"La France néglige ses mourants"
Par Delphine Saubaber, L'Express, publié le 10/03/2012 (extraits)
Le recours aux soins palliatifs est trop rare et trop tardif : une étude dans un CHU parisien montre les failles de la prise en charge des malades incurables. Au détriment de leur fin de vie.
Faute de culture palliative en France, ces soins sont proposés beaucoup trop tardivement au malade: quelques jours avant le décès, en moyenne.
S'il fallait une étude pour se conforter définitivement dans l'idée que la politique de soins palliatifs est un désastre en France, la voici. Edouard Ferrand, chercheur en éthique médicale et responsable de l'unité mobile de soins palliatifs à l'hôpital Foch de Suresnes, a ausculté 1500 dossiers de patients décédés dans l'ensemble des services d'un CHU parisien en 2005, 2007 et 2009. Bilan: sept ans après la loi Leonetti sur la fin de vie, qui proscrit tout acharnement thérapeutique et ouvre l'accès aux soins palliatifs à tout patient incurable, les droits des malades ne sont toujours pas respectés.
Un constat bien connu, pour commencer: 74% des patients décédés dans ce CHU auraient dû relever de soins palliatifs. Or ceux-ci n'ont été décidés que dans 39% des cas, et appliqués dans 25%. Ce qu'on sait moins, c'est que la décision d'offrir des soins palliatifs à ces patients, tous affectés d'une maladie grave et évolutive, intervient en moyenne... deux jours avant le décès! "Le soin palliatif, qui devrait s'entendre comme la prise en charge anticipée médicale, psychique et sociale du malade dont le pronostic vital est engagé, se traduit, dans les faits, par une simple phase ante mortem, déplore le Dr Ferrand. Or démarrer tôt ce soin, c'est aussi impliquer et accompagner les proches, qui peuvent préférer à une chimio un dernier voyage avec leur parent..."
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Quand celui-ci est par ailleurs inapte à dire sa volonté, la loi Leonetti, qui organise la limitation et l'arrêt des traitements, stipule que le médecin doit agir dans le cadre d'une procédure collégiale. Il doit consulter une personne de confiance du patient, son équipe médicale, et faire valider sa décision par un consultant extérieur -un autre médecin avec lequel il n'a aucun lien hiérarchique. De l'étude, il ressort que ce consultant n'a été sollicité que dans 6 % des cas. Il ressort aussi que les modalités de la décision de limiter ou d'arrêter le traitement ne sont reportées dans le dossier du patient que dans 25% des cas, alors que tout doit être "tracé". Autrement dit, si une famille, un mois après la mort de son parent proche, demande pourquoi et comment il a été décidé de le "laisser mourir", elle aura peu de chance d'être renseignée. (...)
Alors que la campagne présidentielle a relancé le débat sur l'euthanasie, toujours aussi politisé et passionnel en France, le médecin préfère, lui, le recadrer en ces termes: "Si on légifère sur les patients incurables, la question n'est pas d'opposer, comme toujours, euthanasie et soins palliatifs, mais de s'assurer que le malade qui demande la mort anticipée a pu, au préalable, bénéficier d'une démarche palliative." En août 2010, le New England Journal of Medicine publiait une étude menée auprès de patients atteints d'un cancer métastatique du poumon montrant que plus les soins palliatifs sont précoces, plus la qualité de vie est améliorée. Les malades souffrent moins de dépression. Et ils gagnent en espérance de vie -près de trois mois.
Source : L'Express