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L’Euthanasie sur France 2 : plus belle la mort ?

Voudrait-on nous endormir ?

par Paulina Dalmayer, 15/03/2015

 Le patriarche décide d’en finir. Il a bâti un empire dans le domaine de la pâtisserie artisanale. Il a élevé trois enfants. Il aime la même femme depuis quatre décennies. Il a courageusement lutté contre un cancer. Mais là, il en a marre. Il décide donc de mourir debout, dans la dignité comme il dit, et comme disent tout ceux qui militent en faveur de la légalisation de l’aide active à mourir. Voilà en substance le synopsis du film Des roses en hiver, programmé en première partie de la soirée que France 2 a consacré hier au sujet de la fin de vie. On ne gâchera pas le suspense – il y en a rarement dans les productions télé diffusées aux heures de grande audience – en disant qu’au final l’octogénaire meurt chez lui, naturellement, dans les bras de son épouse bien aimée et bien aimante, à quelques jours de la date qu’il avait choisie pour son départ en Suisse. Grâce à ce dénouement, France 2 a pu habilement ménager son statut de chaîne publique, en s’attaquant à un problème de société majeur sans heurter la sensibilité de certains téléspectateurs et sans faire la promotion de pratiques illégales. Marc Lévy n’aurait pas mieux fait. Sauf que la vie, et surtout la fin de vie, ressemblent rarement à un téléfilm.

En témoignait avec beaucoup de verve Emmanuèle Bernheim dans son décapant récit Tout s’est bien passé (Gallimard, 2013), qui raconte le départ rocambolesque de son père malade pour le pays des Helvètes où, on le sait, on peut bénéficier d’une « mort douce » moyennant la modique somme de 10.000 euros. Quand bien même ce prix du passage à trépas dans la dignité est réservé aux happy few, nous autres aurions tort de les envier. En effet, ce n’est pas dans une chambre avec vue sur le lac que meurent les clients étrangers des associations d’accompagnement au suicide, mais plutôt dans des garages aménagés ou dans des bâtiments industriels, à l’instar du père de Jed Martin, le héros de Houellebecq dansLa carte et le territoire. Il n’est toutefois pas question ici de jeter la pierre à nos voisins suisses. Si la vue, ou plus précisément l’absence de celle-ci, nous froisse et si nous trouvons le forfait trop élevé, nous n’avons qu’à nous débrouiller avec nos malheurs et nos cancers en phase terminale. Inutile de dire qu’on n’y arrive pas.

Les choses n’iront pas mieux quand bien même la nouvelle proposition de loi sur la fin de vie, dont débat actuellement l’Assemblée nationale, serait votée. Son co-auteur, Jean Leonetti, présent sur le plateau lors de la discussion qui a suivi la projection du film, est probablement le dernier à croire le contraire. On dirait même que le député UMP a acquis une forme de dignité, dans son obstination déraisonnable à défendre un texte qui semble avoir pour principale qualité de pousser l’art de la nuance à son sommet. Si le projet devait passer, nous aurions en France la possibilité, en cas de maladie grave et incurable, de demander une sédation « profonde et continue » jusqu’au décès, accompagnée de l’arrêt de tout traitement de maintien en vie. Et ce, qu’il s’agisse de techniques invasives de réanimation, de traitements antibiotiques ou de nutrition et d’hydratation artificielles. La loi de 2005 en vigueur offre à peu de détails près une option identique. Certes, il serait désormais impossible de réveiller un patient une fois sédaté, ce qui est le cas à présent, du moins en théorie. Mais justement cette alternative théorique, appelée par certains médecins « le dogme de la réversibilité », marquait symboliquement la différence entre une sédation et une euthanasie. En l’abandonnant, comment nommera-t-on l’acte d’endormissement aussi profond qu’il devient irréversible, sinon euthanasie ? Une « troisième voie », selon le député PS Alain Claeys, l’autre corédacteur de la proposition de loi, laquelle écarte formellement tout recourt à l’euthanasie et au suicide assisté. Reste à savoir si les Français voudront l’emprunter, tant elle paraît sinueuse. En outre, dans la mesure où aucune loi relative à nos fin de vie – ni celle de 1999 qui devait garantir à chacun un droit d’accès aux soins palliatifs, ni celle de 2005 qui promettait de bannir la pratique de l’acharnement thérapeutique – n’a été appliquée, on s’interroge légitimement sur la démarche du législateur.

Depuis des décennies, on nous rabâche que les résultats des sondages d’opinion qui démontrent l’appui massif des Français à la légalisation de l’euthanasie ne démontreraient en réalité que leur ignorance en la matière. Ce n’est pas entièrement faux. Un des fils du vieil homme, dans Des roses en hiver, apprenant le souhait de son père, pose d’ailleurs la question : « Comment ça se passe alors ? » La veille, depuis la tribune à l’Assemblée nationale, Jean Leonetti a rappelé, non sans raison, que « ça » se passe toujours de façon violente, puisque la mort est un arrachement. Reste que pour beaucoup d’entre nous et de nos proches, « ça » pourrait se passer moins violement si nous n’étions pas obligés, par peur justifiée d’être mal ou pas du tout soulagés en France, de nous exiler pour mourir sans souffrance physique. « Ça » pourrait même se passer sans violence, si tous les Français qui en ont besoin avaient l’opportunité de profiter des soins palliatifs. Ils ne sont que 20 % à en bénéficier et souvent dans les tous derniers jours ou instants de vie. Il faudra encore attendre une trentaine d’années pour que cette couverture soit étendue à tous les mourants nécessitants. Qu’il nous soit alors permis de croire naïvement qu’en Suisse « ça » se passe dans des chambres avec vue sur le lac et de continuer de réclamer, à travers les sondages, que « ça » se passe de la même manière en France aussi.

Paulina Dalmayer