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Les cahiers de l'école pastorale, 2009 (extraits)

Article du pasteur Luc Olekhnovitch, pasteur, Union des Églises Évangéliques Libres, Président de la commission d'éthique protestante évangélique :

Euthanasie - Quelle pastorale de la peur de la mort

(...) On s'aperçoit que, derrière bien des raisonnements favorables à l'euthanasie, il y a tout simplement la peur: peur de souffrir, d'être abandonné, peur de se voir se dégrader physiquement ou mentalement. Avant de débattre, il faut une pastorale de la peur qui commence par l'écoute: «De quoi avez-vous peur?». Mais en préambule, pour prendre un peu de recul, nous voudrions préalablement replacer cette idée de «bonne mort», c'est le sens du mot euthanasie, en perspective historique,en montrant le contraste impressionnant entre notre conception contemporaine de la «bonne mort» et celle qui régnait au Moyen Âge.

BRÈVE HISTOIRE DE LA PEUR DE LA MAUVAISE MORT

Si l'on parle de bonne mort, c'est bien qu'on en craint une mauvaise! Qu'est-ce que la bonne mort pour nous aujourd'hui? Rapide et sans souffrance! L'idéal serait de mourir dans son sommeil, de mourir sans s'en apercevoir. Pourtant la mort brutale n'est pas une «bonne mort» pour les proches, les études sur le deuil l'ont montré, car ils n'ont pas le temps de se préparer. Cette «bonne mort» contemporaine oublie donc l'entourage et l'effet produit sur lui, elle adopte un point de vue purement individuel. Marie-Frédérique Bacqué, professeur de psychopathologie, fait remarquer:

«Les partisans de l'autonomie absolue laissent loin derrière eux ceux qui partagent leur vie et leur lignée... ils décident de leur mort sans se préoccuper de ceux qui restent, «mort solitaire et rationnelle» le prototype de la mort moderne «mort choisie, sans dieu, rapide et sans souffrance et égoïste, sans se retourner...» (1). Dans la Bible Jacob appelle ses fils sur son lit de mort car il a une bénédiction à leur transmettre. Jusqu'au XIXème siècle encore, la bonne mort est la mort chez soi, entouré de sa famille (voir les tableaux de Greuze). Dans le film «Les invasions barbares», le héros qui a demandé l'euthanasie meurt seul; on mesure l'écart.

Au Moyen Âge au contraire, la mort brutale était une mauvaise mort. On craignait une telle mort qui surviendrait sans qu'on ait eu le temps de se confesser, de recevoir les derniers sacrements etc. La bonne mort au Moyen Âge c'est donc celle pour laquelle on a eu le temps de se préparer à rencontrer Dieu. Dans la Bible, on voit le prophète Ésaïe prévenir le roi Ezéchias: «Donne des ordres à ta maison car tu vas mourir». Le Dr Isabelle Marin, formatrice en soins palliatifs, qui enseigne aux médecins à annoncer le pronostic mortel à leur malade, fait remarquer que jusqu'au XIXème siècle, on avait l'obligation morale de dire au malade qu'il allait mourir et que c'était le prêtre qui en était chargé, mais qu'à partir du XIXème le prêtre sort de la scène de la fin de vie, où il est remplacé par le médecin et, avec lui, entre le mensonge! En effet, lui ne va pas dire au patient qu'il va mourir! Et c'est un médecin qui l'avoue! (2)

Au Moyen Âge, la plus grande crainte c'était de souffrir spirituellement dans l'au-delà: on craignait l'enfer. Aujourd'hui, la plus grande crainte c'est de souffrir physiquement et/ou moralement ici-bas dans ses derniers moments. Il y a eu donc un transfert de l'au-delà à l'ici-bas. Ce transfert s'explique bien sûr par la déchristianisation, la perte de la croyance en une vie après la mort. Mais la question se pose: pourquoi la crainte n'a-t-elle pas disparue et s'est-elle simplement déplacée? Après tout, nous sommes bien mieux armés pour lutter contre la douleur que nos ancêtres, alors pourquoi cette peur panique sociale? Ne faudrait-il pas interroger cette peur? L'euthanasie comme discours des bien-portants n'est-elle pas un moyen de régler, en paroles, l'angoisse de la mort?

