«Nous assistons au développement du meurtre par compassion»
par Fabrice Hadjadj, Figarovox, 23/06/2014
ENTRETIEN - Le cas Vincent Lambert relance le débat sur l'euthanasie. Pour le philosophe Fabrice Hadjadj, ce débat révèle la tendance de nos sociétés libérales à refuser la faiblesse et la dépendance, qui nous rappellent le tragique de notre condition.
Fabrice Hadjadj est écrivain et philosophe. Son dernier essai Puisque tout est en voie de destruction a été publié aux éditions Le Passeur (avril 2014).
Fabrice HADJADJ. -Je n'en sais pas assez sur le cas de Vincent Lambert pour dire s'il s'agit d'euthanasie ou de refus de l'acharnement thérapeutique. Trois remarques toutefois s'imposent.
La première concerne la confusion progressive du métier de médecin et de celui de tueur à gages, parce que, pour ne pas avouer ses limites, on se met à confondre supprimer la douleur et supprimer la personne.
Deuxièmement, nous assistons à un intéressant développement du meurtre par compassion: jadis, on éliminait bravement, sans merci ; maintenant, c'est au nom de la pitié, parce qu'il faut se justifier devant une conscience devenue historiquement chrétienne. Nous avons de plus en plus, selon le mot de Bernanos, «la tripe sensible et le cœur dur», si bien que vont se multiplier des homicides larmoyants.
Enfin, dès lors qu'on est dans l'évaluation subjective, quelqu'un va se trouver digne ou indigne de vivre à partir des critères de performance actuels: Quoi ? Tu ne peux plus trimer ni consommer ? A la casse ! On oublie que le Christ en croix est un tétraplégique, et que tout tétraplégique, même à la conscience diminuée, peut nous rappeler à l'essentiel, nous arracher à l'activisme et à la dispersion, nous tourner vers la simple grâce d'être là, côte à côte, à crier vers le mystère, à aimer au-delà du bien-être. Notre condition est tragique, mais on veut la réduire à un problème technique, soluble d'un seul clic.
Source : lefigaro.fr