« Le glissement de la sédation profonde vers l’euthanasie est en marche, inéluctable »
par Jean-Marie Le Méné, 13/04/2022
La question de légaliser l’euthanasie ayant été posée aux différents candidats à l’élection présidentielle, une partie d’entre eux s’y est montrée favorable au cours de la campagne. Dès le lendemain du résultat, les choses se sont déjà précisées pour le vainqueur du premier tour, dont l’entourage a annoncé triomphalement que l’euthanasie serait la grande loi sociétale du quinquennat.
Car il en faut bien une. Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Nul besoin d’être grand clerc pour prédire que cette réforme ne sera pas la plus difficile à conduire. Les esprits ont été, de longue date, préparés à cette évolution, puisqu’il est convenu désormais que « l’on meurt mal en France ». Un slogan, à la signification obscure, qui suggère qu’il faudrait mourir mieux. Pour finir par mourir quand même.
Comment ? Étant entendu que le sujet s’avère délicat, une convention citoyenne fournira l’espace apaisé d’un échange, loin des idéologies, des raccourcis et des jugements hâtifs, et permettra de construire un consensus assuré. Ces préliminaires habituels sont les outils des débats démocratiques dirigés dont nous avons le secret, mais dont les conclusions sont généralement acquises. En l’espèce, le succès de la loi annoncée repose sur une raison incontournable, mais rarement évoquée : le continuum entre l’arrêt des soins et l’euthanasie.
Le « progrès » de la loi Leonetti
Pour bien comprendre, revenons quelques années en arrière. En France, les lois Leonetti et Claeys-Leonetti de 2005 et 2016, relatives aux droits des malades et des personnes en fin de vie, ont créé un contexte juridique nouveau. Présentée comme « un progrès » pour les malades et les professions de santé, la loi Leonetti a explicitement autorisé l’arrêt des traitements qui n’ont pour seul effet que le maintien artificiel de la vie du patient. Largement sujette à interprétation, cette disposition a permis au Conseil d’État de juger légale la décision médicale de provoquer la mort par arrêt de l’hydratation et de l’alimentation artificielles d’un homme placé dans l’impossibilité d’exprimer ses volontés, et qui n’était pas en fin de vie.
Au regard des souffrances provoquées par l’arrêt de la nutrition et l’hydratation, la loi Claeys-Leonetti a associé systématiquement le protocole à une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Une pratique qui vise à accélérer, voire à provoquer la survenance de la mort du patient.
Devant cette situation, les partisans de l’euthanasie ont beau jeu de dénoncer l’hypocrisie d’un système qui conduit à faire mourir une personne consentante dans un délai qui peut aller jusqu’à trois semaines, alors que quelques heures suffisent. Quel est l’intérêt d’un protocole de prolongation d’agonie qui passe manifestement pour inhumain ?
De la sédation au suicide assisté
Ce type de législation concernant l’arrêt des soins s’est répandu en Europe, notamment en Italie, où elle a donné lieu à un contentieux exemplaire, et a débouché sur une évolution législative intéressante. Au nom de quoi refuser le suicide assisté à une personne éligible à un arrêt des soins ? La Cour constitutionnelle italienne a, en effet, exclu la pénalisation de celui qui «facilite l’exécution d’une intention de se suicider formée de manière autonome et libre » dans le respect des conditions légales s’appliquant aux personnes qui pouvaient déjà choisir de mourir en renonçant à tout traitement. La Cour a ainsi établi un continuum entre l’action du médecin requise pour anticiper une fin de vie et son action pour précipiter la mort.
Pourquoi le suicide assisté continuerait-il à être pénalisé alors que l’arrêt des traitements (dont l’hydratation, l’alimentation et la respiration artificielles) suivi d’une sédation profonde et continue jusqu’à la mort ne l’est pas ? Ne s’agit-il pas de deux actes médicaux au profit des mêmes patients « autodéterminés » et dont les effets sont identiques ? C’est ainsi que la disposition contestée du code pénal italien réprimant le suicide assisté a été jugée contraire à la Constitution. Le Parlement italien a donc été
conduit à envisager une proposition de loi relative au suicide assisté qui reprend les conditions permettant l’arrêt des soins aux patients présentant une pathologie irréversible, une souffrance intolérable, bénéficiant d’un traitement de maintien en vie et capables de prendre une décision libre. On le voit, le glissement d’un arrêt des soins avec sédation – type loi Claeys-Leonetti – vers l’euthanasie dite « active » est en marche parce que le continuum est inéluctable.
Les pires arguments
Malheureusement, ceux qui refusent, en France, la légalisation de l’euthanasie utilisent, souvent avec la plus grande sincérité, les pires arguments. La plupart d’entre eux proposent en effet un développement des soins palliatifs accompagné d’une meilleure application de la loi Claeys-Leonetti. On ne saurait rendre meilleur service aux promoteurs de l’euthanasie qui savent qu’il n’y a pas de différence de nature, mais seulement un décalage de temporalité, entre arrêt des soins (incluant nutrition, hydratation et respiration artificielles) sur personne consentante et suicide médicalement assisté. En effet, la mort reste l’objectif à atteindre.
Par ailleurs, dans l’opinion publique, les soins palliatifs comprennent une fin de vie hâtée par la médecine, ce qui ne devrait naturellement pas être le but des soins. La seule manière efficace de combattre la légalisation de l’euthanasie est effectivement le développement des soins palliatifs, mais en excluant clairement de son contenu tout arrêt des soins, et ceci afin de rompre un continuum inexorable, comme le montre l’exemple italien. Anticiper la fin de vie par l’arrêt des soins ou précipiter la mort par l’euthanasie ne sont pas des actes médicaux. Les disciples d’Hippocrate le savent. Les politiques n’ont pas à leur imposer la mise en œuvre de lois sociétales qui n’ont rien à voir avec l’exercice de leur art.
Source : la-croix.com