(...) L'article premier du catéchisme de Heidelberg (catéchisme réformé de 1563) à la question «Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort?» donne cette réponse:

«C'est que, dans la vie comme dans la mort, j'appartiens, corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur: par son sang précieux, il a totalement payé pour tous mes péchés».

Aujourd'hui, le garant de la bonne mort c'est le médecin, mais c'est un garant à qui on ne fait pas totalement confiance. La loi Léonetti sur la fin de vie entérine d'ailleurs cette méfiance, puisqu'elle elle permet au malade de rédiger des «directives anticipées du patient» à l'intention du médecin et qu'elle instaure une «personne de confiance» que le malade peut désigner à l'avance pour s'assurer que ses directives seront bien appliquées. On se tourne donc vers la loi pour nous garantir une bonne mort. C'est d'ailleurs la démarche de ceux qui demandent la légalisation de l'euthanasie. Or cette foi en la législation est une illusion et une utopie. La loi peut limiter les excès, l'«acharnement» ou plutôt l'«abus» thérapeutique, encourager la lutte contre la douleur, les soins palliatifs... mais elle ne peut en aucun cas nous garantir une bonne mort.

Nous avons été heureux de lire une mise en garde contre cette illusion sous la plume d'une psychologue spécialiste des soins palliatifs, Murielle Jacquet-Smailovic: «l'accompagnement des personnes gravement malades...ne saurait se confondre avec la proposition d'une "bonne mort"» (3). Elle dénonce un fantasme de toute-puissance derrière ce désir d'apprivoiser la mort.

Marie de Hennezel raconte que, chaque fois que des patients en soins palliatifs interviewés s'étaient senti «l'obligation de faire bonne figure», de rendre la mort «aimable» et acceptable pour le téléspectateur, nous ne manquions pas d'observer un retour de bâton dans les jours qui suivaient» (4) sous forme d'agressivité, de délire, etc.

Un médecin suisse, le Dr Yvette Barbier, qui a accepté d'accompagner son patient dans une procédure de suicide assisté organisée par l'association «Exit», témoigne de «phrases rudes à entendre» comme: «Vous devez boire votre verre vous-même et vous devez le boire en une minute, sinon ça n'agira pas». Elle conclut: «pour moi, c'est une mort violente» (5).

(...) L'euthanasie est une action volontaire avec l'intention de donner la mort. Bien sûr, la vie et les situations médicales sont plus compliquées que les définitions mais ces deux éléments sont essentiels pour distinguer le «faire mourir» du «laisser mourir».

Qui implique un tiers

Cette mort est donnée par un tiers et c'est bien ce tiers qui pose problème. Le théologien et éthicien Jean-François Collange remarque qu'il est «...difficile de penser que l'on puisse considérer comme un droit exigible d'un tiers qu'il mette fin à une vie; surtout si ce tiers devait être un médecin...» (7)

Sur demande

Pourquoi restreindre l'euthanasie, à l'euthanasie sur demande? Parce que le débat éthique ne peut porter que sur l'euthanasie sur demande. Il nous semble moralement et socialement inenvisageable de donner au médecin le droit de donner la mort sans consentement. Imagine-t-on donner le droit au médecin de tuer les malades d'Alzheimer qui n'ont plus leur conscience?

Pour mettre fin à une souffrance

C'est là un point essentiel. L'euthanasie est réponse à une souffrance, mais justement est-ce la réponse? La personne qui demande l'euthanasie ne demande pas d'abord la mort, elle demande qu'on mette fin à ses souffrances! Mais la souffrance de qui? Du malade ou de son entourage ou des soignants? Ce sont parfois ces derniers, et non le malade, qui réclament l'euthanasie. Mais quelle souffrance physique, psychique, morale? L'association suisse Exit d'aide au suicide a été mise en cause pour avoir aidé des malades mentaux ou des personnes dépressives à se suicider. On sait que, dans la majorité des cas, la demande d'euthanasie cesse quand cesse la souffrance. N'est-ce pas à la souffrance qu'il faut s'attaquer plutôt qu'au souffrant? Ce n'est pas un hasard si c'est dans un contexte chrétien qu'est née la démarche des soins palliatifs qui vise à prendre soin de la personne qui souffre: «Les soins palliatifs se présentent comme des soins actifs dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, morale et spirituelle», Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs (1996). (...)

