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Vincent Lambert et la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier

par Sylvain Rakotoarison, 10/01/2019

« Un tribunal condamnera-t-il à mort une personne en situation de handicap, totalement vulnérable, alors que les experts affirment qu’il n’y a pas d’obstination déraisonnable ? (…) Ce serait un précédent historique dramatique. Dramatique pour Vincent Lambert, pour les quelque 1 700 personnes qui partagent sa condition, pour leurs proches et leurs soignants, pour les tenants d’une médecine hippocratique. » (Pr. Xavier Ducrocq, le 26 novembre 2018).

Ce mardi 15 janvier 2019 a lieu une importante audience au tribunal administratif de Nancy concernant l’avenir de Vincent Lambert. "Importance" est un mot faible puisqu’il ne s’agit pas d’autre chose que de décider de la vie ou de la mort d’une personne. Étrangeté du droit français qui demande de statuer sur la vie ou la mort d’une personne à un tribunal administratif et pas à une cour d’assises ! En quelque sorte, Vincent Lambert, dans son sort malheureux et pas fautif, a moins de chance que les anciens meurtriers qui pouvaient être (ou pas) condamnés à mort aux assises.

Pour bien comprendre le contexte médical et judiciaire, il faut rappeler au moins deux éléments. J’ai déjà souvent abordé ici la situation très douloureuse de Vincent.

Premier élément originel : Vincent Lambert fut un jeune homme qui a eu un grave accident de circulation le 29 septembre 2008. Plongé dans un coma profond, il en est sorti pour rester dans un état pauci-relationnel. Pour la plupart du temps, il est pris en charge par le CHU de Reims. Mais à partir de décembre 2012, il est victime de demandes répétées (quatre fois) d’arrêt de son alimentation et de son hydratation de la part du service de l’hôpital qui l’a pris en charge, dans le cadre de l’application de la loi Leonetti puis de la loi Claeys-Leonetti. À partir d’octobre 2012, Vincent Lambert ne reçoit plus les soins auxquels il a le droit, en particulier, les soins de kinésithérapie qui sont pourtant obligatoires dans son cas selon la circulaire du 3 mai 2002 sur les patients en état pauci-relationnel.

Les seuls soins dont a besoin Vincent sont l’hydratation et la nutrition artificielles, car il a des problèmes de déglutition. Cela ne l’avait cependant pas empêché de se retrouver quelques jours en vacances dans la maison de ses parents, sans autre surveillance que celle de ses parents, en septembre 2012.

Vincent a subi, du 10 avril 2013 au 11 mai 2013, un arrêt de son alimentation et une réduction de son hydratation. Il a néanmoins survécu (ce qui est peu compréhensible), dénotant une profonde envie de vivre. La reprise de son hydratation et de son alimentation a été imposée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, seule voie que les parents ont eue pour convaincre l’hôpital de faire son travail, à savoir soigner ses patients et pas les amener à la mort.

Depuis plus de cinq ans, Vincent Lambert est "devenu" (bien malgré lui) une "affaire", en fait, de multiples "affaires" judiciaires car au-delà de son drame humain se surexpose une division de sa famille entre son épouse qui souhaite abréger la vie de son mari et ses parents qui souhaitent au contraire la préserver car ils considèrent que leur fils n’est pas en fin de vie. La médiatisation de l’affaire, les déclarations de membres un peu plus lointains de la famille (comme un neveu, des demi-frères, etc.), et le symbole que sa situation donne à l’ensemble des personnes dans son état ont renforcé la confusion et pollué les réponses à la seule question qui vaille : quelle est la manière de soigner dans les meilleures conditions Vincent ?

Je passe sur tous les détails judiciaires (j’en ai fait part parfois) pendant ces cinq ans, jusqu’au dernier qui concerne le tribunal de Nancy le 15 janvier 2019.

Auparavant, juste une petite remarque : la première procédure pour mettre un "terme" à la vie de Vincent Lambert a eu lieu en avril 2013, soit il y a près de six ans. La seule argumentation juridique pour que cette procédure fût légale a été parce que Vincent aurait été "en fin de vie". On voit bien que, six ans plus tard, l’argument ne tient plus puisque Vincent est toujours vivant. Il n’a donc jamais été en fin de vie, comme des milliers de personnes qui souffrent d’une même situation de très lourd handicap mais qui ont leur dignité, et leur première dignité, c’est le droit de continuer à vivre, c’est même l’une des règles de respect et de solidarité de la République d’aider justement les plus fragiles des siens.

