Arrêt de l’hydratation et de l’alimentation chez les nourrissons : des pratiques divergentes
Alors que l'affaire Vincent Lambert pose la question éthique et médicale de de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation (AAH), le quotidien Libération a publié récemment un article sur une enquête menée par le centre d’éthique clinique de Cochin (CEC) sur l'arrêt de l'AAH chez les nourrissons.
Peut-on considérer l’alimentation et l’hydratation, ces gestes essentiels, primaires, comme des "soins" ? Peut-on estimer que les interrompre relève d’une mort plus naturelle, plus "douce" qu’une euthanasie active ?
"Il y a quelques années, en France, lorsqu’un nouveau-né arrivait au monde avec un cerveau en grande partie détruit - suite à une anoxie ou en raison d’une grave pathologie intra-utérine -, les équipes de réanimation néonatale, après quelques jours d’observation et de confirmation du diagnostic, pratiquaient des gestes actifs mettant fin à cette vie qui paraissait n’avoir aucun sens", souligne le quotidien.
Depuis la loi Leonetti de 2005 qui encadre la fin de vie, les pratiques ont changé, les équipes s’engageant plus dans des soins palliatifs en néonatalogie. Il s’agit ainsi de respecter aux plus près le "laisser mourir", en évitant le "faire mourir". Mais, face à l'épreuve de la réalité, Les auteurs de l’étude se demandent si le recours à l'AAH en néonatologie ne serait pas "le talon d'Achille" de la loi Leonetti.
Trois modèles éthiques différentes
L'étude a porté sur 25 enfants nés en moyenne après 36 semaines de gestation, pour lesquels la décision de ne pas poursuivre les soins avait été prise soit en anténatal (deux cas), soit dès les premiers jours de vie (six cas), soit après quelques semaines, nécessaires pour mieux préciser le diagnostic. Les parents de 14 de ces enfants ont accepté de se livrer aux équipes du CEC, tandis que toutes les équipes médicales ont été interrogées.
Premier constat : les pratiques sont variables. Les chercheurs ont pointé trois modèles, trois éthiques différentes. Le premier modèle se veut, avant tout, non actif : l’équipe se défend de toute intention de mort. On arrête certes l’alimentation et l’hydratation artificielle, mais un biberon est régulièrement proposé au nourrisson et on laisse faire. Certains enfants vont même survivre, bien souvent avec des handicaps très lourds ; d’autres pas.
Le deuxième modèle est beaucoup plus actif. L’équipe arrête tout soin, toute alimentation et hydratation, mais elle accompagne l’enfant avec une sédation, " pour qu’il avance tranquillement vers la mort, sans souffrir ". Les parents sont au courant, et l’enfant meurt dans les deux ou trois jours.
Enfin, le troisième modèle se situe entre les deux précédents et est plus respectueux de la loi Leonetti : on arrête tout, on essaye le biberon mais sans trop de conviction, puis, on arrête de le lui proposer et on le laisse mourir "naturellement", sans augmenter les sédatifs. Mais cela peut durer longtemps. Deux, voire trois semaines.
Le temps insupportable de l’agonie
Globalement, 60 % des équipes soignantes ont un " bon " ressenti quant à la façon dont est mis en œuvre l’AHA, un sentiment qui n’est partagé que par 40 % des parents. Certes " les parents sont nombreux à exprimer qu’ils ont été heureux de ces quelques jours supplémentaires qui leur ont été donnés avec leur enfant, note le Dr Véronique Fournier du CEC, qui a présenté cette étude au congrès de réanimation néonatale. Ils apprécient ce temps non médicalisé, sans fil ni machine, (...) qui permet à toute la famille de rencontrer le bébé et de se préparer à sa mort."
Mais « l’attente » devient vite impossible à surmonter. Pour les parents, « ce temps devient angoissant s’il se prolonge: il est insupportable au-delà de trois, quatre jours, et intolérable au-delà d’une semaine » indique le Dr Fournier, responsable du CEC. Côté médecins, certains disent qu’avec le temps la tentation de l’euthanasie devient " lancinante ".
De nombreuses questions
Pour les défenseurs de l’euthanasie le recours à l’AHA en néonatalogie est plus encore la démonstration du caractère globalement inhumain de ce texte.
Pour Laurence Brunet juriste, interrogée par Libération, "ce qui m’a troublé, c’est quand même l’hétérogénéité des pratiques. Les parents n’ont pas le choix, ils doivent s’adapter et, finalement, consentir à ce que leur propose l’équipe, quel que soit le modèle".
Marta Spranzi, philosophe souligne : " il y a cette idée qu’il faut que les parents fassent le deuil. J’en doute, nous avons vu beaucoup de souffrance. Plus le lien se fait, plus la séparation est dure."
"D’autant que la dégradation du corps est inhumaine. Voire leur enfant devenir une poupée de chiffon… C’est souvent les dernières images qui vont donner du sens à cette fin de vie", indique Laurence Brunet.
Elisabeth Belghiti, psychologue, fait une analyse encore plus terrible, raconte le quotidien : " quand on va dire aux parents que leur enfant ne va pas souffrir de la faim, est-ce concevable ? Entendable ? Je ne le crois pas, nourrir son enfant, c’est le cœur de la parentalité. L’arrêter, c’est impensable." Et puis, ce temps d’agonie qui dure : " c’est un faux-semblant de vie, avec un petit corps qui souffre, qui se rétrécit. Un nourrisson ? On le voit grandir. Là, c’est l’inverse, c’est à la limite de l’humain."
Source : Redaction ActuSoins, avec Libération