ENJEUX SOCIAUX : NOTRE RAPPORT AUX PERSONNES AGÉES ET/OU HANDICAPÉES

On sait que la population vieillit et qu'il y a un rapport entre le vieillissement de la population et l'augmentation des réponses favorables à l'euthanasie.

Quel impact social aurait la légalisation de l'euthanasie alors que le nombre de personnes atteintes d'Alzheimer est en augmentation? L'écrivain belge Hugo Klauss, atteint de cette maladie, a demandé l'euthanasie avant de sombrer dans la démence. Il n'était pas en phase terminale et aurait peut-être pu vivre encore des années avec cette maladie. Il a été considéré comme un héros national pour ce geste. Cela ne crée-t-il pas une pression sociale sur les malades atteints d'Alzheimer: «Suicidez-vous avant de ne plus être présentables et de nous coûter trop cher?».

La philosophe Corine Pelluchon dans un livre remarquable (9) relève la dimension symbolique et la portée sociale de l'ouverture à un droit au suicide assisté et à l'euthanasie.

«Leur légalisation impliquerait la reconnaissance par la société que le suicide est une réponse naturelle et légitime à la souffrance. La banalisation du suicide est incompatible avec le courage et les valeurs d'entraide ou de solidarité intergénérationnelle que nous transmettons... Un tel droit à la mort fournirait un cadre pour le moins déstabilisant à des individus de moins en moins équipés pour survivre aux pertes... Si nous étions l'auteur de la mort d'un de nos parents, tué sur demande de la famille, un tel geste façonnerait l'histoire familiale de chacun des membres, pouvant entraîner une augmentation des suicides réussis chez les jeunes...» (10).«Le souci du bien commun exige qu'on mette des limites à une revendication individuelle qui, si elle était reconnue par la loi, ouvrirait un droit à la mort contraire aux valeurs qui sous-tendent nos institutions et incompatibles avec les sources morales de la vie en commun» (11).

Face à de tels enjeux sociaux, il faut passer de la peur qui isole à la solidarité qui console. Ce n'est pas un hasard si ce sont les chrétiens qui ont été à la pointe des soins palliatifs, ils ont une responsabilité particulière dans notre contexte occidental de perte du lien social: John Wyatt nous interpelle:

«Où sont les chrétiens qui acceptent de se trouver simplement là, d'apporter une aide pratique et un soutien émotionnel à celui qui est vulnérable, gravement handicapé ou mourant?» (12)

Recadrage théologique: la mort n'est pas bonne

Si biologiquement la mort physique paraît naturelle, la Bible nous révèle qu'elle n'a rien de naturel ni de normal. Elle est entrée dans le monde humain suite au péché d'Adam, elle est la sanction, «le salaire du péché». La mort n'est donc pas bonne, elle n'est pas une alliée ou une amie, mais comme le dit Paul, le «dernier ennemi». Il est normal pour l'homme de vouloir la combattre mais il est illusoire pour lui de croire la vaincre, ou même de la contrôler, ce qui serait une forme de victoire: seul le Christ a vaincu la mort. Les lecteurs de Paul penseront peut-être à une autre expression de lui qui peut surprendre: «La mort m'est un gain» (Ph1.21). Mais Paul ne dit nullement qu'il désire mourir. Il est dans l'attente d'un jugement, il signifie simplement à ses lecteurs que même s'il est condamné à mort par César, cela lui sera profitable puisqu'il sera auprès du Christ. Face à la mort la certitude d'être accueilli par Dieu est source de paix.

Cependant Samuel Gerber dit très justement que, quand un chrétien, sur son lit d'hôpital, passe par une phase de révolte, «Il ne faudrait pas en vouloir au malade de s'élever ainsi contre la mort, ni penser que, s'il était en meilleure forme spirituelle, il aspirerait depuis longtemps à aller au ciel et se réjouirait maintenant de pouvoir s'y rendre. Notre révolte contre la mort n'est qu'une preuve de plus que, dans notre for intérieur, nous sentons qu'à l'origine, Dieu ne nous a pas créés pour mourir» (13).

