Communion de prière pour la Vie : "Jésus, Marie, protégez la vie " ! (ou toute autre prière à Dieu)

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Première partie

Origines du débat actuel sur la mort volontaire

 

I- Un contexte marqué par trois traits saillants

La question de pouvoir mettre un terme à la vie surgit dans un contexte marqué par trois traits saillants : des évolutions médicales et sociologiques, la place de la médecine par rapport à la vie, le choix de certains pays de tolérer ou légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté.

I--1- Des évolutions médicales et sociologiques.

• La longévité croissante des individus et le vieillissement corrélatif de la population6, adressent au système de soins et plus largement à notre société des questions cruciales : comment accompagner la perte d'indépendance et d'autonomie des personnes très âgées, sans trop entamer les forces de leurs proches, mais aussi sans que la sollicitude et un souci de protection tendent à réduire la liberté de ces personnes ? Comment soigner et accompagner, et jusqu'où traiter des personnes malades ou handicapées particulièrement fragiles, présentant des situations cliniques complexes et poly-pathologiques ? Comment affronter la croissance du nombre de personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives ?

Une autre conséquence - longtemps impensée - des avancées techniques et scientifiques de la médecine est la possibilité de vivre longtemps avec une maladie qui ne guérira pas. Donnant une place plus grande aux maladies chroniques, la médecine moderne procure souvent aux personnes une espérance de vie plus longue, mais au prix d'existences extrêmement médicalisées, parfois dans des conditions d'inconfort extrême ou de souffrance.

Des progrès médicaux majeurs, par exemple en réanimation, ont aussi un revers lorsqu'il en résulte des situations inextricables. Que faire lorsque la survie se fait au prix de très lourdes séquelles motrices, sensorielles, cognitives ?

• Ces situations extrêmes, mais aussi celles des personnes démentes ou totalement dépendantes, sont parfois présentées ou ressenties comme une mort sociale, une mort
« incomplète », au risque de perdre de vue le progrès personnel et collectif qu'elles représentent.

Pourtant, l'espérance de vie sans incapacité croît plus vite que l'espérance de vie elle-même ; depuis les années 1970, le nombre moyen de mois de dépendance par personne est passé de 12 à 97. On peut vivre pleinement plus longtemps, même si le tempo de la vie des personnes âgées n'est évidemment pas le même que celui des personnes plus jeunes. La fin de vie est une autre allure de la vie et non simplement le bout de celle-ci.

Mais ces peurs sont aussi alimentées par la relégation qui semble être le lot de tant de personnes en fin de vie, notamment de celles qui vivent des situations de grand isolement ou qui achèvent leur vie dans des institutions faisant parfois figure, aux yeux des bien portants, de mouroirs qui peuvent susciter l'effroi. Pourtant, ce diagnostic ne conduit pas notre société à accorder plus de poids, plus de moyens à l'accompagnement des vieillards ou des personnes qui ont perdu beaucoup de leurs capacités du fait de l'âge ou de la maladie.

• Les proches de ces personnes malades ou très âgées ont et vont avoir à vivre des situations d'accompagnement parfois longues, voire épuisantes, alors qu'ils manquent de temps dans un quotidien déjà intense et qu'ils ne peuvent pas toujours avoir accès à des moyens adaptés de prise en charge à domicile. Souvent, l'entourage familial ne peut plus ou ne veut plus assumer seul une charge qui autrefois, dans un contexte à bien des égards différent, restait plus facilement dans ce cercle. La lourdeur croissante des situations – que l'on pense par exemple aux accompagnants des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'autres formes de troubles cognitifs – le fait que les enfants n'habitent presque plus jamais sous le même toit que leurs parents, que les deux membres du couple travaillent : tout tend à rendre plus difficile l'aide de ceux que l'on appelle les aidants « naturels ».

La notion de « droit au répit » des aidants doit trouver des traductions plus satisfaisantes, par exemple dans la création de structures capables de prendre le relais de l'entourage. Par ailleurs, l'intérêt des personnes âgées mérite d'être mieux apprécié : elles n'ont pas seulement besoin d'être soignées ; elles ont besoin que l'on prenne soin d'elles, au plus proche de leurs propres aspirations, qu'on entre en relation avec elles et non seulement que l'on agisse pour elles à travers le soin médical.

• L'évolution sociologique du rapport à la mort.

