Après l'affaire Vincent Lambert, où est donc passé le Comité Consultatif National d'Ethique?
par Philippe Petit, Médecin et père d’un jeune homme de 28 ans en état pauci-relationnel depuis 14 ans,
L'UNAFTC (Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens et de Cérébro-lésés) est une fédération nationale représentative des blessés crâniens et de leurs familles.
A ce titre, elle accompagne de nombreuses familles de personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel. Ce sont des personnes en situation de grande vulnérabilité, dont la conscience reste altérée après des lésions cérébrales graves. Elles sont accueillies et prises en charge par des professionnels compétents dans des unités spécialisées créées pour elles en 2002.
Ces personnes ne sont pas en fin de vie et notre association s'était sentie peu concernée par le débat de société sur les droits des malades en fin de vie et le rapport Sicard.
Choqués par la décision d'interrompre l'alimentation et l'hydratation concernant M. Vincent Lambert
Aussi avons-nous été violemment percutés par les déchaînements médiatiques autour de l'une de ces personnes: M. Vincent Lambert, pour qui un médecin avait décidé d'interrompre l'alimentation et l'hydratation.
De nombreuses familles se sont retrouvées terrifiées à l'idée de se voir un jour imposer une telle décision. La saisine du Conseil d'Etat, début 2014, nous a poussés à réagir et nous sommes intervenus volontairement devant le Conseil d'Etat pour faire part des craintes des familles de personnes en situation comparable à celle de Vincent Lambert, de se voir imposer des décisions médicales d'arrêt de la nutrition et de l'hydratation artificielles de leur proche, sans qu'il soit en fin de vie. Notre intervention ayant été reconnue légitime par le Conseil d'Etat, nous avons été présents à toutes les audiences et entendus par la mission d'experts. Le Conseil d'Etat, puis la Cour Européenne des droits de l'Homme, ont confirmé la légalité de la décision du médecin.
Pourtant cette décision, qui repose sur une initiative médicale et des interprétations d'un désir de mourir de M. Lambert, dont les experts ont établi le caractère erroné, n'a pu à ce jour être mise en œuvre, en raison du conflit familial qui trouve sa source dans l'échec de la procédure collégiale initiale. Il y a donc une faille que ni la loi, ni la justice n'ont permis de combler.
La radicale singularité de chaque situation
Simultanément, le processus législatif de révision de la loi de 2005, dite loi Léonetti, a été engagé par la mission parlementaire Claeys-Leonetti. Dans le contexte de l'affaire Lambert où nous étions intervenus, nous avons engagé une réflexion éthique, d'autant plus nécessaire que le Conseil d'Etat, dans sa décision d'assemblée du 24 juin 2014, pose que la nutrition et l'hydratation artificielles sont des traitements que l'on peut interrompre comme tout traitement, et que la loi de 2005 est de portée générale et s'adresse à toute personne, même si elle n'est pas en fin de vie. Par ailleurs le médecin est seul décideur. La loi ne lui impose qu'une procédure consultative, à laquelle doit être associé au moins un autre médecin n'ayant pas de lien de subordination avec lui.
Cela nous a amenés à préciser notre position à propos de ces situations, largement inspirée par l'avis du Comité Consultatif National d'Ethique au Conseil d'Etat dans l'affaire Lambert, qui énonce, pour les situations d'incertitude maximale où les personnes ne sont pas en fin de vie et sans qu'on puisse connaître leur volonté:
" [...] Le CCNE considère souhaitable la mise en place d'un véritable processus de délibération et de décision collective, qui permette de faire émerger au mieux, au cas par cas, dans la pleine conscience de l'incertitude, la meilleure réponse possible dans la radicale singularité de chaque situation."
La véritable collégialité décisionnelle est le meilleur rempart contre les abus
Nous sommes porteurs de toutes les sensibilités et de toutes les souffrances des blessés et de leurs proches confrontés à ces situations, et nous considérons que toutes les décisions individuelles doivent pouvoir se prendre, au cas par cas, sous réserve que le processus de décision soit respectueux et associe tous les proches souhaitant y participer. Nous sommes convaincus que la véritable collégialité décisionnelle est le meilleur rempart contre les abus et les dérives, et la seule façon pour les proches de pouvoir accepter la décision et de lui survivre. Peu importe que l'alimentation et l'hydratation soient considérées, ou non, comme des traitements, ce qui compte c'est la façon de prendre la décision quand on se demande s'il ne faudrait pas les arrêter.
Nous avons porté cette revendication à tous les stades du processus législatif, d'abord en demandant vainement d'être auditionnés par la mission parlementaire, puis par les commissions chargées d'étudier le projet à l'Assemblée Nationale et au Sénat. Faute d'être entendus, nous avons publié plusieurs communiqués, adressé une lettre ouverte au président de la République, au député Leonetti, et lancé une pétition qui a recueilli près de 2000 signatures en quelques jours.
Au final, la loi promulguée début 2016 semble avoir tenu compte de notre revendication puisqu'elle renvoie désormais à une procédure collégiale définie par voie réglementaire, et non plus par le seul code de déontologie médicale.
Il manque un décret d'application qui redéfinisse cette procédure collégiale
Encore faudrait-il qu'un décret d'application redéfinisse cette procédure collégiale et instaure une véritable délibération collective, qui ne soit plus dans la main du seul médecin, ni régie par le seul code de déontologie médicale.
Par un courrier adressé au président du CCNE dès le 25 novembre 2015, et donc avant même que la loi ne soit définitivement adoptée, nous avons appelé le Comité Consultatif National d'Ethique à faire des recommandations en ce sens.
Ce courrier est resté sans réponse bien qu'il ait été envoyé à de multiples reprise, y compris en RAR, et doublé d'envois électroniques.
Pire, nous avons appris récemment, par un de ses membres, que le CCNE a cessé de se réunir sine die, plusieurs de ses membres devant être renouvelés, le gouvernement ayant actuellement d'autres priorités.
A un moment où notre société est secouée par des questions éthiques majeures, où les amalgames et les idées reçues font florès, et alors que l'affaire Lambert connait de nouveaux développements judiciaires, il est troublant, pour ne pas dire plus, de constater la vacance de l'instance qui devrait donner du sens et élever la réflexion.
Source :huffingtonpost.fr