QUELLE PASTORALE ? DE QUELLE PEUR ?

Quand je parle de pastorale, je ne me situe pas comme un religieux professionnel de l'accompagnement des mourants, je n'ai eu comme pasteur que quelques expériences dans ce domaine. Je me situe simplement comme chrétien et humain qui, au chevet du malade, n'a pas les moyens médicaux de traiter la douleur, d'anxiolytique pour faire taire l'angoisse mais qui vient à foi nue, qui n'a que son écoute et sa conviction que le Christ peut être présent là aussi et que Lui est plus fort que la mort et que la peur. Précisons et insistons: Lui mais pas moi! Moi je suis faible et démuni, mais c'est au travers de cette faiblesse même qu'il peut agir. Je le sais, mais j'ai à l'apprendre et le réapprendre toujours.

Quelle peur? Est-ce le bien portant qui, en disant qu'il est pour l'euthanasie, exprime sa peur de la mort en général? Est-ce une personne qui a vécu l'agonie traumatisante d'un proche, ou alors est-ce quelqu'un sur son lit d'hôpital qui souffre? Même si c'est le même Évangile que je porte, l'écoute et la réponse ne peuvent être que personnalisées.

Mais une question préalable se pose: dois-je d'emblée donner ma position éthique ou d'abord écouter? Le livre des Proverbes me semble donner la réponse en disant sagement: «Celui qui écoute pourra toujours parler». La première question à poser est donc: «Pourquoi?» non pas un «pourquoi, justifiez-vous» mais un «pourquoi» ouvert à l'autre comme personne, même si on est en désaccord avec son raisonnement ou qu'il nous dérange. Suivant la belle formule de Maurice Bellet: «l'écoute est hospitalité intérieure».

Ayant dit cela, je suis bien conscient que je n'ai pas toujours cette attitude mais que je dois la viser en faisant taire mes réactions, en étant aussi à l'écoute de Dieu par une prière intérieure, lui demandant de m'inspirer aussi dans mes paroles. Car comme chrétien, je ne suis pas un psychologue rogerien qui se contenterait de faire chambre d'écho, mais je suis porteur d'une Bonne Nouvelle: Jésus libère de la mort et de la peur de la mort.

Peur, angoisse ou inquiétude ?

De quoi s'agit-il de peur, d'angoisse, d'inquiétude (14)? La peur renvoie à une cause précise, ce sera par exemple la peur d'étouffer, pour laquelle il y a des réponses médicales. L'angoisse est plus diffuse, c'est une peur sans objet défini, il y a aussi des réponses médicales, les anxiolytiques, mais la réponse médicale peut être trop rapide, empêchant l'angoisse de s'exprimer. Enfin, il y a l'inquiétude, sentiment de moindre intensité que l'angoisse, mais plus universel, qui saisit tout vivant à l'idée de la mort. Denis Vasse, psychanalyste et jésuite, en fait une remarquable description:

«L'inquiet ne trouve pas le repos. Il est troublé, agité. Il remue sans cesse et dans son corps et dans son esprit... l'inquiétude se caractérise par l'impossibilité de consentir au repos là où seulement l'homme peut y accéder: dans l'ici et maintenant d'une rencontre qui l'assure et le rassure en l'attirant dans l'amour» (15).

L'inquiet est donc un agité qui refuse de se re-poser. En se projetant sans cesse dans l'avenir, il se rend indisponible au présent d'une rencontre. On pense irrésistiblement à la Marthe de l'Évangile, que son inquiétude rend agitée et indisponible à la rencontre avec Jésus. En face de cette inquiétude, Denis Vasse ne mâche pas ses mots et c'est salutaire: «Si l'homme n'abandonne pas sa prétention à sortir de l'inquiétude par lui-même, s'il ne change pas pour devenir comme un petit enfant, il n'entrera point dans le Royaume des cieux, il n'entrera pas dans le repos...» (16); la prétention à se garantir une bonne mort est comme la prétention à se sauver soi-même, elle empêche de reconnaître sa faiblesse et de recevoir du Christ le repos.

