Débat sur l'euthanasie en France: l’interdit de tuer, une loi universelle
La Convention citoyenne sur la fin de vie s’est prononcée pour légaliser l’euthanasie et le suicide assisté en France. Éclairage de Tugdual Derville, porte-parole d'Alliance Vita.
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican, 03/04/2023
La Convention citoyenne sur la fin de vie s’est prononcée dimanche 2 avril en faveur d'une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté en France. Composée de 185 Français, de 18 à 87 ans, tirés au sort, elle s'est réunie trois mois et a été reçue par le président français à l’Élysée le lendemain. Ce dernier souhaite une loi «d'ici la fin de l'été». Cette assemblée citoyenne tout de même divisée a émis des réserves sur le cas d'euthanasies d'enfants et de personnes incapables d’exprimer leur volonté. Seul le développement accru des moyens alloués aux soins palliatifs a en particulier récolté une forme de consensus.
C’est pour ce dernier point que plaident l’Église et nombres de corps de la société civile -tribune au Figaro de treize organisations professionnelles et sociétés savantes, représentant 800 000 soignants- plutôt que de promouvoir l’euthanasie. La veille du rendu des conclusions, samedi 1er avril, après neuf mois de réflexion, le Conseil national de l'Ordre des médecins s’est aussi dit défavorable à la participation des médecins à l’euthanasie.
Ces débats alimentent une réflexion touchant à la définition même de la vie et au regard porté sur la dignité de la vie humaine, et les fragilités qu'elle recouvre nécessairement. Entretien avec Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance Vita, auteur de l’essai Docteur, ai-je le droit de vivre encore un peu? aux Éditions Salvator.
Sur le fond et sur la forme, comment avez-vous perçu les trois mois d’échanges au sein de "la Convention citoyenne sur la fin de vie"?
Nous savions qu'elle serait l’occasion de remettre en cause cet interdit de tuer, élément fondateur de la confiance entre soignants et soignés. Par conséquent, nous étions inquiets. Je l’avais dit à Claire Thoury -présidente du Mouvement associatif- avant la convention, nous avons eu confirmation que le socle proposé aux 185 citoyens ne comprenait que des livres favorables à l’euthanasie. Quand le socle qui protège le faible du fort est remis en cause, surgit le risque de pousser les faibles vers l’auto-exclusion. Nous nous sommes rendus compte aussi qu’il y avait quand même une quarantaine de citoyens opposés au vote majoritaire, qui avait été choqué aussi de cette «aide active à mourir» qui dissimule les maux que sont le suicide assisté et l’euthanasie sans prendre en compte avec suffisamment de force les autres sujets plus consensuels du développement des soins palliatifs et l’accompagnement des aidants.
Que constatez-vous de la sémantique employée dans ce débat, est-elle biaisée?
Cette sémantique de «l’aide active à mourir» cache ces mots que l’on ne veut pas prononcer car ils font peur, à juste titre d’ailleurs. Un des éléments peut-être les plus graves est que l’on est en train de s’orienter vers l’idée qu’il y aurait des suicides positifs. Le risque dont nous parle les spécialistes de la prévention du suicide est qu’en connotant positivement le suicide, l’on n’aboutisse à les encourager avec un effet de contagion très bien décrit par les sociologues.
L’enjeu civilisationnel, plus encore, anthropologique, de la question est vertigineux. Légiférer sur la vie paraît oxymorique. Que tente-t-on de redéfinir ainsi?
Un choix de société s’offre à nous entre la culture de la vulnérabilité, estimant que toute personne reste toujours digne, d’être soignée, aimée, consolée, soulagée, et de l’autre côté une société où l’on érige en idoles l’autonomie et la volonté en toute-puissance personnelle, qui finit par faire de nous des êtres, non pas reliés mais avec une autonomie absolue, aboutissant à l’auto-exclusion des plus vulnérables et fragiles. Ce sont parfois les maillons faibles qui déterminent la solidité de la chaîne humaine.
La voix reste naturellement aux forts. Les fragiles et faibles ont quelques porte-voix, mais peu de voix. Le grand risque est de croire que bonne santé, bonheur, bien-être sont d’un côté, et épreuve, maladie, malheur, de l’autre. Or, l’expérience en fin de vie nous fait découvrir des moments où nous est offert simultanément cette peine et douleur et également ces moments précieux où dans la vulnérabilité l’on se dit des choses que l’on ne se disait pas en bonne santé.
Qu’attendre de la mobilisation de l’Église sur cette question, elle qui est «experte en humanité» selon le mot de Paul VI? Quelle est sa marge de manœuvre?
La difficulté réside dans le fait que les promoteurs de l’euthanasie tentent de «catholiciser» le débat. Ils aimeraient dire qu’il n’y a que les catholiques qui sont contre. Il y a par exemple Robert Badinter, artisan de l’abolition de la peine de mort en France, qui nous a confié qu’il ne croyait pas en l’euthanasie légale. Y compris pour des exceptions, car, dit-il, la loi pénale est répressive mais aussi expressive, et qu’en démocratie, «on ne tue pas».
Le Pape François a aussi dit en substance que l’être humain ne doit pas tuer, que l’on doit laisser cela aux animaux; ce n’est pas une question de religion. Nous avons d’un côté l’engagement des chrétiens, et c’est bien naturel comme peuple de la vie, de l’autre côté, ils ne doivent pas laisser croire que cet interdit de tuer serait spécifiquement chrétien. C’est une loi universelle. Pour les soignants en particulier, elle date du serment d’Hippocrate il y a 2 500 ans: «Je ne délivrerai de poison à quiconque même si l’on m’en fait la demande». Il faut que les chrétiens se mobilisent, et la voix des évêques compte, mais il ne faut pas que l’on laisse croire qu'il s'agit là d'une question spécifiquement religieuse.
Source : vaticannews.va