Communion de prière pour la Vie : "Jésus, Marie, protégez la vie " ! (ou toute autre prière à Dieu)

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IL FAIT SI BON VIEILLIR...

Alma ADILON-LONARDONI – Lycée Champagnat – Saint-Symphorien-sur Coise (69) - 2012

« Ils ne s’en rendent pas compte vous savez, ils sont vieux, ça ne les dérange pas... »
J’étais venue pour visiter cet institut ; cherchant un endroit pour accueillir humainement une vieille
femme souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Une employée m’a ouvert la porte et m’a menée à un semblant de salon. Trois vieilles femmes
étaient recroquevillées sur leurs fauteuils, d’un air résigné. Trois vieilles femmes sur trois fauteuils, et
une chaise roulante. Une chaise roulante vide, à un détail près. Deux prothèses de jambe gisaient à
ses pieds, revêtues de bas de laine.
Remarquant mon trouble, l’aide-soignante a devancé ma question :
« Ne vous inquiétez pas, m’a-t-elle dit, ce n’est que le fauteuil d’une résidente qui est morte il y a
deux jours. »
Mon silence sans doute en disait trop. Une fois encore, elle a semblé percevoir une once de reproche
dans mon regard – comme si je trouvais choquant que l’empreinte de la mort soit disposée
nonchalamment au milieu de trois vieilles femmes. Trouvais-je choquant ce vestige d’une femme qui
était assise à leurs côtés, sur ces mêmes chaises, trois jours plus tôt ? Trouvais-je choquant que leur
soit imposée l’évidence: « Bientôt ce sera votre tour... » ? Trouvais-je choquant que ces trois femmes
soient considérées comme suffisamment amoindries pour ne pas avoir conscience de leur condition,
pour ne pas être angoissées par une échéance placée constamment sous leurs yeux, se rappelant à
leur bon souvenir : « Bientôt ce sera votre tour... » ? Trouvais-je que ces restes, posés là, n’avaient
rien d’anodin ?
Oui, elle a semblé percevoir une once de reproche dans mon regard — comme si je considérais ces
femmes comme dignes d’attention. Comme si je les considérais dignes. Comme si simplement je les
considérais.
Devinant vaguement mon indignation, elle m’a aimablement rassurée : « Ils ne s’en rendent pas
compte vous savez, ils sont vieux, ça ne les dérange pas... »
Aujourd’hui, mesdames, messieurs, j’accuse la société de reléguer ses mères, ses pères aux
oubliettes. Je pense, oui, qu’il est choquant et même injustifiable que des individus dits « personnes
âgées » soient entassés à trois dans des chambres froides et étroites.
Je pense qu’il est bien triste que certaines maisons de retraite – pardon, établissements
d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes – soient devenues des asiles clos et malsains.
Je pense qu’il est anormal que la qualification du personnel varie d’un centre à un autre, et que les
services de qualité soient encore trop peu répandus. Je pense qu’il est indigne de notre société
d’avoir à ce point honte de ses vieux devenus inutiles qu’elle les cloître autoritairement. Je pense
qu’il est inacceptable que ces personnes soient considérées comme des enfants, voire comme des
objets.
C’est nous qui sommes les enfants, mesdames, messieurs, nous qui leur devons tout.
Nous avons été protégés par nos parents durant toute notre enfance. Maintenant que nous n’en
avons plus besoin, que les rôles pourraient être échangés, pourquoi prendre la peine de leur rendre
la pareille ?
Comment peut-on penser qu’une personne âgée n’a plus rien à nous apporter ? Un regard autre, qui
a connu d’autres valeurs et qui a su acquérir une sagesse particulière ne nous est-il plus nécessaire ?
N’a-t-on pas besoin de se remettre en question auprès d’une simplicité revendiquée par ces
personnes ? Finalement, il me semble parfois que, contrairement aux clichés que véhicule notre
société, ce ne sont pas eux les assistés, mais bel et bien nous...
Bien évidemment, il n’y a pas un seul type de personne âgée. Mais, de nous aux personnes âgées, il
n’y a qu’une figure : l’être humain. Il serait bon de ne pas l’oublier.
Nous sommes plongés dans une loi du plus fort, dans une course au profit et à l’efficacité, à la
rentabilité, la rapidité, qui évince et dévalorise la vieillesse de notre société.
Dès lors que les portes de la redoutable maison de retraite sont franchies, le statut de la personne
change. On n’est plus un être humain mais un « résident ».
Je ne cherche pas à généraliser. Les conditions de vie en maisons de retraite que je dénonce ne
s’appliquent heureusement pas à tous les établissements. Mais ceux dans lesquels l’on peut attendre
un minimum de respect, lorsqu’ils ne sont pas hors de prix, affichent bien souvent complet. De
même, bien sûr, tous les aides-soignants ne sont pas des irresponsables insensibles. Mais si certains
le sont bel et bien, beaucoup d’autres n’ont peut-être pas le choix... Parce que l’intégralité du
système médical public est gérée en amont.
Au-delà d’un personnel peu consciencieux, c’est l’État le plus responsable, qui de sa jouvence
immaculée, ne perçoit rien d’autre que des chiffres un peu flous. Une aide-soignante pour quatre-
vingts pensionnaires, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des économies en plus, et si ça doit être au
détriment de vies humaines, qu’à cela ne tienne ? Quelle importance que des êtres humains