Certains épisodes comme la canicule de l'été 2003 ont révélé à la fois le grand isolement de certaines personnes âgées et l'image abîmée que véhiculaient d'elles les médias avec une crudité assumée : déchéance du corps, visage qui s'est par trop éloigné de l'« image de référence » de la personne, celle de ses belles années.
Par ailleurs, la prise en charge de la fin de vie et de la mort s'est institutionnalisée et professionnalisée. La norme en France, c'est de mourir à l'hôpital ou dans une maison de retraite : selon les données de l'Observatoire national de la fin de vie8, aujourd'hui, 58% des Français décèdent à l'hôpital, 27% à leur domicile, 11% dans une maison de retraite ou un lieu apparenté. Comme les prisons ont quitté le centre des villes, les mourants sont partis des foyers, les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes ou des personnes handicapées sont situés souvent hors des villes, loin même de leur périphérie, et la mort se trouve ce faisant à l'écart de notre quotidien.
Ces évolutions aboutissent à un retrait progressif de la mort de la culture commune, avec une disparition ou une modification profonde des rituels qui entouraient cet événement et le rendaient à la fois visible et plus admissible, ainsi qu'à une quête de maîtrise générale, y compris de la fin de vie et de sa mort.

C'est dans ce contexte que de nombreuses personnes, confrontées aux situations souvent inédites créées par la médecine et à son lot de peurs nouvelles, demandent la légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté.

Cette évolution peut être mise en rapport avec celle des préjugés sur ce qu'est une bonne manière de mourir : autrefois, mourir conscient, entouré, armé pour affronter ses « derniers instants »; aujourd'hui, mourir sans souffrir, sans que les facultés soient altérées, si possible de manière soudaine et inconsciente. Le rapport à la mort est désormais pour beaucoup déterminé à partir de notre vie présente, notre rapport à notre corps et à notre esprit.

L'expérience du mourir s'est donc profondément modifiée : si la mort s'est institutionnalisée, si son accompagnement s'est professionnalisé, le rapport moderne à la mort s'est privatisé, individualisé. Il oscille entre une mise à distance de la mort et une aspiration à la contrôler, à faire de la mort une question de choix individuel.

I-2- La place même qu'occupe la médecine dans notre rapport à la vie contribue à l'acuité prise par cette question.

La demande de maîtrise de leur fin de vie qu'expriment de nombreuses personnes puise à cet égard à deux sources : elle est à la fois la fille de l'espoir dans la médecine et du nouveau rôle reconnu aux patients dans la façon d'envisager leur santé.

L'expansion médicale fait figure de mythe : soignants et patients partagent souvent un même espoir dans la médecine ; ils assimilent la lutte contre la maladie à un combat, qu'ils mènent parfois jusqu'à une forme d'obstination déraisonnable. La poursuite acharnée des traitements ne doit évidemment pas être caricaturée tant elle est consubstantielle à la vocation du médecin et à la possibilité du progrès médical. Et il ne faut pas oublier qu'avant le développement des soins palliatifs, initié en Grande-Bretagne dans les années 1970, la médecine moderne se désintéressait largement de la douleur et de la solitude des personnes qu'elle ne parvenait pas à « sauver ».

Dans ce contexte d'attente très forte à l'égard des soignants et de prise de conscience du caractère intolérable des situations dans lesquelles les personnes en fin de vie étaient abandonnées par la médecine, le médecin s'est vu attribuer un rôle central dans les décisions qui concernent la vie ou la mort des personnes, ignorant parfois l'autonomie de la personne, même si les lois récentes de 2002, puis de 2005 ont atténué ce rôle.

Notre rapport à la médecine est en effet aussi un témoin de notre difficulté à vivre avec nos menaces intimes et nos peurs mêlées – douleur, vieillesse, maladie, mort – et à percevoir notre condition de mortels comme une liberté et non seulement comme un fardeau. La quête de santé peut être source de morbidité quand elle est difficulté à nous confronter à notre finitude et à celle d'autrui. On veut toujours faire contre la maladie ; parfois, il convient de faire avec elle.

Ce qui était foi dans la médecine et dans les médecins a pu évoluer ces dernières décennies vers une revendication d'adaptation de la médecine aux volontés de chacun du fait de l'affirmation depuis une quinzaine d'années des droits des malades : les patients s'impliquent fortement dans la gestion de leur santé – parfois sous une pression sociale de prendre soin de soi-même afin de vieillir « au mieux » – d'autant qu'ils ont facilement accès à une information large et que des droits leur ont été reconnus par le législateur, soucieux de renforcer leur autonomie et de donner du poids à l'expression de leur volonté.

