vie et à partir de leurs réponses, tenter de m’en imprégner et de photographier au plus juste , de mettre en images leurs impressions .
Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef
Source : infirmiers.com