Cardinal Marc OUELLET, à la Fédération Canadienne des Sociétés de Médecins Catholiques (FCSMC), le 02/05/2010, "Etre et devenir personne" (extraits)
Je salue comme un grand signe d'espérance l'engagement renouvelé des médecins catholiques pour une culture de la vie qui soit davantage respectueuse de la dignité de la personne humaine. (...)
Engagés par le Serment d'Hippocrate et guidés par une vision anthropologique chrétienne, vous êtes confrontés à des courants sociaux qui défient ouvertement votre conscience morale et votre service professionnel.
Cette confrontation devient maintenant plus dramatique à cause de la pression accrue venant de mesures législatives (ex.: lois ou projets de lois sur l'avortement et l'euthanasie) qui touchent le traitement de la vie humaine à son début et à sa fin.(...)
Le débat (...) sur la décriminalisation de l'euthanasie a fait émerger le concept de la dignité de la personne d'un point de vue nouveau. .
Les tenants de la libéralisation de l'euthanasie interprètent ce concept d'un point de vue subjectif alléguant qu'à un certain degré de souffrance, d'impuissance ou de dégradation de l'organisme humain, la vie n'est plus « digne » d'être vécue. En conséquence, on devrait autoriser la personne qui voudrait en finir plus rapidement à procéder avec l'appui de ses proches et un support médical adéquat.
Une telle conception de la dignité, liée à l'état de santé plus ou moins délabré d'une personne, est réductrice et dangereuse. Car elle prend pour mesure et fondement une perception subjective passagère qui ne tient pas compte des valeurs sociales communes, de la loi profonde du respect de la vie inscrite dans la conscience humaine et de l'horizon global de l'existence humaine promise à un destin transcendant.
Tout leur raisonnement est articulé autour du moment insupportable qu'il faut éviter parce qu'il serait indigne de souffrir inutilement, de se voir réduit à l'impuissance, d'être soumis à la dépendance totale d'autrui et à l'humiliation de perdre le contrôle de soi-même à l'approche de la mort. À cette idéologie qui dévalorise la dignité de la personne humaine, il faut opposer une vision anthropologique globale conforme à la raison éclairée par la foi, selon la tradition judéo-chrétienne qui est la nôtre en Occident.(...)
Là où la conscience morale n'est pas faussée par la pression ambiante, par des présupposés matérialistes ou des intérêts égoïstes, la personne humaine expérimente sa vie comme un don qui lui vient du Créateur. Elle se sait spontanément redevable envers lui de sa vie et appelée à lui rendre compte de sa conduite et de l'usage de ses talents.
Parmi les valeurs confiées à la responsabilité de la personne humaine, le respect de la vie à toutes les phases de son développement apparaît comme le principe et le fondement de l'ordre moral de la société. La valeur intrinsèque de la personne humaine, fondée sur sa qualité d'être supérieure à toute la nature matérielle, constitue la base de toutes les autres valeurs. Car la personne humaine est dotée d'une âme spirituelle et immortelle qui est promise à une vie de communion définitive avec Dieu par-delà la mort.(...)
Agir autrement sans égard pour l'ordre établi par Dieu introduit un désordre aux conséquences graves et imprévisibles, comme il appert déjà de la décriminalisation de l'avortement et de l'euthanasie dans certains pays occidentaux. La rupture de l'ordre social fondé sur la reconnaissance du droit souverain de Dieu sur la vie entraîne l'affaiblissement du sens moral, la dégradation des rapports humains, la montée de la violence et la « culture de mort » dont on ne mesure plus les conséquences à venir. . Cette norme éthique fondamentale est confirmée par l'explicitation du dessein de Dieu dans le Christ, qui fournit des raisons additionnelles pour respecter la vie et la dignité de toute personne humaine.
Si chaque individu peut décider du terme de sa propre vie ou de l'existence d'une autre personne humaine malade ou en gestation dans le sein maternel, il n'y a plus aucune limite à la volonté de puissance et aux choix arbitraires. Par conséquent, notre société facilite la prolifération des situations d'injustice où le droit du plus fort l'emporte sur le droit du plus faible. Et ce sont les pauvres et les êtres les plus fragiles qui sont sacrifiés, quelle que soit par ailleurs la rhétorique de lutte à la pauvreté qui canalise les restes de conscience éthique vers des objectifs politiquement corrects.
De fait, nous constatons le déclin de notre civilisation dont les valeurs fondamentales de liberté, d'égalité et de fraternité ont perdu leur fondement universellement reconnu. Parallèlement à l'inflation des droits de l'homme, nous constatons un recul de l'humanité, dans la mesure où la domination de la force brutale, même admise par des majorités, conduit à la suppression d'êtres humains, quelle que soit la justification qu'on en donne par ailleurs à l'aide des lois et du pouvoir médiatique.
