"Madame, il y a quelque chose que je ne vous ai pas dit…" : pourquoi la sédation terminale n’est pas la solution miracle au soulagement des patients
Le prochain rapport sur la fin de vie pourrait proposer de banaliser la pratique des sédations "profondes et terminales jusqu’au décès", ce qui empêcherait les malades de s'exprimer lors de leurs derniers instants.
Tant de fois j’ai entendu cette phrase dans la bouche de patients "en fin de vie". Tant de fois, ces mots venaient quelques jours après que le patient eut demandé "que tout s’arrête". Et la parole qui semblait tarie, soudain se faisait entendre, partageant à la famille, aux proches, aux soignants les questions, les témoignages, ainsi que les désirs affectifs et spirituels les plus essentiels. C’est si souvent dans les tous derniers instants que la parole peut jaillir. Encore faut-il donner une place à cette parole, donner du temps, permettre aux personnes de vivre leurs derniers instants.
Et aujourd’hui, je m’inquiète quand j’entends que le rapport à venir sur la fin de vie pourrait proposer de banaliser la pratique des sédations "profondes et terminales jusqu’au décès". Laissera-t-on nos mourants exprimer leurs derniers mots ?
J’ai parfois entendu dans les services : "il est soulagé quand il dort". Mais qu’en sait-on réellement ? En endormant un patient, on le fait taire, on ampute sa parole. Comment être sûr que la souffrance plus "existentielle", liée à la peur de l’abandon, à la culpabilité, au manque d’amour, à la mort et à "l’après", est réellement soulagée ? Si la fin de vie est souvent une période de souffrance physique réelle, elle est aussi le lieu de grandes souffrances psychiques, liées à de profondes angoisses qui viennent accentuer, de façon aigüe, la douleur du corps. Soulager vraiment la douleur, ne passerait-il pas, outre la prise en charge médicamenteuse, par une présence et une écoute renforcée, tenant compte d’une vision globale de l’être ? Faire taire, est-ce la solution à l’angoisse ? En tant que psychologue, j’entends beaucoup d’angoisses d’abandon réveillées en fin de vie. Quelle serait alors une réponse médicale utilisant la sédation ? L’abandon. Le patient se trouverait seul face à ses angoisses, avec un risque réel de se laisser "glisser", mourir dans son sommeil, de manière prématurée, dans une grande souffrance restée ignorée.
Mais l’accompagnement jusqu’au bout demande une véritable force intérieure pour les soignants, en particulier pour le médecin. Lorsqu’une femme donne naissance à son enfant dans la douleur et l’angoisse, les médecins et les soignants demeurent, assurés du bienfondé du temps qui se vit. Un patient qui meure a aussi besoin d’un médecin qui connaît le prix de cette période "d’accouchement de soi-même", qui entend les angoisses que cachent les demandes d’euthanasie ou de sédation. Je suis témoin, comme tant de soignants, que les ultimes moments de vie peuvent devenir des moments de maturation, de retrouvailles familiales, de véritables échanges, à condition qu’un accompagnement ait été mené jusqu’au terme naturel. Oui, bien souvent il reste la souffrance physique et les angoisses, mais j’ai connu beaucoup de patients et de familles qui vivaient ces ultimes moments comme un bien précieux, malgré tout.
Soyons honnêtes, en tant que soignante, j’ai déjà pensé : "cette personne est trop mal, cela n’a plus de sens, c’est insupportable". Mais plus de sens pour qui ? Insupportable pour qui ? Pour nous, bien portants, ou pour le patient ? La question essentielle dans cette réflexion est l’intentionnalité de nos décisions. Que cherchons-nous, en vérité ? Le bien du patient, ou notre confort qui se trouve malmené devant la rudesse et l’âpreté de la mort qui rôde, de la souffrance qui ronge ? Que dit une personne qui "demande à mourir", qui "demande à être endormie" ? Elle demande notre force pour l’aider à vivre ce moment, notre présence, notre tendresse, notre profond respect.
Et lorsque j’entends : "c’est sa dernière volonté, il faut la respecter", il me semble que c’est plutôt sa dernière angoisse et que justement, elle pourra exprimer sa dernière volonté si on lui en laisse le temps et si on demeure auprès d’elle, même quand tout paraît "insupportable" ou "insensé".
La sédation dans des situations terminales extrêmes, légalisée dans l’actuelle Loi Leonetti, est peut-être nécessaire, mais doit nous laisser vigilants, conscients qu’elle représente déjà un terrain potentiellement glissant. De nombreux médecins évitent le plus possible les actes de sédation, même dans les situations extrêmes, jugeant que l’on peut le plus souvent soulager les patients tout en les laissant conscients, afin qu’ils vivent réellement leurs derniers instants, sentant une main qui serre la leur et non une main qui les endort. Mais pour cela, la formation aux soins palliatifs et aux traitements contre la douleur doit être grandement renforcée en France. C’est la priorité ! Nous sommes nombreux à être inquiets, médecins, infirmiers, aide-soignants, psychologues, intervenants paramédicaux, bénévoles, mais aussi patients. Grande est notre appréhension face à cette évolution insidieuse, nous menant vers une euthanasie masquée, sous couvert de soins palliatifs.
Ecoutons enfin le cri d’un médecin travaillant quotidiennement auprès de mourants : "Ne transformons pas nos services de soins palliatifs en service d’anesthésiologie !".
Source : atlantico.fr