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Lettres à nos aînés

par Pierre-Alain Brenzikofer, 29/05/2020

Chère maman,

Figure-toi que j’ai reçu une mission périlleuse de Manuella Maury, la pétulante jeune femme qui lit jusqu’à aujourd’hui bon nombre de ces lettres dans «Porte-plume», cette émission de la Radio romande qu’elle concoctait avec toutes les règles du confinement dans son coquet refuge de Mase. «Ta maman en fourrure! C’est ça que tu dois nous écrire! Ecris-nous une lettre avec ta maman au volant! Ça oui, alors! Ça fera du bien à tous les aînés qui nous contactent pour nous jurer qu’ils se sentent en superforme et qu’ils n’en peuvent plus des écrits paternalistes…»

Ben, moi qui me sentais le roi des figures libres, je me retrouve avec une imposée. La plus périlleuse pour les mauvais patineurs.

Mais avant d’en arriver à cette fameuse fourrure – d’ailleurs, en était-ce vraiment une, et si c’était le cas, elle ne pouvait qu’être fausse, ici, on n’achète ni ne vend la peau de l’ours –, situons le contexte!

Finalement, tu ne l’as pas si mal vécu, ce confinement. Avec ton jardin et tes multiples occupations, tu pestais quand même de ne plus pouvoir faire tes courses. On était là pour ça. Pour t’éviter les regards peu amènes de jeunes vieux. Tiens! l’ancien maire de Saint-Imier en est arrivé à se demander si on obligerait un jour les plus de 65 ans à se munir d’une crécelle de lépreux. Alors, quand nos hautes autorités ont desserré la vis, tu as repris le volant pour rallier ces jardineries à l’air libre de tout virus. Pour faire main basse sur une solide poignée de plantons. «C’est le grand moment d’aller m’occuper des tombes», m’as-tu fait savoir sur un ton péremptoire. Si les vieux sont persécutés, autant que les morts soient aux petits soins!

Ah! j’oubliais. Tu as refusé catégoriquement toute aide pour charger tes pneus d’été. Et seul un tour de rein t’a empêchée de passer la tondeuse à gazon. Ce n’est pas à ton âge qu’on va se refaire. Et puis, qu’est-ce qu’il a ton âge? Chez les gens bien élevés, on ne demande pas leur âge aux dames. Ce qui nous mène gentiment à cette fameuse fourrure.

Parmi tes autres occupations d’avant-confinement, tu adorais venir avec moi dans la région zurichoise pour chercher des voitures de test. Une qu’on ramène, une autre qu’on va prendre ailleurs: il fallait deux cornacs hors pair pour passer d’une Jaguar musclée à une Dacia haletante, d’une boîte automatique à double embrayage à une manuelle hoquetante. Sûr que tu aurais impressionné jusqu’aux as de la Formule 1. Ton plus beau coup, tu l’avais réalisé au volant d’un adipeux pick-up, quand deux casquetteux balkaniques t’avaient dépassée juste pour voir qui pilotait ce monstre. La surprise qu’ils avaient dû avoir en découvrant une vieille dame digne, vêtue d’une fourrure, même fausse. Sûr qu’ils avaient dû en déduire que la vie était décidément trop injuste.

Info+:
Bon, pendant le confinement, fallait pas tenter le diable. Prendre le risque de tomber sur un pandore argovien prêt à te confondre avec une activiste retraitée des Brigades rouges. Et on ne parle pas des inquiets, cafteurs et délateurs à deux balles qui foisonnent sous le règne du Covid-19. Pourtant, tu les adorais, ces transhumances pétaradantes. Moi, je rajeunissais. Je me faisais reprocher ma barbe mal rasée, mes cheveux trop longs, mon manque de goût vestimentaire comme à l’âge de mes 15 ans. Dans nos contrées reculées, on appelle ça avoir une sale allure. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que tu retrouveras ce home de La Colline, où tu officiais comme visiteuse d’autres seniors généralement plus jeunes et bien plus mal portants que toi. Et, qui sait, si la perspective de ma retraite imminente me fait perdre la boule, tu pourras venir m’y visiter pour me parler de mes cheveux…

Pierre-Alain Brenzikofer, corédacteur en chef

Source : journaldujura.ch