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Donnons-lui envie de vivre ! Réponse à Monsieur Comte-Sponville sur l’euthanasie

par Cyril Brun, cyrano.net, 20/03/2014, 3ème partie

1ère partie : Euthanasie et société

2ème partie : Dignité de la vie humaine

Un rapide survol des arguments présentés par M. Comte-Sponville, nous montre qu’il se situe à un tout autre niveau et que sa pensée profondément imprégnée par un certain libertarisme excessif du monde actuel ne considère pas l’homme en vérité, mais seulement son rapport au monde.

Premier argument :

Celui pour lequel il faut une loi, c’est l’idéal républicain. On ne peut pas accepter qu’une loi soit régulièrement et publiquement violée sans sanction. A chaque fois qu’un médecin, des dizaines de médecins aujourd’hui disent « j’ai pratiqué l’euthanasie, je pratique l’euthanasie, je vais continuer », aucun n’est sanctionné. C’est un mauvais coup contre la République, contre la démocratie, contre l’éducation de nos enfants. Il faut, soit sanctionner ces médecins, soit changer la loi. Je propose qu’on change la loi.

Donc la République repose sur le principe législatif suivant : commettre en nombre des actes illégaux jusqu’à ce qu’ils deviennent légaux ? Donc la république est un socle mouvant sur lequel rien de stable ne peut se fonder ? Voilà de quoi donner du grain à moudre pour les antirépublicains et vider de toute substance les fondements du droit.

Deuxième argument :

L’euthanasie existe de fait et elle est très loin d’être exceptionnelle. Je rappelle les chiffres donnés par le professeur François Lemaire qui dirige le service de réanimation de l’hôpital Henri Mondor : sur 50 % des décès dans les services de réanimation, 50 % relèvent de l’euthanasie passive, et 10 % du total relèvent de l’euthanasie active, à savoir d’injections avec intentionnalité de décès. C’est considérable, 10% ! Autrement dit, quand bien même l’euthanasie resterait une exception pour la très grande majorité des médecins, à l’échelle de la société ce n’est plus une exception. Dès lors, on ne peut plus accepter de laisser cette question dans le silence de la loi.

La loi n’est pas silencieuse. Se donner la mort est un suicide, donner la mort est un meurtre. Il suffit d’appliquer la loi pour pallier à ce second argument. Un tel argument est donc irrecevable. La république a déjà légiféré. Avec de tels argumentaires, nous pouvons nous poser la question suivante, le nombre d’actes pédophiles débouchera-t-il un jour sur une légalisation de l’exception ?

Troisième argument :

Faire une loi sur l’euthanasie est la seule façon de la contrôler réellement et de combattre d’éventuelles et déjà réelles dérives. On ne dira jamais assez qu’il y a dans nos pays des services où l’on pratique l’acharnement thérapeutique, c’est vrai, mais aussi d’autres services où l’on pratique l’euthanasie à la sauvette et de manière abusive. On m’a rapporté un nombre énorme de cas de patients conscients, euthanasiés sans qu’on leur demande leur avis. Ce n’est pas de l’euthanasie, c’est un assassinat ! La seule façon de contrôler l’euthanasie, c’est qu’il y ait une loi : dès lors que l’euthanasie est censée ne pas exister aucun contrôle n’est possible. Comment voulez-vous contrôler le néant ? Reconnaissons que l’euthanasie existe, légiférons justement pour combattre le risque de dérive et pour instaurer un certain nombre de contrôles en amont et en aval. De ce point de vue, les exemples des Pays-Bas et de la Belgique sont tout à fait intéressants.

Il s’agit encore de légiférer sur l’exception ce qui nous renvoie au point précédent. La réponse à cet argument semble bien au contraire dans l’organisation des contrôles, par une éthique et une véritable application de la loi. Le problème que soulève M. Comte-Sponville est finalement un simple problème judiciaire. Il conviendrait donc plutôt d’organiser une action pour l’application scrupuleuse de la loi.

Quatrième argument :

Le plus désagréable, le plus glauque, mais enfin il faut bien en parler aussi. C’est le coût économique de l’acharnement thérapeutique. Un médecin me disait que la moitié de ce que dans notre existence, nous allons coûter à la Sécurité sociale, nous le lui coûterons dans les six derniers mois de notre vie. Quand c’est pour six mois de bonheur, ou simplement de bien-être relatif, ceci vaut largement le coût. Quand c’est pour six mois d’agonie pour quelqu’un qui, au contraire, supplie qu’on l’aide à mourir, je trouve que c’est payer un peu cher ces six mois de malheur et d’esclavage.

La France périt aujourd’hui d’une confusion dans le langage de ses élites. Malheur et souffrances ne sont pas la même chose. L’accompagnement de la fin de vie a vu se multiplier de très nombreuses initiatives qui révèlent que c’est la souffrance morale, celle de l’abandon et de la relégation comme un être inutile et pesant que veulent combattre les personnes qui souffrent. Aimer quelqu’un, lui donner d’être attentif aux autres, ne coûte rien. .. Sauf en investissement personnel.

L’acharnement thérapeutique demande aussi une meilleure application et peut-être un meilleur encadrement législatif, c’est une évidence. Mais ce n’est pas parce qu’il manque d’huile dans les gongs de la porte qu’il faut jeter toute la porte.

Cinquième argument :

Un argument de justice sociale. On ne peut accepter qu’il y ait dans notre pays une mort à deux vitesses. Certains, parce qu’ils ont les moyens de choisir leur clinique, parce qu’ils connaissent des médecins à l’inverse d’autres, des millions de gens qui ne sont pas maîtres de leur mort, me paraît un scandale social.

Traduit, un tel argument revient à dire que se suicider, acte privé et personnel qui ne concerne pas la société doit être pris en charge par la société. L’euthanasie ne concerne pas le bien commun et pas même l’intérêt général, sauf à dédouaner les responsabilités médicales et familiales de solidarité élémentaires. C’est une décision privée.

Dernier argument :

Nous ne pouvons pas laisser aux médecins ni aux proches des malades le poids d’une telle responsabilité, ou en tout cas, et pour mieux dire, nous ne pouvons pas les laisser porter seuls cette responsabilité. Personne ne peut bien sûr les en dispenser, mais il faut au moins que le corps social, c’est-à-dire la démocratie donc la loi dans l’Etat de droit, assume collectivement cette responsabilité afin que les médecins, d’une part, et les proches, d’autre part, puissent ensuite individuellement assumer la charge qui leur revient.

Cet ultime argument illustre la réponse au précédent, il s’agit bien de dédouaner et donc de déresponsabiliser les premiers concernés. Le rôle de la loi dans un Etat de droit est de régler les relations humaines de cet état et non de se substituer aux responsabilités personnelles. La vie doit être protégée parce qu’elle est le fondement même de la dignité humaine. Porter atteinte à la vie reste et restera toujours une atteinte à la dignité humaine intrinsèque, que la loi l’autorise ou non. La loi n’est pas là pour inventer la dignité humaine, mais pour la protéger, ce qui suppose de la considérer en vérité. Faire une loi pour l’exception, c’est ouvrir la porte à toutes les exceptions. Ce fut le cas des lois sur l’avortement, sur la manipulation embryonnaire etc. C’est aussi un aveu d’impuissance de la part de l’Etat, à faire respecter la loi et à tenir son rôle de garant du Bien Commun.

A propos de Cyril Brun 
Directeur de la rédaction du site Cyrano.net, docteur en histoire, chargé de cours à l'université de Quimper, chargé de TD à l'université de Rouen, chef d'orchestre, critique musical

Source : cyrano.net