A propos de Vincent Lambert
par Monseigneur Bernard Ginoux, Évêque de Montauban, 09/06/2015
Après le vote de la Cour européenne des Droits de l’homme,
Vincent Lambert peut être tué légalement
Le vendredi 5 juin la Cour européenne des Droits de l’Homme a statué sur le cas de Vincent Lambert dont l’état « pauci-relationnel » durable (depuis 2008) a donné lieu à des batailles de procédures multiples. Aujourd’hui cette instance suprême reconnait donc comme légal l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation de Vincent Lambert. Bien entendu, c’est une décision lourde de conséquences pour Vincent Lambert mais aussi pour les centaines de personnes qui vivent ainsi en France.
A trente-huit ans, Vincent Lambert, à la suite d’un accident, est tétraplégique. Son état est qualifié de « pauci-relationnel » : il a, en effet, peu de réactions ou de réponses aux sollicitations de son entourage mais il ouvre et ferme les yeux, regarde, il peut sourire ou verser des larmes. Il vit sans assistance particulière autre que l’hydratation et la nutrition évidemment par perfusion. Cette situation caractérise la vie d’environ 1700 personnes qui, en France, vivent avec des lésions cérébrales qui entrainent cet état. Pourquoi Vincent Lambert est-il l’objet de tant de procédures ? Pour deux raisons essentielles :
-D’abord parce qu’il y a désaccord entre son épouse et ses parents. L’épouse demande à la loi de donner le feu vert pour reconnaître la légitimité de la mort donnée à Vincent et affirme qu’il l’aurait, lui, souhaité. Elle est soutenue par un neveu qui s’exprime souvent en public. De l’autre côté, la mère et le père de Vincent, soutenus par au moins l’un ou l’autre de leurs enfants, qui demandent que des soins (en particulier de « nursing » comme les séances de kiné) dits de « confort » aident à donner à leur fils l’accompagnement le plus adapté.
- Il y a un an, le médecin responsable de ce service, le Docteur Kariger, de l’équipe des soins palliatifs, a estimé qu’il n’y avait plus de raison de maintenir en vie Vincent Lambert. Il affirme alors que c’est insensé de continuer et que Vincent Lambert n’aurait pas voulu être traité ainsi. Il allègue la Loi Léonetti (22 avril 2005) et les « soins déraisonnables donnés à un patient ». Il quittera ensuite ses fonctions.
Le 24 juin 2014, le Conseil d’Etat lui donne raison mais la procédure repart. Les parents se tournent vers la CDEH (Cour européenne des Droits de l’Homme) qui vient de rendre son avis ce 5 juin. Cette décision est de l’ordre juridique et non éthique : les douze juges qui l’ont votée reconnaissent qu’il n’y a pas d’obstacle légal ou de risques de poursuite si, après consultation de son équipe, un médecin déclenche un processus de mort par « arrêt de traitements » ou « sédation profonde et continue ». Ils se placent dans l’ordre légal.
La mort provoquée de Vincent Lambert
Même si, légalement, une Cour de justice admet une procédure il reste que le légal ne peut pas être confondu avec le moral. La question demeure donc : au nom de quoi peut-on prononcer la mort de Vincent Lambert et de tous ceux qui, comme lui, sont vivants ? Est-ce un acte éthiquement juste ?
Sur quel critère objectif se fonde-t-on pour accepter sa mort ? Vincent Lambert n’a aucun traitement, ne vit pas artificiellement (il respire naturellement), il n’a pas besoin de traitements lourds, il a seulement besoin de nutrition et d’hydratation qu’il reçoit par un moyen « artificiel », ce qui arrive pour tout un chacun autant qu’une intervention le nécessite. Dans ces cas-là c’est limité dans le temps. Pour Vincent c’est de longue durée.
La loi Léonetti autorise l’arrêt de traitements disproportionnés ou déraisonnables. Mais il s’agit là d’arrêter l’alimentation et la nutrition. Est-ce déraisonnable de nourrir et de faire boire un être vivant ? Le litige vient de ce que la loi revue en 2015 met bien sous la rubrique « traitements » la nutrition et l’hydratation. Il y a là une ambiguïté voulue qu’il faut moralement récuser en précisant la problématique.
Des enjeux de société
Nous sommes invités à la vigilance car ce cas est un enjeu dans l’approche du handicap, de la vie faible et désarmée. Sous prétexte de qualité de vie, de bien-être, un consensus s’établit pour refuser des vies différentes. Par ailleurs, qui peut décider de l’arrêt d’une vie ? Même la formulation de « directives anticipées » ne résoudra pas la difficulté car ces directives devront concerner la fin de vie. Or, Vincent Lambert et des centaines comme lui, à côté de nous, ne sont pas en fin de vie. Il n’est donc pas moralement juste de lui donner la mort sinon toute vie « embarrassante » sera condamnable. Notre société est très engagée sur cette pente et elle y va au nom des « Droits de l’Homme ». Croyants ou non nous avons à redire que la mort provoquée est une atteinte aux plus faibles qui n’ont besoin que de nos soins fraternels « ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait » nous dit Jésus (Matthieu 25,40).
Mgr Bernard Ginoux,
évêque de Montauban
Source : Diocèse de Montauban