"La décision du Conseil d'Etat me glace"
par Claire-Marie Bauchet, 26/06/2014Quel avenir pour les personnes en état de conscience altérée, après la décision du conseil d’Etat d'arrêter l'alimentation de Vincent Lambert ? Pour Ombres et lumière, la sœur d’un jeune homme en état pauci-relationnel fait part de sa réaction et de son expérience.
La décision du conseil d’État d'arrêter l'alimentation et l'hydratation de Vincent Lambert me désole profondément.
Dans un cas comparable à celui de Vincent Lambert, mon frère Jean-Baptiste est à 25 ans dans un état pauci-relationnel depuis neuf ans.
Le 12 octobre 2005, Jean-Baptiste s'effondre subitement lors d'un cross de lycée. Un manque d'oxygène au cœur, quelques secondes de trop, le plonge dans le coma pendant plus d'un mois. Il en ressort dans un état neurovégétatif qui implique une dégénérescence neurologique et la perte de ses facultés motrices.
Il a besoin de nous, comme nous de lui
Bien que son état soit "irréversible" et qu'il relève des soins palliatifs, Jean-Baptiste n'est pour autant pas en fin de vie. Ses parents et nous, ses six frères et sœurs, l'entourons de notre mieux et tentons de lui transmettre tout notre amour et toute notre affection : voilà notre mission. Il fait partie des aînés de la famille, et pourtant nous aimons à le choyer comme un petit frère. Depuis son accident, quelques petits progrès sont apparus, comme le recouvrement de la déglutition après avoir été nourri par sonde gastrique pendant plusieurs mois. L'action de manger reste un des seuls plaisirs que Jean-Baptiste conserve encore, et que nous essayons de satisfaire ! Jean-Baptiste ne peut pas s'exprimer par des mots, il ne peut pas se plaindre lorsqu’il souffre, mais son regard, ses sourires et ses câlins sont les seuls moyens pour lui de communiquer et de nous transmettre sa paix. Il vit dans l'instant présent, dans une espèce d'atemporalité qui nous laisse goûter chaque instant à ses côtés. Jean-Baptiste nous apporte aussi une joie qui nous unit profondément les uns aux autres. Nous l'aimons comme il est, comme un petit frère touchant par sa fragilité. Il a besoin de nous, mais nous aussi avons besoin de lui. Cela m'attriste alors de voir que d'autres familles se déchirent autour d'un lit d'hôpital. Je pense que les malades, mais aussi les familles ont un réel besoin d'accompagnement dans des souffrances parfois trop lourdes à porter.
Est-il indigne de vivre ?
Qu’y a-t-il de déraisonnable et d'obsessionnel à nourrir et hydrater une personne comme Vincent Lambert ? La décision prise par le Conseil d’État me glace. J'ai eu la désagréable impression d'assister à ce qui me semble être ni plus ni moins la condamnation à mort d'un homme. Il devient la victime d'une phrase qu'il aurait prononcé avant son accident, désormais seul argument justifiant la décision du Conseil d’État qui a tranché en faveur du "respect de la volonté de Vincent". Cette phrase, n'importe qui pourrait la prononcer au cours de sa vie, mais sans réellement savoir de quoi l'avenir sera fait. Car au fond, qui désire se retrouver dans son état ? Personne. Alors comment et surtout qui peut décider à la place d'un homme, certes dans un état de "conscience minimale", mais qui conserve toute sa dignité ? Serait-il indigne de vivre ? Les 1700 personnes dans le même cas que lui seraient-elles aussi indignes ? Apparemment certains le pensent. Et, heureusement pour ces derniers, les "indignes" – à la différence des "indignés" – ne peuvent pas descendre dans la rue pour contester cette injustice!
Claire-Marie Bauchet
Source : ombresetlumiere.fr