Second élément pour comprendre : le 9 avril 2018, le chef du service qui s’occupe de Vincent au CHU de Reims a annoncé sa décision d’arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent. C’est la quatrième tentative de le faire mourir. Je rappelle que plusieurs établissements spécialisés ont, depuis longtemps, annoncé qu’ils étaient prêts à accueillir Vincent pour améliorer ses conditions de vie car actuellement, il vit comme s’il n’existait pas : sans soins de kinésithérapie, sans sortie en fauteuil roulant, sans stimulation, en limitant même les visites qu’il peut recevoir dans sa chambre. Vincent, actuellement, n’est pas respecté en tant qu’humain.

Réagissant à cette décision qu’ils considèrent comme un crime, la mère de Vincent a adressé une lettre au Président de la République Emmanuel Macron qui est publiée par "Le Figaro" le 12 avril 2018 (elle fut finalement invitée à l’Élysée le 16 juillet 2018), et soixante-dix médecins et professionnels de santé connaissant bien la situation de handicap que connaît Vincent ont dénoncé une « euthanasie qui ne dit pas son nom » dans une tribune publiée par "Le Figaro" le 18 avril 2018.

Saisi le 17 avril 2018 par la mère de Vincent, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a ordonné une expertise médicale préalable le 20 avril 2018. Il a nommé un collège de trois médecins experts le 2 mai 2018, et ceux-ci, après avoir été récusés par la famille de Vincent (mais confirmés par le tribunal le 5 juin 2018), ont finalement renoncé à intervenir le 15 juin 2018 en estimant que le principe d’une seule journée de deux heures (imposé par le tribunal) ne suffirait pas à décrire l’état réel de Vincent. Le 2 juillet 2018, le tribunal a cependant ordonné une nouvelle expertise avec trois nouveaux experts.

Ces experts ont remis leur rapport le 18 novembre 2018 au tribunal. Ce rapport a fait quelques bruits dans les médias. J’y reviendrai plus loin. Normalement, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne devait se réunir le 19 décembre 2018 pour prendre une décision éclairée par ce rapport. Cependant, la famille de Vincent a obtenu le dessaisissement géographique de l’affaire le 11 décembre 2018, si bien qu’il revient au tribunal de Nancy de se prononcer ce 15 janvier 2019.

Dernière précision pour comprendre le contexte judiciaire. J’ai évoqué le scandale du saisissement d’un tribunal administratif pour cette affaire de vie ou de mort et pourtant, il n’y a aucun autre tribunal qui pourrait être saisi (pour Vincent, certaines procédures sont même remontées jusqu’au Conseil d’État et à la Cour européenne des droits de l’homme). Pourquoi ? Parce qu’il s’agit surtout de savoir si la procédure collégiale d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation proposée par la loi Leonetti puis la loi Claeys-Leonetti a été suivie correctement ou pas. C’est donc sur la forme et pas sur le fond que la justice devrait être capable de juger mais le fond déborde sur la forme pour une affaire aussi sensible qui a pour enjeu la vie même d’une personne.

D’ailleurs, rien qu’un tel enjeu devrait suffire à ce que le maintien de l’alimentation et de l’hydratation s’impose aux juges administratifs. Ils ne sont pas censés se prononcer sur la vie ou la mort d’une personne, mais c’est ce qu’ils risquent de faire s’ils acceptent la procédure imposée par l’hôpital en opposition avec une partie de la famille de Vincent (notamment ses parents).

Les juges administratifs ne sont pas des médecins et c’est pour cela que le rapport d’expertise a évidemment un poids important dans leur réflexion.

Or, au-delà de conclusions contrastées, le rapport a été réalisé dans des conditions peu satisfaisantes qui avaient déjà fait renoncer les trois précédents experts. Pour évoquer ce rapport essentiel, je propose de reprendre les déclarations d’une personne qui a la compétence tant des personnes qui sont dans la situation de Vincent que des problèmes éthiques.

Je propose en effet de reprendre deux interviews que Xavier Ducrocq a accordées à "Valeurs actuelles" le 24 novembre 2018 (propos recueillis par Mickaël Fonton) et à "Gèn-éthique" ("premier site d’actualité bioéthique") le 26 novembre 2018. Xavier Ducrocq est un médecin qui est spécialisé en neurologie depuis trente-trois ans, professeur des universités depuis 2001, chef du service de neurologie du CHR de Metz-Thionville depuis 2015, et il fut président du comité d’éthique du CHRU de Nancy et de l’Espace lorrain d’éthique de la santé de 2007 à 2015. Précisons enfin par honnêteté intellectuelle que Xavier Ducrocq n’est pas "neutre" dans cette histoire puisqu’il est le conseil médical des parents, d’un frère et d’une sœur de Vincent Lambert depuis 2013, ce qui n’enlève rien à ses compétences ni à la pertinence de ses réflexions.