pourrissent dans des geôles impersonnelles, dans une souffrance qui pourtant serait évitable, quelle
importance que de vieilles femmes incontinentes soient parquées dans leurs lits par manque de
temps ? Quelle importance que le personnel n’ait pas le temps de veiller à ce que ces personnes
prennent les repas qui ont été balancés à la hâte dans leur chambre, si bien que les hospitalisations
pour déshydratation sévère fassent désormais partie de la routine ? Quelle importance aussi que des
pensionnaires soient, au nom de leur prétendue sénilité, gavés de médicaments lourds et nocifs, et
surtout injustifiés ?
Ces réalités durement envisageables sembleraient tout droit sorties d’un film tel que « Vol au-dessus
d’un nid de coucou », qui dépeint la douleur extrême des « asiles de fous » à une époque où les
maladies mentales étaient considérées comme honteuses et dangereusement incurables... Et
pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître, celles dont je vous parle sont perpétrées
aujourd’hui plus que jamais, sur des individus inoffensifs et vulnérables et dans des lieux clos à
l’atmosphère insupportable. Comment ne pas se dégrader lorsque l’on n’est plus traité comme un
être humain, et surtout, comment garder un semblant de dignité dans une telle situation ?
Il est inacceptable que des établissements pour personnes âgées soient devenus des entreprises à
but lucratif. Là où le seul maître mot devrait être bien-être et entraide, c’est l’argent qui régit la vie
de personnes considérées comme « en fin de vie », et c’est ce seul titre qui fait s’imaginer à certains
que leurs dérives et abus sont justifiés.
Le Président, Monsieur Sarkozy nous avait promis, au début de son mandat, un nouveau dispositif de
financement de la prise en charge de la perte d’autonomie. Nous l’attendons toujours. Nous
l’attendons et, avec nous, des millions de personnes âgées délaissées et abandonnées à leur
souffrance.
Ces dérives ne sont pas seulement immorales, elles vont aussi à l’encontre de la Déclaration
Universelle des droits de l’homme.
Le premier article, en effet, stipule clairement que : tous les êtres humains naissent libres et égaux en
dignité et en droits et qu’ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les
autres dans un esprit de fraternité.
Que l’on m’explique où est la fraternité dans le fait de se considérer supérieur à d’autres êtres
humains, sentiment simplement appuyé par leur situation physique. Que l’on m’explique aussi dans
quelle mesure l’on peut dire d’une personne retenue contre son gré en maison de retraite, qu’elle
est libre. Que l’on me dise quelle dignité il reste à quelqu’un dont la présence en établissement va
dans l’imaginaire collectif automatiquement de pair avec une dégradation intellectuelle, voire une
sénilité aiguë.
Qu’enfin l’on me justifie la distinction qui s’est peu à peu creusée entre les droits de l’homme, et les
droits de la personne âgée. Ne sommes-nous plus humains lorsque nous vieillissons ?
Je souhaiterais comprendre, Mesdames et Messieurs, pourquoi la plupart des personnes âgées se
voient forcées de renoncer à ces droits fondamentaux.
L’article 5 de la déclaration, quant à lui, ne fait qu’appuyer mon incompréhension :
Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Pourquoi l’État, la société, les citoyens, tolèrent-ils que ce principe soit bafoué chaque jour, au sein
même du pays des droits de l’homme ?
Pays des droits de l’homme ... Il est beau, le pays des droits de l’homme, pas même capable de
respecter ses racines.
Notre belle patrie, qui se veut à son plus haut degré de civilisation, également dans la manière dont
elle fait respecter ses lois (et ses droits, cela va sans dire), en oublie peu à peu que tout ce qui
constitue les anciennes coutumes n’est pas bon à jeter.
Les coutumes amérindiennes par exemple, qui ont conservé leur sens du respect traditionnel, me
paraissent hautement plus louables que celles de notre société actuelle.
Dans la tradition amérindienne, le vieux sage est capable d’enchanter, de favoriser le rêve, de deviser
à voix haute, d’initier, de transmettre, de conseiller, de montrer le chemin, de rendre compte de
l’Histoire...
De notre côté, aujourd’hui, une personne qui vieillit perd de son utilité et de son efficacité. Elle est
amoindrie, c’est là le seul statut qu’on lui reconnaît. Comment accorder son estime à quelqu’un à qui
on refuse seulement l’écoute ?
Mais le plus dérangeant sans doute, c’est que dans l’ensemble de notre société, qui prône et
magnifie l’éternelle jeunesse, la vieillesse soit vue aujourd’hui comme une échéance cruelle et
insurmontable, comme une épreuve douloureuse et non plus comme une étape naturelle de la vie
d’un homme.
Des solutions existent. Nous devons faire face à l’inacceptable et ne pas oublier qu’un jour, bientôt, à
nous aussi, ce sera notre tour...
Je demande, Mesdames et Messieurs, au nom de tous ceux qui souffrent depuis trop longtemps, une
hausse réelle du personnel dans notre société.
Je demande à ce que bien-être et traitements respectueux ne soient pas des services qui se
monnayent, mais à ce qu’ils soient accessibles à tous.
Je demande à ce que maison de retraite ne soit plus synonyme d’hospice ni de mouroir, mais de lieu
d’accueil solidaire et fraternel.
Je demande la dignité.