Le mouvement en faveur du droit à « choisir sa mort » résulte en partie de ces évolutions, ainsi que des limites de la médecine dans l'accompagnement de la souffrance des personnes en fin de vie. De la demande d'un traitement médical à tout prix à son rejet violent et à la dénonciation d'une surmédicalisation pesante de la fin de vie, il n'y a souvent qu'un pas.
Ainsi, notre société, qui a tendance à refuser la mort et à attendre une réponse de la technique médicale, peut souhaiter en même temps mettre à distance la médecine lorsqu'elle la juge excessivement envahissante. Dès lors que le médecin doit répondre à mes souffrances en prenant en compte ma volonté, c'est finalement moi, patient, qui suis le prescripteur légitime quand il ne s'agit plus vraiment de traiter, mais d'organiser et d'accompagner la fin de mon existence.

Ces évolutions alimentent la demande de prise en compte par le législateur d'un droit à choisir les circonstances et le temps de sa mort. Cette demande a un premier visage, qui n'est pas étranger à la culture occidentale : maîtriser sa vie jusqu'à sa fin et décider du moment et des modalités de sa mort serait plus honorable et moins insupportable que de l'attendre passivement et manifesterait la pleine conscience de notre finitude. La question de la place du suicide émerge et celui-ci est ainsi parfois présenté comme l'ultime expression de la volonté et de la liberté individuelles, dans un contexte dans lequel les personnes sont confrontées tout au long de leur vie à des exigences de performance. Mais la demande d'autorisation de l'assistance à mourir a un autre visage : elle correspond au souhait de beaucoup de prévenir la souffrance et d'éviter des situations d'indignité.

I-3- Certains pays ont légalisé ou choisi de tolérer l'euthanasie ou l'assistance au suicide.

Depuis plusieurs années, un certain nombre de pays – la Suisse, le Bénélux et trois Etats américains (Oregon, Washington et Montana) – ont choisi de tolérer ou de légaliser l'euthanasie ou le suicide assisté. D'autres, comme le Canada et le Royaume-Uni, réfléchissent actuellement à une éventuelle évolution de leur législation (Cf. annexe 1). Cependant, ce mouvement de libéralisation de l'aide à mourir, quoique bien réel, n'en demeure pas moins largement minoritaire dans le monde.
Les premières législations en la matière remontent à une vingtaine d'années. Elles sont nées en outre dans des contextes culturels particuliers. L'Oregon, qui a été le premier Etat à s'engager sur cette voie, a légalisé le suicide assisté en 1997. Si cette pratique y est acceptée, c'est avant tout parce qu'elle répond à une demande culturelle très forte d'autonomie.
L'euthanasie, en revanche, demeure interdite. En effet, l'idée de mourir de la main d'un tiers heurte profondément les mentalités, tant elle s'éloigne des canons habituels de l'autonomie. C'est d'ailleurs un des traits remarquables des pratiques dans cet Etat : la volonté de préserver son autonomie préside davantage à la décision du suicide assisté que le caractère insupportable de la souffrance, plus fréquemment évoqué sur le vieux continent.9
La seconde loi la plus ancienne, celle des Pays-Bas, a vu le jour, elle aussi, dans un contexte culturel particulier : elle n'a fait que formaliser une pratique, vieille d'une trentaine d'années déjà. En effet, c'est au début des années 1970 que la société hollandaise a commencé à pratiquer l'euthanasie. En 1984, l'Association médicale royale a élaboré les critères de minutie qui figurent aujourd'hui dans la loi adoptée en 2001. L'euthanasie s'est donc progressivement installée dans la culture hollandaise et la loi n'a fait que prendre le relais
d'une pratique largement répandue, sans causer par conséquent de rupture dans les mentalités. L'euthanasie occupe aujourd'hui une place significative aux Pays-Bas, comme en témoignent les chiffres de recensement des décès.10
Par ailleurs, l'euthanasie a été sporadiquement projetée sur le devant de la scène dans notre pays par la médiatisation d'affaires qui, si elles touchaient des cas très différents, ont nourri ensemble la demande d'un droit de mourir et d'y être aidé.

6 En cinquante ans, le nombre des personnes ayant plus de 85 ans est passé de 200 000 à 1,4 million.
7 Cf Jean de Kervasdoué, « Les vieux et l'argent : vrais problèmes et lieux communs », in Médecine et vieillesse, sept débats citoyens qui amènent à déconstruire nombre d'idées reçues, septembre 2012, publication du centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin.
8 Fin de vie : état des lieux. Rapport 2011 de l'observatoire national de la fin de vie, Paris, La Documentation française, 2012.
9 Rapport Sicard, p.76
10 2,8% des décès sont des euthanasies aux Pays-Bas (Rapport Sicard, p.74)

Source : CNNE