Dix ans d'euthanasie : un heureux anniversaire ?
La Libre Belgique, mis en ligne le 13/06/2012 (extraits)
L'euthanasie est-elle la manière appropriée de rencontrer la souffrance des personnes en fin de vie ?
Dix ans après la dépénalisation de l'euthanasie en Belgique, il nous semble important de réfléchir à cette question. Partons d'un constat : des soins médicaux appropriés, un accompagnement psychologique et une présence aimante aux côtés du malade suppriment souvent la demande d'euthanasie. Il arrive un moment où les traitements curatifs deviennent inutiles et sources de désagréments disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés. Tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire qu'ils doivent être arrêtés pour ne pas tomber dans l'acharnement. Par contre, il faut continuer et intensifier les soins d'accompagnement et de confort, c'est-à-dire les soins palliatifs. Ceux-ci favorisent une authentique mort dans la dignité, tout en évitant d'abréger délibérément la vie. De très nombreux professionnels de la santé et bénévoles accompagnent la vie finissante avec une persévérance qui force l'admiration. Jour après jour, rejetant toute forme d'acharnement thérapeutique, ils mobilisent les ressources de plus en plus efficaces de la médecine actuelle pour soulager et rendre supportable la douleur physique. Par leur écoute, leur professionnalisme et leur générosité de cœur, ils apaisent le malade et le soutiennent jusqu'à son dernier souffle de vie. La présence de la famille et des proches est elle aussi essentielle.
En des moments particulièrement intenses, nombreux sont ceux qui ont découvert qu'au lieu de donner la mort, il est plus beau et gratifiant de donner de la qualité de vie jusqu'au bout. Sans aucun doute, toute demande d'euthanasie doit être écoutée et reçue avec compréhension. Nous mesurons en effet l'extrême gravité et le poids de ces situations angoissantes où le patient n'en peut plus. Mais la société doit-elle nécessairement accéder à cette demande ? Une telle demande est souvent un appel à l'aide. A cet appel, et il faut le redire avec force, la seule réponse appropriée est de soutenir le désir de vivre qui se manifeste dans toute expression d'une demande de mort. (...)
L'euthanasie est souvent revendiquée comme l'ultime liberté : celle de pouvoir choisir l'heure et la manière de sa mort. Toutefois, remarquait récemment Luc Ferry, elle fait peser sur le médecin la charge de procurer cette mort. On se retrouve ainsi confronté au paradoxe d'une liberté qui met en lumière l'absence d'autonomie de l'individu par le besoin qu'il a d'autrui pour mourir. L'euthanasie est donc loin d'être une affaire purement individuelle.C'est ce qui distingue l'euthanasie de la "liberté" du suicide qui, tout en interpellant la société, ne reçoit pas son aval et n'engage pas le corps médical.
L'autorisation légale de l'euthanasie a quant à elle un impact sur le tissu social et sur notre conception sociétale de la médecine. Elle transgresse un interdit fondateur et affecte en cela même les bases de notre démocratie, en délimitant une classe de citoyens à qui on peut donner la mort avec l'aval de la société. Dès lors qu'elle revêt une indéniable dimension sociopolitique, l'euthanasie peut être légitimement récusée au nom d'intérêts publics supérieurs : la sauvegarde des fondements de la démocratie et la protection de la spécificité de la médecine, connue depuis toujours comme l'"art de guérir", et non comme l'art de faire mourir.
Notre propos est largement attesté par les faits : l'euthanasie dégrade la confiance au sein des familles et entre les générations; elle instille de la méfiance à l'égard des médecins; elle fragilise les personnes les plus vulnérables qui, sous l'effet de diverses pressions, conscientes ou inconscientes, peuvent se croire moralement obligées d'exprimer une demande d'euthanasie.
En dépénalisant l'euthanasie, la Belgique a ouvert une boîte de Pandore. Les dérives envisagées il y a dix ans sont aujourd'hui devenues une réalité. (...) Comme il était prévisible, une fois l'interdit levé, nous marchons à grands pas vers une banalisation du geste euthanasique. Force est de constater que, paradoxalement, plus une société refuse de voir la mort et d'en entendre parler, plus elle se trouve encline à la provoquer.
Dix ans après la dépénalisation de l'euthanasie en Belgique, l'expérience atteste qu'une société faisant droit à l'euthanasie brise les liens de solidarité, de confiance et d'authentique compassion qui fondent le "vivre ensemble", et en définitive se détruit elle-même. (...)