Là où la personne humaine n'est plus respectée dans sa dignité ontologique, c'est-à-dire dans son être même indépendamment de sa race, de sa couleur, de son statut social, de son état de santé, de son sexe, de sa dimension microscopique de zygote, la porte est ouverte à tous les abus, à toutes les manipulations. Le rempart de la vie civilisée est abattu et la démocratie elle-même est menacée.
Si on ne respecte pas la personne humaine tout simplement parce qu'elle est une personne humaine ou un être humain, on supprime le fondement des normes qui régissent la vie en société, c'est-à-dire le fondement du droit. On fait place à un autre fondement, consensuel, aléatoire, éphémère, évolutif et mouvant.
Une personne humaine a droit à la vie parce qu'elle est une personne humaine et non parce qu'elle est attendue, désirée, qu'elle ne dérange pas, qu'elle ne menace pas, parce qu'elle ne coûte pas cher, etc. Il n'y a pas de raison qui déboute la raison fondatrice, la valeur première, le pilier qui soutient tout l'édifice.(...)
Dans une société où on abhorre la discrimination sous toutes ses formes, on instaure la discrimination à l'égard des êtres les plus faibles, le plus incapables de se défendre.(...)
Non seulement cet être humain est incapable de se défendre, mais on prive ceux et celles qui voudraient le défendre des moyens légaux pour le faire. En d'autres termes, on érige l'iniquité en système et on façonne l'opinion publique à grand renfort de pression médiatique avec la valeur suprême de l'affirmation de soi et de la liberté de choix, sans égard pour la dignité de la personne humaine.(...)
La philosophie contemporaine a beaucoup développé la dimension interpersonnelle de l'être humain, soulignant l'importance des rapports familiaux, la signification symbolique du corps, le caractère structurant du langage, la dynamique de l'éducation fondée sur le dialogue, la participation et le témoignage.(...)
Mais (...) c'est la qualité de l'amour qui détermine l'épanouissement de la personne, tant dans ses relations humaines ici-bas que dans le prolongement de sa vie dans l'éternité. Le sens plénier de la vie humaine qui fonde l'éthique ne peut être que la ressemblance trinitaire qui polarise toutes les énergies de la personne humaine vers l'Amour qui contient le bonheur éternel.
Toutes ces considérations nous aident à comprendre l'exigence du respect de la vie à toutes les phases de son développement, de la conception à la sépulture. Elles justifient par conséquent qu'en fin de vie, on pratique des soins palliatifs de qualité au lieu d'éliminer les patients qui souffrent, car ils peuvent continuer à grandir jusque dans l'extrême faiblesse.(..)
(...)quand on voit évoluer l'Occident vers une « culture de mort » de plus en plus envahissante, on ne peut s'empêcher de tirer la sonnette d'alarme. Avortements massifs, suicides décuplés, euthanasie en progression géométrique, foyers détruits, couples éphémères, conjoints non-mariés, enfants non désirés ou instrumentalisés, techniques raffinées d'eugénisme et de régulation des naissances, manipulations génétiques, etc., etc. Tous ces faits mettent en évidence le désarroi d'une humanité déboussolée et aspirée par le néant.
On constate tristement l'absence d'une norme éthique claire, universellement admise et respectée, qui garantirait l'ordre social et donc un vivre ensemble dans l'égalité des droits et la liberté pour tous.
Cette norme éthique existe et ne peut être que le respect inconditionnel de la personne humaine en raison de sa dignité native, de son alliance personnelle inviolable avec Dieu et de sa contribution unique et irremplaçable au bien commun de l'humanité. Reconnaître cette norme et son fondement devient la tâche la plus urgente et la responsabilité la plus grave en particulier dans le domaine médical et dans la gestion de la santé publique.
C'est pourquoi il ne suffit plus de nos jours que les médecins assurent un service professionnel de qualité, appuyés sur les ressources scientifiques de leur formation médicale. Il leur faut une formation éthique supérieure et un engagement social déterminé pour assurer le respect de la personne humaine à tous les niveaux et à tous les stades de son développement. Ce double engagement répond aux conditions actuelles d'exercice de la profession médicale qui a besoin d'être protégée et même restaurée.
Cet engagement au respect inconditionnel de la personne humaine vaut autant pour le foetus que pour le mourant, de même que pour le malade réduit à un état végétatif. Ce respect concerne évidemment le médecin et sa conscience, et tous les responsables de la santé, qui ont besoin de s'appuyer dans leur travail sur des balises claires, des valeurs sûres, sans être placés sous la pression d'intérêts autres que le soin consciencieux de la personne malade.(...)
Je félicite tous ceux et celles qui osent se lever pour dire une parole constructive, une parole libératrice, une parole qui unit les défenseurs de la personne humaine dans une lutte pacifique et courageuse pour son bonheur véritable. N'oublions jamais que ce bonheur engage, par delà l'horizon terrestre, la vie éternelle.
Source : Eglise catholique de Québec