De crainte, il n'y en a pas dans l'amour

Le Dr Catherine Leguay, militante pour l'Association pour le Droit de Mourir dans la dignité, oppose la mort atroce de sa mère qui l'a rendue hideuse à ses yeux, à la mort paisible de son père qui a gardé un beau visage et elle conclut: «moi aussi, je veux laisser un beau souvenir» (17). Par rapport à cette peur de la dégradation physique, argument fréquent en faveur de l'euthanasie, une réflexion de Jean-Yves Leloup nous a été utile. Il fait remarquer que, pour accepter les pertes liées au processus de mort, «il faut sentir qu'on est aimé au-delà des fonctions ou de l'image auxquelles on s'était identifié. Et souvent cette confiance dans l'amour manque» (18). Il remarque très justement que Jean oppose amour et peur. Avoir peur de ne plus être aimable, c'est ne pas croire en l'amour d'un Dieu qui nous accueille dans notre misère même. «De crainte, il n'y en a pas dans l'amour» 1Jean 4.18.

Je vous donnerai du repos

Le chrétien à l'écoute doit, que ce soit dans un dialogue avec un bien portant ou un malade, aider à l'accouchement des peurs, à passer d'une angoisse diffuse à nommer précisément la peur, et face à l'inquiétude fondamentale que crée la mort, inviter à redevenir confiant comme un enfant. Mais pour cela, il doit être confiant lui-même que ce que le Christ promet, «je vous donnerai du repos», il l'accomplit!

J'ai accompagné une personne qui se mourait d'une tumeur au cerveau; elle ne souffrait pas mais en revanche elle était angoissée. Derrière cette angoisse, notre dialogue lui a permis d'énoncer clairement sa peur de la mort, peur de l'inconnu. Cette dame étant protestante, il était naturel de l'inviter à se confier à Jésus comme le bon berger qui donne la vie éternelle, de présenter en Dieu un Père qui accueille ses enfants. C'était un dialogue ténu, dans un souffle, qui n'avait rien d'extraordinaire, il y a des moments où je me tenais simplement à ses côtés sans parler, mais elle est arrivée, me semble-t-il, à un apaisement.

Comment parler en vérité?

Pour pouvoir répondre à la peur, il faut pouvoir parler en vérité. Ce dialogue en vérité est rendu difficile quand la personne est inconsciente de son état et que personne, ni les médecins, ni la famille n'ose lui dire la vérité: qu'elle va mourir. De plus les infirmières qui sont souvent plus proches des malades et des familles n'ont pas le droit de livrer le pronostic. Une infirmière m'a confié qu'interrogée par une épouse, elle avait eu le malheur de lui dire la vérité, à savoir que son conjoint était en fin de vie, et l'épouse ayant eu une réaction très angoissée, elle s'était faite sévèrement reprendre par sa hiérarchie. Une autre infirmière qui l'avait annoncé au contraire avec l'accord du médecin et de l'équipe, a violemment été prise à partie par la fille, pour qui cette réalité était insupportable.

Il y aussi une difficulté liée au fait que les pronostics médicaux ne sont pas infaillibles. Je me souviens d'une personne âgée, une chrétienne évangélique fervente mais d'un tempérament très anxieux. Le médecin avait dit à son neveu qu'elle avait un cancer et qu'elle en avait pour six mois. Comme je la visitais, son neveu m'avait recommandé de ne lui rien en dire; a posteriori je pense qu'il n'était pas bon de me communiquer l'information et de m'intimer le silence. Car tout secret transpire! Toujours est-il qu'elle a vécu ensuite plusieurs bonnes années. Cette histoire m'a rendu prudent, j'ai toujours la conviction qu'il faut dire la vérité, mais je me suis aperçu que la vérité en médecine était relative. En le lui communiquant, même avec ménagement, ce pronostic ne lui aurait-il pas ôté ces bonnes années? Par ailleurs, son anxiété n'était-elle pas significative d'un savoir inconscient sur son état?

