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Ce qui reste, à la fin

Depuis 40 ans, André Larouche offre aux mourants quelque chose que beaucoup ont besoin «avant de passer de l'autre bord» : une oreille attentive.

par Mylène Moisan, Le Soleil, 23/04/2016

(Québec) CHRONIQUE /

André Larouche se souvient de cette femme qu'il a rencontrée, «une belle madame aux cheveux blancs», elle était toujours toute seule, dans cette résidence où ses enfants l'avaient placée.

«Elle avait beaucoup de peine. Elle m'a dit "j'ai tout donné à mes enfants. Ils habitent à 10 miles et ils ne viennent jamais, jamais me voir. L'année passée, quand j'ai vendu la maison, ils étaient là une heure avant le rendez-vous, chez le notaire..."»

André l'écoutait, sans parler.

C'est ce qu'il fait depuis 40 ans, dans Charlevoix, il tend l'oreille à des personnes qui ont besoin de parler, rendus au bout du chemin, «avant d'aller de l'autre bord». Il ne compte plus les gens qu'il a accompagnés, «des centaines».

À 78 ans, André a tout entendu. «Je suis comme un confesseur. Les gens me racontent parfois des choses qu'ils n'ont jamais dites à personne, des secrets qu'ils ont gardés "en dedans" toute leur vie. Ça leur est souvent plus facile de parler à un étranger. Quand ils parlent, ça les libère, ça leur enlève un poids énorme...»

André devient le gardien de leur secret. «Tout ce qu'ils me disent est confidentiel, jamais je raconte ce qu'ils me disent.» Des gens essayent de lui tirer les vers du nez, il est non négociable. «L'autre jour, je me suis fait apostropher en public, une dame qui voulait savoir ce que sa mère lui avait dit avant de mourir.»

Elle n'a rien su, André emportera tous ces secrets dans sa tombe.

Il avait 37 ans, la première fois qu'il a accompagné une personne en fin de vie. «J'avais eu une opération au foie. Quand je suis parti, le voisin dans ma chambre, le curé Bergeron, m'a demandé de venir le voir le lendemain, il avait besoin de Kleenex, il m'a demandé des revues. Je me suis dit en moi-même, "jamais de la vie".»

André n'avait rien contre le curé.

C'était à cause de Brigitte. Pas vraiment à cause de Brigitte, mais de l'autobus scolaire qui l'a fauchée, elle venait juste d'entrer en maternelle. André avait 27 ans. «Quand ça arrive, tu viens fou.» Et de remettre les pieds à l'hôpital faisait remonter d'un coup sec l'angoisse vécue, à l'urgence, en attendant d'avoir des nouvelles de sa fille.

Il revoit encore le médecin.

- André, t'es pas chanceux.

- Qu'est-ce que tu veux dire?

- T'es pas chanceux.

- Elle est morte?

- Oui.

André a été laissé à lui-même. «J'ai vargé, j'ai bûché, j'étais en colère contre le système. Ils venaient de commencer les autobus scolaires, c'était nouveau, ça devait protéger les enfants... Le médecin ne savait pas comment m'annoncer ça, c'est moi qui a dit "le mot". Personne ne savait quoi faire. Ils m'ont laissé partir avec mon char...»

Revenir à l'hôpital, c'était revivre ça.

Il a pris son courage à deux mains, est allé porter des Kleenex et des revues au curé Bergeron. «Quand je suis sorti de sa chambre, un monsieur dans une autre chambre m'a demandé de penser à lui, puis un autre et un autre. C'est comme ça que ça a commencé, que je me suis mis à accompagner les malades.»

Et qu'il a rempli une promesse faite à sa mère. «À cinq ans, j'ai failli mourir des fièvres typhoïdes. Après 40 jours alité, les médecins ont dit à ma mère que je serais mieux mort, que j'allais rester un poids toute sa vie. Ma mère a pris une image du frère André et me l'a passée sur la tête. Cinq jours après, la fièvre est tombée, j'étais guéri...»

Les médecins sont revenus le voir, «ils n'ont jamais compris».

Sur son lit de mort, sa mère a dit «n'oublie jamais le frère André». Et, quand il s'est retrouvé au chevet du curé Bergeron, il a compris. «Quand j'ai rencontré tous ces gens seuls, qui trouvaient le temps long, j'ai eu un flash. C'est comme ça que j'allais perpétuer la mission du frère André.»

Ça fait donc 40 ans qu'il se pointe à l'hôpital, qu'il fait le tour des chambres, en proposant aux malades de les écouter, simplement. «Des fois, je passe pendant la journée, où il y a plus souvent de la visite, et la personne me demande de repasser le soir. Le soir, on est tranquille, je comprends qu'elle a un poids...»

Il revient, le soir. «Je leur dis que je suis là pour les écouter, qu'ils peuvent tout me dire et que c'est confidentiel. Quand c'est parti, ça sort tout seul.»

Il y a des secrets, des regrets, beaucoup de pourquoi. «Les gens trouvent qu'ils sont trop jeunes, qu'ils n'ont pas assez vécu, qu'ils n'ont pas mérité ça. Il y a des grands-parents qui sont tristes de ne pas pouvoir voir grandir leurs petits-enfants...»

André peut comprendre, il a ses deux fils, il est grand-père depuis deux ans. «Avant l'accouchement, une infirmière m'a dit : «vous allez pleurer»... Quand la petite est née, je l'ai pris dans mes bras, et j'ai pleuré. J'ai revu les traces de pneus noires... et tout d'un coup, les traces sont devenues blanches...»

Il a fait la paix.

«Depuis ce jour-là, je ne dis plus "maudit autobus", mais "Salut, Brigitte".»

Source : lapresse.ca