Europe: « La conscience bafouée des pharmaciens français »
Enquête de l’ECLJ sur l’ampleur du phénomène des «pharmaciens objecteurs» en France
Le pharmacien Bruno Pichon a été condamné en 2016 à une interdiction provisoire d’exercer pour avoir refusé de vendre un stérilet, en raison de son effet potentiellement abortif[1]. Il a ensuite dû quitter sa profession. Avec le soutien de l’ECLJ, Bruno Pichon vient de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour faire respecter sa liberté de conscience (art. 9).
Les pharmaciens sont en première ligne dans la délivrance de produits abortifs, et demain peut-être euthanasiques. Pourtant, leur droit à l’objection de conscience n’est pas explicitement reconnu par la législation française, contrairement aux autres professions médicales. Cette injustice a un impact sur la vie quotidienne de nombreux pharmaciens, qui se refusent à agir contre leur conscience morale.
L’ECLJ a enquêté afin de mesurer l’ampleur du phénomène des « pharmaciens objecteurs » en France et a constaté que le cas de Bruno Pichon est loin d’être isolé. Notre vidéo « La conscience bafouée des pharmaciens français » présente huit témoignages de pharmaciens ayant eux-aussi souffert de la violation de leur liberté de conscience. Par la « constante fidélité à [leur] conscience maintenue dans la rectitude et la vérité », ces pharmaciens ont parfois dû faire preuve d’ « héroïsme »[2].
Élodie a ainsi expliqué : « la pilule du lendemain empêche la nidation et je ne peux pas empêcher ce petit être de vivre (…), en conscience, je ne peux pas ». Comme elle, ses amies d’université qui ne voulaient pas vendre la pilule du lendemain ou le stérilet se sont rendues compte qu’« en pratique, ce n’est pas possible ». Elles ont été contraintes d’abandonner l’exercice de leur profession ou ont été licenciées.
Afin de remédier à cette situation, 85 % des pharmaciens on exprimé le souhait qu’une clause de conscience soit introduite dans leur code de déontologie[3]. Le gouvernement socialiste s’y était vivement opposé, par peur d’une remise en cause du « droit » à l’avortement et à la contraception. Josiane, pharmacien, considère que cela revient à dire avec mépris : « vous êtes là juste pour vendre les boîtes, vous vous taisez et vous faites ce que l’on vous dit ».
Dans notre enquête, Bruno Pichon explique sa démarche de requête à la CEDH : « je pense surtout aux jeunes confrères qui sont obligés de quitter ce métier qu’ils ont choisi, à tous ceux qui sont en exercice, qui voudraient exercer leur métier de façon conforme à leurs convictions et à qui l’on refuse ce droit ». La Cour va décider dans les prochains mois si elle accepte de juger cette affaire. Le cas échéant, son jugement n’interviendra que dans quelques années : le combat de l’ECLJ pour la liberté de conscience est donc de longue haleine.
La CEDH pourrait in fine donner raison à Bruno Pichon et condamner la France, conformément à sa jurisprudence. La Cour affirmait en effet en 2011 qu’il appartient aux États de « garantir […] l’exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé »[4]. Des résolutions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont confirmé « le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux ».
Lire l’étude de Grégor Puppinck sur l’objection de conscience et les droits de l’homme (CNRS, 2016).
Protéger la liberté de conscience des professions médicales, en particulier des pharmaciens, implique de garantir leur droit de ne pas participer à une action susceptible de porter atteinte à la vie humaine. Pour l’ECLJ, une telle clause de conscience est aussi indispensable à la cohérence des sociétés libérales. En effet, la liberté accordée aux individus à l’égard de pratiques moralement débattues doit avoir pour contrepartie équitable le droit de ne pas être contraint de concourir à ces pratiques.
Quelle place pour la liberté de conscience dans les sociétés libérales ?
1. Le stérilet, tout comme la pilule du lendemain, est contragestif, c’est-à-dire qu’il empêche la nidation de tout embryon déjà conçu. Autrement dit, il peut aboutir à la destruction d’un être humain au stade embryonnaire, évacué avec les saignements.
2. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Déclaration Quaestio de abortu sur l’avortement provoqué », 18 novembre 1974.
3. Voir la consultation organisée en 2016 par l’Ordre national des pharmaciens.
4. CEDH, R. R c. Pologne, n°27617/04, 26 mai 2011, §206.
5. Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux », Résolution 1763, 7 octobre 2010 : « Nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, d’accueillir ou d’assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s’y soumettre, ni pour son refus d’accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d’un fœtus ou d’un embryon humain, quelles qu’en soient les raisons ».
Source : zenit.org