Euthanasie : « Quand la loi remplace la conscience »
Chantal Delsol, 27/03/2015, extraits
Valeurs d'avenir. Chantal Delsol est philosophe, membre de l’Institut. « On demande à l'Etat de dire le Bien pour éviter l'angoisse de décider », déplore-t-elle.
La question de la fin de vie interroge et parfois met en cause les principes fondateurs. ...
Les débats autour de cette question marquent avec acuité les métamorphoses des mentalités dont nous sommes les acteurs et les témoins.
Curieusement, on observe ici à la fois une radicalisation de l’individualisme et un effacement de la conscience personnelle. L’individu souverain voudrait avoir désormais la maîtrise totale de son destin : puisque je dois encore mourir (pas pour longtemps, nous promet le posthumanisme), au moins que je sois sûr d’en choisir le moment.
La loi morale élémentaire, antique et universelle, « Tu ne tueras pas », se donne partout des exceptions. Dans toutes les sociétés, ce sont la guerre et la peine de mort : les sociétés s’estiment fondées à tuer ceux qui les menacent. La modernité tardive, qui rejette avec dégoût la peine de mort et la guerre, et simultanément légitime l’IVG, même à un stade avancé de la grossesse, et l’euthanasie, marque par là la métamorphose des critères. Ce n’est plus la survie ou la sécurité de la société qui peut légitimer une exception au « Tu ne tueras pas », mais le refus de la souffrance individuelle (physique ou psychique).
Les lois sur la fin de vie vont cependant plus loin que ce déploiement de la souveraineté individuelle. Outre qu’elles traduisent un déplacement des critères de valeur, elles traduisent aussi un rabaissement de l’idée de conscience personnelle.
Les principes moraux élémentaires sont surplombants ; et pourtant toujours récusables par la conscience personnelle, dans des cas tragiques et au prix d’un débat intérieur. Les cas d’euthanasie existent et ont toujours existé. Dans des situations si singulières et si graves, des consciences individuelles prennent une décision. Mais on voudrait que cette exception au « Tu ne tueras pas » soit légalisée, qu’elle ne soit plus à la merci de la conscience personnelle. On voudrait que les individus jetés dans ce drame puissent appliquer une loi et ainsi s’exempter de l’angoisse de se prononcer, de la responsabilité et des éventuels remords. Le cas est le même pour l’IVG, pour laquelle nous recherchons toujours plus de loi déterminante, toujours moins de réflexion individuelle. Il y a là une récusation du tragique humain, une volonté de passer à la toise de la loi les situations les plus complexes. Dans les directives anticipées aussi, c’est la conscience personnelle qui se trouve dévalorisée, contrairement à ce que l’on pense : car je ne peux jamais préjuger de ce que je déciderai en situation limite ; dans cette situation, sans doute trouverai-je des ressources dont aujourd’hui je n’ai même pas idée ; une personne n’est pas une essence immuable, mais une entité en perpétuel développement.
La demande de légalisation toujours plus précise indique la persistance du positivisme juridique, déjà si présent au XXe siècle : la morale, ce ne serait rien d’autre que la loi positive, et ce qui est permis par la loi serait forcément bon — que l’État dise le Bien et nous ne nous poserons plus de question ! Au fond, nous voulons peut-être oublier que l’éthique traduit un perpétuel débat intérieur et extérieur — qu’elle engage notre responsabilité de personne libre, bien davantage que notre docilité de citoyen. ...
Les voix continuent à s’élever pour que nous adoptions les lois de certains pays voisins sur le suicide assisté. Ce qui est en jeu, c’est le maintien ou la récusation de la culture de vie qui anime le judéochristianisme depuis les origines, et pas seulement le sacre de la volonté individuelle. Car la Belgique en est déjà à programmer l’euthanasie des malades inconscients et des enfants : on bascule vite de l’« eugénisme libéral » (Habermas) à la suppression des “hommes en trop”. Pour nous tenir à cet équilibre précaire et éviter de tomber dans des extrêmes qui nous répugnent, il nous faudra argumenter sans cesse et demeurer nous-mêmes dans la modération.
Source : valeursactuelles.com