Pourquoi la loi sur la fin de vie risque d'affaiblir les soins palliatifs
FIGAROVOX/ ENTRETIEN - Alors que la proposition de loi portée par Alain Claeys et Jean Leonetti a été largement adoptée à l'Assemblée, Jean-Frédéric Poisson, auteur de Personne ne doit mourir seul prône un renforcement des soins palliatifs en France.
Titulaire d'un doctorat de philosophie Jean-Frédéric Poisson est député des Yvelines et élu local. Il est également président du Parti chrétien-démocrate. Auteur de plusieurs ouvrages sur les questions bioéthique et sur la dignité humaine, son dernier livre Personne ne doit mourir seul vient de paraître aux éditions universitaires.
Le titre de votre livre reprend ce que vous désignez comme le principe fondamental des soins palliatifs «la vie humaine est digne jusqu'au dernier instant, par conséquent personne ne doit mourir seul». Cependant, les patients qui se font euthanasier ne meurent pas seuls puisqu'on les «aide à mourir». De quelle solitude parle-t-on finalement?
Effectivement, dans une démarche d'euthanasie on est par définition accompagné: c'est une autre personne qui administre la dernière piqure. Mais la mécanique du suicide assisté ressemble à celle de l'accompagnement seulement en apparence. Cette mécanique consiste en effet à accepter l'idée que la mort est une affaire personnelle, comme le souligne le titre du livre du président de l'ADMD: Ma mort m'appartient. En fin de compte nous aurions le droit d'aménager notre mort exactement comme nous le souhaitons, y compris d'ailleurs si autour de nous personne n'est d'accord sur cette façon que nous avons choisi de mourir. Ce suicide assisté relève en réalité d'une solitude abyssale puisque l'on se fait complètement propriétaire d'un évènement qui a un caractère collectif.
La mort de chacun d'entre nous interpelle l'ensemble du corps social, même si nous n'en avons, évidemment pas conscience, dans la mesure où chaque décès nous replace dans notre condition d'homme mortel. Sa dimension sociale est donc évidente. A chaque fois que celle-ci est écartée, on replace l'homme devant l'une de ses plus profondes angoisses: mourir seul.
L'euthanasie apporte une réponse extrêmement partielle, pour ne pas dire illusoire à cette angoisse alors que les soins palliatifs, dans la mesure où ils consistent à accompagner jusqu'à la dernière seconde, garantissent à chacun qu'il ne mourra pas dans la solitude. Cet accompagnement se fait que la personne soit consciente ou pas, c'est ce qui est émouvant dans cette pratique. Cela relève d'une logique très différente de celle du suicide assisté.
Vous évoquez également une «société post mortelle», «où la mort passe du statut du socle ontologique à celui de contingence historique». Comment cette société se caractérise-t-elle ? Quel impact sur les soins palliatifs ?
Cette expression vient d'une sociologue canadienne, Céline Lafontaine, qui observe que l'on fait de plus en plus miroiter à nos contemporains la perspective d'une vie qui n'aurait pas de fin. Cette offre alléchante s'obtiendrait de plusieurs façons: soigner le corps humain pour que sa vie se prolonge sans cesse, les fameuses piqures anti-vieillissements par exemple, substituer par clonage des organes ou encore robotiser petit à petit le corps humain -ce qu'on appelle le transhumanisme.
Cette tentation de vaincre la mort est une tentation éternelle, c'est l'histoire de l'homme au fond. L'illusion selon laquelle la condition humaine pourrait se débarrasser de la mort parce que celle-ci n'aurait rien d'inéluctable. Si nous sommes encore mortels c'est parce que nous n'aurions pas découvert le moyen scientifique de ne plus l'être. Nous n'acceptons ainsi plus l'idée que la condition humaine soit limitée et nous cherchons tous les moyens pour en sortir. La société post mortelle -à laquelle nous n'arriverons pas car c'est une utopie- entretient l'illusion que nous aurions les moyens de tout simplement supprimer la mort.
Les soins palliatifs, au contraire, ont adopté comme un principe de soin et de relation avec les patients le fait que la mort est inéluctable et qu'il faut la traiter parce qu'on ne pourra s'en débarrasser. C'est une posture inverse de celle adoptée par une société «post mortelle».
Pourquoi politiser le débat sur la fin de vie?
