Euthanasie: «Les patients servent de terrain de lutte aux idéologues»
INTERVIEW - L'ex-kinésithérapeute de Vincent Humbert, tétraplégique, que sa mère a aidé à mourir, a rejoint le comité de soutien à Vincent Lambert, jeune accidenté de la route. «La vie ou la mort est un questionnement au cas par cas», estime-t-il.
Hervé Messager est l'ancien masseur-kinésithérapeute de Vincent Humbert, tétraplégique de 23 ans euthanasié par sa mère, Marie Humbert, en septembre 2003. Il l'a rééduqué au centre héliomarin de Berck-sur-Mer pendant près de deux ans, jusqu'à son décès. Aujourd'hui, il a rejoint le comité de soutien à Vincent Lambert, créée le 10 avril par des amis d'enfance de ce jeune accidenté de la route, avant que la la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) ne se prononce sur son sort dans les prochaines semaines. Ce mercredi, ce sont les deux co-auterus de la proposition de loi portant sur les nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, le socialiste Alain Claeys et l'UMP Jean Leonetti, qui seront auditionnés par la commision des affaires sociales.
LE FIGARO. Pourquoi soutenir l'appel à sauver la vie de Vincent Lambert?
Hervé Messager. «Après quarante ans de métier, dont vingt ans passés à partager le quotidien des traumatisés crâniens, je sais une chose: les patients pauci-relationnels (en état de conscience minimal - ndlr) comme Vincent Lambert ne sont pas du tout en fin de vie. Je connais nombre de familles qui ont un enfant comme lui, pris en charge à domicile ou dans un service spécialisé. Si on se met à tuer les gens comme lui, moi j'en ai cinquante sur la place rien que dans mes patients. Que fait-on alors de tous ces accidentés de la vie?»
«Ces états, même si on ne peut les promettre à un avenir meilleur, peuvent évoluer. J'en ai maintes fois fait l'expérience. Dans le cas de Vincent Lambert, il n'est non seulement pas en fin de vie mais il est très résistant, son cœur et son organisme l'ont prouvé après avoir été privés d'alimentation et d'hydratation pendant plus de trente jours (selon un premier protocole d'arrêt des soins mis en œuvre par son médecin au CHU de Reims, ndlr).»
Les experts médicaux ont jugé son cas irréversible…
«On dit aujourd'hui qu'il n'y a plus d'évolution possible mais, après un tel traitement plus l'arrêt de sa kiné, de son orthophonie et de toutes les autres sollicitations - lever, mise au fauteuil, etc. - comment aurait-il pu évoluer ou aller mieux? Et dans tous les cas, depuis quand l'évolution d'un patient serait-elle une condition pour qu'il vive? On aurait tous du souci à se faire! Si les soins ont une visée rééducative, ils ne sont pas soumis à une obligation de résultat car l'efficience n'existe pas en la matière. En revanche, et c'est la loi qui le dit, tout patient a droit à des soins de confort. Ils sont requis et nécessaires, sur le plan tout simplement humain, même s'il n'engendrent pas de progrès. C'est l'essence même de mon métier. Soigner pour prendre soin, à défaut de ne pas toujours pouvoir guérir.»
Vincent Humbert n'était pas non plus en fin de vie?
«Non, pas du tout. Et il ne souffrait pas physiquement, pas plus qu'il n'avait envie de mourir. Jusqu'à la veille de sa mort, jamais il ne m'a dit qu'il avait songé à en finir. Contrairement à Vincent Lambert, il était complètement éveillé et communiquait de manière tangible. On a donc été très surpris, en décembre 2002, de sa lettre adressée au président de la République pour demander le droit à mourir. Impossible d'y voir autre chose qu'une manipulation de sa maman par le mouvement pro-euthanasie. Une fois ces associations et la médiatisation lancées, l'engrenage était parti et c'était fini. Dans cette affaire, comme dans l'autre, tout a été dit et présenté pour que la mort soit inéluctable. C'est scandaleusement faux et c'est pour cela que je soutiens le comité créé pour Vincent Lambert: pour qu'on arrête la manipulation des familles et de l'opinion, pour qu'on arrête de parler à la place de ces patients qui, faibles et sans défense, au discernement altéré ou sans possibilité de communiquer, servent de terrain de lutte aux idéologues.»
Ne craignez-vous pas, précisément, d'être rangé dans le camp des anti-euthanasie en soutenant le comité pour la vie de Vincent Lambert?
«Soyons très clairs: je n'ai aucune conviction religieuse et je n'en ai jamais eu. Un vrai mécréant. Pas plus au niveau politique. Je n'ai aucune étiquette, aucune chapelle, juste une école: la vie concrète auprès de ces patients, qui m'a appris que la vie ou la mort est un questionnement au cas par cas. ...
Source : lefigaro.fr