Collectif de professionnels
Dr B. ARS, président de la Société médicale belge St-Luc; Prof. J.-M. AUWERS (UCL); Dr Ph. BALLAUX, Dienst Hartchirurgie, Gent; Dr B. BEUSELINCK, oncologue, UZ Leuven; Prof. O. BONNEWIJN (IET, Bruxelles); V. BONTEMPS, présidente de l'Arche, Bruxelles; J-M. CHARLIER, coordinateur de l'ASBL Emmanuel Adoption; Prof. L.-L. CHRISTIANS (UCL); Dr G. de BETHUNE, pédiatre, membre du Conseil national de l'Ordre des médecins; Dr I. DE BOCK, médecin en soins palliatifs, Bruxelles; Prof. em. H. DE DIJN (KULeuven); Prof. em. A. de HEMPTINNE, Faculteit Geneeskunde, UGent; Prof. J.-P. DELVILLE (UCL); Dr C. DENEYER, Bruxelles; Prof. P.-A. DEPROOST (UCL); Dr A. de RADIGUÈS, pédiatre, Bruxelles ; Dr P. DESCHEPPER, Belgische Artsenvereniging St-Lucas; Prof. em. L. de THIBAULT de BOESINGHE, oncologue, UGent; Dr J.C. DEVOGHEL, directeur hre., Centre douleur CHU, Liège; Prof. T. DEVOS, hématologue, UZ Leuven; Prof. Chr. de VISSCHER (UCL); Dr X. De WAGTER, cardiologue, Gent; Prof. Ph. de WOOT (UCL); Prof. ém. X. DIJON (FUNDP); Dr C. DOPCHIE, oncologue, Tournai; Dr Th. FOBE, Bruxelles; Dr P. FORGET, anesthésiste-réanimateur, UCL) ; Dr M. FRINGS, médecin spécialisée en soins palliatifs; Prof. M. GHINS (UCL); W. HANCE, pasteur à La Louvière; Dr C. HENDRICKX, Charleroi ; Prof. J.-M. HENNAUX (IET, Bruxelles) ; Prof. X. HERMAND (FUNDP) ; Dr Ph. HERMANNS, Gent; Prof. L. ISEBAERT (UCL) ; Dr Ch. JANNE d'OTHÉE, pédiatre, Bruxelles; M. Mustafa KASTIT, imam et théologien; Prof. D. LAMBERT (FUNDP); Prof. Baudouin LE CHARLIER (UCL); Prof. Ch. LEFEBVRE, (UCL); Dr Th. LETHÉ, Bruxelles; Prof. I. LINDEN (FUNDP); Dr P. LOVENS, Bruxelles; Dr J.-B. LINSMAUX, Psychiatre; Prof. D. LUCIANI (UCL); Prof. S. LUTTS (UCL); M. Yacob MAHI, professeur de religion islamique; Prof. A. MATTHEEUWS (IET, Bruxelles); Prof. J. MENTEN, radiothérapie-soins palliatifs, UZ Leuven; Prof. F. MIES (FNRS-FUNDP); Prof. E. MONTERO (FUNDP); X. MULLER, philosophe; Prof. D. MANICOURT, Cliniques univ. St-Luc, Bruxelles; J. PAUTUT, pasteur à Mons; Prof. A. PERSU, Cliniques univ. St-Luc (UCL); Dr Th. PHILIPS, cardiologue, UZ Leuven; Dr K. PEDERSEN, neurologue (Erasme); Prof. H. REYCHLER, Cliniques univ. St-Luc (UCL); Prof. L. RIZZERIO (FUNDP); Prof. ém. H. SIMONART (UCL); Dr. A. SEGHERS, gynécologue; Désirée SEGHERS, juriste; Prof. B. STEVENS (UCL); R. STOCKMAN, médecin dans la santé publique, Generale Overste van de Broeders van Liefde; Dr. M. STOENOIU, chef de clinique adjoint, Cliniques univ. St-Luc, Bruxelles; J.-Cl. THIENPONT, pasteur de l'Eglise protestante d'Ixelles; Dr M. THOMEER, pneumologue, Genk; Prof. R. TROISI, Ghent University Hospital Medical School; Prof. ém. L. VAN BUNNEN (UCL); Dr P. VAN EYKEN, anatomopathologiste, Genk; Prof. ém. D. van STEENBERGHE (KULeuven); Dr P. VUYLSTEKE, Oncologue, Namur; H. WOUTERS, orthopédagogue, membre du directoire de l'European Association for Mental Health in Intellectual Disability.
Source : La Libre Belgique