Nous y sommes contraints. La manière de politiser ce débat, particulièrement ces jours-ci, n'est pas la meilleure façon de le faire puisqu'elle consiste à mettre dans le champ partisan des débats publics un sujet qui ne devrait pas y figurer.
Mais à partir du moment où le débat public existe, où ces questions sont dans l'espace public, il y a une forme de politisation qui est faite. La mort est un phénomène collectif par essence car elle rappelle au corps social à la fois la limite de la condition humaine et le replace devant un certain nombre de ses obligations à l'égard des mourants. Puisque celles-ci sont des devoirs collectifs, il y a un moment où la société doit s'en saisir. Et quand la société se saisit de ses propres devoirs, on est dans le débat politique.
On pourrait croire que la question de la fin de vie n'est qu'une question de personne «ma mort est mon affaire», mais en réalité en la considérant ainsi on participe à la déstructuration du corps social.
Certains considèrent l'euthanasie comme un complément des soins palliatifs. Que vous inspire cette position?
Cette position est celle, à peu près constante, tenue par le Parti Socialiste. Manuel Valls avait soutenu sa proposition de loi pour légaliser l'euthanasie en 2009 en affirmant que l'offre de santé publique sur la fin de vie n'était pas complète, dans la mesure où il manquait la mécanique par laquelle chacun devrait pouvoir demander à être suicidé si c'était son choix personnel. On a un peu moins entendu cet argument dans les débats de ces dernières semaines, néanmoins il y a toujours cette idée que la liberté personnelle ne peut pas s'exercer de manière complète si elle ne dispose pas d'un éventail complet de «services» et qu'il faut donc compléter l'offre de soin par la légalisation du suicide assisté. Vouloir associer euthanasie et soins palliatifs est pourtant antinomique : ces pratiques relèvent de philosophies et de relation entre patients et soignants radicalement différentes.
Le gouvernement n'a fait aucun effort depuis trois ans pour développer les soins palliatifs. Leur développement pourrait en effet manifester de manière formelle qu'il n'y aurait plus besoin d'une autre offre de santé, dans la mesure où la pratique palliative répond à toutes les angoisses que peuvent éprouver des personnes en fin de vie -si elles sont prises en charge de façon correcte et généralisée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En développant l'offre palliative comme objectif prioritaire de santé publique, il y aurait le «risque» de rendre inutile toute forme de légalisation du suicide assisté et je pense que c'est ce qui a poussé le gouvernement à cesser tous les efforts dédiés à la mise en œuvre de soins palliatifs.
Le dernier rapport de la Cour des comptes a effectivement dénoncé un retard français dans le développement des soins palliatifs. Ce retard serait-il donc imputable à des motifs idéologiques?
Il y a aussi des contraintes budgétaires qu'il ne faut pas ignorer: dans une société plus riche, les choses seraient peut-être allées plus vite.
Les soins palliatifs ne sont pas qu'une pratique médicale, c'est la thèse que je soutiens dans mon livre. Au-delà d'un simple soin, c'est une anthropologie, une vision de l'homme, des rapports sociaux et une philosophie assez précise. Cette philosophie est sensiblement différente de celle que la majorité actuellement au pouvoir défend la plupart du temps.
Pour vous, le rapport Clayes-Leonetti sur la fin de vie, adopté aujourd'hui à l'Assemblée nationale, peut porter un «rude coup» aux soins palliatifs, de quelle façon?
Le fait que la sédation terminale profonde se généralise et soit facilitée par ce texte entraine le risque que celle-ci s'impose petit à petit au détriment des soins palliatifs. Cette substitution serait facilitée par le fait que l'on propose au personnel médical une solution qui est beaucoup moins contraignante, plus facile à mettre en œuvre et qui sollicite beaucoup moins de moyens cliniques. Plus prenante psychologiquement et financièrement, la pratique des soins palliatifs deviendrait moins attractive que l'apparente bonhomie et la simplicité de la sédation. L'adoption de cette mesure apporte donc un risque d'affaiblissement de la culture palliative.
La première urgence, et c'est un des objectifs de mon livre, c'est de propager cette culture des soins palliatifs pour que tout le monde la connaisse et que chacun sache que nous sommes tous en situation d'exiger, si c'est notre foi personnelle, d'être accompagné par une unité de soin palliative lorsque nous serons en fin de vie, car la culture palliative est l'une des plus importantes manifestations d'humanité dans le monde d'aujourd'hui.
Source : lefigaro.fr