Comment parler en vérité de la fin quand les médecins n'ont pas le courage de le dire ? Comme pasteur, est-ce à moi de le dire? Je peux faire des sondages: Êtes-vous inquiet? Mais quand la personne nie manifestement la gravité de son état, que faire? Que dire? Il n'y a pas que l'annonce brutale ou le silence, il y a des gestes et une Parole qui nous permettent de dire l'indicible. Je pense à cette personne qui, sur son lit d'hôpital, nie verbalement la gravité de son état. Je prends le temps de la questionner sur son état et sur la perception qu'elle en a, elle sait que je suis pasteur; spontanément elle m'affirme: «j'ai une dévotion particulière pour le Christ». Je lui propose trois choses: une lecture de l'Évangile, prier pour elle et lui tenir la main. Elle consent à ces propositions, pourquoi? Est-ce une reconnaissance implicite de la gravité de son état? Ce qui m'impressionne, c'est la force avec laquelle elle serre ma main comme si elle se raccrochait à moi. C'est le souvenir le plus fort que je garderai de cette visite qui sera la première et la dernière. À la fin de la visite, elle dira «vous m'avez fait du bien» alors que, pourtant, après la prière on a dû appeler l'infirmière car elle était douloureuse... Bien sûr, ce que j'ai fait n'est pas une recette. Bien sûr, je me suis posé la question: n'aurais-je pas dû être plus explicite? La réflexion d'une psychologue catholique sur le sujet m'a éclairé a posteriori: «Finalement c'est la relation qui dit la vérité» (19). Cela m'a rappelé l'expression johannique, «pratiquer la vérité»: la vérité n'est pas seulement à dire, elle est à pratiquer, et cette pratique, c'est l'amour.

Une infirmière chrétienne me disait qu'au chevet d'une personne non-croyante elle priait intérieurement. Après sa mort, sa fille a dit: ma mère savait que vous priiez pour elle.

La rencontre est toujours singulière, il faut se laisser guider par l'Esprit de Dieu et le respect de la personne qu'il nous commande. L'Évangile ne peut être plaqué, la Parole doit être précédée d'une vraie écoute. La proposition de foi doit être vraiment une proposition. Quand on a peur, qu'on a mal, le contact physique est important mais délicat, on ne doit pas l'imposer mais être sensible aux réticences. Par exemple, poser une main sur l'épaule est moins chargé que prendre la main. La prière avec onction d'huile peut aussi être proposée si elle a un sens dans la culture du malade. C'est d'abord une prière de demande de guérison, mais elle comporte aussi une gestuelle qui relie, alors que la maladie isole. L'huile redit l'appartenance à Dieu, l'onction symbolise la consécration à Dieu, et la présence des «anciens», qui, dans une chambre d'hôpital ne doivent pas être nombreux, redit l'appartenance du malade à l'Église.

Annoncer à quelqu'un qu'il va mourir, c'est comme prononcer une malédiction. Si on évite de dire à quelqu'un qu'il va mourir, c'est qu'on a peur que cette parole se réalise. Le chrétien peut être au contraire porteur d'une parole de vie, de bénédiction, dont il espère dans la foi qu'elle se réalise. Le pasteur Samuel Gerber a remarqué que des mourants ont été réconfortés quand il a posé la main sur leur front en disant à mi-voix: «que le Seigneur te bénisse et te garde» (20).

La foi au Christ, seul remède

Le remède à la peur de la mort et de ce qui l'entoure, ce n'est ni l'euthanasie ni même les soins palliatifs. Le seul remède à la peur c'est la foi, foi en l'amour d'un Dieu qui nous accueille comme un Père à cause de son Fils Jésus. Notre culture occidentale sécularisée, parce qu'elle rejette cette foi, vit dans la peur de la mort. C'est bien le rejet de Dieu qu'il y a derrière la revendication d'euthanasie dans nos sociétés, que je distingue de la demande de mort de celui qui souffre. Des croyants aussi ont demandé la mort.