Le professeur Xavier Ducrocq, sur la forme, s’est inquiété des conclusions rapidement élaborées : « Je regrette que cet avis, affirmé en seulement une heure trente d’examen, soit tellement péremptoire. Sur cette question, tous ceux qui ont donné leur avis ont toujours été très prudents concernant ce type de patients. Aussi cette prise de position tranchée sur des états de conscience tellement sensibles me semble trop loin d’autant que, en l’état actuel de nos connaissances de ces personnes, un principe de prudence prévaut : "l’absence de preuve de conscience n’est pas la preuve de l’absence de conscience" ! » (Gèn-éthique). En outre, la présence de sept personnes dans la chambre d’hôpital est une situation inhabituelle pour Vincent qui peut se comporter différemment lors des visites habituellement plus "calmes".

Autre critique du spécialiste sur cette expertise : « Les conclusions des experts s’appuient uniquement sur une observation clinique, ils n’ont eu recours à aucun moyen technique durant leur visite pour tenter de mieux évaluer l’état de conscience. » (Gèn-éthique), comme par exemple, l’IRM.

Et que dit le rapport des experts sur l’état de Vincent ? Je n’ai pas pu me procurer le document complet et il n’y a que des extraits sortis dans la presse. Précisons (insistons même) que c’est mieux ainsi : Vincent, comme tout patient, a droit au secret de sa santé. Selon les extraits publiés, le rapport explique que Vincent serait dans le même état de conscience que celui décrit en 2014, c’est-à-dire un "état d’éveil sans réponse" car il n’y a aucune preuve du contraire. Néanmoins, cet état est très proche de "l’état pauci-relationnel" et ces deux "états de conscience altérée" peuvent "fluctuer" au point que des experts peuvent confondre l’un et l’autre dans plus de 40% des cas. La circulaire du 3 mai 2002 regroupe ces deux situations dans la même "catégorie" puisqu’il est très difficile de les distinguer.

D’ailleurs, lors du passage des experts, Vincent a émis quelques sons, il a vocalisé avec une certaine musicalité. Était-ce une activité réflexe d’une absence de conscience ou pas ? C’est quasi-impossible de se prononcer sans autre source d’information, selon le neurologue.

C’est essentiellement sur cette conclusion que la plupart des médias ont communiqué : pas d’évolution, pas d’amélioration de son état de conscience, situation irréversible.

Xavier Ducrocq a préféré plutôt rappeler que l’absence d’évolution était plutôt un signe positif : « La seule évolution possible aurait été la mort ou le coma. Ce n’est pas le cas ! C’est déjà un tour de force parce que toutes les conditions sont réunies pour que son état n’évolue pas. Vincent ne bénéficie que de soins de nursing. Rien n’est fait pour son confort de vie : pas de kinésithérapie, pas de stimulation, ni de rééducation, il est enfermé à clefs dans sa chambre, avec des horaires de visite de plus en plus réduits, il peut encore moins sortir en fauteuil dans le jardin… Il ne fait l’objet d’aucun projet de vie. Dans ces conditions, la stabilité de son état est étonnante. Il aurait pu évoluer de façon beaucoup plus rapide et dramatique. ».

Par ailleurs, les autres conclusions du rapport ont rarement été reprises par les médias et sont, en elles-mêmes, très importantes et encourageantes pour l’avenir de Vincent.

Ainsi, les experts « affirment (…) que Vincent Lambert ne pourrait pas ressentir de douleur et n’est donc pas en situation de souffrance incurable » ("Valeurs actuelles"). Aucune "mesure d’urgence" ne s’impose, donc.

Autre affirmation très importante (page 24 du rapport) : « Ces mêmes experts affirment que nourrir Vincent Lambert ne constitue pas en soi, sur le plan médical, une obstination déraisonnable. Une telle affirmation (…) remet en cause tout le processus en cours [d’arrêt de l’hydratation et alimentation artificielles]. Ils vont jusqu’à affirmer que Vincent Lambert peut être pris en charge dans un centre spécialisé, tels qu’il en existe partout en France. » ("Valeurs actuelles"). C’est justement ce que demande la famille depuis six ans, transférer Vincent dans un centre adapté à sa situation de grand handicap.

