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Lettre à Vincent Lambert

par Philippe de Lachapelle , 11/02/2019

Philippe de Lachapelle est directeur de l’OCH, office chrétien des personnes handicapés. La justice a validé il y a quelques jours la procédure d’arrêt des soins de Vincent Lambert. Le Conseil d’État devrait se prononcer dans les mois qui viennent.

Cher Vincent,

Permettez-moi de vous appeler par votre prénom. J’ai tellement entendu parler de vous depuis cinq ans qu’est sortie ce qu’on nomme « l’affaire Vincent Lambert » ! Une dizaine de procédures judiciaires, du Tribunal administratif au Conseil d’État en passant par la Cour européenne des droits de l’homme… et ça n’est pas fini. Un nombre incalculable de décisions médicales, de procédures collégiales, d’avis d’experts. Des conseils de famille, des tentatives de conciliation… Des milliers d’articles de presse, d’interviews, de prises de positions publiques, des plus connus aux plus anonymes… Des pétitions, des lettres publiques, des appels au président de la République, des livres…

Ce 31 janvier, le Tribunal de Chalon validait à nouveau l’arrêt des soins. Et voilà chacun de reprendre la plume ou le micro pour donner son avis, trop souvent plein de passion ou de colère sur la question. Un brouhaha qui donne envie de se taire, quand on sait la douleur qu’il génère chez vos proches.

Il y en a un qui se tait, et pour cause, c’est vous, cher Vincent, qui poursuivez étonnamment votre chemin. Plus de dix ans déjà qu’un accident vous a plongé dans cet état d’extrême dépendance, sans autre traitement ni appui technique qu’une sonde qui vous hydrate et vous nourrit. Celle-ci a d’ailleurs été arrêtée pendant dix-sept jours entre deux décisions contraires… Dix-sept jours sans boire ni manger, et vous êtes toujours là, jour après jour, heure après heure, silencieux, mais là, loin de ce brouhaha que vous semblez traverser.

Cette persévérance de votre corps parle ! « Le langage du corps », chante Grand corps malade qui nous dit : « On peut être timide ou on peut parler fort, de toute façon, ce qui décide, c’est le langage du corps ». Ce n’est manifestement pas faux. Votre corps, Vincent, décide et parle. Il parle fort ! Si fort qu’il nous questionne : qu’est-ce que l’homme, sa dignité ? Qu’est-ce « être vivant », être en relation ? Quel est le sens de la dépendance ? Et tant et tant d’autres questions qui touchent au mystère insondable de la personne.

Merci à vous, Vincent, de nous emmener sur ces sujets qui touchent chacun de nous au plus intime. Pardon de la violence dont nous nous révélons capables à votre sujet. Sans doute parle-t-elle aussi des blessures, des peurs, des angoisses parfois qui nous habitent, et que vous révélez bien involontairement. Il est bien difficile de consentir à notre extrême vulnérabilité, et d’entrer dans ce mystère de l’homme, si fragile, si dépendant.

Votre corps silencieux nous invite à ne pas chercher de réponse par notre seule intelligence, si pauvre pour faire face à tant d’interrogations. Il nous invite plutôt à la contemplation. Contempler cette extrême vulnérabilité de notre être, pour nous réconcilier avec cette part fragile de nous-même. Découvrir cette humanité qui nous est commune, quelles que soient nos capacités. Et nous réjouir que tous, si différents les uns des autres, nous trouvions le sens de nos vies dans notre capacité à prendre soin les uns des autres.

Merci Vincent.

Philippe de Lachapelle

Source : la-croix.com