Même si nous sommes chrétiens, qui nous garantit que notre fin sera paisible? Dieu ne nous dit pas que ne nous ne serons pas éprouvés mais il nous promet que nous ne serons pas éprouvés «au-delà de nos forces», et par-dessus tout, il nous promet de ne pas nous abandonner, la grande angoisse du mourant. Comme le dit le pasteur Samuel Gerber: «Nul de nous ne peut prévoir comment il finira ses jours. J'ai eu connaissance du cas de plusieurs hommes de Dieu dont le ministère béni prouvait que Dieu agissait par leur intermédiaire, mais qui, avant de passer dans l'autre monde, ont sombré dans la mélancolie ou dû livrer de rudes conflits intérieurs. On aurait dit que Dieu était obligé de les soumettre à un ultime nettoyage douloureux, de les débarrasser des derniers vestiges de leur "moi", avant de les revêtir du vêtement blanc de la perfection» (21). Ce que dit Paul sur le combat spirituel dans sa lettre aux Éphésiens, s'applique très bien aux derniers moments de notre vie qui peuvent être des «jours mauvais» où il faut saisir «le bouclier de la foi». Il ne faudrait pas cependant revenir à la crispation médiévale sur le moment de l'agonie comme si tout se jouait là, le salut ou la damnation. J'ai la conviction qu'on meurt comme on a vécu, ma conviction a été confortée par plusieurs personnes, qui, elles, sont vraiment impliquées dans l'accompagnement des mourants, et qui disent la même chose. Donc si l'on meurt comme on a vécu, la meilleure préparation à la mort est de vivre!

Mais vivre vraiment, c'est aimer «Vivez dans l'amour comme le Christ nous a aimés» Éphésiens 5.2 (Parole de Vie).

Le plus souvent la mort est un processus mais la foi chrétienne aussi est un processus où nous avons à nous dépouiller des pensées de mort et des actes de mort spirituelle car c'est bien de ce qui tue notre âme et non d'abord de ce qui tue notre corps qu'il faut nous préoccuper pour pouvoir revêtir la vie nouvelle que donne l'Esprit Saint.

Luc Olekhnovitch

(1) Marie-Frédérique Bacqué, «Les deuils après euthanasie des deuils à hauts risques pour les familles les soignants et ...la société», Études sur la mort, 2001, n°120, p.113-127.

(2) Conférence «L'annonce d'une maladie grave» donnée à Meulan le 31 mai 2007 dans le cadre de JALMAV Yvelines.

(3) Murielle Jacquet-Smailovic, Avant que la mort nous sépare... patients, familles et soignants face à la maladie grave, Bruxelles, De Boeck, 2006, p.166.

(4) Marie de Hennezel, Nous ne nous sommes pas dit au revoir, la dimension humaine du débat sur l'euthanasie, Paris, Laffont, Pocket, 2000, p.118.

(5) «Exit aux portes des EMS, la mort assistée», reportage de la Télévision Suisse Romande, jeudi 9 octobre 2008.

(6) Art. «Euthanasie», Nouveau Dictionnaire de bioéthique, sous dir. Gilber tHottois et Jean-Noël Missa, Bruxelles, De Boeck Université, 2001, p.427.

(7) Jean-François Collange, La vie, quelle vie? Bioéthique et protestantisme, Lyon, Éditions Olivétan, 2007, p.115

(8) Voir Delphine Montariol, «l'assistance au suicide en Suisse. Un droit controversé», Médecine & Droit n°91, juillet-août 2008, pp.106-112.

(9) Corine Pelluchon, L'autonomie brisée, bioéthique et philosophie, Paris, PUF, 2009.

(10) Ibid. p.61.

(11) Ibid. p.63.

(12) JohnWyatt, Questions de vie et de mort, Cléon d'Andran, Excelsis, p.250.

(13) Samuel Gerber, Mourir s'apprend, Bâle, EBV, 1984, p.65.

(14) Nous nous inspirons ici des catégories proposées par AgataZielinski, philosophe, lors du séminaire «L'inquiétude en fin de vie» du 5 avril 2008 au Centre Sèvres.

(15) Denis Vasse, «Le mystère de la proximité», Christus n°182, p.194.

(16) Ibid. p.195.

(17) Catherine Leguay, Mourir dans la dignité, quand un médecin dit oui, Paris, Laffont pocket, 2000, p.137.

(18) Marie de Hennezel, Jean-Yves Leloup, L'Art de mourir, Paris, Laffont, 1997, p.84.

(19) Claire Kebers, La vie in extremis, Bruxelles, Lumen Vitae, 1995, p.68. Beau chapitre très sensible et pertinent: La vérité rend-elle les choses plus vraies?

(20) Ibid. p.75.

(21) Ibid. p.36.

Source : publicroire.com