L’enjeu, hélas, dépasse la seule situation individuelle de Vincent : « Continuer de soigner ces personnes, de les entourer, de s’en faire proche, serait donc de l’obstination déraisonnable ? Nul ne le croit. Et nous saluons ces experts de le rappeler à qui veut bien l’entendre. » ("Valeurs actuelles").

L’enjeu est grand, en effet : « Il y a comme une volonté d’assimiler la situation de cette personne très sévèrement handicapée, mais stable dans son handicap, à une situation de fin de vie. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Que Vincent Lambert vive depuis dix ans maintenant, en état de conscience altérée, suffit à démontrer qu’il n’est pas en fin de vie. Qu’il n’existe pas d’espoir réaliste d’amélioration, malgré des travaux de recherche permettant de progresser dans la connaissance de ces patients, ne suffit pas à parler de fin de vie. C’est le lot commun de toutes les situations de handicap : para et tétraplégie, autisme, infirmités motrices cérébrales, surdités, cécités… ». Le risque, c’est « une remise en cause dramatique d’une médecine hippocratique faisant du respect de la dignité de tout être humain, des plus vulnérables en particulier, un socle infrangible » (toujours Xavier Ducrocq, dans "Valeurs actuelles").

Dans le livre blanc sur les états pauci-relationnels publié en 2018 par l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et cérébro-lésés (UNAFTC), qu’on peut lire ici, le professeur Emmanuel Hirsch, président du conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de l’Université Paris-Saclay, a écrit en préface : « Depuis quelques années, à travers des controverses bien discutables dans l’actualité judiciaire, nous avons appris à mieux comprendre les responsabilités et les défis auxquels les personnes dites en "état d’éveil sans conscience (ou minimale)" nous confrontent. (…) La vérité insoupçonnée d’une vie hors de nos représentations et même de ce qui nous paraît a priori humainement concevable et acceptable a émergé aux confins des pratiques soignantes : ces personnes nous imposent une considération et une réflexion plus exigeante et fondée que la compassion. À propos de leur accueil parmi nous, de leur accompagnement à domicile ou en établissement ainsi que des soins qui leur sont prodigués, il n’est plus recevable aujourd’hui, comme l’ont fait deux parlementaires, d’affirmer de manière péremptoire et sans la moindre précaution que "ces personnes pourraient qualifier ces situations d’obstination déraisonnable si elles pouvaient s’exprimer". Ces personnes lourdement handicapées mais également leurs proches et les soignants auprès d’elles pour un parcours de vie et de soin dont la signification mérite mieux que des disputations outrancières et une telle stigmatisation, et dont l’échéance ne se décrète pas selon l’application d’un texte de loi, justifient de notre part une sollicitude qui ne se circonscrit pas à l’arbitrage des conditions de mise en œuvre de l’arrêt de leurs soins. ».

Il a ajouté : « Aucune instance n’a autorité à "penser" comme s’il s’agissait d’une évidence que, totalement dépendante et entravées dans leurs facultés relationnelles, la persistance de leur vie relève d’une "obstination déraisonnable" qui justifierait le renoncement. Sans quoi, il conviendrait de renoncer à réanimer toute personne dont on estimerait a priori qu’elle ne retrouverait pas son autonomie, et de s’interroger sur le statut et les droits des personnes en phase évoluée de maladies neurologiques évolutives à impact cognitif, comme la maladie d’Alzheimer… ».

Évoquant ces 1 700 personnes que la mère de Vincent appelle ses "compagnons d’infortune", Emmanuel Hirsch a été très clair : « Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité douloureuse incite certains, dans l’effroi, à revendiquer pour eux une "mort dans la dignité"… Faute d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes en situation de vulnérabilité comme d’autres le son, que s’adressent ces signes de considération et d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité que prône notre démocratie. ».

Emmanuel Hirsch en est même venu à citer un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui rappelait sordidement, le 24 février 1986, à l’adresse d’un médecin qui voulait faire des expérimentations sur l’un de ces patients comme s’il était un animal : « Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se trouvent en état de grande fragilité. » (Avis n°7 du 24 février 1986 du CCNE).

C’est à cette dignité-là que le tribunal administratif de Nancy devra penser lorsqu’il aura à se prononcer ce mardi 15 janvier 2019 sur l’avenir de Vincent Lambert…

Sylvain Rakotoarison (09 janvier 2019)