Fin novembre 2018, un groupe d'experts chargés de se prononcer sur l'État de Vincent Lambert avait remis à la justice un rapport dans lequel ils concluaient à un “ état végétatif chronique ” du patient. Le Pr Xavier Ducrocq, chef du service de neurologie du CHR de Metz-Thionville et conseil médical des parents, d'un frère et d'une sœur de Vincent Lambert depuis 2013, en avait analysé dans nos colonnes les principales conclusions, largement déformées par la presse. Alors que le recours des parents devant le tribunal administratif de Paris a une nouvelle fois été rejeté, Valeurs actuellesrepublie cette interview.
Valeurs actuelles : Que retenez-vous du rapport rendu par les experts du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ? Y a-t-il d’ailleurs du nouveau dans la situation de Vincent Lambert ?
Xavier Ducrocq : Rappelons que cette nouvelle expertise intervient quatre ans après celle demandée par le Conseil d’Etat appelé à statuer sur le fait que maintenir une nutrition-hydratation artificielle (NHA) chez Vincent Lambert était constitutif ou non d’une obstination déraisonnable. Vincent Lambert, victime d’un accident de la route en septembre 2008 présente un état de conscience altérée depuis cette époque.
L’équipe médicale, conduite par le Dr Kariger, s’occupant de Vincent Lambert depuis 2009 avait cru détecter chez lui, début 2013, une volonté de mourir et avait stoppé son alimentation, ce que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait dénoncé au motif d’une violation du droit à la vie et d’une erreur dans la démarche collégiale, la famille n’ayant pas été associée à la décision. Les experts de 2014 avaient, après un certain nombre d’investigations, conclu à un état d’éveil sans réponse (autrefois appelé état végétatif chronique), tout en précisant, comme les instances médicales également sollicitées par le CE (Ordre des Médecins, Comité Consultatif National d’Ethique, Académie de Médecine) que « l’absence de preuve de conscience ne saurait être interprétée comme la preuve de l’absence de conscience ».
En juillet 2015, une troisième décision, précipitée, d’arrêt de NHA, prise par la même équipe médicale était finalement suspendue par le CHRU de Reims où Vincent Lambert séjourne toujours. Début 2018, le Dr Sanchez, gériatre spécialisé en Soins palliatifs, nouveau chef de service, prend pour la quatrième fois la décision de suspendre la NHA, décision une nouvelle fois contestée par une partie de la famille de Vincent Lambert, d’où cette nouvelle procédure judiciaire.
Les experts actuels concluent de nouveau à un état végétatif chronique. A savoir que l’état de conscience Vincent Lambert apparaît stable depuis 2014, en fait depuis 2011 où il avait été évalué à Liège par l’équipe très renommée du Pr Laureys. Les états de « conscience altérée » regroupent en fait deux états cliniques, l’état d’éveil sans réponse et l’état de conscience minimale, états entre lesquels un même patient peut osciller selon les circonstances, ou facteurs médicamenteux ou environnementaux. La loi du 3 mai 2002 définit d’ailleurs les modalités de pris en charge de ces patients, sans les distinguer. Ces mêmes experts concluent également au caractère plutôt automatique et réflexe de la déglutition et des vocalisations spontanées de Vincent Lambert. En déniant formellement toute preuve de conscience chez lui, ils se montrent bien plus péremptoires que les experts précédents. Ils affirment également que Vincent Lambert ne pourrait pas ressentir de douleur et n’est donc pas en situation de souffrance incurable.
Mais, d’une part, ce que nous contestons, ils statuent sur la base d’un examen trop limité dans le temps, alors que l’état de l’art est d’observer ces personnes sur un temps long, dans différentes circonstances, après une période d’acclimatation. Depuis 5 ans maintenant, Vincent Lambert ne reçoit aucun soin de stimulation, de kinésithérapie, d’orthophonie, il est reclus dans sa chambre et dans son lit dont il ne sort jamais, enfermé à clé, avec des horaires de visites de plus en plus restreints.
Forts de ce jugement médical très catégorique, trop catégorique à nos yeux de spécialistes – j’étais entouré lors de l’expertise de septembre de deux consœurs spécialistes renommées de ces patients - , ces mêmes experts affirment que nourrir Vincent Lambert ne constitue pas en soi, sur le plan médical, une obstination déraisonnable. Une telle affirmation, qui rejoint ce que nous défendons depuis avril 2013, remet en cause tout le processus en cours. Ils vont jusqu’à affirmer que Vincent Lambert peut être pris en charge dans un centre spécialisé, tels qu’il en existe partout en France, ce que nous demandons également depuis 2013.
La majorité des médias a préféré insister sur la notion de situation irréversible. Pourquoi, selon vous ?
Il y a comme une volonté d’assimiler la situation de cette personne très sévèrement handicapée, mais stable dans son handicap, à une situation de fin de vie. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Que Vincent Lambert vive depuis 10 ans maintenant, en état de conscience altérée, suffit à démontrer qu’il n’est pas en fin de vie. Qu’il n’existe pas d’espoir réaliste d’amélioration, malgré des travaux de recherche permettant de progresser dans la connaissance de ces patients, ne suffit pas à parler de fin de vie. C’est le lot commun de toutes les situations de handicap : para et tétraplégie, autisme, infirmités motrices cérébrales, surdités, cécités…
Peut-on espérer qu’il finisse par quitter le CHU de Reims ?
Si les juges du tribunal administratif de Chalons s’en tiennent aux affirmations de leurs experts, on est effectivement en droit d’espérer que Vincent Lambert soit transféré dans une unité spécialisée. D’ailleurs, plusieurs se sont proposées pour l’accueillir. .
Vous êtes conseil médical de Vincent. Comment sa famille, toujours divisée, a-t-elle accueilli ce rapport ?
La partie que je conseille éprouve un soulagement, ayant l’impression d’être enfin entendue et comprise. Elle ne partage toutefois pas la sévérité du jugement médical sur l’état de conscience de leur fils et frère. Je peux exprimer le réel souhait d’une réconciliation de cette famille qui s’est divisée suite à la malheureuse et maladroite initiative, et décision, du Dr Kariger en 2013, alors qu’elle accompagnait, unie, naturellement, son proche dans sa situation de handicap.
Où en est, selon vous, le débat autour des personnes dans la situation de Vincent en France ?
L’intervention, dès 2014, de l’UNAFTC (Union Nationale des Familles de Traumatisés Crâniens) contre la décision d’arrêt de la NHA chez Vincent Lambert, puis l’expression publique dans la presse, début 2018, de plus de 70 professionnels de personnes en état de conscience altérée, en dit long sur l’inquiétude suscitée par cette affaire. Nul n’est dupe quant au fait que ce qui concerne Vincent Lambert concerne également ses « compagnons d’infortune », un expression de sa maman.
Continuer de soigner ces personnes, de les entourer, de s’en faire proche, serait donc de l’obstination déraisonnable ? Nul ne le croit. Et nous saluons ces experts de le rappeler à qui veut bien l’entendre. Faut-il redire que l’obstination déraisonnable est avant tout une question d’ordre médical ? Et qu’il est heureusement exceptionnel que la Justice y soit convoquée !
Une décision judicaire qui ferait fi de cette affirmation d’absence d’obstination déraisonnable et ne demanderait pas le transfert de Vincent Lambert dans une autre unité, serait un signal très inquiétant à l’égard des personnes en situation de handicap, de leurs proches et de leurs soignants. Une remise en cause dramatique d’une médecine hippocratique faisant du respect de la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier, un socle infrangible.
Source : Valeurs Actuelles