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Vincent Lambert : pourquoi est-il prisonnier au CHU de Reims ? Pourra-t-il être délivré ?

Bonjour

Dans les tragédies il est des questions à ne jamais poser. Dans l’affaire Vincent Lambert il ne fallait pas soulever celle de son hospitalisation forcée au CHU de Reims. Nous avions tenté, il y a plusieurs mois, de le faire auprès du Conseil d’Etat. Peine perdue. Il y a quelques jours le sujet était réapparu dans le texte des cinq juges « dissidents » de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Voici en quels termes  (nous soulignons):

« Selon les éléments disponibles, Vincent Lambert se trouve dans un état végétatif chronique, en état de conscience minimale, voire inexistante. Toutefois, il n’est pas en état de mort cérébrale – il y a un dysfonctionnement à un niveau du cerveau mais pas à tous les niveaux. En fait, il peut respirer seul (sans l’aide d’un respirateur artificiel) et peut digérer la nourriture (la voie gastro-intestinale est intacte et fonctionne), mais il a des difficultés pour déglutir, c’est-à-dire pour faire progresser des aliments solides dans l’œsophage. Plus important, rien ne prouve, de manière concluante ou autre, qu’il ressente de la douleur (à distinguer de l’inconfort évident découlant du fait d’être en permanence alité ou dans un fauteuil roulant). Nous sommes particulièrement frappés par une considération développée par les requérants devant la Cour dans leurs observations du 16 octobre 2014 sur la recevabilité et le fond (paragraphes 51-52). Cette considération, qui n’est pas réellement contestée par le Gouvernement, est la suivante :

Vacances en famille

« La Cour doit savoir que [Vincent Lambert], comme toutes les personnes en état de conscience gravement altérée, est néanmoins susceptible d’être levé, habillé, placé dans un fauteuil, sorti de sa chambre. De nombreuses personnes dans un état similaire à celui de Monsieur Lambert, sont habituellement résidentes dans un établissement de soins spécialisé, et peuvent passer le week-end ou quelques vacances en famille (…). Et, précisément, leur alimentation entérale permet cette forme d’autonomie.

Le docteur Kariger avait d’ailleurs donné son accord en septembre 2012 pour que ses parents puissent emmener Monsieur Vincent Lambert en vacances dans le sud de la France. C’était six mois avant sa première décision de lui supprimer son alimentation… et alors que son état de santé n’avait pas changé ! »

Blocage par les autorités

Il ressort des éléments soumis à la Cour que l’alimentation par voie entérale occasionne une atteinte minimale à l’intégrité physique, ne cause aucune douleur au patient et, avec un peu d’entraînement, pareille alimentation peut être administrée par la famille ou les proches de M. Lambert (et les requérants se sont proposés pour le faire), même si la préparation alimentaire doit être élaborée dans une clinique ou dans un hôpital. En ce sens, l’alimentation et l’hydratation par voie entérale (indépendamment, pour le moment, du fait de savoir s’il convient de les désigner sous le terme « traitement » ou « soins », ou simplement « alimentation ») sont entièrement proportionnées à la situation dans laquelle Vincent Lambert se trouve. Dans ce contexte, nous ne comprenons pas, même après avoir entendu les plaidoiries dans cette affaire, pourquoi le transfert de Vincent Lambert dans une clinique spécialisée (la maison de santé Bethel) où l’on pourrait s’occuper de lui (et donc soulager l’hôpital universitaire de Reims de ce devoir) a été bloqué par les autorités»

Lettre recommandée

 Pourquoi maintenir hospitalisé un malade dans un service dont l’équipe souhaite, depuis plus de deux ans, engager un « processus de fin de vie » ? Le sujet redevient  brutalement d’actualité avec les informations données aujourd’hui par Le Monde (François Béguin, et Laetitia Clavreul). Le quotidien  rappelle que l’un des demandes (jamais entendue)  des parents de Vincent Lambert est que leur fils soit transféré dans un autre hôpital. Or voici que l’on apprend qu’une lettre recommandée de 27 pages et datée du 25  mai, a été adressée au CHU de Reims.

Dans ce courrier (que Le Monde a consulté) les avocats de Pierre et Viviane Lambert estiment que l’établissement n’a « aucun droit de retenir un patient » et réclament son accueil dans une unité spécialisée pour les patients en état végétatif chronique et pauci-relationnels, la maison de santé Amreso-Bethel à Oberhausbergen, près de Strasbourg.C’est un endroit où ils sont assurés qu’aucune procédure d’arrêt des traitements ne sera jamais engagée : le médecin qui la dirige, le Dr Bernard Jeanblanc est « en désaccord total » avec les choix plus que controversé du Dr  Eric Kariger, ancien chef de service au CHU de Reims qui avait engagé  « la procédure de fin de vie » de Vincent Lambert sans en informer ses parents.

Protecteurs naturels

« J’ai un lit disponible, je le bloquerai jusqu’à ce qu’une décision soit prise. Je reste confiant dans un sursaut d’humanité », indique le Dr Jeanblanc, qui reproche à l’hôpital de Reims de ne pas offrir à Vincent Lambert les soins – kinésithérapie, installation dans un fauteuil, etc. – qui lui sont indispensables. Pour faire valoir leur demande en droit, les parents soulèvent une question de fond. Qui a la capacité de représenter Vincent Lambert, puisqu’il ne peut donner son avis ?

« Nous allons invoquer une vieille jurisprudence de la Cour de cassation de 1955 et faire valoir que Pierre et Viviane Lambert, ainsi que son demi-frère David, sont désormais les trois protecteurs naturels de Vincent dans la mesure où son épouse Rachel est partie refaire sa vie en Belgique depuis deux ans et ne s’occupe plus de lui », a expliqué au Monde Me Jean Paillot, l’avocat des parents.

Jugement de Salomon

Le Monde rappelle que Viviane et Pierre Lambert avaient déjà demandé le transfert de leur fils, sans succès, auprès du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et de la CEDH, et même, selon leurs avocats, à deux reprises en juillet et août  2014, directement auprès de l’hôpital. Le Dr Eric Kariger avait alors estimé que c’était à son épouse, qui pendant des années avait suivi son mari au quotidien, d’en décider. A quel titre était-ce au Dr Kariger de décider ?

« C’est en réalité le jugement de Salomon dont il est ici question, estime Me  Paillot. Rendez le corps de cet enfant à celui qui en prend soin ! » Et maintenant ? L’hôpital a deux mois pour donner sa réponse. Dans le cas d’un refus ou d’une absence de réponse à partir du 1er  août, les avocats des parents préviennent d’ores et déjà qu’ils engageront une procédure devant le tribunal administratif.

Justice et morale

Me Bruno Lorit, l’avocat du neveu François Lambert, estime que le CHU de Reims ne peut faire autrement que refuser. L’inverse serait selon lui « moralement choquant » parce que l’hôpital renoncerait alors à mettre en œuvre une décision qu’il a lui-même prise et pour laquelle la justice lui a donné raison. Depuis quand la morale a-t-elle à voir avec la justice ?

L’avocat estime que comme Vincent Lambert n’a pas été mis sous tutelle, personne ne peut demander le transfert à sa place. La  direction du CHU de Reims reste, pour l’heure, silencieuse sur ses intentions. On peut imaginer que des instructions seront demandées  à la ministre de la Santé et à celle de la Justice. Dans les tragédies il est des questions qu’il faut, parfois, savoir poser.

A demain

Source : jeanyvesnau.com